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Date : 20121030

Dossier : A‑450‑11

Référence : 2012 CAF 269

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA

PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

appelants

et

MIKE ORR

intimé

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 16 avril 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                      LA JUGE GAUTHIER

 


Date : 20121030

Dossier : A‑450‑11

Référence : 2012 CAF 269

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA

PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

appelants

et

MIKE ORR

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Le conseil de la Première Nation de Fort McKay a décidé de suspendre sans traitement l’intimé, M. Orr, de son poste de conseiller et de le destituer de son poste d’administrateur de certaines sociétés. Le conseil a agi ainsi lorsqu’il a appris qu’une accusation d’agression sexuelle avait été portée contre M. Orr. Cette accusation pèse toujours contre lui. De plus, le conseil avait reçu des plaintes selon lesquelles M. Orr avait envoyé des photographies et des messages textes explicites à la présumée victime de l’agression sexuelle et à une autre femme. Le conseil a prononcé sa décision dans une résolution datée du 13 juillet 2011.

 

[2]               M. Orr a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du conseil de le suspendre de son poste au conseil. Il a allégué que, dans les circonstances, le conseil n’avait pas compétence en vertu du code électoral de la Première Nation de Fort McKay. Il a également allégué que le conseil a agi de façon inéquitable sur le plan procédural.

 

[3]               La Cour fédérale (sous la plume du juge Near) a accueilli la demande de contrôle judiciaire, a annulé la résolution et a réintégré M. Orr dans son poste de conseiller en attendant l’issue de son procès au criminel : 2011 CF 1305. La Cour fédérale a conclu que la résolution du conseil ne mentionnait pas les motifs relatifs à la conduite de M. Orr sur lesquels il s’est fondé pour rendre sa décision, comme l’exige le code électoral. Elle a ajouté que la décision de suspendre M. Orr de son poste de conseiller ne reposait sur aucun des motifs énoncés dans le code électoral. Enfin, bien que cela n’ait pas tranché l’affaire, elle s’est inquiétée du fait que le conseil n’avait pas agi de façon équitable sur le plan procédural.

 

[4]               Le chef et le conseil interjettent appel devant notre Cour. Pour les motifs exposés ci‑après – des motifs qui diffèrent quelque peu de ceux de la Cour fédérale – je rejetterais l’appel avec dépens.

 

A.        Les faits

 

[5]               Le 5 avril 2011, M. Orr a été réélu à titre de conseiller de la Première Nation de Fort McKay. Les faits décrits au début des présents motifs sont survenus au cours des trois mois suivants. Ils ont mené à la résolution adoptée par le conseil le 13 juillet 2011. Lorsque le conseil a adopté la résolution, l’accusation d’agression sexuelle pesait toujours contre M. Orr.

 

[6]               La résolution du conseil est libellée comme suit :

 

[traduction]

ATTENDU QUE : Un quorum de membres du conseil de la Première Nation de Fort McKay s’est réuni le 13 juillet 2011;

 

ATTENDU QUE : En vertu de leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, et en vertu des pouvoirs conférés au chef et au conseil par la Loi sur les Indiens, le chef et le conseil sont habilités à prendre des décisions au nom des membres de la Première Nation de Fort McKay;

 

ATTENDU QUE : Le chef et les conseillers détiennent les actions de toutes les entités juridiques faisant partie du Fort McKay Group of Companies en fiducie pour le compte de la Première Nation de Fort McKay et sont responsables de la nomination et de la destitution des administrateurs;

 

ET ATTENDU QUE : Le conseiller Mike Orr est accusé d’infractions criminelles graves et que la Gendarmerie royale du Canada le recherche pour l’arrêter;

 

EN CONSÉQUENCE, IL EST RÉSOLU QUE :

 

1. À compter d’aujourd’hui, Mike Orr est suspendu sans traitement de son poste de conseiller, et cette suspension sera maintenue jusqu’à ce que le sort de toutes les accusations portées contre lui soit décidé;

 

2. À compter d’aujourd’hui, Mike Orr est destitué de son poste d’administrateur de toutes les entités juridiques faisant partie du Fort McKay Group of Companies et coentreprises.

 

 

[7]               À proprement parler, la résolution du conseil est une décision portant que M. Orr devait être suspendu sans traitement de son poste de conseiller.

 

B.        Analyse

 

(1)        La norme de contrôle

 

[8]               Le juge de la Cour fédérale a statué que la norme de contrôle de la décision correcte s’appliquait à la décision du conseil relativement à sa « compétence » pour suspendre M. Orr de son poste de conseiller. Sur ce point, les parties sont d’accord avec le juge de la Cour fédérale.

 

[9]               Il faut adopter la norme de contrôle qui a été établie dans une décision antérieure si elle est « satisfaisante » : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, [2008] 1 R.C.S. 190. Il ressort d’arrêts émanant de notre Cour que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues en vertu d’une disposition « attributive de compétence » est celle de la décision correcte : Martselos c. Première nation no 195 de Salt River, 2008 CAF 221, aux paragraphes 28 à 32.

 

[10]           Toutefois, des arrêts ultérieurs de notre Cour et de la Cour suprême du Canada ont ébranlé dans une certaine mesure les fondements de l’application de la norme de la décision correcte exposés dans l’arrêt Martselos. La Cour suprême a récemment indiqué que, aux fins du contrôle judiciaire, il faut éviter de qualifier une disposition législative de « question de compétence » : Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 34. De plus, elle s’est récemment demandé s’il existe de « véritables questions de compétence » qui appellent l’application de la norme de la décision correcte : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61. Notre Cour a conclu que les soi-disant questions « de compétence » touchent habituellement l’interprétation des dispositions législatives, ce qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable : Alliance de la Fonction publique du Canada c. Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223. En effet, lorsqu’il est question d’interprétation législative, il existe une « présomption » d’assujettissement à la norme de contrôle de la « décision raisonnable » : Alberta Teachers’ Association, au paragraphe 34.

 

[11]           Tel que mentionné précédemment, les parties ne contestent pas la norme de contrôle adoptée par la Cour fédérale. Je ne suis pas lié par la volonté des parties d’appliquer la norme de contrôle de la décision correcte : Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 R.C.S. 152. À la lumière de l’analyse qui précède, j’estime que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[12]           Toutefois, dans les circonstances, la distinction entre les deux normes de contrôle est très mince. Si la décision du conseil de suspendre M. Orr de son poste de conseiller par simple résolution ne peut se justifier par le libellé du code électoral ou toute autre source de pouvoir, on ne saurait affirmer que la décision est acceptable ou justifiable au regard du droit. Je vais maintenant me pencher sur cette question.

 

(2)        Le pouvoir du conseil de suspendre M. Orr par simple résolution

 

 

a)         Le conseil avait‑il le « pouvoir inhérent » de suspendre M. Orr par simple résolution?

 

 

[13]           Le chef et le conseil soutiennent que ce dernier avait le pouvoir de suspendre M. Orr de son poste par simple résolution en vertu d’un « pouvoir inhérent ».

 

[14]           De l’avis du chef et du conseil, le « pouvoir inhérent » a été exercé correctement en l’espèce. Le conseil a dû prendre des mesures pour se protéger de toute responsabilité du fait d’autrui relativement aux accusations de harcèlement sexuel ainsi que des mesures, en sa qualité de fiduciaire, pour protéger les membres de la bande. À cet égard, je ne vois pas d’emblée comment la suspension de M. Orr de son poste de conseiller permettrait d’atteindre ces objectifs.

 

[15]           La Cour fédérale a déclaré que le pouvoir du conseil d’adopter cette résolution n’existe qu’en vertu du code électoral de la Première Nation de Fort McKay. La Cour fédérale a conclu que la résolution ne reposait pas sur un pouvoir inhérent. La Cour fédérale a affirmé ce qui suit (aux paragraphes 19 et 20) :

 

S’appuyant sur des décisions antérieures de la Cour, le [chef et le conseil soutiennent] que le conseil conserve le pouvoir inhérent de suspendre quelqu’un, conformément à la coutume, pour garantir l’harmonie au sein de la communauté, du moment que les lois de la bande « n’ont rien prévu » (voir Whitehead c Première nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270, 2009 CarswellNat 4625, au paragraphe 41; Lafond c Première nation crie du lac Muskeg, 2008 CF 726, 2008 CarswellNat 1882, au paragraphe 10).

 

Ce raisonnement a pu trouver à s’appliquer en d’autres circonstances, mais je n’en vois pas la pertinence dans la présente affaire. Compte tenu des motifs précis de suspension et du pouvoir relativement large du conseil en la matière prévus par le code électoral pour des questions de conduite dans l’exercice des fonctions, je me dois de conclure que les lois ont « [tout] prévu » en cette matière et qu’elles ne laissent place à aucun pouvoir additionnel, inhérent ou coutumier, de suspension.

 

 

[16]           Je suis d’accord avec la Cour fédérale pour dire que les dispositions du code électoral relatives à la destitution ou à la suspension des conseillers prévalent sur tout pouvoir inhérent pouvant exister à cet égard et « ont tout prévu ».

 

[17]           Même si une coutume ou un pouvoir inhérent existent, ils peuvent être écartés par les termes exprès de la loi : Lafond c. Première Nation crie du lac Muskeg, 2008 CF 726, 330 F.T.R. 60. En l’espèce, selon moi, même en supposant qu’une coutume ou un pouvoir inhérent existent, pour les motifs exposés ci‑dessus, le code électoral prévaut sur ceux‑ci.

 

[18]           Le code électoral contient des dispositions rédigées avec soin et précision et avec force détails qui prévoient à quel moment et de quelle manière les conseillers peuvent être destitués ou suspendus. Il serait étonnant qu’on puisse contourner aussi facilement une réglementation aussi exigeante en invoquant un pouvoir inhérent général, non défini, comme l’affirment le chef et le conseil.

 

[19]           L’esprit démocratique qui imprègne les dispositions du code électoral affaiblit également la portée de l’argument selon lequel le conseil pourrait tout simplement agir de son propre chef en s’appuyant sur un pouvoir inhérent. Comme nous le verrons, les dispositions pertinentes du code électoral exigent un vote démocratique des électeurs de la Première Nation avant que la suspension ou destitution ne prenne effet. Ces dispositions doivent être interprétées en tenant compte du fait qu’un conseiller occupe ses fonctions en raison du vote majoritaire des électeurs de la Première Nation. Un paragraphe du préambule du code électoral souligne que [traduction] « la culture, les valeurs et l’épanouissement de la Première Nation de Fort McKay [ainsi que] la sélection et la destitution des administrateurs reposent sur des principes démocratiques ». Les dispositions pertinentes du code électoral et ce paragraphe du préambule ont été adoptés démocratiquement : ils ne sont entrés en vigueur qu’après que la majorité des électeurs de la Première Nation a ratifié le code électoral.

 

[20]           Plus fondamentalement, le chef et le conseil n’ont pas démontré l’existence d’une coutume ou d’un pouvoir inhérent ayant une incidence sur la question de la suspension de conseillers. Il incombe au chef et au conseil d’établir son existence : Whitehead c. Première Nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270, 360 F.T.R. 274, au paragraphe 40; Francis c. Conseil mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 115, 227 F.T.R. 161, au paragraphe 21.

 

[21]           Par conséquent, j’estime que le pouvoir du conseil de suspendre M. Orr simplement par voie de résolution ne repose pas sur un pouvoir inhérent. Nous devons donc déterminer si la décision du conseil de suspendre M. Orr de son poste de conseiller simplement par voie de résolution peut se justifier selon une interprétation raisonnable des dispositions pertinentes du code électoral.

 

b)         Les dispositions pertinentes du code électoral

 

[22]           Le chef et le conseil ont soutenu que la résolution reposait sur un pouvoir inhérent. Subsidiairement, ils soutiennent que la résolution reposait sur les pouvoirs conférés au conseil par le code électoral.

 

[23]           Les parties reconnaissent que les dispositions du code électoral se rapportant à la suspension et à la destitution des conseillers sont les articles 100 à 103. Ces dispositions sont libellées comme suit :

 

[traduction]

Partie 10

Suspension, destitution et vacance de poste

 

100      Vacance de poste

 

100.1 Le poste de chef ou de conseiller devient automatiquement vacant si le titulaire :

 

100.1.1      décède;

 

100.1.2      est déclaré coupable d’une infraction criminelle.

 

 

101      Destitution ou suspension du chef ou d’un conseiller

 

101.1   Le chef ou conseiller peut être destitué ou suspendu de son poste par un vote des électeurs suivant la procédure prévue au présent code.

 

101.2   Le processus de destitution du chef ou d’un conseiller peut être enclenché :

 

101.2.1      soit par une résolution du conseil;

 

101.2.2      soit par une pétition des électeurs.

 

 

101.3   La résolution du conseil ou la pétition, selon le cas, doit préciser les motifs de destitution ou de suspension du chef ou du conseiller, notamment les motifs portant que le chef ou conseiller doit notamment avoir :

 

101.3.1      manqué trois réunions consécutives du conseil sans avis ni justification;

 

101.3.2      cessé de satisfaire aux conditions d’éligibilité relatives à une nomination;

 

101.3.3      commis des débordements sous l’emprise de l’alcool ou des drogues, ou s’être conduit de façon inconvenante pendant les réunions du conseil, les assemblées générales ou spéciales ou d’autres cérémonies officielles auxquelles le chef ou le conseiller assistent à titre de représentants de la première nation, d’une manière qui puisse jeter le discrédit sur celle‑ci;

 

101.3.4      utilisé ou détourné des fonds de la première nation ou en avoir diverti des biens à son propre usage, notamment les fonds ou les biens de sociétés ou d’entités qui appartiennent à la première nation ou relèvent de son contrôle total ou partiel;

 

101.3.5      effectué une mauvaise gestion financière flagrante de sorte que la première nation est accablée de dettes importantes et superflues;

 

101.3.6      contrevenu à la partie 8 du présent code, et avoir entraîné ainsi des effets indésirables pour la première nation;

 

101.3.7      eu d’autres agissements suffisamment graves pour justifier la destitution ou la suspension dans tous les cas.

 

102      Pétitions

 

102.1   La pétition sollicitant la destitution du chef ou d’un conseiller comporte :

 

102.1.1      le nom du chef ou du conseiller que l’on cherche à destituer ou à suspendre;

 

102.1.2      les motifs pour lesquels la pétition a été signée, avec renvoi aux dispositions pertinentes du présent code.

 

102.2   La pétition sollicitant la suspension ou la destitution du chef ou d’un conseiller est valide :

 

102.2.1      si la pétition a été signée par au moins vingt‑cinq pour cent (25 %) des électeurs;

 

102.2.2      si la pétition comprend une ou plusieurs pages, chacune comportant un énoncé identique de son objet;

 

102.2.3      si la pétition comporte, pour chaque pétitionnaire :

 

102.2.3.1   le prénom et le nom de famille en lettres moulées ou les initiales du pétitionnaire;

 

102.2.3.2   la signature du pétitionnaire;

 

102.2.3.3   l’adresse postale, l’adresse municipale ou la désignation cadastrale de l’endroit où réside le pétitionnaire;

 

102.2.3.4   la date à laquelle le pétitionnaire a signé la pétition;

 

102.2.3.5   chaque signature sur la pétition doit être apposée devant un témoin adulte qui a signé à côté de la signature du pétitionnaire;

 

102.2.3.6   si est annexée à la pétition une déclaration signée selon laquelle le signataire représente les pétitionnaires et les demandes de renseignements concernant la pétition peuvent lui être adressées.

 

103      Vote des électeurs

 

103.1   Sur réception d’une pétition conforme aux exigences de l’article 101 ou sur résolution du conseil, le chef convoque une assemblée extraordinaire afin de procéder à un vote sur la destitution ou la suspension d’un conseiller. Dans le cas d’un vote touchant le chef, le conseil convoque, par résolution, l’assemblée extraordinaire.

 

103.2   Dès l’annonce du résultat du vote, le membre concerné du conseil est réputé avoir été destitué de son poste et cesse de pouvoir faire valoir les droits et privilèges liés à ce poste.

 

103.3   Le résultat du vote n’est valide que si le vote a eu lieu par scrutin secret lors d’une assemblée extraordinaire à laquelle ont participé la majorité des électeurs.

 

 

 

c)         Interprétation des dispositions pertinentes du code électoral

 

[24]           M. Orr a présenté deux arguments sur la question du pouvoir du conseil de le suspendre de son poste de conseiller par simple résolution. Premièrement, il soutient que les articles 100 à 103 ne permettent pas au conseil de le suspendre de son poste par simple résolution. Deuxièmement, aucun motif ne justifiait de le suspendre en vertu de l’article 101.3 du code électoral.

 

[25]           Le juge de la Cour fédérale a conclu qu’il n’existait aucun motif de suspension en vertu de l’article 101.3. Il n’a pas examiné le premier argument.

 

[26]           Plus particulièrement, le juge de la Cour fédérale a estimé que les agissements de M. Orr n’étaient pas [traduction] « suffisamment graves pour justifier la destitution ou la suspension dans tous les cas » au sens de l’article 101.3.7. Le juge de la Cour fédérale ne considérait pas que l’article 101.3.7 régissait la conduite de nature privée des conseillers. La Cour fédérale a établi une distinction (au paragraphe 31) entre des « faits de [la] vie personnelle [du conseiller] » et ses « fonctions officielles ».

 

[27]           Le code électoral ne fonde pas expressément la distinction établie par le juge de la Cour fédérale. De plus, d’autres dispositions du code électoral donnent à penser qu’une telle distinction n’existe pas.

 

[28]           Le code électoral pose comme intrinsèques au rôle de conseiller les notions d’honneur, d’intégrité et de comportement modèle. Plus particulièrement, certaines dispositions du code électoral établissent un lien certain entre la conduite d’un conseiller et la confiance du public envers le gouvernement. L’article 91.1.6 prévoit que le conseil doit agir conformément à sa [traduction] « responsabilité en tant que modèle de comportement et représentant de la première nation ». L’article 97.1.1 prévoit que le conseil doit [traduction] « représenter les intérêts de la première nation avec honneur et intégrité ».

 

[29]           Ces dispositions étayent le point de vue selon lequel le conseil pourrait donner plein effet à la portée éventuelle du libellé de l’article 101.3.7 du code électoral – [traduction] « suffisamment graves pour justifier la destitution ou la suspension dans tous les cas ». Il s’ensuit que le juge de la Cour fédérale a restreint à tort le sens des mots employés, et qu’il était loisible au conseil d’adopter le point de vue selon lequel, si la preuve l’établit, la conduite de M. Orr pourrait relever de l’article 101.3.7.

 

[30]           Cela ne règle pas la question. Il faut examiner le premier argument de M. Orr, à savoir que le conseil n’avait pas le pouvoir de le suspendre de son poste en adoptant une simple résolution.

 

[31]           À mon avis, cet argument doit être retenu. Diverses parties des articles 100 à 103 du code électoral ne permettent pas au conseil de suspendre M. Orr de son poste en adoptant une simple résolution. Plusieurs dispositions du code électoral appuient cette affirmation :

 

●          Aux termes de l’article 101.1, le [traduction] « conseiller peut être destitué ou suspendu de son poste par un vote des électeurs suivant la procédure prévue au présent code ». Les électeurs n’ont pas voté.

 

●          L’article 103.1 décrit les exigences rattachées au vote des électeurs. Il prévoit que, sur résolution du conseil en faveur de la suspension d’un conseiller, le chef doit convoquer une assemblée extraordinaire des électeurs [traduction] « afin de procéder à un vote sur […] la suspension d’un conseiller ».

 

●          Les articles 101.2 et 101.2.1 prévoient que le [traduction] « processus de destitution » d’un conseiller n’est [traduction] « enclenché » que par résolution. Ce processus se termine par le vote des électeurs prévu à l’article 103.1.

 

●          L’exigence relative au vote des électeurs ressort du préambule du code électoral, à savoir que [traduction] « la culture, les valeurs et l’épanouissement de la Première Nation de Fort McKay [ainsi que] la sélection et la destitution des administrateurs reposent sur des principes démocratiques ».

 

●          Aux termes de l’article 100.1 du code électoral, le conseiller perd automatiquement son poste dans deux cas : s’il décède ou s’il est déclaré coupable d’une infraction criminelle, et non s’il fait l’objet d’accusations au criminel.

 

[32]           Par conséquent, j’estime que le conseil n’avait pas le pouvoir de suspendre M. Orr de son poste de conseiller par simple résolution. Il a donc rendu une décision qui n’appartenait pas aux issues acceptables et justifiables. Sa décision de suspendre M. Orr de son poste de conseiller par simple résolution est déraisonnable. La décision doit être annulée.

 

[33]           Vu ma conclusion sur ce point, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si le chef et le conseil ont assuré à M. Orr une équité procédurale suffisante lorsqu’ils ont décidé de le suspendre de son poste de conseiller.

 

D.        Dispositif proposé

 

[34]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

     J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     Johanne Gauthier, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑450‑11

 

APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE LE 5 DÉCEMBRE 2011 PAR MONSIEUR LE JUGE NEAR DANS LE DOSSIER NO T‑1180‑11

 

INTITULÉ :                                                  CHEF ET CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY c. MIKE ORR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 30 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Trina Kondro

 

POUR LES APPELANTS

 

Priscilla Kennedy

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ackroyd LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES APPELANTS

 

Davis, LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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