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Date : 20121010

Dossier : A-77-12

Référence : 2012 CAF 256

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

RODERIC LAIDLOW

appelant

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 octobre 2012

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 10 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                     LA JUGE DAWSON

 




Date : 20121010

Dossier : A-77-12

Référence : 2012 CAF 256

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

RODERIC LAIDLOW

appelant

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 10 octobre 2012)

 

LA JUGE DAWSON

[1]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que l’appelant, Roderic Laidlow, n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. Dans des motifs portant la référence 2012 CF 144, 6 Imm. L.R. (4th) 223, un juge de la Cour fédérale (le juge) a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision et a certifié la question grave de portée générale suivante :

La Commission de l’immigration et du statut de réfugié viole-t-elle les dispositions de l’article 7 de la Charte si elle refuse de reporter son audience sur le fondement d’une menace à la vie alors qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire alléguant également une menace à la vie est en instance?

 

[2]               La Cour d’appel est saisie de la décision de la Cour fédérale.

 

[3]               Dans son appel, M. Laidlow soulève les questions suivantes :

 

i)                    La SPR a-t-elle commis une erreur en n’ajournant pas l’audition de la demande d’asile en raison des questions constitutionnelles soulevées et du fait qu’une demande pour motifs d’ordre humanitaire était en instance?

ii)                  La SPR a-t-elle fait abstraction d’éléments de preuve, mal interprété des éléments de preuve et omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve, commettant ainsi une erreur de droit?

iii)                Le sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), tel qu’il a été interprété par la SPR et la Cour fédérale, viole‑t‑il l’article 7 et l’alinéa 15(1) de la Charte et, le cas échéant, cette violation se justifie‑t‑elle au regard de l’article premier de la Charte?

 

[4]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la question certifiée recevra une réponse négative et l’appel sera rejeté.

 

Les faits

[5]               M. Laidlow est citoyen de Saint‑Vincent‑et‑les-Grenadines (Saint-Vincent). Au mois de mai 2009, alors qu’il vivait au Canada sans statut, on lui a diagnostiqué une tumeur cérébrale. On a pu la lui enlever chirurgicalement, mais l’opération lui a laissé des carences hormonales. Il souffre de panhypopituitarisme. La SPR a reconnu que M. Laidlow doit prendre des médicaments tous les jours et qu’il en sera ainsi sa vie durant. Il lui faut, plus particulièrement, prendre du DDAVP en pulvérisation nasale, et il affirme que ce médicament n’est pas toujours disponible à Saint‑Vincent. Dans une lettre déposée en preuve devant la SPR, son médecin a indiqué que ce vaporisateur nasal est essentiel à la survie de M. Laidlow.

 

[6]               Au mois de septembre 2009, M. Laidlow a présenté une demande d’asile, alléguant que sa vie serait menacée s’il était renvoyé à Saint‑Vincent. Il a par la suite soumis une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en invoquant cette même raison.

 

[7]               Le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi énonce ce qui suit :

 

  (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

[…]

 

b)          soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

[…]

 

(iv)    la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[8]               M. Laidlow soutenait notamment à l’appui de sa demande d’asile que cette disposition viole l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[9]               L’audition de la demande d’asile devait se tenir le 17 septembre 2010; elle a été ajournée à la demande de l’avocate de M. Laidlow. Une deuxième demande d’ajournement a été refusée, ainsi qu’une troisième, présentée à l’audience.

 

[10]           À l’appui de la demande d’ajournement, l’avocate de M. Laidlow soutenait que l’audition de la demande d’asile devait se tenir après le prononcé de la décision sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Invoquant l’arrêt Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2006] A.C.F. no 1682, paragraphes 60 et 61, rendu par notre Cour, elle a fait valoir que toutes les avenues non constitutionnelles doivent être épuisées avant que des questions fondées sur la Charte puissent être examinées. Il fallait en conséquence, suivant l’avocate, que la demande pour motifs d’ordre humanitaire soit tranchée avant que la demande d’asile puisse être entendue, étant donné que cette dernière soulevait des questions relevant de la Charte.

 

[11]           La SPR a rejeté la demande d’ajournement et les arguments fondés sur la Charte. Elle a tiré la conclusion de fait selon laquelle « il n’y a aucune assise factuelle à l’allégation selon laquelle le demandeur d’asile serait exposé à une menace à sa vie s’il retournait à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines ».

 

[12]           La Cour fédérale a maintenu cette décision.

 

Analyse des questions soulevées

(a)        La question certifiée

[13]           Les avocates de M. Laidlow n’ont présenté aucun argument au sujet de la question certifiée.

 

[14]           Le juge a traité de cette question aux paragraphes 34 à 37 de ses motifs; il a écrit ce qui suit aux paragraphes 34 et 35 :

34 La question consiste à savoir si la possibilité d’une menace à sa vie et son salut possible, si le demandeur obtient une décision favorable au terme de l’examen de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, signifient que l’article 7 de la Charte a été violé du fait que la Commission n’a pas ajourné l’audience.

 

35   À cet égard, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 RCF 487, est instructif. Le juge Rothstein (tel était alors son titre), s’exprimant au nom de la Cour, a écrit, aux paragraphes 62 et 63 :

62 Les principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte ne sont pas des notions autonomes. Ils doivent être considérés uniquement lorsqu’il est d’abord démontré qu’un individu est privé de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. C’est la privation qui doit être conforme aux principes de justice fondamentale. (Voir par exemple l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 47.)

 

63 Ici, ce qu’il faut décider, c’est le point de savoir si M. Poshteh est interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance à une organisation terroriste. Selon la jurisprudence, une conclusion d’interdiction de territoire ne met pas en cause le droit conféré par l’article 7 de la Charte (voir par exemple l’arrêt Barrera c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] 2 C.F. 3 (C.A.)). Plusieurs procédures pourraient encore se dérouler avant qu’il n’arrive au stade où il sera expulsé du Canada. Par exemple, M. Poshteh peut invoquer le paragraphe 34(2) pour tenter de convaincre le ministre que sa présence au Canada n’est pas préjudiciable à l’intérêt national. Par conséquent, les principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte n’entrent pas en jeu dans la décision qui doit être prise en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

 

[15]           Aucune observation signalant l’existence d’erreurs dans cette analyse du juge ne nous a été soumise, et nous n’avons relevé aucune erreur. Substantiellement pour les mêmes motifs que le juge, nous estimons que la question certifiée appelle une réponse négative.

 

(b)               La SPR a-t-elle commis une erreur en n’ajournant pas l’audition de la demande d’asile en raison des questions constitutionnelles soulevées?

 

[16]           Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’argument de M. Laidlow selon lequel il fallait ajourner l’audition de la demande d’asile reposait sur l’arrêt Covarrubias de notre Cour. Dans cet arrêt, la Cour a écrit, aux paragraphes 60 et 61 :

[60] Ainsi que je l’ai déjà expliqué dans les présents motifs, le juge de première instance a estimé que l’appelant n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il serait exposé à une menace à sa vie en raison de soins médicaux inadéquats s’il était expulsé au Mexique. Le juge de première instance a conclu – et je suis du même avis – que les allégations formulées par les appelants au sujet de violations spécifiques de la Charte ne reposaient pas sur la preuve. Il n’y a donc pas de fondement factuel qui nous permettrait d’entamer une analyse fondée sur la Charte en l’espèce.

 

[61] Qui plus est – et comme le juge de première instance l’a fait observer – d’autres voies de recours appropriées sont ouvertes aux appelants en l’espèce, en l’occurrence la demande CH en instance, le contrôle judiciaire de la décision rendue sur celle‑ci si les appelants sont déboutés et une demande adressée au ministre pour qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire. Conformément au raisonnement suivi par le juge Martineau dans le jugement Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1430 (CanLII) [242 F.T.R. 295], au paragraphe 54, j’estime qu’il ne convient pas que les appelants s’adressent à la Cour pour obtenir une réparation fondée sur la Charte avant d’avoir épuisé leurs autres recours.

 

 

[17]           M. Laidlow invoque à tort ce passage. La SPR a compétence pour connaître de questions relatives à la Charte, et elle a statué sur celles qu’a soulevées M. Laidlow. Dans Covarrubias, la situation était différente puisque le décideur dont émanait la décision faisant l’objet du contrôle n’avait pas compétence à l’égard de questions relevant de la Charte. Rien dans les motifs de notre Cour ne saurait fonder l’argument que la SPR devait suspendre l’instance jusqu’à ce que la décision soit rendue sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le droit de M. Laidlow de demander un ajournement afin de pouvoir épuiser les recours non fondés sur la Constitution ne crée pas d’obligation correspondante de la SPR d’aménager l’audience de telle sorte que les arguments constitutionnels de M. Laidlow soient entendus en dernier.

 

(c)                La SPR a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve, en a‑t‑elle mal interprété ou a‑t‑elle rendu une conclusion non étayée par la preuve?

 

[18]           Selon le juge, la conclusion de la SPR que la vie de M. Laidlow ne serait pas menacée s’il était renvoyé à Saint‑Vincent était raisonnable. Il s’agit en substance d’une question de fait envers laquelle la déférence s’impose, sauf si la conclusion du juge repose sur un principe juridique erroné ou est entachée d’une erreur manifeste et dominante (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 23).

[19]           La situation de M. Laidlow est incontestablement difficile, mais il n’a pas été démontré que l’appréciation de la preuve faite par le juge était entachée d’une erreur de droit manifeste et dominante. La preuve présentée à la SPR comportait des éléments appuyant la demande d’asile mais elle en renfermait d’autres aussi qui étayaient raisonnablement la conclusion formulée par la SPR. Comme l’ont reconnu les avocates de M. Laidlow en plaidoirie, la preuve n’était pas tout à fait limpide.

 

(d)        Les questions relatives à la Charte

[20]           La conclusion de la SPR selon laquelle le renvoi de M. Laidlow à Saint‑Vincent ne mettrait pas sa vie en danger prive de leur fondement probant ses arguments invoquant la Charte. Il est donc inutile que nous examinions l’analyse du juge en cette matière, et nous ne le ferons pas.

 

Conclusion

[21]           Par conséquent, la question certifiée reçoit une réponse négative, et l’appel sera rejeté.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-77-12

 

APPEL DU JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE HUGHES, DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 3 FÉVRIER 2012, NO DE DOSSIER IMM-3383-11

 

 

INTITULÉ :                                                  RODERIC LAIDLOW c. LE MINISTRE DE

LA Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 10 octobre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                            LES JUGES NOËL, DAWSON ET STRATAS

 

MOTIFS PRONONCÉS

À L’AUDIENCE PAR :                              LA JUGE DAWSON

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine Sadoway

Rathika Vasavithasan

 

POUR L’APPELANT

Martin Anderson

Leila Jawando

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parkdale Community Legal Services Inc.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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