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Date : 20120803

Dossier : A-313-12

Référence : 2012 CAF 218

 

Présente : Madame la juge Dawson

 

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

appelant

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

 

intimés

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

 

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 3 août 2012.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                LA JUGE DAWSON

 



Date : 20120803

Dossier : A-313-12

Référence : 2012 CAF 218

 

Présente : Madame la juge Dawson

 

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

appelant

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

intimés

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]               L’appelant, Mohamed Zeki Mahjoub, est désigné dans un certificat de sécurité signé par le ministre en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Le certificat a été déposé à la Cour fédérale, laquelle est sur le point de se prononcer sur le caractère raisonnable de ce document.

 

[2]               Par un avis de requête daté du 16 septembre 2011, M. Mahjoub sollicite les réparations suivantes devant la Cour fédérale :

a.       La suspension permanente de l’instance conformément aux articles 7 et 8 et au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, [partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)] (ci‑après, la Charte) et à l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. 1985, ch. F‑7];

b.      Une ordonnance portant que le requérant soit mis en liberté sans condition;

c.       Une ordonnance réservant le droit des parties de présenter d’autres observations pour récupérer, mettre sous scellés ou détruire les documents amalgamés les uns aux autres;

d.      À titre subsidiaire, les autres réparations que la Cour estime convenables et justes eu égard aux circonstances, y compris le retrait des avocats et du personnel juridique du ministère de la Justice qui sont inscrits au dossier et du personnel de l’Agence des services frontaliers du Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité.

 

[3]               Le 31 mai 2012, un juge désigné de la Cour fédérale (le juge) a accueilli la requête en partie. Il a retiré du dossier de façon permanente un certain nombre de membres de l’équipe des litiges des ministres intimés. Toutes les autres réparations demandées dans la requête ont été refusées.

 

[4]               Le 29 juin 2012, M. Mahjoub a produit à la Cour un avis d’appel concernant l’ordonnance du juge.

[5]               Les ministres présentent maintenant une requête écrite afin d’obtenir une ordonnance portant annulation de l’appel en application de l’alinéa 52a) de la Loi sur les Cours fédérales. Suivant cette disposition, la Cour peut « arrêter les procédures dans les causes qui ne sont pas de son ressort ».

 

Dispositions législatives

[6]               Comme la Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 294, 426 N.R. 49 (Mahjoub no 1), au paragraphe 7 et suivants, les alinéas 27(1)a) et c) de la Loi sur les Cours fédérales prévoient de façon générale qu’il peut être interjeté appel à la Cour d’un jugement définitif ou d’un jugement interlocutoire de la Cour fédérale. D’autres textes législatifs peuvent toutefois faire obstacle à ce droit d’appel.

 

[7]               La disposition législative applicable en l’espèce est l’article 79 de la Loi, lequel dispose :

79. La décision n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel.

79. An appeal from the determination may be made to the Federal Court of Appeal only if the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question. However, no appeal may be made from an interlocutory decision in the proceeding.

 

Thèse des parties

[8]               Les ministres soutiennent que l’appel interjeté à l’égard de l’ordonnance par laquelle le juge

[traduction] […] a rejeté sa requête en suspension de l’audience relative au caractère raisonnable doit être annulée pour défaut de compétence. On tente ainsi d’interjeter appel d’une décision interlocutoire rendue dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 77 de la LIPR. Les appels de cette nature sont explicitement interdits par la disposition d’inattaquabilité prévue à l’article 79 de la LIPR. La Cour a reconnu que cette disposition d’inattaquabilité a une large portée et qu’elle fait obstacle aux appels visant des décisions rendues au cours d’une instance introduite en vertu de l’article 77. L’appelant ne jouit d’aucun droit d’appel dans ces circonstances.

 

[9]               Les ministres accordent une grande importance à l’arrêt Mahjoub no 1 prononcé par notre Cour. Comme l’a précisé la Cour dans ses motifs, aux paragraphes 14 et 15, l’ordonnance alors frappée d’appel avait été rendue dans les circonstances suivantes :

14        Au cours de l’instance introduite en vertu de l’article 77, Sa Majesté a obtenu des documents appartenant à l’avocat de M. Mahjoub qui renferment des renseignements qui, selon ce qu’affirme M. Mahjoub, sont protégés par le secret professionnel de l’avocat et par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès. Les documents en cause ont été amalgamés avec d’autres documents appartenant à Sa Majesté. M. Mahjoub a saisi le juge Blanchard d’une requête en vue d’obtenir la suspension permanente de l’instance en vertu des articles 7 et 8 et du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Sa Majesté a contesté la requête.

15        Le juge Blanchard a entendu la requête le 3 octobre 2011 et a mis l’affaire en délibéré. Il semble qu’au cours de l’audience, le juge Blanchard ait conclu que pour pouvoir déterminer quelle réparation serait, le cas échéant, appropriée dans les circonstances, il serait nécessaire de scinder les documents qui avaient été amalgamés et de les restituer aux parties pour qu’elles soient en mesure de formuler des observations spécifiques sur la nature et l’ampleur du présumé préjudice. Dans ce contexte, le juge Blanchard a rendu le 4 octobre 2011 l’ordonnance faisant l’objet du présent appel. […]

 

[10]           L’ordonnance alors visée par l’appel établissait un processus permettant de scinder les documents amalgamés et de les restituer aux parties respectives. La Cour a annulé l’appel interjeté à l’égard de cette ordonnance pour défaut de compétence.

 

[11]           Les ministres avancent que, dans l’arrêt Mahjoub no 1, la Cour a conclu que l’ordonnance alors frappée d’appel avait été rendue au cours d’une instance introduite en vertu de l’article 77. Ils affirment que [traduction] « compte tenu de cette conclusion, la décision relative à la requête en suspension elle‑même doit aussi avoir été rendue au cours d’une instance fondée sur l’article 77 et elle est de même visée par la disposition d’inattaquabilité prévue à l’article 79 ».

 

[12]           Quant à M. Mahjoub, il fait valoir ce qui suit :

[traduction] […] l’article 79 de la LIPR ne s’applique nullement au présent appel et […] cet appel est régi par l’article 27 de la [Loi sur les Cours fédérales]. Bien que la demande ait été présentée dans le contexte d’une audience tenue sous le régime de la LIPR, la nature de cette demande n’avait rien à voir avec la décision touchant le caractère raisonnable du certificat ou les conditions de la mise en liberté de l’appelant et il ne s’agit pas d’un contrôle judiciaire visé par l’article 72 de la LIPR. Il s’agissait plutôt d’une demande de suspension fondée sur la saisie, par le gouvernement, de documents privilégiés d’une partie adverse. L’article 79 de la LIPR exige uniquement une certification pour les appels relatifs aux décisions portant sur le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité et interdit uniquement les appels de décisions interlocutoires se rapportant au certificat. L’ordonnance définitive prononcée à l’égard d’une demande de suspension fondée sur l’article 50 de la [Loi sur les Cours fédérales] ou sur l’article 7 ou 24 de la Charte n’est manifestement pas une décision interlocutoire se rapportant au caractère raisonnable du certificat. Enfin, lorsque, comme en l’espèce, le refus d’accorder une suspension concerne la compétence, la décision n’est pas visée par l’article 79 de la LIPR et cette disposition ne s’applique pas.

 

Norme de contrôle applicable aux requêtes en annulation

[13]           Dans l’arrêt Arif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 157, 405 N.R. 381, une formation de juges de la Cour s’est demandé si le tribunal avait compétence pour instruire un appel interjeté à l’égard d’une décision de la Cour fédérale ou si la compétence en cette matière était exclue par le paragraphe 14(6) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29. Un juge de la Cour siégeant seul avait antérieurement rejeté la requête en radiation de l’avis d’appel pour des raisons de compétence. Au paragraphe 9 de ses motifs, la Cour a estimé que la question dont était saisi le juge seul dans le cadre de la requête en radiation était celle de savoir « s’il était “évident et manifeste” que l’appel […] était voué à l’échec (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959) ». La décision par laquelle le juge seul a rejeté la requête en radiation indiquait « tout au plus qu’il n’était pas convaincu à ce stade que la Cour ne pouvait entendre l’appel ».

 

[14]           Le critère que j’appliquerai dans le cadre de la présente requête consiste donc à déterminer s’il est évident et manifeste que la Cour n’a pas compétence pour entendre l’appel.

 

Analyse

[15]           Je ne puis conclure qu’il est évident et manifeste que la Cour n’a pas compétence pour entendre l’appel. Par conséquent, la requête en annulation sera rejetée et les juges de la Cour qui seront saisis de cet appel statueront sur la compétence du tribunal.

 

[16]           Comme la formation saisie de l’appel tranchera la question de la compétence, mes motifs sont brefs et n’intéressent que la seule application du critère relatif au caractère évident et manifeste.

 

[17]           La disposition d’inattaquabilité invoquée par les ministres, soit l’article 79 de la Loi, doit être interprétée en tenant compte de l’article 78 de la Loi. Ces dispositions sont les suivantes :

78. Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et l’annule s’il ne peut conclure qu’il est raisonnable.

 

 

79. La décision n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel. [Non souligné dans l’original.]

78. The judge shall determine whether the certificate is reasonable and shall quash the certificate if he or she determines that it is not.

 

79. An appeal from the determination may be made to the Federal Court of Appeal only if the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question. However, no appeal may be made from an interlocutory decision in the proceeding. [emphasis added]

 

[18]           À mon avis, l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, en particulier les paragraphes 44 à 66, permettent de soutenir que la décision de la Cour fédérale de refuser ou d’accorder la suspension de l’instance relative au certificat de sécurité ne constituait ni une décision sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité, ni une décision interlocutoire rendue dans la cadre de l’instance. Il n’est donc pas évident et manifeste que l’article 79 s’applique au présent appel de sorte que la Cour soit privée de la compétence que lui confère le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[19]           Dans la mesure où les ministres s’appuient sur l’arrêt Mahjoub no 1, il est possible, à mon avis, de soutenir qu’une distinction peut être établie entre cet arrêt et la décision prononcée en l’espèce au motif que cette dernière repose sur la décision de la Cour de considérer que l’ordonnance alors frappée d’appel est une décision interlocutoire rendue dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 77 de la Loi qui relevait clairement de l’article 79 de la Loi.

 

Conclusion

[20]           Pour ces motifs, la requête en annulation de l’appel sera rejetée.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-313-12

 

INTITULÉ :                                                                          Mohamed Zeki Mahjoub c.

                                                                                                Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté

                                                                                                Ministre de la Sécurité publique

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                     La juge Dawson

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 3 août 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

Johanne Doyon

Paul Slansky

 

POUR L’APPELANT

 

Donald MacIntosh

Ian Hicks

Kevin Doyle

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés Inc.

Montréal (Québec)

 

Paul Slansky

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

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