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Date : 20121121

Dossier : A-92-12

Référence : 2012 CAF 306

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

MORGUARD CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 20 novembre 2012

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 21 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                              LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         LE JUGE EVANS

LE JUGE STRATAS


Date : 20121121

Dossier : A-92-12

Référence : 2012 CAF 306

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

MORGUARD CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt par laquelle le juge Boyle a rejeté l’appel de Morguard Corporation interjeté relativement à une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) pour l’année d’imposition 2000 (2012 CCI 55).

 

[2]               Les faits sont bien exposés et le sont de façon exhaustive dans les motifs du jugement du juge Boyle. Pour les besoins du présent appel, il suffit de rappeler les faits.

[3]               En 1997, Morguard a commencé à mettre en œuvre une stratégie d’entreprise, soit acquérir des participations majoritaires dans des sociétés immobilières. Pour réaliser sa stratégie, elle a effectué un certain nombre d’opérations. Elle a notamment acquis en 1998 une participation de 19,2 p. 100 dans Acanthus Real Estate Corporation. En juin 2000, elle a présenté une offre publique d’achat dans le cadre de laquelle elle cherchait à faire l’acquisition de toutes les actions d’Acanthus qu’elle ne possédait pas déjà. L’offre avait été précédée de négociations avec les administrateurs d’Acanthus qui avaient donné lieu à une entente antérieure à l’acquisition selon laquelle les administrateurs appuieraient une offre de Morguard à 8,25 $ l’action et verseraient à Morguard des frais de rupture de 4,7 millions de dollars si une offre concurrente non sollicitée était présentée et si les administrateurs d’Acanthus retiraient leur appui à l’offre de Morguard.

 

[4]               Une offre concurrente a été présentée au prix de 8,50 $ l’action. Les administrateurs d’Acanthus ont retiré leur appui à l’offre de Morguard et ont versé des frais de rupture de 4,7 millions de dollars. Morguard a amélioré son offre à 9 $ l’action et l’entente antérieure à l’acquisition a été modifiée afin de porter les frais de rupture à 7,7 millions de dollars. Cependant, l’offre concurrente a été augmentée à 9,30 $ l’action puis, par suite de négociations avec Morguard, à 9,40 $ l’action. Morguard a décidé de ne pas augmenter davantage le prix qu’elle offrait.

 

[5]               Les administrateurs d’Acanthus ont accepté l’offre concurrente de 9,40 $. À ce moment-là, Acanthus était tenue de verser à Morguard les frais de rupture supplémentaires de 3 millions de dollars; ce paiement a été effectué en juillet 2000. Morguard, qui détenait maintenant 19,9 p. 100 des actions d’Acanthus, a accepté l’offre concurrente et a réalisé un gain en capital de quelque 4,8 millions de dollars à la vente des actions qu’elle détenait dans Acanthus.

 

[6]               À l’exception de ses actions d’Acanthus, Morguard n’avait jamais vendu une de ses participations dans des sociétés immobilières. Jusqu’à l’instruction de l’affaire devant la Cour de l’impôt, elle n’avait jamais reçu de sommes au titre de frais de rupture.

 

[7]               Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2000, Morguard a déclaré un gain en capital imposable sur la vente de ses actions d’Acanthus. Elle a aussi déclaré comme gain en capital une somme de 7,7 millions de dollars reçue au titre de frais de rupture, moins des dépenses relatives à l’offre qui se chiffraient à quelque 1,8 million de dollars. Le gain en capital imposable déclaré (2/3 du gain) s’établissait à quelque 4 millions de dollars.

 

[8]               Devant la Cour, l’avocat de Morguard a reconnu, à bon droit à mon avis, que la somme équivalant aux frais de rupture n’avait pas été reçue comme produit de la disposition de biens en immobilisation. Par conséquent, aux fins de l’impôt sur le revenu, il ne s’agit ni d’un revenu ni d’une rentrée de capital non imposable. En passant, je souligne que les modifications de 2006 apportées à la définition de l’expression « montant cumulatif des immobilisations admissibles » au paragraphe 14(5) de Loi de l’impôt sur le revenu peuvent inclure toute somme reçue au titre du compte de capital pour une entreprise. Cependant, cette modification n’était pas encore en vigueur en 2000 lorsque Morguard a reçu la somme équivalant aux frais de rupture en cause.

 

[9]               En 2005, le ministre a établi une nouvelle cotisation de la déclaration de revenus de Morguard pour éliminer le gain en capital imposable relatif aux frais de rupture de 7,7 millions de dollars et le remplacer par l’inclusion au revenu d’une somme de 7,7 millions de dollars, moins les frais déclarés relatifs à l’offre. L’augmentation nette du revenu de Morguard s’établissait donc à quelque 1,9 million de dollars. Morguard a interjeté appel devant la Cour de l’impôt, qui l’a déboutée, et elle interjette maintenant devant la Cour.

 

[10]           Le juge Boyle a tenu pour avéré que les frais de rupture avaient été payés en vertu d’une entente négociée par Morguard relativement à son acquisition potentielle d’Acanthus, que Morguard effectuait cette acquisition conformément à sa stratégie d’entreprise déjà établie et dans le cours de l’exploitation de son entreprise habituelle et que la réception des frais de rupture était une conséquence normale et prévisible découlant de ses activités commerciales. Selon la preuve qui lui avait été soumise, il était loisible au juge Boyle de tirer ces conclusions de fait. D’ailleurs, ces conclusions de fait n’ont pas été contestées par Morguard dans le présent appel.

 

[11]           L’appel de Morguard est fondé principalement sur les remarques du juge Boyle dans ses motifs selon lesquelles Morguard « s’occupait essentiellement d’acquisitions » (paragraphe 45). Morguard soutient que cet énoncé est erroné en droit parce qu’il n’est pas conforme aux conclusions de l’arrêt Neonex International Ltd. c. Canada (1978), 22 N.R. 284, [1978] CCI 485, 89 D.T.C. 6339 (CAF). Selon Morguard, il a été établi dans l’arrêt Neonex que l’acquisition de biens en immobilisation ne constitue pas, et ne peut pas, en droit, constituer une entreprise en soi.

 

[12]           La société Neonex se livrait au commerce des enseignes lumineuses et des panneaux publicitaires. Pendant une période relativement brève, elle avait aussi effectué l’acquisition de plus de 60 sociétés auxquelles elle offrait des services de gestion et de financement sous forme de prêts. Neonex avait engagé des frais juridiques dans le cadre d’une tentative infructueuse d’acquérir une certaine société. La Cour a soutenu que les frais juridiques n’étaient pas déductibles parce qu’ils constituaient « des dépenses de capital ». Morguard s’appuie particulièrement sur le passage suivant de Neonex relatif à cette question (page 6346, D.T.C.) (non souligné dans l’original) :

Dans son mémoire, l’avocat de [Neonex] avance l’argumentation suivante :

 

[TRADUCTION] Dans le cours de ses activités commerciales [d’acquisition de sociétés, Neonex] a subi des dépenses de personnel, de déplacement, de consultation juridique et d’expertise comptable en vue de gagner un revenu tiré de son entreprise et de ses biens. De par sa nature de « conglomérat », [Neonex] courait toujours le risque inévitable de voir ses initiatives échouer, soit parce que les compagnies visées ne convenaient pas pour ses desseins ou étaient impossibles à obtenir à des conditions acceptables pour le vendeur et pour l’acheteur, soit parce que [Neonex] et d’autres parties à l’opération ne pouvaient, pour une raison ou pour une autre, s’exécuter comme convenu. Elle courait aussi le risque inévitable, bien que rare dans la pratique, de se voir prendre dans des actions en justice portant sur les droits et les obligations assumés ou acquis dans le cours de ses activités commerciales. Les dépenses subies dans ces circonstances étaient nécessaires à la conduite de[s] affaires [de Neonex], donc déductibles de son revenu imposable […]

Le même argument a été soutenu devant le savant juge de première instance, lequel n’a pu admettre que la constitution d’un portefeuille pût se qualifier d’entreprise. Il a conclu au contraire que l’entreprise de [Neonex] consistait à fabriquer et à vendre des enseignes, ainsi qu’à fournir des services de gestion et des fonds aux compagnies dans lesquelles elle avait acquis une participation majoritaire. À ses yeux, l’achat d’actions ne constitue pas en soi une entreprise mais, dans chaque cas, un placement fait en vue de gagner un revenu. [Neonex] est d’accord sur ce point si l’on en juge par le passage de son mémoire cité ci-dessus.

 

Je souscris entièrement à cette conclusion. Je conviens aussi avec le juge de première instance que les dépenses dont s’agit (dépenses subies dans la tentative de mainmise et dans la demande d’indemnité en remplacement des actions) étaient des dépenses de placement, donc imputables sur le compte capital.

 

 

 

[13]           Selon ma compréhension de l’arrêt Neonex, la Cour a accepté la conclusion du juge de première instance selon laquelle Neonex n’exploitait pas une entreprise consistant en l’acquisition d’actifs productifs de revenu. Je n’en déduis pas que la Cour a établi une règle de droit selon laquelle l’acquisition d’actifs productifs de revenu ne peut jamais constituer une entreprise en soi.

 

[14]           Morguard s’appuie aussi sur l’arrêt Firestone c. Canada, [1987] 3 F.C. 200 (CAF). Dans cet arrêt, la Cour a soutenu que les frais assumés par M. Firestone relativement à une cinquantaine de démarches visant l’acquisition de sociétés de fabrication de taille moyenne en difficulté financière, dans le but de leur faire retrouver la rentabilité, n’étaient pas déductibles. Il n’avait pas fait l’acquisition de la plupart des sociétés visées par ces démarches. Les faits dans cette affaire n’avaient pas été jugés différents de ceux qui avaient été examinés dans Neonex et, par conséquent, les frais relatifs aux démarches avaient été jugés non déductibles parce qu’il s’agissait de dépenses en capital. À mon avis, l’arrêt Firestone n’établit pas le principe juridique selon lequel l’acquisition d’actifs productifs de revenu ne peut jamais être considérée comme une entreprise en soi.

 

[15]           La conclusion selon laquelle Morguard a reçu les frais de rupture au titre du compte de produits est conforme aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 RCS 196, la principale décision sur laquelle le juge Boyle s’est appuyé. Comme le juge Boyle, j’estime que cette décision est l’arrêt qui fait autorité quant à la définition des rentrées de fonds exceptionnelles ou inhabituelles dans le contexte commercial (voir ses motifs, au paragraphe 40).

 

[16]           Morguard allègue que le juge Boyle a appliqué de façon erronée les principes énoncés dans l’arrêt Ikea parce que l’issue dans Ikea était fondée sur une conclusion de fait selon laquelle le paiement en cause était un remboursement de loyer (une dépense au titre du compte de produits) et qu’en l’espèce il n’y a pas de conclusion analogue. Selon mon interprétation, l’arrêt Ikea n’est pas fondé uniquement sur la conclusion selon laquelle, en termes commerciaux, la réception d’un paiement d’incitation à la location peut être associée à un loyer plus élevé. Le critère appliqué dans Ikea comportait l’examen de bon nombre de facteurs, notamment l’objet commercial du paiement et ses liens avec les activités commerciales du bénéficiaire.

 

[17]           Il s’agissait dans Ikea d’établir si un paiement d’incitation à la location reçu relativement à la location à long terme de locaux commerciaux l’avait été au titre du compte de produits ou au titre du compte de capital. Il a été établi qu’il s’agissait d’une rentrée de fonds parce que, selon les faits établis par le juge de première instance, le paiement avait été reçu dans le cadre des activités commerciales ordinaires d’Ikea et qu’il était inextricablement lié à ces activités, même s’il avait été reçu par suite de négociations en vue de conclure un bail à long terme qui constituait un bien en capital.

 

[18]           À mon avis, le juge Boyle n’a pas commis d’erreur de droit dans sa compréhension ou son application de l’arrêt Ikea. Plus précisément, il n’a commis aucune erreur en appliquant le critère relatif à l’établissement d’un lien énoncé dans Ikea. Vu les faits constatés par le juge, il lui était loisible de conclure que Morguard avait reçu les frais de rupture au titre du compte de produits.

 

[19]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

K. Sharlow

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

            John M. Evans j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            David Stratas j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-92-12

 

(APPEL DU JUGEMENT DU JUGE BOYLE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 24 FÉVRIER 2012)

 

INTITULÉ :                                                                          MORGUARD CORPORATION c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 LE 20 NOVEMBRE 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE EVANS

                                                                                                LE JUGE STRATAS

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                                         LE 21 NOVEMBRE 2012

 

COMPARUTIONS :

Clifford Rand,

David Mulna,

Christopher Slade

 

POUR L’APPELANTE

 

Elizabeth Chasson,

John Grant,

Ernesto Caceres

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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