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Date : 20121207

Dossier : A-489-11

Référence : 2012 CAF 326

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE GAUTHIER                  

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

NEIL SMITH

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE EVANS

                                                                                                                               LE JUGE WEBB

 

 



Date : 20121207

Dossier : A-489-11

Référence : 2012 CAF 326

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE GAUTHIER                  

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

NEIL SMITH

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

 

[1]               La Cour est saisie de l’appel de la décision de la Cour fédérale (2011 CF 1401 – Smith (CF)) par laquelle le juge Hughes (le juge de première instance) a fait droit à une demande de contrôle judiciaire visant une décision (2010 TDFP 0022 Smith (TDFP)) du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le TDFP). Dans cette décision, le TDFP avait rejeté, pour défaut de compétence, la plainte formulée par Neil Smith (l’intimé).

 

[2]               Le TDFP a estimé qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte présentée par l’intimé parce qu’elle ne portait ni sur une nomination, ni sur une révocation au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la LEFP). Le juge de première instance a estimé que cette décision était déraisonnable.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel.

 

Les faits

[4]               L’intimé est entré à la fonction publique en 2003 en tant que maître‑chien (PM‑02) pour l’Agence canadienne de l’inspection des aliments (ACIA). À l’époque, il était chargé de travailler avec une chienne appelée Bella.

 

[5]               En décembre de la même année, l’intimé a été muté à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui venait d’être créée, à un poste de même titre et de même niveau.

 

[6]               En 2005, le poste de l’intimé a été supprimé et ses fonctions de maître‑chien ont été intégrées à la nouvelle description de travail d’agent des services frontaliers – douanes (ASF) : dans un addenda d’une page, ces fonctions étaient décrites. Les ASF ont été classés au niveau PM-03. L’intimé s’est vu offrir une nomination pour une période indéterminée à un poste d’ASF. Il a accepté l’offre après que l’ASFC l’eut assuré qu’il n’aurait pas à renoncer à ses fonctions de maître‑chien.

 

[7]               En janvier 2007, au terme d’un exercice de conversion de la classification, l’ASFC a présenté une nouvelle description de travail pour le poste d’ASF (FB‑03). Celle‑ci comprenait deux références précises aux fonctions de maître‑chien.

 

[8]               Entre octobre 2006 et janvier 2007, l’intimé a pris congé, et un autre ASF a assumé les fonctions de maître‑chien auprès de Bella. Lorsqu’il est revenu au travail en janvier 2007, l’intimé a occupé les fonctions d’ASF à un point d’entrée et a repris ses fonctions de maître-chien en septembre 2007.

 

[9]               En avril 2009, Bella a été mise à la retraite. En mai 2009, l’intimé a reçu une lettre du chef des opérations de l’ASFC expliquant qu’à la suite du processus de conversion, l’ASFC considérait les fonctions de maître‑chien comme une affectation à des fonctions dans le cadre de la description de travail d’ASF. La lettre informait l’intimé qu’il avait été décidé que les fonctions de maître‑chien seraient exercées à tour de rôle par différents ASF en fonction des facteurs suivants : répartition équitable des possibilités de carrière, objectifs de carrière des employés, durée du service à titre de maître‑chien et expérience globale au sein du district.

 

[10]           Peu de temps après, l’ASFC a annoncé une « possibilité d’affectation » pour un poste de maître‑chien auprès d’un chien détecteur de produits alimentaires, végétaux et animaux. La date de clôture était en juin 2009. Étaient admissibles uniquement les ASF (FB-03) désignés occupant un poste à durée indéterminée à Ottawa qui devaient suivre un cours de présélection de deux jours sur les chiens détecteurs et une formation de dix semaines avec un nouveau chien. L’intimé n’a pas postulé étant donné qu’il ne croyait pas que sa candidature serait examinée. Sur sept candidats, un a été retenu et a été affecté aux fonctions de maître‑chien avec un nouveau chien détecteur.

 

[11]           L’intimé a porté plainte en juin 2009 devant le TDFP, faisant valoir qu’il y avait eu une nomination ou une révocation, ou les deux, au sens de l’article 74 et du paragraphe 77(1) de la LEPF. Il a également déposé un grief au sujet des mêmes faits. Le règlement définitif de ce grief est en suspens en attendant qu’une décision définitive soit rendue au sujet de la demande de contrôle judiciaire de l’intimé.

 

Décision du TDFP

[12]           Au terme d’une audience de trois jours au cours de laquelle il a entendu cinq témoins, le TDFP a prononcé une décision de 11 pages dans laquelle il a exposé les faits à l’origine de la plainte, dont ceux sur lesquels l’intimé a insisté à l’audience qui s’est déroulée devant nous, comme la teneur de l’annonce relative à la « possibilité d’affectation » à un poste de maître‑chien auprès d’un chien détecteur (dossier d’appel, vol. II, page 169) et les dix semaines de formation que devait suivre le candidat qui serait retenu (Smith (TDFP)), au paragraphe 13). Le TDFP a exposé la thèse respective du plaignant et de l’ASFC (Smith (TDFP)), aux paragraphes 17 à 28), avant de rejeter la plainte, pour défaut de compétence. Le TDFP a jugé que, compte tenu des circonstances de l’affaire, les faits ne permettaient pas de conclure qu’il y avait eu nomination ou révocation.

 

[13]           Dans son analyse, le TDFP a reconnu qu’il devait suivre, pour rendre sa décision, la démarche en trois étapes proposée dans les arrêts Canada c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489 (arrêt Brault), et Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503 (arrêt Doré). Le passage clé concernant l’arrêt Brault est le paragraphe 43. Le voici :

Ainsi, pour en revenir aux trois aspects de la question tels qu’ils ont été énoncés par la Cour suprême dans la décision Brault, aucune nouvelle fonction n’a été créée quand Mme Simoneau a été appelée à exercer d’autres fonctions existantes du poste d’ASF. En ce qui a trait aux deuxième et troisième aspects du critère (c’est‑à‑dire la nécessité de posséder des qualifications supplémentaires et la sélection d’une personne possédant ces qualifications), le Tribunal conclut que, dans les circonstances en l’espèce, la formation reçue par Mme Simoneau et sa sélection ne permettent pas de conclure qu’il y a eu nomination. Mme Simoneau a été évaluée et formée pour être préparée à assumer les fonctions précisées dans sa description de travail. La durée de la formation et les évaluations menées ne peuvent pas être examinées séparément, sans tenir compte de la description de travail.

 

 

 

[14]           Le TDFP a également établi une distinction entre les faits de l’affaire Doré et ceux de la présente affaire en expliquant qu’en l’espèce, l’ASF qui avait reçu une formation comme maître-chien n’avait pas été affectée à un nouveau poste, mais s’était vue confier des fonctions qui faisaient déjà partie de la description de travail du poste qu’elle occupait auparavant (Smith (TDFP) aux paragraphes 44 et 45).

 

[15]           Le TDFP a également rejeté l’idée qu’il y avait eu révocation de la nomination de l’intimé. Il a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que l’administrateur général ou la Commission de la fonction publique avaient révoqué sa nomination (Smith (TDFP) au paragraphe 51).

 

Décision de la Cour fédérale

[16]           Le juge de première instance a estimé que la conclusion du TDFP selon laquelle il n’avait pas compétence était déraisonnable compte tenu des principes articulés dans les arrêts Doré et Brault au sujet de ce qui constitue ou non une « nomination ». Il a estimé que les principes énoncés dans les arrêts Doré et Brault étaient toujours pertinents, même s’ils avaient été élaborés au regard d’une version plus ancienne de la loi (Smith (CF), au paragraphe 31). Citant l’arrêt Doré de la Cour suprême, il a expliqué que l’analyse devait être axée sur ce que le Ministère avait objectivement fait, et non ce qu’il avait l’intention de faire ou sur l’interprétation qu’il en avait (Smith (CF), au paragraphe 32). Il a conclu que le Tribunal n’avait pas considéré l’affaire du point de vue de l’intimé, mais uniquement du point de vue de l’ASFC (Smith (CF), au paragraphe 30).

 

[17]           Se fondant sur l’arrêt Baur c. Canada (Procureur général), 2004 CF 725, au paragraphe 47, le juge de première instance a estimé que le TDFP avait commis une erreur en ne tenant pas compte de « la totalité des circonstances » portées à sa connaissance et que, par conséquent, sa décision était déraisonnable. Il a conclu ceci, au paragraphe 35 :

[Le TDFP] n’a considéré qu’un point de vue, celui de l’ASFC, et n’a pas tenu compte de celui de M. Smith. En conséquence, sa décision était déraisonnable. Un tribunal administratif devrait reconnaître sa compétence de manière impartiale et transparente. La compétence sert à quelque chose; le Tribunal devrait accepter son mandat et instruire les plaintes comme celle de M. Smith.

 

Analyse

[18]           Les parties s’entendent pour dire que le rôle d’une cour d’appel chargée d’effectuer la révision d’une décision relative à une demande de contrôle judiciaire consiste à se demander si la juridiction inférieure a arrêté la norme de contrôle appropriée et l’a correctement appliquée (Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31 aux paragraphes 13 et 14; Agence du Revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23 au paragraphe 19; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286 au paragraphe 28).

 

[19]           L’intimé a confirmé que la question en litige dans la présente affaire était de savoir si le TDFP avait correctement appliqué aux faits de l’espèce le critère juridique qu’il avait arrêté. Par conséquent, le juge de première instance a retenu la norme de la décision raisonnable comme norme applicable ((Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 30 à 33 (Alberta Teachers); Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64 (arrêt Kane)).

 

[20]           La Cour est appelée à décider si le juge de première instance a correctement appliqué la norme de la décision raisonnable en concluant que le TDFP avait commis une erreur en établissant une distinction avec les affaires Doré et Brault et en ne tenant pas compte du point de vue de l’intimé. À mon avis, la décision du TDFP n’est pas déraisonnable. Je constate toutefois que le juge de première instance n’a pas pu bénéficier, lorsqu’il a rédigé sa décision, des indications données par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Alberta Teachers, précité, et Newfoundland and Labrador Nurses Union c. Newfoundland and Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62, et, encore plus récemment, dans les arrêts Kane, précité, et Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65.

 

[21]           S’en tenant à des éléments de preuve précis, l’intimé a fait valoir que la conclusion du TDFP n’appartenait pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[22]           Je suis toutefois d’avis que le TDFP a de toute évidence tenu compte de la jurisprudence pertinente et qu’il a soupesé les facteurs appropriés. Il n’a pas dit que, dès lors qu’une attribution ou une fonction faisait déjà partie d’une description de travail, le critère de l’arrêt Brault ne peut pas être respecté; il a plutôt limité sa décision aux faits qui lui étaient soumis.

 

[23]           Dans l’arrêt Brault, le juge Le Dain a, au nom de la Cour suprême du Canada, présenté la question soumise à la Cour en expliquant, au paragraphe 1, qu’il s’agissait de savoir « si la création de fonctions ou d'obligations additionnelles relativement à un poste de la Fonction publique du Canada, qui exigent des qualifications supplémentaires et la sélection d'une personne possédant ces qualifications, équivaut à la création d'un nouveau poste » (non souligné dans l’original).

 

[24]           En conséquence, étant donné que la description de travail de l’ASF comprenait les fonctions de maître-chien essentiellement depuis 2005, il était à mon avis raisonnablement loisible au TDFP d’établir une distinction entre les faits portés à sa connaissance et ceux de l’affaire Brault. Comme il a déjà été mentionné, la personne qui venait de recevoir une formation et l’intimé travaillaient comme ASF depuis plusieurs années avant que la plainte en cause ne soit déposée. L’intimé s’est acquitté de ses fonctions d’ASF sans agir comme maître-chien pendant une assez longue période en 2007 et un autre ASF s’est chargé des fonctions de maître-chien auprès du même chien pendant le congé de l’intimé. Ainsi, même si la distinction que le TDFP fait peut sembler aux yeux de certains trop formaliste, il m’est tout simplement impossible de voir comment on pourrait conclure que la décision n’appartient pas aux issues acceptables.

 

[25]           De plus, je ne suis pas convaincue, à la lecture de ses motifs, que le TDFP n’a pas tenu compte de la totalité des circonstances pertinentes et qu’il a notamment omis de considérer l’affaire du point de vue de M. Smith.

 

[26]           Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que la question de savoir s’il y a eu une nomination ou une révocation serait « susceptible de susciter un désaccord raisonnable parmi des gens raisonnables » (arrêt Kane, au paragraphe 10).

 

[27]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel et annulerais la décision de la Cour fédérale. Je n’adjugerais de dépens ni devant notre Cour ni devant les juridictions inférieures.

 

 

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

         John H. Evans, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord.

            Wyman W. Webb, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-489-11

 

INTITULÉ :                                                                          Procureur général du Canada

                                                                                                c. Neil Smith

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 4 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               La juge Gauthier

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           Le juge Evans

                                                                                                Le juge Webb

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 7 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Desmeules

POUR L’APPELANT

 

 

Andrew Raven

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANT

 

 

 

Raven Cameron Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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