Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal


 

Date : 20121102

Dossiers : A‑438‑11

A‑440‑11

 

Référence : 2012 CAF 278

 

CORAM :      LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

Dossier : A‑438‑11

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA, PEACE RIVER COAL INC. et ASSOCIATION CANADIENNE DE TRANSPORT INDUSTRIEL

 

intimées

 

---------------------------------------------

 

Dossier : A‑440‑11

ENTRE :

PEACE RIVER COAL INC. et ASSOCIATION CANADIENNE DE TRANSPORT INDUSTRIEL

 

appelantes

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20121102

Dossiers : A‑438‑11

A‑440‑11

 

Référence : 2012 CAF 278

 

CORAM :      LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

Dossier : A‑438‑11

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA, PEACE RIVER COAL INC. et ASSOCIATION CANADIENNE DE TRANSPORT INDUSTRIEL

 

intimées

 

---------------------------------------------

 

Dossier : A‑440‑11

ENTRE :

PEACE RIVER COAL INC. et ASSOCIATION CANADIENNE DE TRANSPORT INDUSTRIEL

 

appelantes

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               L'article 40 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi), confère au gouverneur en conseil un large pouvoir de modification et d'annulation des décisions de l'Office des transports du Canada (l'Office). Par le décret C.P. 2010‑749, le gouverneur en conseil a annulé la décision no 392‑R‑2008 de l'Office. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) a formé une demande de contrôle judiciaire de cette décision du gouverneur en conseil. Pour les motifs publiés sous la référence 2011 CF 1201, la Cour fédérale a accueilli cette demande de contrôle judiciaire, annulé la décision du gouverneur en conseil et rétabli celle de l'Office.

 

[2]               Notre Cour est aujourd'hui saisie de deux appels contre la décision de la Cour fédérale. Pour les motifs dont l'exposé suit, j'ai conclu que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant la norme de la décision correcte à la décision du gouverneur en conseil. Ayant moi‑même appliqué à la décision du gouverneur en conseil la norme de la décision raisonnable, j'ai conclu à son caractère raisonnable. En conséquence, j'accueillerais les présents appels avec dépens et rétablirais la décision du gouverneur en conseil, ainsi que je l'explique en détail ci‑dessous.

 

Les faits

[3]               Le CN et Peace River Coal Inc. (Peace River ou PRC) ont passé un contrat confidentiel touchant le transport du charbon de celle‑ci pendant la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2010. Ce contrat stipulait que, pour sa durée, les taux de fret de base convenus seraient soumis [TRADUCTION] « au tarif de supplément carburant CN 7402, ainsi qu'à ses additifs ou rééditions ». Selon le tarif CN 7402, le CN exigeait un supplément lorsque le prix moyen mensuel du carburant atteignait ou dépassait 1,25 $.

 

[4]               Le CN a ensuite institué un nouveau tarif de supplément carburant, le CN 7403, avec effet le 1er avril 2008. Le tarif CN 7403 fixait à 2,30 $, plutôt qu'au prix de 1,25 $ établi dans le tarif CN 7402, le seuil à partir duquel le client devait payer un supplément carburant. Le CN a avisé ses clients, y compris Peace River, que les contrats confidentiels prévoyant l'application du supplément carburant du tarif CN 7402 resteraient inchangés à cet égard jusqu'à leur expiration. Or, malgré cet avis, Peace River a demandé au CN d'appliquer à son contrat le tarif CN 7403 au lieu du CN 7402. Le CN a refusé.

 

[5]               Le 22 avril 2008, Peace River a déposé une demande devant l'Office en vertu de l'article 120.1 de la Loi. Sous réserve de certaines conditions, cet article permet à tout expéditeur de déposer devant l'Office une plainte alléguant que les frais relatifs au transport ferroviaire sont déraisonnables. Plus précisément, Peace River demandait [TRADUCTION] « une ordonnance établissant un supplément carburant raisonnable [...] pour le transport de son charbon par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada » et prescrivant à cette dernière de modifier les frais qu'elle exigeait au titre du tarif CN 7402 [TRADUCTION] « de manière à tenir compte des frais [...] stipulés au tarif CN 7403 ».

 

[6]               Le CN a réagi à la demande de Peace River en formant devant l'Office une requête préliminaire en rejet de cette plainte aux motifs suivants :

i)          le supplément carburant faisait partie d'un contrat confidentiel entre le CN et Peace River, et l'Office n'avait pas compétence pour modifier de tels contrats;

 

ii)         le supplément carburant exigé par le CN ne constitue pas des frais accessoires, mais fait plutôt partie des « prix relatifs au transport », de sorte que le paragraphe (7) de l'article 120.1 de la Loi interdit d'en faire l'objet d'une plainte déposée en vertu de cet article.

 

[7]               L'Office a accueilli la requête du CN et a rejeté la demande de Peace River au motif que cette dernière cherchait en fait « à faire modifier le supplément pour le carburant prévu au contrat de manière à tenir compte d'un autre supplément pour le carburant ». Il a conclu qu'il n'était « pas habilité à modifier sur demande présentée en vertu de l'article 120.1 de la LTC les modalités d'un contrat ». Il n'a pas jugé nécessaire d'examiner le second argument du CN, selon lequel le supplément carburant fait partie des prix relatifs au transport, de sorte que le paragraphe (7) de l'article 120.1 de la Loi l'exclut du champ d'application du reste de cet article.

 

[8]               Peace River n'a pas demandé à notre Cour l'autorisation d'interjeter appel contre la décision de l'Office.

 

[9]               Le 3 février 2009, l'Association canadienne de transport industriel (l'ACTI), groupement d'expéditeurs auquel appartient Peace River, a présenté au gouverneur en conseil une requête lui demandant d'ordonner à l'Office de déterminer qu'un supplément carburant n'est pas un prix relatif au transport et de déterminer que l'existence d'un contrat confidentiel entre Peace River et le CN ne lui interdisait pas d'apprécier le caractère raisonnable du tarif CN 7402.

 

[10]           Le 10 juin 2010, le gouverneur en conseil a pris le décret C.P. 2010‑749, par lequel il annulait la décision de l'Office au motif que l'existence d'un contrat confidentiel n'est pertinente que pour « la question de savoir si [le plaignant] tirera profit d'un décret pris par l'Office » sous le régime de l'article 120.1 de la Loi et n'a « aucune incidence sur le caractère raisonnable » des frais prévus par un tarif qui, comme il a conclu que c'était le cas du tarif CN 7402, « s'applique à plus d'un expéditeur et n'est pas un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi ». Le CN a demandé le contrôle judiciaire de ce décret.

 

Les dispositions légales applicables

[11]           L'article 120.1 de la Loi a été promulgué en 2008. Il institue une voie de recours contre les transporteurs ferroviaires au titre des frais qui ne relèvent pas des « prix relatifs au transport ». L'expéditeur qui remplit les quatre conditions suivantes peut demander à l'Office d'apprécier le caractère raisonnable de frais ou de conditions. Premièrement, l'expéditeur doit être assujetti aux frais relatifs au transport ou aux services connexes ou aux conditions afférentes. Deuxièmement, les frais ou conditions en cause doivent être prévus par un tarif. Troisièmement, ce tarif doit être applicable à plus d'un expéditeur. Enfin, il n'est pas permis de déposer de demande à l'égard d'un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi (c'est‑à‑dire un tarif établi par arbitrage des propositions finales).

 

[12]           L'Office peut, s'il estime les frais ou conditions déraisonnables, fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions.

 

[13]           Les dispositions applicables de la Loi sont libellées comme suit [non souligné dans l'original] :

120.1(1) Sur dépôt d'une plainte de tout expéditeur assujetti à un tarif applicable à plus d'un expéditeur — autre qu'un tarif visé au paragraphe 165(3) — prévoyant des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes, l'Office peut, s'il les estime déraisonnables, fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions par ordonnance.

 

120.1(1) If, on complaint in writing to the Agency by a shipper who is subject to any charges and associated terms and conditions for the movement of traffic or for the provision of incidental services that are found in a tariff that applies to more than one shipper other than a tariff referred to in subsection 165(3), the Agency finds that the charges or associated terms and conditions are unreasonable, the Agency may, by order, establish new charges or associated terms and conditions.

 

(2) L'ordonnance précise la période de validité de ces frais ou conditions, qui ne peut excéder un an.

 

 

[...]

 

(2) An order made under subsection (1) remains in effect for the period, not exceeding one year, specified in the order.

 

. . .

 

(5) La compagnie de chemin de fer modifie le tarif en conséquence dès le prononcé de l'ordonnance par l'Office.

 

(5) The railway company shall, without delay after the Agency establishes any charges or associated terms and conditions, vary its tariff to reflect those charges or associated terms and conditions.

 

(6) La compagnie de chemin de fer ne peut modifier son tarif à l'égard des frais et conditions fixés par l'Office avant l'expiration de la période de validité précisée au titre du paragraphe (2).

(6) The railway company shall not vary its tariff with respect to any charges or associated terms and conditions established by the Agency until the period referred to in subsection (2) has expired.

 

(7) Il est entendu que le présent article ne s'applique pas aux prix relatifs au transport.

 

(7) For greater certainty, this section does not apply to rates for the movement of traffic.

 

 

[14]           Comme on l'a vu plus haut, l'article 40 de la Loi confère au gouverneur en conseil un large pouvoir discrétionnaire, sans restriction expresse, de modification et d'annulation des décisions de l'Office, y compris celles que ce dernier rend au titre de l'article 120.1 de la Loi. L'article 40 est ainsi libellé [non souligné dans l'original] :

40. Le gouverneur en conseil peut modifier ou annuler les décisions, arrêtés, règles ou règlements de l'Office soit à la requête d'une partie ou d'un intéressé, soit de sa propre initiative; il importe peu que ces décisions ou arrêtés aient été pris en présence des parties ou non et que les règles ou règlements soient d'application générale ou particulière. Les décrets du gouverneur en conseil en cette matière lient l'Office et toutes les parties.

40. The Governor in Council may, at any time, in the discretion of the Governor in Council, either on petition of a party or an interested person or of the Governor in Council's own motion, vary or rescind any decision, order, rule or regulation of the Agency, whether the decision or order is made inter partes or otherwise, and whether the rule or regulation is general or limited in its scope and application, and any order that the Governor in Council may make to do so is binding on the Agency and on all parties.

 

La décision de la Cour fédérale

[15]           Le juge de la Cour fédérale a recensé et examiné huit questions.

 

[16]           Premièrement, il a décidé que l'Office avait correctement défini la nature de la demande faite devant lui par Peace River en concluant que cette dernière lui demandait en réalité de modifier son contrat confidentiel (paragraphes 43 à 45 des motifs).

 

[17]           Deuxièmement, le juge a constaté que l'Office avait rejeté la demande de Peace River au motif qu'il n'était pas compétent pour modifier le contrat confidentiel. Le juge a fait observer qu'en conséquence, l'Office n'avait pas eu à examiner « le point de savoir si le supplément carburant entre dans la catégorie des frais accessoires ou fait partie du prix du transport » (paragraphes 46 à 48 des motifs).

 

[18]           Troisièmement, le juge a défini la nature de la requête de l'ACTI au gouverneur en conseil. Il a remarqué « une différence » entre cette requête et la demande formée par Peace River devant l'Office (paragraphe 52 des motifs). L'ACTI, selon le juge, « demandait au gouverneur en conseil [...] de ne pas tenir compte du souhait exprimé par PRC de voir l'Office modifier le contrat, mais d'ordonner simplement à l'Office d'apprécier le [TRADUCTION] « caractère raisonnable » du tarif antérieur sans égard pour ledit contrat » (paragraphe 53 des motifs).

 

[19]           Quatrièmement, le juge a défini la nature de la décision exprimée par le décret du gouverneur en conseil. Selon son interprétation, ce décret prescrivait à l'Office d'apprécier le caractère raisonnable du tarif CN 7402 malgré l'existence d'un contrat entre Peace River et le CN, au motif que ce tarif ne s'appliquait pas seulement à Peace River (paragraphe 55 des motifs).

 

[20]           Cinquièmement, le juge a examiné le point de savoir si le gouverneur en conseil avait agi dans le cadre du pouvoir que lui confère l'article 40 de la Loi. Il a d'abord constaté que, sous le régime des articles 40 et 41 de la Loi, le gouverneur en conseil aussi bien que notre Cour sont habilités à trancher les questions de droit ou de compétence découlant des décisions de l'Office (paragraphes 57 et 61 des motifs). Cependant, selon lui, le pouvoir du gouverneur en conseil ne se limite pas aux questions de droit et de compétence, parce que « c'est seulement devant le gouverneur en conseil qu'il est permis de demander la modification ou l'annulation d'une décision de l'Office à des motifs d'un autre ordre » (paragraphe 57 des motifs).

 

[21]           Sixièmement, le juge a conclu que la norme de contrôle applicable au décret était celle de la décision correcte pour ce qui concerne les questions « touchant véritablement à la compétence », telles que l'interprétation et l'application de la Loi « aux questions dont l'Office était saisi » (paragraphes 68 et 76 des motifs). À son avis, l'article 40 de la Loi conférait au gouverneur en conseil la compétence pour modifier la décision de l'Office en lui ordonnant « de n'examiner que le caractère raisonnable du tarif sans toucher au contrat entre PRC et le CN » (paragraphe 64 des motifs). Il a fait observer que si un expéditeur demandait l'examen d'un tarif sans chercher à modifier son contrat confidentiel, l'Office serait tenu d'effectuer cet examen. Selon lui, si telle avait été la nature de la décision du gouverneur en conseil, elle « aurait été à la fois correcte et raisonnable » (paragraphe 66 des motifs).

 

[22]           Septièmement, en appliquant la norme de la décision correcte, le juge a examiné certaines stipulations du contrat confidentiel, ainsi que certains passages des affidavits produits et des contre-interrogatoires (paragraphes 10 à 17 des motifs), pour conclure que « le supplément carburant prévu au tarif 7402 faisait partie du « prix », au sens de [la Loi], demandé à l'expéditeur » (paragraphes 18 et 71 des motifs). Par conséquent, en vertu du paragraphe 120.1(7), le tarif n'est pas susceptible d'examen sous le régime de l'article 120.1. Le juge en a conclu que l'Office avait eu raison de se déclarer incompétent pour examiner le tarif et que, par conséquent, le gouverneur en conseil avait eu tort d'annuler cette décision (paragraphe 71 des motifs).

 

[23]           Enfin, le juge a conclu que, s'il est permis à l'Office de modifier un tarif applicable à plus d'un expéditeur, il n'a pas le pouvoir de décider « l'effet de cette modification sur un contrat déjà signé » ni de « modifier un contrat entre un expéditeur et un transporteur » (paragraphe 73 des motifs). Comme la demande de Peace River tendait selon lui à obtenir la modification de son contrat, il a conclu que l'Office ne pouvait en connaître et que le gouverneur en conseil avait commis une autre erreur en « ordonnant à l'Office de réexaminer l'objet de cette demande » (paragraphe 75 des motifs).

 

[24]           Le juge a en conséquence annulé le décret et rétabli la décision de l'Office.

 

[25]           Le procureur général a interjeté appel contre cette décision de la Cour fédérale, qui a fait l'objet d'un autre appel de la part de Peace River et de l'ACTI. Ces trois parties sont désignées collectivement « les appelants » dans les présents motifs. Les deux appels ont été réunis par ordonnance du 13 janvier 2012, qui stipulait que le dossier de la Cour A‑438‑11 serait considéré comme le dossier principal. Conformément à cette ordonnance, une copie des présents motifs sera versée au dossier de la Cour A‑440‑11.

 

Les questions en litige

[26]           Les questions que soulèvent les présents appels peuvent à mon sens se formuler comme suit :

a)         Quelle était la nature de la requête présentée au gouverneur en conseil et de la décision à laquelle elle a donné lieu?

b)         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil?

c)         La décision du gouverneur en conseil était-elle incorrecte ou déraisonnable, selon qu'on aura déclaré applicable l'une ou l'autre norme de contrôle?

d)         La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le tarif CN 7402 faisait partie des « prix relatifs au transport » pour l'application du paragraphe 120.1(7) de la Loi?

 

Examen des questions en litige

 

a)         Quelle était la nature de la requête présentée au gouverneur en conseil et de la décision à laquelle elle a donné lieu?

 

[27]           Les parties s'opposent vivement sur la nature de la demande déposée par Peace River devant l'Office et, en conséquence, sur la nature de la décision du gouverneur en conseil.

 

[28]           On peut lire dans l'exposé des appelants les observations suivantes formulées par le procureur général :

[TRADUCTION]

 

36.       Ce n'est aucunement une question de compétence que le gouverneur en conseil a tranchée dans la présente espèce. Il était plutôt en désaccord avec l'Office sur le point de savoir si la plainte formée par Peace River avait pour objet la modification des modalités du contrat. Le gouverneur en conseil a conclu que cette plainte était, en réalité, une demande d'appréciation du caractère raisonnable du tarif 7402.

 

37.       Le simple fait que le tarif se trouvait incorporé par renvoi dans le contrat entre Peace River et le CN ne signifie pas que la plainte visait la modification des modalités de ce contrat. La nature de la plainte déposée devant l'Office concernait le caractère raisonnable du tarif 7402, dont la modification, de toute façon, ne changerait rien en soi aux modalités du contrat. Le point de savoir si Peace River tirerait profit d'une modification du tarif 7402 n'a aucun effet sur la capacité de l'Office à apprécier le caractère raisonnable du supplément carburant qui y est prévu, lequel s'applique aussi à d'autres expéditeurs.

[Renvoi omis.]

 

[29]           Selon le CN, la seule question que devait trancher le gouverneur en conseil était [TRADUCTION] « uniquement une question de droit qui n'exigeait pas l'examen de faits ni de principes de politiques controversés » (paragraphe 75 du mémoire du CN). Cette question de droit était le point de savoir si l'Office avait compétence pour instruire la plainte de Peace River étant donné l'existence du contrat confidentiel qui la liait au CN.

 

[30]           Pour bien définir la nature de la requête au gouverneur en conseil et celle de la décision qui en est résultée, il faut prendre en considération :

i)          la plainte formée par Peace River devant l'Office;

ii)         la décision de l'Office;

iii)        la requête présentée par l'ACTI au gouverneur en conseil;

iv)        la décision du gouverneur en conseil.

 

[31]           J'examinerai ici ces documents tour à tour. J'ajoute que la requête formée par le CN devant l'Office n'a pas été déposée en preuve devant nous.

 

i)          La plainte formée par Peace River devant l'Office

[32]           Comme on l'a vu plus haut, Peace River demandait dans sa plainte [TRADUCTION] « une ordonnance établissant un supplément carburant raisonnable, tel qu'il est défini dans la présente demande, pour le transport de son charbon par [le CN] ».

 

[33]           Peace River a expressément rappelé dans ses observations, au paragraphe 31, que le tarif CN 7402 s'appliquait à plus d'un expéditeur. Elle y citait en outre le passage suivant de ce tarif :

« Le tarif CN 7402 s'applique aux deux types de marchandises suivants :

 

• marchandises en vrac : charbon, engrais et céréales;

 

• toutes les autres marchandises expédiées en wagons complets. »

 

[34]           Elle réclamait la mesure corrective suivante [non souligné dans l'original] :

[TRADUCTION]

 

39.       En conséquence, Peace River prie l'Office de rendre une ordonnance établissant des suppléments carburant raisonnables pour le transport de son charbon par le CN. Plus précisément, Peace River prie l'Office d'ordonner au CN de changer les frais stipulés par son tarif 7402 de manière à tenir compte, pour une durée d'un an, des frais et des conditions afférentes que prévoit actuellement son tarif CN 7403.

 

ii)         La décision de l'Office

[35]           L'Office, dans le bref exposé qu'il a donné, a affirmé que Peace River avait demandé « une ordonnance exigeant [du CN] l'application de nouveaux suppléments pour le carburant au contrat confidentiel relatif au transport de son trafic ».

 

[36]           Il a formulé comme suit les questions qu'il estimait avoir à trancher :

L'Office est‑il habilité à prendre en considération les modalités d'un contrat confidentiel en vertu de l'article 120.1 de la LTC? Dans l'affirmative, un supplément pour le carburant fait‑il partie des frais relatifs au transport, ce qui laisserait présager que le paragraphe 120.1(7) fait obstacle à sa prise en considération aux termes de l'article 120.1 de la LTC?

 

[37]           L'Office conclut sa décision par les paragraphes suivants, sous le titre « Analyse et constatations » [non souligné dans l'original] :

Dans le cas présent, les deux parties ont convenu que le transport en question est couvert en vertu des modalités d'un contrat confidentiel, y compris les suppléments pour le carburant, qui sont intégrés par renvoi au contrat confidentiel qui lie les parties. Bien que PRC indique ne pas chercher à faire modifier les modalités du contrat confidentiel, l'Office conclut que PRC cherche en fait à faire modifier le supplément pour le carburant prévu au contrat de manière à tenir compte d'un autre supplément pour le carburant.

 

Les contrats sont des ententes par lesquelles les parties se lient en toute connaissance de cause et sans contrainte pour leur bénéfice mutuel. Un des principaux objectifs est d'assurer la certitude et la prévisibilité des points pour lesquels il y a eu entente, et ce, pour toute la durée du contrat. Les parties sont liées par le contrat et l'Office n'est pas habilité à modifier sur demande présentée en vertu de l'article 120.1 de la LTC les modalités d'un contrat et rejette la demande.

 

Par conséquent, l'Office n'a pas besoin de se pencher sur le second argument de CN qui touche le lien entre le supplément pour le carburant et les frais de transport.

 

iii)        La requête présentée par l'ACTI au gouverneur en conseil

[38]           L'ACTI a défini la question comme relevant de l'intérêt public, ainsi que l'attestent les passages suivants de sa requête :

[TRADUCTION]

 

ATTENDU QUE l'Office, par sa décision no 392‑R‑2008 du 31 juillet 2008 (ci‑après « la décision de l'Office »), a accueilli à tort la requête du CN au motif que Peace River cherchait en fait à faire modifier le supplément carburant incorporé par renvoi dans le contrat de manière à tenir compte d'un autre supplément carburant, et qu'il l'a fait sans examiner aucune autre question;

 

[...]

 

ATTENDU QUE les membres de l'ACTI craignent vivement que la décision de l'Office n'ait en fait rendu inopérant le recours prévu par le législateur à l'article 120.1 de la Loi;

 

ATTENDU QUE l'ACTI estime être dans l'intérêt public que soit confirmé et clarifié le pouvoir de l'Office de contrôler sous le régime de l'article 120.1 de la Loi le caractère raisonnable des suppléments carburant applicables au transport ferroviaire, et qu'elle a décidé de soumettre à cette fin la présente requête au gouverneur en conseil [non souligné dans l'original];

 

PLAISE AU GOUVERNEUR EN CONSEIL de modifier la décision de l'Office en lui ordonnant :

 

a)    de décider que l'ancien tarif de supplément carburant du CN a pour objet des frais accessoires aux fins d'application du paragraphe 120.1(7) de la Loi et qu'il peut donc être valablement contrôlé sous le régime de son article 120.1;

 

b)    de se déclarer compétent pour apprécier le caractère raisonnable de ce tarif, malgré le fait que les parties soient liées par un contrat confidentiel de transport qui renvoie à ce tarif.

 

La requérante avance les moyens suivants à l'appui de la présente requête :

 

[...]

 

L'INTENTION DU LÉGISLATEUR LORS DE L'ADOPTION DE L'ARTICLE 120.1

 

- L'existence du contrat confidentiel de transport n'interdit pas à l'Office d'examiner la plainte formée par Peace River en vertu de l'article 120.1 de la Loi.

 

26.       Le législateur a adopté l'article 120.1 de la Loi sur les transports au Canada précisément parce que le gouvernement fédéral se rendait compte que la position monopolistique des entreprises ferroviaires fédérales leur donnait la possibilité d'assortir de conditions déraisonnables leurs tarifs accessoires. Étant donné le monopole de fait dont ces entreprises jouissent à l'égard de certains expéditeurs, ceux‑ci ne disposent d'aucun moyen de pression pour contester le contenu de ces tarifs, à moins que la loi ne leur offre une voie de recours telle que celle prévue à l'article 120.1.

 

27.       Les transporteurs ferroviaires ont pour pratique courante d'exiger l'inscription dans chaque contrat confidentiel d'une clause y incorporant par renvoi tous leurs tarifs. Cette clause a pour effet de rendre applicables à l'expéditeur tous les tarifs que le transporteur met licitement en vigueur. Dans bien des cas, l'expéditeur est impuissant à exclure une telle clause du contrat en raison de la position monopolistique de l'entreprise ferroviaire. [Non souligné dans l'original.]

 

28.       Le législateur ne peut avoir eu pour intention que l'existence d'un contrat de transport confidentiel puisse empêcher l'application de l'article 120.1, puisque les expéditeurs qui ont besoin d'un recours contre les frais déraisonnables sont précisément ceux qui sont vulnérables à la puissance commerciale des transporteurs ferroviaires et se voient en conséquence forcés de signer avec ceux‑ci des contrats qui exigent l'inclusion de tarifs déterminés de ces transporteurs ou stipulent l'incorporation par renvoi de tous leurs tarifs.

 

29.       Dans les cas où le législateur voulait que l'existence d'un contrat confidentiel de transport exclue le recours réglementaire, il l'a dit explicitement. Par exemple, il interdit à l'expéditeur de déposer devant l'Office toute demande d'arbitrage des propositions finales visant une question régie par un tel contrat (paragraphe 126(2) de la Loi). Or, l'article 120.1 de la Loi ne prévoit aucune interdiction de cette nature.

 

30.       Quoi qu'il en soit, dans la présente espèce, Peace River ne cherche pas à revenir sur son engagement de payer le supplément carburant que prévoit l'ancien tarif incorporé dans son contrat, mais demande seulement à l'Office d'apprécier le caractère raisonnable de cet ancien tarif en vertu de l'article 120.1 de la Loi. Si l'Office décide que l'ancien tarif est raisonnable, Peace River continuera à payer le supplément carburant y prévu pour la durée du contrat. Si l'Office décide que ce tarif est déraisonnable et ordonne au CN de le modifier en conséquence, Peace River paiera le nouveau supplément carburant ainsi fixé. Autrement dit, contrairement à la conclusion formulée dans la décision de l'Office, Peace River ne lui demande pas de modifier le supplément carburant incorporé par renvoi dans le contrat de manière à tenir compte d'un supplément carburant différent, mais simplement d'apprécier le caractère raisonnable du tarif prévoyant le supplément. C'est là un droit que lui confère l'article 120.1 de la Loi. [Non souligné dans l'original.]

 

[...]

 

- La décision de l'Office va à l'encontre de l'intention du législateur.

 

[...]

 

37.       La décision de l'Office a pour effet général de rendre complètement inopérant le recours prévu à l'article 120.1 dans le cas où l'expéditeur et le transporteur ferroviaire sont liés par un contrat confidentiel. Pour éviter l'application de cet article, le CN n'a qu'à invoquer le contrat et le fait qu'y est incorporé par renvoi chacun de ses tarifs, raisonnable ou non.

 

38.       Comme les activités de transport ferroviaire sont dans l'immense majorité des cas régies par un contrat confidentiel et comme pratiquement tous les contrats confidentiels comportent une clause d'incorporation par renvoi, l'immense majorité de ces activités seraient ainsi soumises à des tarifs impossibles à contester en vertu de l'article 120.1 de la Loi. Ce n'était manifestement pas là l'intention qu'avait le législateur en adoptant cet article.

 

CONCLUSION

 

39.       La demande de Peace River est la première et, que nous sachions, la seule à avoir été déposée en vertu du nouvel article 120.1 de la Loi. Il est important de donner à cette voie de recours la possibilité de faire son oeuvre. Les expéditeurs ont déjà éprouvé la déception de voir les transporteurs ferroviaires affaiblir ou rendre de fait inopérantes des voies de recours instituées par le législateur. [...]

 

40.       Il est à noter que l'ACTI ne demande pas ici au gouverneur en conseil de substituer sa propre décision à celle de l'Office, mais seulement de faire en sorte que celui‑ci remplisse sa tâche en examinant et tranchant la demande de Peace River conformément à l'intention du législateur lors de l'adoption de l'article 120.1.

 

PRÉCISIONS SUR LES MESURES DE REDRESSEMENT DEMANDÉES

 

41.       En conséquence de ce qui précède, plaise au gouverneur en conseil de modifier la décision de l'Office sous le régime de l'article 40 de la Loi sur les transports au Canada en lui ordonnant :

 

a)    de décider que l'ancien tarif de supplément carburant du CN a pour objet des frais accessoires aux fins d'application du paragraphe 120.1(7) de la Loi et qu'il peut donc être valablement contrôlé sous le régime de son article 120.1;

 

b)    de se déclarer compétent pour apprécier le caractère raisonnable de ce tarif, malgré le fait que les parties soient liées par un contrat confidentiel de transport qui renvoie à ce tarif.

 

iv)        La décision du gouverneur en conseil

[39]           La décision du gouverneur en conseil n'est pas longue. En voici le texte [non souligné dans l'original] :

Attendu que l'Office des transports du Canada (« l'Office »), dans sa décision no 392‑R‑2008 du 31 juillet 2008, a rejeté la plainte de Peace River Coal Inc. (« PRC ») déposée en vertu de l'article 120.1 de la Loi sur les transports au Canada (« la Loi ») à l'égard du supplément pour le carburant du tarif CN no 7402 de la compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (« le CN »), estimant qu'il n'était pas de son ressort d'entendre l'affaire puisque le tarif était incorporé par renvoi dans un contrat confidentiel entre le CN et PRC ;

 

Attendu que l'Association canadienne de transport industriel (« l'ACTI ») a déposé, au titre de l'article 40 de la Loi, une requête pour la modification de la décision no 392‑R‑2008 auprès du gouverneur en conseil et lui a demandé de conclure que le supplément pour le carburant prévu par le tarif CN no 7402 constitue des frais au sens de l'article 120.1 de la Loi et que l'Office peut tenir compte du caractère raisonnable du supplément pour le carburant malgré l'existence de ce contrat confidentiel entre le CN et PRC ;

 

Attendu que PRC, le CN et l'ACTI ont déposé des observations relativement à la requête ;

 

Attendu que l'article 120.1 de la Loi prévoit un recours par voie de plainte contre des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes déraisonnables qui sont imposés par une compagnie de chemin de fer, lequel recours doit profiter à tous les expéditeurs assujettis aux frais et aux conditions afférentes prévus dans le tarif contesté et non pas au seul plaignant ;

 

Attendu que la plainte déposée par PRC, au titre de l'article 120.1 de la Loi, l'a été dans l'intérêt de tous les expéditeurs assujettis aux frais allégués relatifs au transport ou aux services connexes et aux conditions afférentes, prévus par le tarif CN no 7402, lequel s'applique à plus d'un expéditeur et n'est pas un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi ;

 

Attendu que le gouverneur en conseil estime que, bien que l'existence d'un contrat confidentiel entre une compagnie de chemin de fer et un plaignant au titre de l'article 120.1 de la Loi et les modalités de ce contrat aient une incidence sur la question de savoir si ce dernier tirera profit d'un décret pris par l'Office en vertu de cet article, ces facteurs n'ont aucune incidence sur le caractère raisonnable des frais relatifs au transport ou aux services connexes et des conditions afférentes prévus par un tarif qui s'applique à plus d'un expéditeur et n'est pas un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi ,

À ces causes, sur recommandation du ministre des Transports et en vertu de l'article 40 de la Loi sur les transports au Canada, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil annule la décision no 392‑R‑2008 du 31 juillet 2008 de l'Office des transports du Canada.

 

[40]           Ayant ainsi examiné les passages pertinents des principaux documents applicables, j'entreprendrai maintenant de déterminer la nature de la requête présentée au gouverneur en conseil et celle de la décision à laquelle elle a donné lieu.

 

[41]           Le juge a dit que l'ACTI avait demandé que l'Office apprécie le « caractère raisonnable » du tarif CN 7402 « sans égard pour ledit contrat » confidentiel (paragraphe 53 des motifs). Cette définition me paraît correcte.

 

[42]           Je souscris de même pour l'essentiel à la manière dont le juge décrit la nature de la décision du gouverneur en conseil :

55        Le gouverneur en conseil, par ce décret, ordonne en fait à l'Office d'apprécier le caractère raisonnable du tarif en question malgré l'existence d'un contrat entre PRC et le CN; comme ce tarif s'applique à plus d'un expéditeur, explique‑t‑il, il est dans l'intérêt de tous les expéditeurs, et non pas seulement de PRC, que l'Office le contrôle. Le décret s'abstient explicitement d'ordonner à l'Office d'exiger que PRC et le CN modifient leur contrat en fonction du tarif révisé. Il réserve cette question, semble‑t‑il, à un examen ultérieur, peut‑être par une autre instance. [Italiques dans l'original.]

 

J'ajouterais seulement à cette description que le gouverneur en conseil n'a pas expressément conclu que Peace River était assujettie au tarif CN 7402 pour l'application de l'article 120.1 de la Loi.

 

[43]           La décision du gouverneur en conseil a eu pour effet d'infirmer la conclusion de fait de l'Office selon laquelle Peace River visait par sa plainte à obtenir « une ordonnance exigeant [du CN] l'application de nouveaux suppléments pour le carburant au contrat confidentiel relatif au transport de son trafic ». Le gouverneur en conseil a substitué à celle de l'Office sa propre description de la nature de la demande de Peace River. Selon le gouverneur en conseil, Peace River avait déposé sa plainte dans l'intérêt de tous les expéditeurs. Il s'ensuivait que l'Office avait incorrectement formulé la question dont il était saisi. Le gouverneur en conseil s'est explicitement abstenu de trancher la question juridique de savoir si l'existence du contrat confidentiel interdisait à Peace River de tirer profit, le cas échéant, d'une décision qui aurait conclu au caractère déraisonnable du tarif CN 7402.

 

[44]           Une fois définie la nature de la décision du gouverneur en conseil, il faut se demander quelle est la norme de contrôle applicable à cette décision.

 

b)         La norme de contrôle applicable

[45]           La description par le gouverneur en conseil de la nature de la demande déposée par Peace River devant l'Office est une question de fait, ou une question mixte de fait et de droit où prédomine l'élément factuel.

 

[46]           Notre Cour a affirmé au paragraphe 31 de Globalive Wireless Management Corp. c. Public Mobile Inc., 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344, que les décisions du gouverneur en conseil sur des questions mixtes de fait, de politique et de droit sont à contrôler suivant la norme du caractère raisonnable.

[47]           La décision en question est une décision de fait comportant un élément de politique. Le décideur est le gouverneur en conseil, à qui l'article 40 confère de larges pouvoirs de contrôle. À mon sens, l'arrêt Globalive a déterminé de manière satisfaisante le degré de retenue à observer à l'égard de la décision du gouverneur en conseil considérée dans les présents appels : cette décision doit être contrôlée selon la norme du caractère raisonnable.

 

[48]           Il s'ensuit que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en appliquant la norme de la décision correcte à cette décision du gouverneur en conseil et que notre Cour doit en apprécier le caractère raisonnable.

 

c)         La décision du gouverneur en conseil est-elle raisonnable?

[49]           Comme on l'a vu plus haut au paragraphe 33, Peace River a cité le tarif de supplément carburant dans sa demande à l'Office au soutien de sa prétention selon laquelle ce tarif s'appliquait aussi à d'autres expéditeurs. La réparation qu'elle demandait était une ordonnance enjoignant au CN [TRADUCTION] « de changer les frais stipulés par son tarif 7402 ».

 

[50]           De la nature de la réparation demandée, et du fait que, comme il l'a rappelé lui‑même, l'article 120.1 de la Loi « doit profiter à tous les expéditeurs assujettis [...] [au] tarif contesté », le gouverneur en conseil était fondé à conclure que la plainte de Peace River visait « l'intérêt de tous les expéditeurs assujettis aux frais allégués ». Comme la décision du gouverneur en conseil est étayée par la preuve et par les motifs, elle appartient aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et peut donc être dite raisonnable.

 

[51]           En conséquence, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire formée par le CN contre la décision du gouverneur en conseil.

 

d)         La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le tarif CN 7402 faisait partie des prix relatifs au transport pour l'application du paragraphe 120.1(7) de la Loi?

 

[52]           Comme je le rappelais au paragraphe 22 ci‑dessus, la Cour fédérale a conclu, en droit, que « le supplément carburant prévu au tarif 7402 faisait partie du « prix », au sens de [la Loi], demandé à l'expéditeur » (paragraphes 18 et 71 des motifs du juge). L'Office avait refusé de se prononcer sur cette question de droit, et le gouverneur en conseil n'a pas exprimé de conclusion sur cette question de droit.

 

[53]           À mon avis, le juge, saisi d'une demande de contrôle judiciaire, a commis une erreur en entreprenant ainsi d'interpréter la loi habilitante de l'Office. À supposer qu'il fût nécessaire de trancher la question de savoir si le tarif CN 7402 faisait partie des prix relatifs au transport — et j'ai conclu que ce n'était pas le cas —, le juge aurait dû renvoyer cette question devant l'Office, à qui il appartient d'interpréter sa loi habilitante.

 

[54]           En outre, ainsi que les appelants l'ont fait remarquer, la conclusion du juge sur ce point est en contradiction avec celle qu'il formule au paragraphe 66 de ses motifs, selon laquelle, si Peace River s'était contentée « de demander un examen du tarif, [...] l'Office aurait été tenu [de l'] effectuer ». L'Office n'aurait pas pu effectuer cet examen si le supplément prévu au tarif était un prix relatif au transport pour l'application du paragraphe 120.1(7).

 

[55]           Ce point est une question dont l'Office est saisi et qui ressortit à son mandat. Notre Cour ne devrait donc pas exprimer d'avis à ce sujet.

 

[56]           Aux fins du présent appel, il me paraît suffisant de dire que notre Cour ne souscrit pas au raisonnement du juge ni à sa conclusion voulant que le supplément carburant fasse partie des prix relatifs au transport. La décision de cette question relève de l'Office, qui n'est pas lié par le raisonnement ni la conclusion de la Cour fédérale.

 

Conclusion

[57]           Pour ces motifs, j'accueillerais les appels, j'annulerais le jugement de la Cour fédérale et, rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire formée par le CN contre le décret C.P. 2010‑749. J'accorderais aux appelants les dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale; cependant, Peace River et l'ACTI n'auraient ensemble droit qu'à un seul mémoire de dépens devant chacune des Cours, au motif que toutes deux étaient représentées par le même avocat et que leurs exposés respectifs des faits et du droit étaient pour l'essentiel identiques.

 

[58]           J'ajouterai pour terminer que, pour statuer sur les présents appels, il ne s'est pas révélé nécessaire d'examiner l'argument du CN selon lequel la Cour fédérale aurait commis une erreur en délimitant l'étendue des pouvoirs que confère l'article 40 de la Loi au gouverneur en conseil. Selon le CN, le gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir de trancher des questions de droit seul ou de compétence. Les appelants n'ont pas abordé frontalement cette thèse. Comme on l'a vu au paragraphe 28 ci‑dessus, ils se sont plutôt attachés à déterminer le caractère de la question portée devant le gouverneur en conseil et la nature de sa décision. Il ne faudrait pas interpréter les présents motifs comme avalisant la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le gouverneur en conseil est une instance habilitée à trancher des questions de droit ou de compétence. À mon sens, ce point reste à décider par notre Cour lorsqu'une affaire ultérieure lui en fournira l'occasion.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d'accord.

            Johanne Gauthier j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            David Stratas j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                              A‑438‑11 et A‑440‑11

 

INTITULÉS :                                                            A‑438‑11

 

                                                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA et al.

 

                                                                                    A‑440‑11

 

                                                                                    PEACE RIVER COAL INC. et al. c. COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA et al.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                     Le 12 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                   LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                               LA JUGE GAUTHIER

                                                                                    LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                             Le 2 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert MacKinnon

Peter Nostbakken

 

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Forrest C. Hume

 

 

POUR PEACE RIVER COAL INC. et al.

 

Guy J. Pratte

Nadia Effendi

 

POUR L'INTIMÉE COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 


Page : 2

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Forrest C. Hume Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR PEACE RIVER COAL INC. et al.

 

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 

 

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