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Date : 20121009

Dossier : A‑44‑12

Référence : 2012 CAF 254

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

GILEAD SCIENCES CANADA INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 septembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20121009

Dossier : A‑44‑12

Référence : 2012 CAF 254

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

GILEAD SCIENCES CANADA INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

 

Introduction

[1]               La principale question soulevée dans le présent appel est de savoir si le brevet canadien no 2 512 475 (le brevet 475) qui se rattache à la présentation de médicament nouveau 140115 (la PDN) est admissible à l’adjonction au registre des brevets, alors que les ingrédients médicinaux visés par ses revendications ne concordent pas avec ceux qui figurent dans la présentation.

 

[2]               Le ministre de la Santé (le ministre) a refusé d’inscrire le brevet 475 au registre, estimant qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93‑133) (le Règlement sur les MBAC). Un juge de la Cour fédérale a retenu la position du ministre et rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par Gilead Sciences Canada Inc. (Gilead ou l’appelante). Le présent appel vise la décision de la Cour fédérale publiée sous la référence 2012 CF 2.

 

[3]               Je propose de rejeter l’appel de Gilead, mais pour d’autres motifs que ceux qu’a donnés le juge pour rejeter la demande de contrôle judiciaire. Contrairement à ses conclusions, j’estime que les revendications en cause dans le brevet 475 visent une nouvelle combinaison d’ingrédients médicinaux, de sorte que l’admissibilité du brevet 475 à l’inscription est fondée non pas sur les exigences de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les MBAC, mais sur celles de l’alinéa 4(2)a). Cela dit, les revendications pertinentes du brevet 475 ne satisfont pas aux exigences de l’alinéa 4(2)a) étant donné qu’elles n’établissent pas la spécificité stricte du produit à l’égard des trois ingrédients médicinaux énumérés dans la PDN.

 

[4]               Les alinéas 4(2)a) et 4(2)b) du Règlement sur les MBAC disposent :

 

4. (2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

 

a) une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

b) une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

4. (2) A patent on a patent list in relation to a new drug submission is eligible to be added to the register if the patent contains

 

 

(a) a claim for the medicinal ingredient and the medicinal ingredient has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

(b) a claim for the formulation that contains the medicinal ingredient and the formulation has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the Submission;

 

Les faits pertinents

[5]               Les faits pertinents sont constants. Le 4 octobre 2010, Gilead a déposé auprès du ministre une PDN pour faire approuver un médicament destiné au traitement de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Cette PDN indiquait que le médicament, connu sous le nom de Complera, contenait les ingrédients médicinaux suivants : 1) le fumarate de ténofovir disoproxil (ténofovir), 2) l’emtricitabine et 3) la rilpivirine (paragraphe 3 des motifs du juge). La rilpivirine appartient à la classe des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI). Le 20 octobre 2011, après la production des preuves se rapportant à la demande présentée à la cour d’instance inférieure, mais avant le prononcé de la décision visée par le présent appel, un avis de conformité (AC) fut délivré pour Complera. Je renverrai à partir de maintenant soit à la PDN soit à l’AC selon le contexte.

 

[6]               En même temps qu’elle a déposé sa PDN, Gilead a également produit huit brevets relatifs à Complera, y compris le brevet 475, en vue de leur adjonction au registre des brevets. Dans une lettre datée du 26 octobre 2010, le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison a informé Gilead de l’avis préliminaire du ministre selon lequel le brevet 475 n’était pas admissible à l’inscription parce qu’il ne contenait pas de revendication visant tous les ingrédients médicinaux figurant dans la PDN, à savoir le ténofovir, l’emtricitabine et la rilpivirine, comme l’exige le Règlement sur les MBAC. Les revendications du brevet 475 mentionnent plutôt la combinaison du ténofovir et de l’emtricitabine, avec un troisième agent antiviral non identifié sélectionné à partir, entre autres classes, de celle des INNTI. Il est admis que la rilpivirine n’est mentionnée dans aucune des revendications du brevet 475. Gilead disposait de trente jours pour répondre au ministre.

 

[7]               Elle le fit le 26 novembre 2010. Gilead a alors indiqué que les revendications du brevet 475 visaient des combinaisons chimiquement stables d’ingrédients, et qu’elles étaient donc visées par l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les MBAC (c’est moi qui souligne). Subsidiairement, Gilead soutenait que le brevet 475 contenait des revendications touchant la formulation qui établissaient suffisamment la spécificité du produit puisque la rilpivirine appartient à l’une des classes de médicaments spécifiées, c’est‑à‑dire les INNTI (c’est moi qui souligne). Par conséquent, le brevet 475 satisfaisait aussi aux exigences de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les MBAC.

 

[8]               Dans sa lettre de décision définitive datée du 13 janvier 2011, le ministre a confirmé que le brevet 475 n’était pas admissible à l’inscription. Il a conclu que le [traduction] « brevet contenant des revendications touchant la formulation ne peut “concorder” avec la formulation approuvée [dans la PDN ou l’AC] à moins que ces deux formulations ne mentionnent expressément tous les mêmes ingrédients médicinaux » (lettre de décision définitive du ministre, dossier d’appel, volume I, onglet 4E). Par conséquent, la seule mention des classes d’ingrédients dans le brevet 475 ne satisfaisait pas à l’« exigence de concordance », car elle n’établissait pas la spécificité du produit.

 

La norme de contrôle

[9]               La Cour, en l’espèce, est appelée à rechercher si le juge saisi de la demande de révision a choisi et appliqué la norme de contrôle appropriée et, si tel n’est pas le cas, d’examiner la décision du ministre à la lumière de la norme de contrôle pertinente (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] CSC 19, 1 R.C.S. 226, aux paragraphes 43 et 44).

 

[10]           En l’espèce, la norme de contrôle est déterminée par le cadre d’analyse en trois parties que l’on doit suivre quant aux questions relatives à l’article 4 du Règlement sur les MBAC, que notre Cour a consacré par l’arrêt Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, [2009] 3 R.C.F. 547, aux paragraphes 29 à 33, et qui a été repris plus récemment par l’arrêt Purdue Pharma c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 132, aux paragraphes 11 à 13 [l’arrêt Purdue].

 

[11]           Au paragraphe 12 de ses motifs, le juge a adopté ce cadre d’analyse, qui comprend les questions suivantes :

 

a.                   Quelle est la bonne interprétation du brevet 475? Cette question est assujettie à la norme de la décision correcte.

 

b.                  Quelle est la nature du médicament approuvé dans la PDN ou l’AC? Cette question est assujettie à la norme de la décision correcte.

 

c.                   L’objet revendiqué dans le brevet dont l’approbation est demandée est‑il le même que celui qui est énoncé dans la PDN ou l’AC?

 

 

[12]           Pour répondre à la troisième question, il faut d’abord interpréter le Règlement sur les MBAC. Il s’agit d’une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte. Il faut ensuite appliquer le droit aux faits, et cette demarche appelle la norme de la raisonnabilité.

 

[13]           Le juge a, à juste titre, fait remarquer que la question 2 du cadre d’analyse n’était pas en jeu, les parties ayant convenu que la PDN visait un médicament contenant le ténofovir, l’emtricitabine et la rilpivirine.

 

Questions en litige

[14]           Le juge a donc formulé les autres questions en litige comme suit :

 

a.                   Quelle est la bonne interprétation du brevet 475?

 

b.                  Quelle est la bonne interprétation des alinéas 4(2)a) et b) du Règlement sur les MBAC?

 

c.                   La décision du ministre d’exclure le brevet 475 du registre était‑elle raisonnable? (paragraphe 14 des motifs du jugement).

 

 

[15]           J’aborderai, dans mon analyse, les motifs du juge relatifs à chacune de ces questions.

 

Analyse

Question no 1 :      L’interprétation du brevet 475

 

[16]           Le brevet 475 est intitulé « Compositions et méthodes destinées à une thérapie de combinaison antivirale ». Il contient 53 revendications touchant les ingrédients, les formulations, les posologies et les utilisations, les revendications concernant ces deux derniers éléments n’étant pas pertinentes en l’espèce. Celles qui nous intéressent sont les revendications  15, 31, 32, 34, 42, 45, 46 et 48, reproduites en annexe.

 

[17]           Lors de l’instruction de l’appel, Gilead a mis l’accent sur les revendications 42, 45, 46 et 48, faisant valoir qu’elles faisaient état des ingrédients médicinaux de Complera. À son avis, lorsqu’examinées séparément de celles qui touchent la formulation, ces revendications sont admissibles à l’inscription au titre de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les MBAC (paragraphes 79 et 80 du mémoire des faits et du droit de l’appelante).

 

[18]           Ayant passé en revue les principes d’interprétation des brevets établis par la jurisprudence, le juge a d’abord indiqué que l’objet de l’invention était de tirer profit des caractéristiques touchant la stabilité chimique du ténofovir et de l’emtricitabine en association, auxquels se rajoutait parfois un troisième ingrédient médicinal (paragraphe 25 des motifs). Il avait conclu précédemment que les revendications 42, 45, 46 et 48 visaient la combinaison d’au moins deux agents antiviraux alors que les revendications 15, 31, 32 et 34 concernaient une formulation contenant au moins deux de ces agents.

 

[19]           Enfin, au paragraphe 26 de ses motifs, le juge a interprété les revendications pertinentes comme :

 

[…] concernant des combinaisons et des formulations de deux ingrédients médicinaux en plus d’un troisième ingrédient membre de la classe des INNTI qui pourrait inclure la rilpivirine, sans qu’elle soit nommée expressément.

 

 

[20]           Il n’y a nulle controverse entre les parties en ce qui concerne l’interprétation des revendications pertinentes retenue par le juge. Le nœud de la présente affaire est donc essentiellement constitué par ses conclusions ayant trait aux deuxième et troisième questions, et en particulier son interprétation, partagée par le ministre, des alinéas 4(2)a) et 4(2)b) du Règlement sur les MBAC et l’application de ces dispositions aux faits.

 

Question no 2 :      L’interprétation des alinéas 4(2)a) et 4(2)b) du Règlement sur les MBAC

Le cadre réglementaire

[21]           Les fabricants de médicaments qui veulent vendre un médicament au Canada doivent produire au ministre une présentation de drogue nouvelle et obtenir un avis de conformité. Ces documents présentent les renseignements essentiels sur le médicament en question. Bien que la plupart des nouveaux médicaments soient couverts par des brevets qui les protègent de la contrefaçon, les fabricants de médicaments génériques peuvent utiliser ces brevets sans commettre de contrefaçon en vue d’obtenir du ministre les autorisations nécessaires à la mise en marché des équivalents génériques des médicaments dès l’expiration des brevets. Il s’agit de l’« exception relative à la fabrication anticipée » prévue par la Loi sur les brevets (L.R.C., 1985, ch. P‑4) [la Loi sur les brevets].

 

[22]           Pour éviter que cette exception ne donne lieu à des abus, la Loi sur les brevets prévoit que le Règlement sur les MBAC encadre le recours à l’exception. Pour bénéficier des protections accordées par le Règlement sur les MBAC, les compagnies pharmaceutiques doivent demander au ministre d’inscrire les brevets relatifs à leurs médicaments au registre des brevets.

 

[23]           Ainsi, la Loi sur les brevets et le Règlement sur les MBAC cherchent à mettre en balance « la mise en application efficace des droits conférés par les brevets » protégeant les nouvelles drogues innovantes et « l’entrée sur le marché en temps opportun » de produits génériques moins coûteux une fois les brevets expirés (« Résumé de l’étude d’impact de la réglementation » (2006), Gazette du Canada, partie II, volume 140, pages 1510 à 1525) [REIR].

 

[24]           D’après le ministre, des lacunes dans le libellé du Règlement sur les MBAC ont produit une jurisprudence qui rendait trop facile l’adjonction de brevets au registre, faisant ainsi trop souvent pencher la balance en faveur de la protection des brevets. Pour corriger cette situation, le ministre a introduit en 2006 des modifications au Règlement sur les MBAC. L’une des principales modifications est l’introduction de la notion de « spécificité du produit » : pour que le brevet puisse être inscrit au registre, son objet doit refléter l’objet indiqué dans la présentation de médicament approuvé (paragraphe 7 du mémoire des faits et du droit de l’intimé).

 

Le sens des alinéas 4(2)a) et b)

[25]           Ayant interprété les revendications pertinentes, le juge les a ensuite décrites au regard des trois ingrédients contenus dans Complera (paragraphe 28 des motifs). Avec tout le respect que je lui dois, je suis d’avis que c’est là que le juge a commis une erreur de droit dans son application du cadre d’analyse tripartite. Il est passé directement de la question de l’interprétation des revendications à la question de savoir si les revendications correspondaient à la description de Complera figurant dans la PDN, et ce, sans analyser les alinéas 4(2)a) et b) pour rechercher si les revendications relevaient davantage de l’une ou l’autre de ces dispositions. Au bout du compte, le juge a retenu la position du ministre sans trop expliquer son raisonnement.

 

[26]           Comme nous l’avons vu, les alinéas 4(2)a) et b) visent les revendications de « l’ingrédient médicinal » et de « la formulation ». L’article 2 du Règlement sur les MBAC définit comme suit ces expressions :

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« revendication de la formulation » Revendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée. (claim for the formulation)

 

« revendication de l’ingrédient médicinal » S’entend, d’une part, d’une revendication, dans le brevet, de l’ingrédient médicinal — chimique ou biologique — préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués dans le brevet ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, et, d’autre part, d’une revendication pour différents polymorphes de celui‑ci, à l’exclusion de ses différentes formes chimiques. (claim for the medicinal ingredient)

 

2. In these Regulations,

 

 

 

“claim for the formulation” means a claim for a substance that is a mixture of medicinal and non‑medicinal ingredients in a drug and that is administered to a patient in a particular dosage form; (revendication de la formulation)

 

 

“claim for the medicinal ingredient” includes a claim in the patent for the medicinal ingredient, whether chemical or biological in nature, when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed in the patent, or by their obvious chemical equivalents, and also includes a claim for different polymorphs of the medicinal ingredient, but does not include different chemical forms of the medicinal ingredient; (revendication de l’ingrédient médicinal)

 

 

[27]           À mon avis, le ministre et le juge n’ont pas accordé suffisamment de poids à l’exigence voulant que les formulations contiennent des ingrédients non médicinaux et qu’elles fassent état d’une forme posologique donnée. Lors de l’instruction du présent appel, l’avocat de l’intimé a reconnu sans peine qu’après lecture de l’article 2, force est de conclure que les revendications pertinentes ne satisfont pas à la définition de la formulation parce qu’elles ne contiennent pas d’ingrédients non médicinaux. Il soutient cependant qu’en l’espèce, l’activité inventive consiste en la [traduction] « formulation d’ingrédients médicinaux distincts dans la nouvelle association médicamenteuse » (paragraphe 35 du mémoire des faits et du droit de l’intimé).

 

[28]           Je conclus que ces thèses ne sont pas, en droit, recevables. La première règle d’interprétation des lois est que les mots « doivent être lus dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical, en harmonie avec l’esprit du Règlement [sur les MBAC], avec son objet et avec l’intention du législateur. […] S’il s’agit de règlements, l’objet de la loi habilitante doit également être pris en considération » (Apotex c. Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, au paragraphe 83).

 

[29]           Comme nous venons de le voir, la définition de la formulation dans le Règlement sur les MBAC est claire. Elle doit contenir des ingrédients médicinaux et non médicinaux.

 

[30]           De plus, le Règlement sur les MBAC est assujetti à la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21 [la Loi d’interprétation]. Il faut interpréter les mots « ingrédient médicinal » comme visant tant l’unité que la pluralité. Par conséquent, une revendication admissible aux termes de l’alinéa 4(2)a) peut contenir plus d’un ingrédient médicinal (paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation).

 

[31]           Enfin, ainsi que l’a conclu le juge, d’une manière générale, l’activité inventive du brevet 475 a trait à la combinaison d’ingrédients médicinaux chimiquement stables. Le brevet 475 met l’accent sur les effets bénéfiques liés à la combinaison d’associations chimiquement stables d’ingrédients médicinaux.

 

[32]           Je conclus donc que le brevet 475 entre dans les prévisions de l’alinéa 4(2)a), puisque les revendications pertinentes visent des combinaisons chimiquement stables d’ingrédients médicinaux.

 

L’exigence liée à la spécificité du produit

[33]           Comme nous l’avons vu, la version actuelle du Règlement sur les MBAC fait de la correspondance entre le produit spécifié dans les revendications du brevet et celui dont fait état l’AC se rapportant au médicament approuvé une exigence cruciale au regard de l’admissibilité du brevet à l’inscription au registre. Cela n’est pas controversé entre les parties.

 

[34]           Cependant, Gilead soutient que le degré de correspondance requis entre le libellé de la PDN et celui de la revendication du brevet est peu élevé. Elle invoque l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 39 [Nowegijick], lequel enseignerait que l’expression « qui se rattache à » figurant à l’article 4 du Règlement sur les MBAC doit avoir un sens large pour exprimer un lien entre deux objets connexes. Elle soutient d’ailleurs qu’il faut donner une interprétation large au Règlement sur les MBAC, comme l’a fait notre Cour à l’égard du paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, qui prévoit l’exception à la protection des brevets et autorise la prise du Règlement sur les MBAC pour régir cette exception (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323, aux paragraphes 100 à 104).

 

[35]           Enfin, Gilead invoque le document du ministre intitulé Ligne directrice : Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [la Ligne directrice] et le commentaire qu’il contient au sujet de l’article 4 du Règlement sur les MBAC. La Ligne directrice indique qu’aux termes de l’alinéa 4(2)a), la revendication d’un seul ingrédient médicinal est admissible à l’inscription relativement à un produit contenant ledit ingrédient en association avec d’autres ingrédients médicinaux (Ligne directrice, dossier d’appel, volume II, onglet 6C, page 343).

 

[36]           Ces thèses ne sauraient être retenues. Tout d’abord, dans l’affaire Nowegijick, il fallait rechercher si l’impôt sur le revenu de M. Nowegijick, un Indien inscrit, pouvait être qualifié de revenu « quant à » (« in respect of » dans la version anglaise) une propriété personnelle située sur une réserve. Cette jurisprudence est de peu d’utilité en l’espèce. Je crois préférable de nous reporter à l’arrêt Purdue où il était question de la version actuelle du Règlement sur les MBAC.

 

[37]           Dans l’affaire Purdue, la Cour a recherché si un brevet, dont la revendication pertinente d’une forme posologique contenait seulement un ingrédient médicinal, était admissible à l’adjonction au registre aux termes de l’alinéa 4(2)c) du Règlement sur les MBAC, alors que la forme posologique approuvée était composée de deux ingrédients médicinaux. La Cour a décidé qu’en l’absence d’une équivalence précise et spécifique entre les revendications du brevet et l’AC approuvé, le brevet n’était pas admissible à l’inscription. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Layden‑Stevenson a observé :

 

À mon avis, l’exigence qu’il y ait un tel niveau de spécificité est compatible avec le libellé et l’objet du Règlement. Elle est également compatible avec l’interprétation des autres catégories de revendications prévues à l’article 4 du Règlement, comme l’a établi la jurisprudence de notre Cour (paragraphe 44).

 

 

[38]           Je souscris aux observations de la juge Layden‑Stevenson et les suis en l’espèce; et son raisonnement tient en ce qui concerne l’alinéa 4(2)a).

 

[39]           Il n’y a aucune raison valable d’adopter différentes exigences législatives à l’égard des différents alinéas du paragraphe 4(2). Chaque alinéa emploie des articles définis pour renvoyer à la substance de la revendication comme à l’avis de conformité : « l’ingrédient », « la formulation », « la forme posologique », « l’utilisation » (en anglais, « the medicinal ingredient », « the formulation », « the dosage » et « the use »). Pour le reste, le contenu des dispositions est parfaitement identique.

 

[40]           Vu le libellé du Règlement sur les MBAC, de même que son objet, l’exigence touchant la spécificité du produit se traduit par un seuil élevé de correspondance. En l’espèce, « les » ingrédients médicinaux, c’est‑à‑dire, le ténofovir, l’emtricitabine et la rilpivirine, doivent donc être énoncés dans l’AC et les revendications du brevet pour que le brevet puisse être inscrit au registre.

 

[41]           Deuxièmement, les modifications apportées en 2006 du Règlement sur les MBAC établissent clairement que les brevets se rattachant à une PDN ne seront pas tous nécessairement inscrits sur le registre. Dans la version de 1993 du Règlement sur les MBAC, l’article 4 prévoyait que certaines personnes pouvaient soumettre une liste des brevets qu’ils souhaitaient faire inscrire sur la liste de brevets pour autant que ceux‑ci remplissaient certains critères généraux. L’article 4 prévoit à présent que les brevets sont « admissibles » à l’inscription s’ils remplissent une série de critères plus précis et plus détaillés. L’article 3 modifié confère de nouveaux pouvoirs au ministre en matière d’administration du registre, notamment celui de refuser d’inscrire des brevets, de retirer des brevets du registre et de consulter le Bureau des brevets pour décider s’il doit accepter ou supprimer un brevet.

 

[42]           Par ailleurs, si l’on se fie au REIR, le gouvernement estimait que lorsque le brevet ne satisfaisait pas aux exigences, des considérations politiques faisaient pencher la balance en faveur du fabricant de médicaments génériques, et qu’il était préférable que l’affaire emprunte l’autre voie judiciaire (traditionnelle), celle de l’action en contrefaçon.

 

[43]           Il est également évident que les modifications de 2006 ont introduit l’exigence de spécificité du produit. Il ressort de la simple lecture de la version du Règlement sur les MBAC antérieure aux modifications de 2006 que s’il était établi que les revendications du brevet étaient « pertinent[es] quant [au] » médicament approuvé, l’inscription des brevets soumis était généralement acceptée. Par contre, la version modifiée crée l’obligation de fournir des renseignements plus précis sur le produit dont l’inscription du brevet est demandée, notamment l’ingrédient médicinal, le nom de marque, la forme posologique, la concentration, la voie d’administration et l’utilisation, tels qu’ils figurent dans la PDN. De plus, les catégories énoncées à l’article 4 sont maintenant plus détaillées et définies avec plus de précision. Ces changements, de même que l’importance accrue accordée au respect des critères d’admissibilité, sous réserve de la décision du ministre, dont il a été fait état précédemment, m’amènent à rejeter simplement la thèse de Gilead concernant le caractère général de la correspondance entre les revendications du brevet et l’AC.

 

[44]           Enfin, quoique la Ligne directrice citée par l’appelante clarifie les rôles des différents intervenants du système des médicaments brevetés, notamment les innovateurs, les fabricants de médicaments génériques et le ministre, il ne s’agit pas d’un document légalement opposable. Qui plus est, si la Ligne directrice est incompatible avec le Règlement sur les MBAC ou qu’elle le contredit, ce dernier a préséance (Ligne directrice, section 1.2, dossier d’appel, volume II, onglet 6C). À l’audience, le ministre a reconnu que seul le Règlement sur les MBAC était un texte de loi opposable.

 

[45]           Je note par ailleurs que le Règlement sur les MBAC ne va nullement dans le sens de l’interprétation proposée dans la Ligne directrice. Comme nous l’avons vu, le libellé de l’article 4 est cohérent dans les quatre dispositions et impose un degré élevé de correspondance entre le libellé de la revendication et l’AC quant au produit spécifié. À moins d’y ajouter des précisions qui n’y figurent pas, l’alinéa 4(2)a) ne permet pas de présenter des revendications ne contenant qu’une partie des ingrédients médicinaux. Une telle interprétation va à l’encontre du sens ordinaire des mots, de l’objet du Règlement sur les MBAC et de la position du gouvernement voulant que la spécificité du produit soit une considération essentielle pour saisir le sens de l’article 4. Je ne retiendrai donc pas cette interprétation du Règlement sur les MBAC.

 

Question no 3 :      La décision d’exclure le brevet 475 du registre

 

[46]           Il revenait au juge d’évaluer le caractère raisonnable de la décision du ministre d’exclure le brevet 475 en vertu de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les MBAC. Comme je conclus que le ministre et le juge ont commis une erreur en appliquant cette disposition aux revendications en cause, la décision du ministre ne peut être confirmée.

 

[47]           Comme nous l’avons expliqué, les revendications auraient dû être examinées à la lumière de l’alinéa 4(2)a). Cela dit, le raisonnement du juge en ce qui a trait à la spécificité du produit n’était pas erroné. Il a souscrit aux observations de la juge Layden‑Stevenson dans l’arrêt Purdue et a conclu, comme on peut le lire au paragraphe 48 de ses motifs, que « la formulation revendiquée et la formulation approuvée ne sont pas exactement identiques et l’exigence relative à la spécificité du produit n’est pas respectée ».

 

[48]           J’abonde dans le sens du juge et je conclus que son raisonnement relatif à la spécificité du produit se défend aussi au titre de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les MBAC.

 

Conclusion

[49]           Je confirmerais donc la conclusion du juge selon laquelle les revendications du brevet n’établissent pas suffisamment la spécificité du produit parce qu’elles ne mentionnent pas expressément l’ingrédient médicinal rilpivirine, mais seulement la classe générale des composés. Cependant, comme je l’ai indiqué précédemment, ma décision repose sur l’alinéa 4(2)a) plutôt que sur l’alinéa 4(2)b).

 

[50]           Comme les deux parties ont en partie gain de cause et qu’il était dans l’intérêt des deux parties de faire préciser l’interprétation des alinéas 4(2)a) et b) et d’adopter une approche cohérente au regard de l’exigence de spécificité du produit prévue au paragraphe 4(2), je propose que les deux parties assument leurs propres dépens dans le présent appel.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs.
K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je souscris à ces motifs.
Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 

 


 

ANNEXE

 

Les revendications 15, 31, 32, 34, 42, 45, 46 et 48 du brevet 475

 

[traduction]

 

15.       Une formulation pharmaceutique contenant du fumarate de diisopropoxycarbonyloxyméthyl ester de l’acide 2-(6-amino-purin-9-yl)-1-méthyl-éthoxyméthyl]-phosphonique, ci-après désigné comme le fumarate de ténofovir disoproxil, et le (2R, 5S, cis)-4-amino-5-fluoro-1-(2-hydroxyméthyl-1,3-oxathiolan-5-yl)-(1H)pyrimidin-2-one, ci‑après désigné comme l’emtricitabine.

 

31.       La formulation pharmaceutique de l’une ou l’autre des revendications 15 ou 29, qui comprend aussi un troisième agent antiviral.

 

32.       La formulation de la revendication 31, où le troisième agent provient de la catégorie des inhibiteurs de la protéase (IP) du VIH, des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) du VIH, des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) du VIH, et des inhibiteurs de l’intégrase du VIH.

 

34.       La formulation de la revendication 32, où le troisième agent antiviral est un INNTI.

 

42.       Une combinaison chimiquement stable du fumarate de ténofovir disoproxil et de l’emtricitabine.

 

45.       La combinaison chimiquement stable de l’une ou l’autre des revendications 42 à 44 qui comprend aussi un troisième agent antiviral.

 

46.       La combinaison chimiquement stable de la revendication 45, où le troisième agent antiviral est un INNTI ou un IP.

 

48.       La combinaison chimiquement stable de la revendication 46, où le troisième agent antiviral est un INNTI.

 

 


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    A‑44‑12

 

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR MONSIEUR LE JUGE MOSLEY LE 3 JANVIER 2012 DANS LE DOSSIER NUMÉRO T‑235‑11.

 

 

INTITULÉ :                                                  GILEAD SCIENCES CANADA INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 9 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jason C. Markwell

Amy E. Grenon

 

POUR L’APPELANTE

 

Eric Peterson

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

NORTON ROSE CANADA LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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