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Date : 20120718

Dossier : A‑363‑11

Référence : 2012 CAF 208

 

CORAM :      LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SRI HOMES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 juin 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 

 


Date : 20120718

Dossier : A‑363‑11

Référence : 2012 CAF 208

 

CORAM :      LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SRI HOMES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2011 CCI 386, 2011 DTC 1283). La question en litige devant la Cour de l’impôt était celle de savoir si la contribuable appelante avait le droit de déduire certaines pertes s’élevant à 411 830 $. Dans ses brefs motifs, la Cour de l’impôt a rejeté l’appel de l’appelante.

 

[2]               La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si le juge de première instance a commis une erreur de droit en ne motivant pas suffisamment sa décision.

 

Le contexte factuel

[3]               À l’époque en cause, la société Norterra Inc. (Norterra) possédait 100 p. 100 des actions de l’appelante. Norterra a négocié sans lien de dépendance avec R & M Frontier Holdings Corporation (Frontier) une entente aux termes de laquelle Frontier acceptait d’acheter la totalité des actions de l’appelante. Avant la signature de l’entente d’achat d’actions, Frontier a fait savoir qu’elle n’achèterait les actions que si certains des actifs appartenant à l’appelante étaient soustraits de la vente et que le prix était diminué en conséquence. Norterra et Frontier se sont entendues sur les actifs qui devaient être retirés (les actifs retirés) ainsi que sur le prix d’achat réduit des actions.

 

[4]               Pour concrétiser l’entente, l’appelante a vendu les actifs retirés à une société liée. Parmi ceux‑ci se trouvaient des actions de deux sociétés liées, Valley Vista Seniors Park Inc. (Valley Vista) et Lakeside Pines Development Inc. (Lakeside) ainsi que des prêts d’actionnaire consentis par l’appelante à Valley Vista et Lakeside. Le produit de la disposition de la vente des actifs retirés s’élevait à 4 430 366 $, dont 1 332 796 $ ont été imputés aux deux prêts d’actionnaire, ce qui était 411 830 $ de moins que la valeur nominale desdits prêts. La déductibilité de ce montant est la question en litige dans la présente instance. Les parties conviennent que le montant imputé au titre du produit de la disposition des éléments d’actif autres que les prêts d’actionnaire était raisonnable et équitable par rapport à leur juste valeur marchande.

 

[5]               Les parties ont défendu des thèses opposées au procès. La contribuable appelante a soutenu que le produit de la disposition imputé à chacun des prêts d’actionnaire équivalait à la juste valeur marchande du prêt au moment où il avait été vendu à la société liée et que la perte qui avait été subie en conséquence n’était pas déduite du capital. La Couronne intimée a pour sa part affirmé que l’appelante avait « passé en charges les pertes non réparties » de son investissement dans Valley Vista et Lakeside (c.‑à‑d. sa part des pertes nettes cumulatives de ces sociétés, qui s’élevaient à 411 830 $). L’intimée a également soutenu que les prêts d’actionnaire étaient entièrement recouvrables au moment de leur disposition et que leur juste valeur marchande correspondait à la valeur nominale de chaque prêt. L’intimée a enfin soutenu que les pertes étaient déductibles du capital.

 

[6]               Le procès a duré trois jours. L’appelante a fait entendre trois témoins et le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada a témoigné au nom de la Couronne.

 

La décision de la Cour de l’impôt

[7]               La Cour a divisé les motifs de son jugement en trois parties : l’exposé des faits, l’exposé des questions en litige et une partie intitulée « Analyse et décision ».

 

[8]               Dans son exposé des faits, la Cour a rappelé certains faits non contestés (motifs, paragraphes 1 à 13) ainsi que certaines des assertions du ministre (motifs, paragraphes 14 à 32). Ces assertions paraphrasaient certaines des hypothèses plaidées par la Couronne dans sa réponse à l’avis d’appel modifié.

 

[9]               Dans la seconde partie des motifs, au paragraphe 33, la Cour a formulé comme suit les questions soumises à la Cour :

33.       Les questions en litige consistent à savoir si, pour son année d’imposition terminée le 30 avril 2001, la SRI :

 

a)   a le droit de passer en charges les pertes non réparties de son investissement dans la Valley Vista et la Lakeside Pines (c’est‑à‑dire la part de la SRI des pertes nettes cumulatives de ces sociétés), qui sont de 411 830 $;

 

b)   avait une perte autre qu’une perte en capital additionnelle qui pouvait faire l’objet d’un report rétrospectif à son année d’imposition terminée le 31 décembre 2000.

 

 

[10]           Cet exposé des questions en litige reprenait textuellement les questions formulées par la Couronne dans sa réponse à l’avis d’appel modifié.

 

[11]           Dans la dernière partie de ses motifs, sous la rubrique « Analyse et décision », la Cour a dans un premier temps cité un extrait des observations préliminaires de l’avocat de l’appelante (motifs, paragraphe 34) et de l’avocat de la Couronne (motifs, paragraphes 35 et 36), dans lesquels les avocats exposaient leurs thèses respectives. La Cour a ensuite brièvement fait référence à l’exposé final de l’avocat de l’appelante (motifs, paragraphe 37) et à un extrait plus long de celui de l’avocat de la Couronne (paragraphes 38 à 40). On trouvait dans cet extrait les six raisons invoquées par l’avocat de l’intimée pour expliquer pourquoi le montant en litige n’était pas déductible.

 

[12]           La Cour a ensuite tiré la conclusion suivante :

41        Je souscris au raisonnement présenté par [l’avocat de l’intimée] dans ses observations.

 

42        Les appels sont rejetés avec dépens.

 

L’obligation de fournir des motifs

[13]           Dans l’arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, la Cour suprême du Canada a confirmé que le juge de première instance a l’obligation générale de motiver sa décision « lorsque la décision est par ailleurs appuyée par la preuve ou lorsque le fondement de la décision est évident compte tenu des circonstances » (paragraphe 4, citant l’arrêt R. c. Barrett, [1995] 1 R.C.S. 752, à la page 753).

 

[14]           Dans l’arrêt R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a rappelé que « lorsqu’un tribunal d’appel examine les motifs pour déterminer s’ils sont suffisants, il doit les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès, en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs » (paragraphe 16). Au paragraphe 17, la Cour suprême écrit :

Ces buts seront atteints si les motifs, considérés dans leur contexte, indiquent pourquoi le juge a rendu sa décision. Il ne s’agit pas d’indiquer comment le juge est parvenu à sa conclusion, ou d’une invitation à « suivre son raisonnement », mais plutôt de révéler pourquoi il a rendu cette décision. La Cour d’appel de l’Ontario a prononcé l’arrêt Morrissey avant que notre Cour confirme l’obligation de fournir des motifs dans Sheppard. L’arrêt Morrissey décrit toutefois bien l’objet des motifs du juge de première instance. Le juge Doherty affirme, à la p. 525 : [traduction« En motivant sa décision, le juge de première instance essaie de faire comprendre aux parties le résultat et le pourquoi de sa décision » (je souligne). L’essentiel est d’établir un lien logique entre le « résultat » – le verdict – et le « pourquoi » – le fondement du verdict. Il doit être possible de discerner les raisons qui fondent la décision du juge, dans le contexte de la preuve présentée, des observations des avocats et du déroulement du procès. [Souligné et en italiques dans l’original.]

 

 

[15]           Suivant l’analyse fonctionnelle préconisée dans les arrêts Sheppard et R.E.M., les motifs « doivent être suffisants pour remplir leurs fonctions – informer les parties du fondement du verdict, rendre compte devant le public et permettre un véritable examen en appel. L’approche fonctionnelle n’exige rien de plus que ce qui permet d’accomplir ces objectifs. » (R.E.M., au paragraphe 25.)

 

[16]           Dans Sheppard et R.E.M., il s’agissant de procès criminels, mais les principes susmentionnés s’appliquent également en matière civile (voir, par exemple, Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, 426 N.R. 200, au paragraphe 233; Première Nation Brokenhead c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 148, 419 N.R. 289).

 

[17]           Qui plus est, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 43, la Cour suprême a déclaré : « il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision ».

 

Application de ces principes au présent appel

[18]           Nous devons recourir à l’analyse fonctionnelle des motifs de la Cour de l’impôt. Suivant cette méthode, le dossier dont disposait le tribunal de première instance joue un rôle crucial sur l’issue du litige. Des motifs semblables à ceux qui ont été fournis en l’espèce peuvent être suffisants selon la nature et le nombre de questions ayant été soumises au tribunal de première instance, la nature du dossier de la preuve et la teneur et la nature des arguments formulés devant le tribunal de première instance.

 

[19]           En l’espèce, pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion, compte tenu du dossier soumis à la Cour de l’impôt, que le juge de première instance a commis une erreur de droit en ne motivant pas suffisamment sa décision.

 

[20]           Premièrement, comme je l’ai déjà signalé, les parties ont défendu des thèses opposées devant la Cour de l’impôt. Pour le contribuable, la question était celle de savoir si la partie du produit de la disposition qui avait été imputée aux deux prêts d’actionnaire correspondait à leur juste valeur marchande et, dans l’affirmative, si la perte en découlant était déductible du revenu. Le juge de première instance n’a toutefois pas expliqué pourquoi il avait choisi, pour formuler les questions en litige, de reprendre la formulation proposée par la Couronne dans ses actes de procédure. Le dossier ne me permet pas de savoir pourquoi le juge de première instance ne s’est pas estimé obligé d’aborder l’affaire du point de vue de l’appelante, lequel était étayé par sa preuve.

 

[21]           Deuxièmement, comme nous l’avons déjà signalé, la Couronne a invoqué six raisons pour expliquer pourquoi l’appel de l’appelante devait être rejeté. Certaines de ces raisons se contredisent. Par exemple, la première raison invoquée par la Couronne est que l’appelante avait déduit à titre de dépense une partie des pertes nettes cumulatives de Valley Vista et de Lakeside. Le vérificateur a expliqué dans son témoignage que la perte en question était une perte nette cumulative qui aurait dû être imputée aux actions (transcription, volume 2, aux pages 285 et 286). Parmi les autres motifs avancés par la Couronne, mentionnons l’argument suivant lequel l’appelante ne pouvait utiliser une provision pour créances douteuses relativement aux créances autres qu’en capital parce qu’elle ne possédait plus de prêts en cours et que l’appelante ne pouvait utiliser de provision pour créances douteuses parce que la créance n’était pas irrécouvrable.

 

[22]           Il est impossible de contrôler utilement les motifs du juge de première instance dès lors que la Cour est incapable de déterminer comment il a qualifié l’opération. Le juge de première instance a‑t‑il estimé que la présumée perte était une perte en capital qui aurait dû être calculée en fonction de la valeur des actions ou s’agissait‑il, à son avis, d’une créance douteuse ou irrécouvrable réclamée à tort?

 

[23]           Troisièmement – et en rapport avec le deuxième point – le juge de première instance n’a fait aucune mention des témoignages de vive voix des quatre témoins. Il s’agit là d’une erreur, d’autant plus que le contribuable avait présenté des éléments de preuve qui appuyaient sa thèse et que ces éléments de preuve étaient de nature à nécessiter que le juge en traite. Par exemple, la secrétaire de la société appelante, qui était experte‑comptable de profession, a expliqué dans son témoignage que l’appelante n’avait pas passé en charges des pertes non réparties. Elle a plutôt expliqué que [traduction] « les comptes établis suivant la méthode de la mise en équivalence reflètent le mieux la valeur marchande » des prêts d’actionnaire. Lors des débats en appel, l’avocat de la Couronne a fait valoir que le juge de première instance n’avait pas ajouté foi à ce témoignage. Si le juge de première instance a tiré des conclusions au sujet de la crédibilité ou n’a accordé aucun poids à certains éléments de preuve, il est indispensable, pour procéder à un contrôle utile en appel, que la Cour sache quels sont les éléments de preuve que le juge de première instance a écartés.

 

[24]           Quatrièmement, au cours des débats qui ont eu lieu devant la Cour de l’impôt, l’avocat de l’appelante a confirmé que sa cliente n’affirmait pas que le montant en litige était une créance irrécouvrable. Pourtant, le juge de première instance a abordé cet argument dans ses motifs et a adopté le point de vue de la Couronne sur cette question. Cela ne témoigne pas d’une bonne compréhension des véritables questions qu’il avait à trancher.

 

[25]           Dans le même ordre d’idées, l’appelante invoque deux raisons pour expliquer que la perte n’était pas une perte en capital. En premier lieu, l’appelante explique qu’elle exploitait une entreprise de prêts d’argent et que les prêts en question étaient effectués dans le cours normal de ces activités. En second lieu, l’appelante explique que les prêts étaient consentis dans le but de produire un revenu en lien avec sa propre entreprise. Plus précisément, l’appelante affirme que son activité principale était la fabrication de maisons préfabriquées. Les prêts en litige finançaient le développement de parcs de maisons préfabriquées pouvant uniquement accueillir les maisons fabriquées par l’appelante. Le juge de première instance a retenu l’argument formulé par la Couronne sur le premier moyen, mais n’a pas examiné les éléments de preuve et les arguments avancés sur le second moyen. Le dossier ne me permet pas de savoir pourquoi le juge de première instance n’a pas examiné le second argument. Compte tenu du fait qu’il s’est estimé obligé d’examiner la question de savoir si les pertes étaient déductibles du capital ou du revenu, et vu l’ensemble de la preuve et des arguments soumis à la Cour, le juge de première instance devait fournir des explications pour justifier son rejet du second argument.

 

[26]           En conclusion, compte tenu des questions en litige, et de la preuve et des arguments soumis au juge de première instance, ce dernier était, à mon humble avis, tenu d’expliquer pourquoi il adhérait aussi à ce point à la thèse de la Couronne.

 

Dispositif

[27]           Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens tant devant notre Cour que devant la Cour de l’impôt et de renvoyer l’affaire à la Cour canadienne de l’impôt pour qu’un autre juge rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Gauthier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Le juge David Stratas j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑363‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  SRI HOMES INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 18 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kenneth J. Ihas

 

POUR L’APPELANTE

 

Bruce Senkpiel

Geraldine Chen

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rush Ihas Hardwick SRL

Kelowna (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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