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Cour d’appel

fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20121119

Dossier : A‑33‑12

Référence : 2012 CAF 299

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON                      

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CHANTHIRAKUMAR SELLATHURAI

appelant

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 octobre 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL


Cour d’appel

fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20121119

Dossier : A‑33‑12

Référence : 2012 CAF 299

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON                      

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CHANTHIRAKUMAR SELLATHURAI

appelant

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                             L’appelant, M. Chanthirakumar Sellathurai, demande pour la deuxième fois à notre Cour d’examiner ce qu’il estime être les conséquences inéquitables d’une erreur commise par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) relativement à des documents contenant des renseignements protégés par le privilège de sécurité nationale.

 

[2]                             M. Sellathurai est un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka qui vit au Canada depuis 25 ans. Il est entré dans notre pays en 1987 et y a demandé l’asile. En 1990, il fut décidé, sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, que sa revendication du statut de réfugié reposait sur des éléments crédibles. Selon les dispositions en vigueur en 1990, une telle conclusion constituait une étape de la procédure encadrant la revendication du statut de réfugié. Cependant, la revendication du statut de réfugié formée par M. Sellathurai n’a jamais fait l’objet d’une décision parce que, en 1992, il a eu recours à une autre voie en demandant le droit d’établissement dans le cadre d’une procédure accélérée, le « Programme de l’élimination de l’arriéré dans l’étude des revendications du statut de réfugié », instituée par des modifications au Règlement sur la catégorie admissible des demandeurs du statut de réfugié, DORS/90‑40.

 

[3]                             L’alinéa 3(2)e) du Règlement sur la catégorie admissible des demandeurs du statut de réfugié disposait que le droit d’établissement serait refusé aux personnes entrant dans les précisions de l’un ou l’autre des alinéas 19(1)c) à g), 19(1)j) et 27(2)c) de la Loi sur l’immigration. En 1996 ou 1997, fut soulevée la question de savoir si M. Sellathurai entrait dans les prévisions de la division 19(1)f)(iii)(B), qui était alors libellée comme suit :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles :

(f) persons who there are reasonable grounds to believe

(iii) soit sont ou ont été membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée :

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

(B) soit à des actes de terrorisme,

(B) terrorism,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

 

except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest;

 

[4]                             Un agent d’immigration a conclu, dans un rapport en date du 11 août 1997, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Sellathurai était membre de fait d’une organisation terroriste dénommée « Tigres de libération de l’Eelam tamoul » (TLET), parce qu’il lui avait apporté son soutien financier et lui avait envoyé certaines personnes intéressées. Ce rapport a donné lieu à une enquête de la Section de l’immigration. Il a été décidé d’un commun accord que cette enquête serait scindée en deux parties. La première porterait sur la question de savoir s’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Sellathurai était membre des TLET, et la seconde, sur le point de savoir si les TLET constituaient une organisation terroriste.

 

[5]                             La première partie de l’enquête s’est conclue par une décision en date du 26 septembre 2001 portant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Sellathurai était membre des TLET. M. Sellathurai a alors demandé à la Cour fédérale, sous le régime de l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration, l’autorisation de présenter une demande en contrôle judiciaire de cette décision. Cette demande d’autorisation a été rejetée le 24 janvier 2002, rejet qui, suivant l’article 82.2 de la Loi sur l’immigration, était sans appel.

 

[6]                             La seconde partie de l’enquête n’est pas encore achevée. Elle a été suspendue en attendant l’issue d’une demande en dispense ministérielle formée par M. Sellathurai, ainsi que je l’explique plus loin.

 

[7]                             Comme on l’a vu ci‑dessus, l’enquête sur M. Sellathurai a commencé sous le régime de la Loi sur l’immigration. Or, celle‑ci a été abrogée et remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui a pris effet le 28 juin 2002.

 

[8]                             La disposition sur laquelle était centrée la première partie de l’enquête relative à M. Sellathurai, soit la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l’immigration, a alors fait place au paragraphe 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La dispense ministérielle, visée par les dernières lignes du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’immigration, s’est ainsi trouvée remplacée par le paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les nouvelles dispositions applicables sont libellées comme suit :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(c) engaging in terrorism;

… or

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

 

[9]                             M. Sellathurai a formé en août 2002, en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une demande de dispense ministérielle qui n’est toujours pendante.

[10]                         Entre-temps, en décembre 2008, la Section de l’immigration a décidé de passer à la seconde étape de l’enquête. M. Sellathurai a alors demandé, avec succès, à la Cour fédérale l’autorisation de déposer une demande en contrôle judiciaire du refus de la Section de l’immigration d’ajourner de nouveau la seconde partie de l’enquête. La Cour fédérale a ajourné l’examen de cette demande d’autorisation, sous réserve de l’obligation des parties de la tenir au courant de l’évolution de la demande de dispense ministérielle présentée par M. Sellathurai.

 

[11]                         En juillet 2010, dans le cadre de la demande de dispense ministérielle, l’ASFC a communiqué à l’avocate de M. Sellathurai copie du dossier qu’elle avait constitué à l’intention du ministre, lequel contenait un rapport et des pièces justificatives. Ce rapport recommandait au ministre de rejeter la demande de dispense ministérielle que M. Sellathurai avait présentée en vertu du paragraphe 34(2). Par erreur, on avait joint à la copie du dossier communiquée à M. Sellathurai la copie de trois documents (les documents contestés) fournis par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), que ce dernier avait omis d’examiner en vue d’en caviarder les informations privilégiées ou confidentielles.

 

[12]                         Il se trouve que les documents contestés contenaient des renseignements lesquels, a plus tard conclu le SCRS, auraient dû en être caviardés en vertu du privilège fondé sur la sécurité nationale. L’ASFC a pris conscience le 11 août 2010 de la communication accidentelle de ces renseignements privilégiés. On a alors avisé l’avocate de M. Sellathurai de cette erreur en lui demandant de rendre le dossier et toutes les copies qui auraient pu en être tirées. Elle a réagi en mettant les documents en question sous pli scellé et en demandant de plus amples renseignements. Elle a également fait savoir que M. Sellathurai et plusieurs membres de la colonie tamoule avaient vu le dossier et l’avaient examiné de près.

 

[13]                         L’ASFC a répondu à l’avocate de M. Sellathurai en lui précisant quels étaient les documents contestés. Cette dernière a scellé ceux‑ci sous enveloppe et assuré l’ASFC qu’il n’en avait été tiré aucune copie. La Couronne a ensuite sollicité des directives de la Cour fédérale dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire alors en instance qui visait la décision de la Section de l’immigration de ne pas ajourner la seconde étape de l’enquête.

 

[14]                         Le 2 septembre 2010, le juge Hughes a ordonné à l’avocate de M. Sellathurai de déposer les documents contestés devant la Cour sous enveloppe scellée portant mention de ne pas ouvrir sauf ordonnance ou directive ultérieure. Il a aussi ordonné à la Couronne de communiquer à l’avocate de M. Sellathurai des copies des documents contestés expurgées des passages à l’égard desquels on revendiquait le privilège fondé sur la sécurité nationale, ainsi que de déposer une requête concernant le sort ultérieur desdits documents.

 

[15]                         La Couronne a déposé la requête exigée, que la juge Snider a instruite, et accueillie par ordonnance en date du 3 novembre 2010 : Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1082, [2012] 2 R.C.F. 218. Cette ordonnance était ainsi formulée :

LA COUR :

a)             CONFIRME l’ordonnance rendue par le juge Hughes le 2 septembre 2010;

b)             CONFIRME le privilège fondé sur la sécurité nationale revendiqué par le ministre sur certains passages des documents contestés;

c)             ORDONNE, dans la mesure où les mesures suivantes n’ont pas encore été prises :

      au demandeur de sceller et de retourner au ministre, par l’intermédiaire de son avocate, toute copie papier des documents contestés non expurgés;

      au demandeur de détruire toute copie électronique des documents contestés non expurgés se trouvant sous le contrôle ou en la possession du demandeur ou de son avocate;

      au demandeur et à son avocate de détruire les notes qui se trouvent en leur possession ou sous leur contrôle et qui se rapportent aux passages expurgés des documents contestés.

d)            ORDONNE que les documents contestés non expurgés qui se trouvent présentement dans une enveloppe scellée déposée à la Cour et qui ont été versés au dossier de la Cour soient retournés par le greffe à l’avocat du ministre;

e)             DÉCLARE qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

[16]                         Malgré l’absence de question certifiée, M. Sellathurai a interjeté appel de l’ordonnance de la juge Snider. Cet appel a été entendu le 9 juin 2011 et partiellement accueilli le 11 juillet de la même année (Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 223, [2012] 2 R.C.F. 243). Je résumerais comme suit les conclusions formulées par notre Cour dans cet appel :

 

a) L’absence de question certifiée

En général, s’agissant d’affaires qui mettent en jeu des demandes en contrôle judiciaire formées en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, celle‑ci interdit d’interjeter appel devant notre Cour des décisions interlocutoires [alinéa 72(2)e)], et des les décisions définitives en l’absence d’une question certifiée [alinéa 74d)]. L’ancienne Loi sur l’immigration contenait des dispositions de la même teneur. La décision dont M. Sellathurai voulait appeler était une ordonnance interlocutoire prononcée dans le cadre d’une demande en contrôle judiciaire formée sous le régime de la Loi sur l’immigration, soit la décision de la Section de l’immigration de ne pas ajourner l’enquête. Normalement, la Cour fédérale n’aurait pas pu instruire l’appel. Cependant, l’une des questions qui y étaient soulevées était celle de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour examiner la requête de la Couronne tendant à faire confirmer sa revendication du privilège fondé sur la sécurité nationale à l’égard de documents communiqués dans le contexte de la demande de dispense ministérielle présentée en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Du fait de cette question de compétence, il était permis d’instruire l’appel. Voir Horne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 337; Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 27; et Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 235 N.R. 305 (C.A.F.).

b) La compétence

La Cour fédérale a compétence pour examiner la revendication du privilège fondé sur la sécurité nationale qu’a formulée la Couronne à l’égard des documents contestés, à la fois en vertu de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et de sa compétence plénière sur les questions de communication dans les affaires d’immigration [articles 3, 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, et paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés]. L’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales est ainsi libellé :

44. Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables.

 

44. In addition to any other relief that the Federal Court of Appeal or the Federal Court may grant or award, a mandamus, an injunction or an order for specific performance may be granted or a receiver appointed by that court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient to do so. The order may be made either unconditionally or on any terms and conditions that the court considers just.

Comme le pouvoir de la Cour fédérale d’ordonner la restitution des documents contestés lui était conféré par l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés interdisant la formation d’un appel ne jouaient pas.

c) La procédure

Plutôt que de présenter une requête en restitution des documents contestés dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en instance, la Couronne aurait dû déposer un avis de demande indépendant, comme il avait été fait dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626. Cependant, cette omission ne constituait qu’une irrégularité de procédure ne tirant pas à conséquence (article 56 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106).

 

 

d) La question de savoir si la juge a commis une erreur en ordonnant la restitution des documents contestés

La Couronne revendique, judicieusement, le privilège fondé sur la sécurité nationale à l’égard des passages retranchés des documents contestés, et les renseignements contenus dans ces passages ont été communiqués par inadvertance. Ces faits semblent justifier l’ordonnance de la juge portant restitution des documents contestés. Cependant, M. Sellathurai avait fait valoir que la revendication du privilège fondé sur la sécurité nationale avait une portée excessive, au motif que certains des renseignements que la Couronne voulait caviarder avaient été auparavant communiqués dans une instance relative à l’immigration. La juge n’a pas recherché si l’équité exigeait que l’on permît à l’avocate de M. Sellathurai de faire un usage limité des renseignements antérieurement communiqués, par exemple dans le cadre d’observations confidentielles qu’elle adresserait à la Cour ou au ministre.

e) La question de savoir si la juge a commis une erreur en rejetant la demande en nomination d’un amicus curiae formulée par M. Sellathurai

La juge, en rejetant la demande de nomination d’un amicus curiae, a omis de prendre en considération les circonstances exceptionnelles de l’espèce, en particulier le fait que les passages caviardés des documents contestés avaient déjà été communiqués à l’avocate de M. Sellathurai.

 

[17]                         Se fondant sur les conclusions exposées aux alinéas d) et e) ci‑dessus, notre Cour a prononcé l’ordonnance suivante :

Il est fait droit à l’appel dans la mesure limitée où le dossier sera renvoyé à la juge Snider, ou à un autre juge désigné de la Cour fédérale (selon ce qu’ordonnera le juge en chef de la Cour fédérale) aux fins de considérer s’il y aurait lieu, dans les circonstances, de nommer un amicus curiae chargé d’aider la Cour et de préciser, le cas échéant, la réparation qu’exige l’application des principes d’équité procédurale en raison de la divulgation accidentelle à M. Sellathurai de trois documents qui contenaient des renseignements privilégiés. À tous autres égards, l’appel est rejeté.

 

 

 

[18]                         Il ressort à l’évidence du paragraphe 60 des motifs de notre Cour qu’elle n’avait tiré aucune conclusion sur la question de savoir si l’équité appelait la nomination d’un amicus curiae, s’il y avait lieu de réduire l’étendue des caviardages ou s’il convenait d’autoriser l’avocate de M. Sellathurai à faire un usage limité des renseignements protégés par le privilège de sécurité nationale. La mission de répondre à toutes ces questions était déférée au juge chargé du nouvel examen.

 

[19]                         C’est la juge Snider qui a effectué le nouvel examen ordonné, à la suite duquel elle a rendu le 13 janvier 2012 une ordonnance interdisant toute communication à M. Sellathurai, et tout usage par lui, des renseignements caviardés.

 

[20]                         La juge Snider n’a pas exposé de motifs distinct à l’appui de son ordonnance. Elle a cependant formulé, dans l’ordonnance même, la conclusion que les principes de l’équité procédurale n’appelaient pas la reddition d’une mesure en conséquence de la communication accidentelle des renseignements privilégiés. Elle y a aussi précisé qu’elle avait examiné les documents contestés dans leur version non expurgée, ainsi que l’affidavit produit par la Couronne touchant les passages censurés, et qu’elle avait pris en considération les facteurs suivants :

a)             L’avocate de M. Sellathurai aurait beaucoup de mal à se rappeler le contenu des passages supprimés, qu’elle avait lus il y avait déjà un certain temps.

b)             À la nouvelle audience, l’avocate de M. Sellathurai n’a fait aucune observation au sujet de l’équité, mais a plutôt concentré son argumentation sur les raisons pour lesquelles certains des passages caviardés ne devraient pas être protégés par le privilège fondé sur la sécurité nationale.

c)             À la première audience de la requête, le moyen relatif à l’équité avancé au nom de M. Sellathurai était que l’examen des documents contestés dans leur version expurgée donne une impression déformée des faits qui lui sont reprochés.

d)            Or, il se dégage la même impression des versions expurgée et non expurgée. Les passages caviardés ne révélaient que des détails. La non-communication du contenu de ces passages à M. Sellathurai ne l’empêche pas de savoir quels faits on lui reproche ni de prendre des conclusions complètes dans le cadre du contrôle judiciaire.

 

[21]                         M. Sellathurai interjette maintenant appel de l’ordonnance de la juge Snider en date du 13 janvier 2012. Ses moyens sont les suivants : a) la juge Snider aurait dû prendre en considération et analyser ses conclusions tendant à la réduction des caviardages; b) la juge Snider a commis une erreur en concluant que l’équité n’appelait pas la communication des passages caviardés ni la possibilité pour M. Sellathurai d’en faire un usage limité; c) la juge Snider a commis une erreur en n’accordant pas à M. Sellathurai une sanction adéquate au titre des suppressions.

 

[22]                         L’avocate de M. Sellathurai soutient que l’ordonnance dont il est fait appel est radicalement viciée au motif que la juge Snider pensait que les documents contestés étaient pertinents quant à la demande en contrôle judiciaire en instance devant la Cour fédérale (visant la décision par laquelle la Section de l’immigration a refusé d’ajourner la seconde étape de l’enquête), alors qu’en fait ils le sont quant à la demande de dispense ministérielle présentée par l’appelant en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Selon cette dernière voie de recours, le ministre doit établir s’il est convaincu que la présence de M. Sellathurai au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Je retiens à l’argument portant que les allégations de liens actuels ou antérieurs entre M. Sellathurai et les TLET retiendront l’attention du ministre au moment de l’examen de cette question.

 

[23]                         C’est à bon droit que soutient l’avocate de M. Sellathurai que la juge Snider s’est trompée sur la nature de la procédure dans le cadre de laquelle les documents contestés ont été communiqués à M. Sellathurai. Cependant, cette erreur n’est pas à mon sens d’une gravité suffisante pour justifier l’intervention de notre Cour. La raison en est que, selon mon interprétation de l’ordonnance dont il est fait appel, la juge Snider a bien compris le point crucial touchant la pertinence éventuelle des documents contestés, à savoir qu’ils concernent le fondement des allégations de l’ASFC visant les liens de M. Sellathurai avec les TLET ou sa participation à leurs activités. C’est ce qui explique qu’elle ait pris soin d’examiner le point de savoir si la capacité de M. Sellathurai à contester [TRADUCTION] « les faits qu’on lui reproche » – elle entend par là, à ce que je crois comprendre, ses liens supposés avec les TLET ou sa participation supposée à leurs activités – serait entravée si on lui interdisait d’utiliser le contenu des passages censurés.

 

[24]                         Mes collègues et moi avons examiné, comme la juge Snider l’a fait, les versions expurgée et non expurgée des documents contestés. Je conclus de cet examen qu’il était raisonnablement permis à la juge Snider de constater que les deux versions donnent en substance la même idée des rapports entre M. Sellathurai et les TLET, tels que perçus par le SCRS. De même, je conclus que la juge Snider pouvait raisonnablement conclure que les passages caviardés ne contiennent que des détails relatifs à des allégations déjà connues de M. Sellathurai, et que celui‑ci, en dépit de ces suppressions, est informé ou devrait être informé, pour l’essentiel, des faits qu’on lui reproche.

 

[25]                         J’ai pris en considération les observations présentées sous pli scellé par l’avocate de M. Sellathurai, selon lesquelles la Couronne a déjà communiqué certains des faits exposés ou mentionnés dans les passages censurés, puisqu’ils faisaient partie des preuves qu’elle a produites à l’audience tenue devant la Section de l’immigration le 19 mai 1999. Ces preuves se rapportent aux questions de savoir si M. Sellathurai avait levé des fonds pour les TLET, s’il avait participé à l’achat d’un jouet à télécommande et s’il avait joué un rôle dans une émission de radio pour le Mouvement mondial des Tamouls. Bien qu’elle n’ait pas explicitement fait référence à ces observations scellées, la juge Snider a déclaré avoir pris en considération toutes les observations et conclusions des parties. Je dois supposer qu’elle l’a fait, puisqu’il n’y a aucune raison de conclure le contraire. J’en déduis qu’elle a estimé que ces observations scellées ne justifiaient pas qu’elle ordonne la modification d’une manière quelconque, des suppressions des documents contestés. À mon sens, il lui était raisonnablement permis de tirer cette conclusion au vu du dossier.

 

[26]                         Je ne vois aucune erreur de droit ou de principe dans la conclusion de la juge Snider selon laquelle l’équité n’exige pas de nouvelle communication des passages caviardés des documents contestés, ni dans sa conclusion que l’équité n’exige pas non plus qu’on autorise M. Sellathurai à faire un usage limité des renseignements contenus dans ces passages. Et comme ces conclusions ne laissent aucun rôle à jouer à un éventuel amicus curiae, il s’ensuit que la juge Snider n’a pas commis d’erreur en refusant d’en nommer un.

 

[27]                         J’ajouterai, au sujet de la demande de dispense ministérielle de M. Sellathurai, qu’il lui a toujours été et lui reste loisible, malgré les suppressions opérées dans les documents contestés, de présenter au ministre des éléments d’appréciation et des observations touchant n’importe quel fait dont il est possible d’établir qu’il a été divulgué dans le cadre de l’instance portée devant la Section de l’immigration. Il se pourrait qu’à un moment donné la Couronne soit amenée à envisager de prendre des mesures à cet égard sous le régime de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5, mais cette question ne se pose pas dans le présent appel. 

 

[28]                         Par ces motifs, je rejetterais le présent appel.

 

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

          Eleanor R. Dawson j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

          Johanne Trudel j.c.a.»

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A‑33‑12

 

APPEL DE L’ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA PRONONCÉE PAR MADAME LA JUGE SNIDER LE 13 JANVIER 2012 DANS LE DOSSIER NO IMM‑152‑09

 

INTITULÉ :                                                          CHANTHIRAKUMAR SELLATHURAI c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 Le 22 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                               LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                            LA JUGE DAWSON

                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                         Le 19 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

POUR L’APPELANT

 

Gregory G. George 

Ada Mok

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman, Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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