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Date : 20121207

 

Dossier : A‑90‑12

 

Référence : 2012 CAF 325

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

ERIK FEIMI

appelant

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 novembre 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Date : 20121207

Dossier : A‑90‑12

Référence : 2012 CAF 325

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

ERIK FEIMI

appelant

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               La Cour statue sur l’appel interjeté par Erik Feimi, un ressortissant de l’Albanie, d’une décision de la Cour fédérale (2012 CF 262) par laquelle le juge Martineau (le juge de première instance) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision rendue le 26 juillet 2011 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR).

 

[2]               Dans cette décision, la SPR avait rejeté la demande d’asile de M. Feimi au motif qu’il était exclu de la définition de réfugié par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention), qui a été incorporé en droit interne canadien par l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Comme M. Feimi avait été reconnu coupable en Grèce en 1997 d’avoir commis un meurtre dans un accès de colère, la SPR a estimé qu’il existait des motifs sérieux de considérer qu’il avait commis un « crime grave de droit commun » au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

[3]               La Cour a instruit le présent appel après le prononcé de l’arrêt Febles c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (no du greffe A‑379‑11). Les questions en litige dans ces deux affaires se recoupent dans une large mesure, mais pas complètement. La question suivante se situe au cœur du litige dans les deux affaires : la réadaptation du demandeur d’asile et sa dangerosité actuelle sont‑ils des facteurs dont la SPR peut tenir compte pour déterminer si le crime commis par le demandeur d’asile avant d’arriver au Canada peut être qualifié de « grave » au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention au point de l’exclure du statut de réfugié?

 

[4]               Dans l’arrêt Febles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324 (Febles), la Cour a jugé que la réadaptation et la dangerosité actuelle du demandeur d’asile ne constituaient pas des facteurs pertinents lorsqu’il s’agissait de se prononcer sur l’exclusion du demandeur par application de l’alinéa 1Fb). Une copie des motifs prononcés dans l’arrêt Febles sera versée au dossier de M. Feimi (dossier no A‑90‑12). Il n’est pas nécessaire de répéter ici les motifs qui ont été exposés dans l’arrêt Febles sur les questions communes aux deux affaires ou encore de reproduire de nouveau les dispositions applicables de la LIPR.

 

B.        CONTEXTE FACTUEL

[5]               Un tribunal grec a conclu qu’alors qu’il vivait en Grèce, M. Feimi avait poignardé à mort un autre citoyen albanais au cours d’une altercation au cours de laquelle M. Feimi avait tenté de protéger sa sœur qui se faisait agresser sexuellement par la victime. M. Feimi a été déclaré coupable de meurtre dans un accès de colère, de port d’armes sans permis et d’utilisation illicite d’armes. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 ans et six mois, qu’une cour d’appel grecque a par la suite réduite de 12 mois.

 

[6]               M. Feimi a été libéré le 11 juin 2003 après avoir purgé la moitié de sa peine initiale. Les autorités grecques l’ont reconduit à la frontière albanaise. Lui et les membres de sa famille affirment qu’ils ne pouvaient plus vivre en Albanie parce que l’homicide avait déclenché une vendetta entre leur famille et celle de la victime.

 

[7]               M. Feimi est arrivé au Canada en décembre 2004 et il a demandé l’asile. Il a été déféré à la Section de l’immigration de la CISR. Le 12 avril 2005, il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité et une mesure d’expulsion a été prise contre lui.

 

[8]               Le 1er juin 2005, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), une agence du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, a informé M. Feimi qu’elle cherchait à obtenir l’avis du ministre sur la question de savoir s’il constituait un danger pour le public au Canada. Le 4 janvier 2007, un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le MCI) a refusé de délivrer un avis suivant lequel M. Feimi constituait un danger. M. Feimi pouvait donc présenter une demande d’asile à la SPR (alinéa 101(2)b) de la LIPR).

 

[9]               Le 22 mars 2010, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le MSPPC) a informé le demandeur d’asile de son intention d’intervenir devant la SPR pour faire valoir que celle‑ci devait lui refuser la qualité de réfugié par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention parce qu’il existait des raisons sérieuses de considérer qu’il avait commis un « crime grave de droit commun » avant son arrivée au Canada.

 

C.        DÉCISION DE LA SPR

[10]           Le 26 juillet 2011, la SPR a jugé que le crime dont M. Feimi avait été reconnu coupable en Grèce était l’équivalent de celui d’homicide involontaire coupable. Il s’agit d’un crime présumé « grave » parce que, s’il avait été commis au Canada, il aurait été punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. La SPR a également tenu compte des facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164 (Jayasekara) pour déterminer si le crime commis par M. Feimi était « grave ».

 

[11]           La SPR a conclu que les circonstances entourant la perpétration du crime et le processus judiciaire grec n’étaient pas des facteurs suffisants pour réfuter la présomption de la gravité découlant de la durée de la peine maximale prévue pour l’infraction équivalente au Canada. Ayant conclu que M. Feimi n’avait pas exprimé de remords pour son crime, la SPR n’a pas accepté qu’il s’était réadapté.

 

D.        DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[12]           Pour rejeter la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR présentée par M. Feimi, le juge de première instance a tiré les conclusions suivantes. Premièrement, le MSPPC avait le droit d’intervenir à l’audience de la SPR, même si le MCI avait déjà rejeté une demande d’avis portant que le demandeur d’asile constituait un danger pour le public au Canada, permettant ainsi au demandeur de soumettre sa demande d’asile à la SPR. Deuxièmement, comme la question de la dangerosité du demandeur d’asile n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de savoir s’il est irrecevable à présenter une demande d’asile, la SPR n’a pas commis d’erreur de droit en ne tenant pas compte du fait que M. Feimi n’avait pas récidivé et en n’accordant pas suffisamment d’importance à la question de sa réadaptation et à la question de savoir s’il constituait toujours un danger. Troisièmement, tant au vu du dossier que des facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara, la conclusion de la SPR suivant laquelle il existait des raisons sérieuses de considérer que M. Feimi avait commis un crime grave au sens de l’alinéa 1F b) n’était pas une conclusion déraisonnable.

 

[13]           Le juge de première instance a certifié les questions suivantes en vue d’un appel, conformément à alinéa 74d) de la LIPR :

1.                  Lorsque le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration rejette une demande d’avis de danger présentée par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui relève du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, aux fins d’application de l’alinéa 101(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut‑il demander l’exclusion dans le cadre d’une audience de la Section de protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en se fondant sur la même conduite criminelle que celle sur laquelle repose la demande d’avis de danger de l’Agence des services frontaliers du Canada?

 

2.                  En appliquant la section F, alinéa b), de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, la Section de protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié devrait‑elle considérer :

 

a)      la réadaptation du demandeur du statut de réfugié depuis la perpétration de l’infraction en question?

 

b)     le fait que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a déterminé que le demandeur du statut de réfugié ne constitue pas un danger pour le public au Canada?

 

 

E.        ANALYSE

(i) Norme de contrôle

[14]           La principale question de droit que sous‑tendent les questions certifiées concerne l’interprétation de l’alinéa 1Fb) et, plus particulièrement, la question de savoir si une demande d’asile est irrecevable, par l’application de l’alinéa 1Fb), lorsque l’intéressé qui a commis un crime grave avant d’arriver au Canada s’est réadapté et ne pose plus de danger pour le public. Pour les motifs exposés dans l’arrêt Febles, (aux paragraphes 22 à 25), la norme de contrôle qui s’applique à cette question est celle de la décision correcte.

 

[15]           La seconde question est celle de savoir si, au vu des faits de l’espèce, le MSPPC a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon illicite en intervenant lors de l’audience relative à l’exclusion de M. Feimi pour faire valoir que M. Feimi était irrecevable à présenter une demande d’asile par application de l’alinéa 1Fb). La norme de contrôle applicable à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53 (Dunsmuir). 

 

[16]           Outre les questions certifiées, M. Feimi conteste la conclusion de la SPR suivant laquelle son crime est un crime « grave », même si la SPR n’avait pas l’obligation de se demander s’il constituait encore un danger. La norme applicable lorsque, comme en l’espèce, le droit et les faits « s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés » (Dunsmuir, au paragraphe 53) est celle de la décision raisonnable.

 

[17]           Lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une décision rendue par la Cour fédérale dans une affaire portant sur un contrôle judiciaire en matière de droit administratif, notre Cour joue le même rôle que celui de la Cour fédérale. Elle doit alors se demander si le juge de première instance a arrêté la bonne norme de contrôle et, dans l’affirmative, s’il l’a appliquée correctement (Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, [2006] 3 R.C.F. 610, aux paragraphes 13 et 14; Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23, [2009] 4 C.T.C. 123, aux paragraphes 18 et 19).

 

(ii) Les questions certifiées

Question 1 :    Lorsque le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration rejette une demande d’avis de danger présentée par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui relève du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, aux fins d’application de l’alinéa 101(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut‑il demander l’exclusion dans le cadre d’une audience de la Section de protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en se fondant sur la même conduite criminelle que celle sur laquelle repose la demande d’avis de danger de l’Agence des services frontaliers du Canada?

 

[18]           La dangerosité du demandeur d’asile est l’élément clé de l’avis de danger que le MCI formule en réponse à la demande de l’ASFC en vue de déterminer si une demande d’asile est recevable et peut être soumise à la SPR. Toutefois, la Cour a jugé, dans l’arrêt Febles, que la dangerosité actuelle du demandeur d’asile n’est pas un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est exclu du statut de réfugié par application de l’alinéa 1Fb).

 

[19]           La LIPR n’impose aucune limitation explicite au pouvoir discrétionnaire du MSPPC lorsqu’il souhaite intervenir devant la SPR :

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

[…]

 

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

[…]

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

 

 

(e) must give the person and the Minister a reasonable opportunity to present evidence, question witnesses and make representations;

 

 

 

[20]           L’argument de M. Feimi suivant lequel le MSPPC a mal exercé son pouvoir discrétionnaire pour intervenir à l’audience portant sur la question de l’exclusion repose en grande partie sur le fait que le MCI a refusé de délivrer un avis suivant lequel M. Feimi constituait un danger pour le public au Canada, permettant ainsi à M. Feimi de soumettre sa demande d’asile à la SPR. M. Feimi affirme que le fait que le MCI n’a pas considéré qu’il constituait un danger empêche effectivement le MSPPC d’intervenir devant la SPR pour réclamer son exclusion en invoquant essentiellement les mêmes éléments que ceux en vertu desquels le MCI a refusé de délivrer un avis suivant lequel il constituait un danger.

 

[21]           Je ne suis pas de cet avis. Étant donné que nous avons jugé dans l’arrêt Febles que la dangerosité actuelle ne constitue pas un facteur pertinent lors de l’audience relative à l’exclusion, il n’y a absolument rien qui permet de penser que le refus du MCI de formuler un avis de danger à l’étape de l’examen de la recevabilité de la demande fait en sorte qu’il était déraisonnable de la part du MSPPC d’intervenir lors de l’audience relative à l’exclusion de M. Feimi pour soutenir que le crime commis par ce dernier était grave et que l’alinéa 1Fb) s’appliquait. Les questions qui sont débattues à l’étape de l’examen de la recevabilité et à celle de l’exclusion, lors de l’examen de la demande d’asile, sont distinctes. Ainsi, aucune question d’irrecevabilité ne peut être soulevée même si ce sont les mêmes agissements criminels qui sous‑tendent l’avis de danger formulé à l’étape de l’admissibilité et l’intervention qui a lieu lors de l’audience relative à l’exclusion.

 

[22]           Enfin, la large portée du pouvoir discrétionnaire qui permet au MSPPC d’intervenir devant la SPR impose au demandeur un lourd fardeau lorsqu’il cherche à démontrer que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon déraisonnable. Or, M. Feimi est loin de s’être acquitté de ce fardeau en l’espèce.

 

[23]           Par conséquent, je répondrais par l’affirmative à la question 1.

 

Question 2 :    En appliquant la section F, alinéa b), de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, la Section de protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié devrait‑elle considérer :

 

a)      la réadaptation du demandeur du statut de réfugié depuis la perpétration de l’infraction en question?

 

b)     le fait que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a déterminé que le demandeur du statut de réfugié ne constitue pas un danger pour le public au Canada?

 

 

[24]           L’arrêt Febles répond aux deux volets de cette question. La réadaptation du demandeur d’asile après la perpétration de son crime et sa dangerosité actuelle ne sont pas des considérations pertinentes à l’étape de l’exclusion. En conséquence, le fait que le MCI a refusé, à l’étape de l’examen de la recevabilité de la demande, de délivrer un avis suivant lequel M. Feimi constituait un danger ne tire pas à conséquence à l’étape de l’exclusion.

 

[25]           Se fondant sur l’économie de la LIPR, M. Feimi a fait valoir au sujet de l’interprétation de l’alinéa 1Fb) un argument qui n’avait pas été formulé dans l’affaire Febles. Il a affirmé que, si la dangerosité n’était pas pertinente à l’étape de l’exclusion, la personne qui n’est pas considérée comme constituant un danger à l’étape de l’examen de la recevabilité, mais qui est néanmoins irrecevable à présenter sa demande d’asile par application de l’alinéa 1Fb) se verrait inévitablement accorder la protection à l’étape de l’examen des risques avant le renvoi (ERAR). Cette situation s’explique par le fait que l’article 113 de la LIPR prévoit qu’à l’étape de l’ERAR, le ministre doit évaluer les risques auxquels l’intéressé serait exposé s’il est renvoyé par rapport à ceux que court le public canadien en raison du danger que constitue le demandeur d’asile.

 

[26]           M. Feimi affirme que, comme le MCI a déjà refusé de délivrer un avis de danger, il n’y a rien à évaluer lors de l’ERAR et que la protection doit automatiquement lui être accordée. Il conclut qu’une interprétation de l’alinéa 1Fb) qui priverait l’ERAR de son objet et qui créerait un double emploi administratif inutile et constituerait du gaspillage ne saurait se justifier. Ce problème n’existerait pas selon lui si la SPR tenait compte de la dangerosité actuelle pour déterminer si le demandeur d’asile devrait être exclu du statut de réfugié.

 

[27]           Je ne suis pas d’accord pour dire que le fait d’interpréter l’alinéa 1Fb) de manière à refuser l’asile à une personne qui a commis un crime grave mais qui ne constitue plus un danger est incompatible avec les dispositions de la LIPR relatives à l’ERAR. En premier lieu, le fait pour M. Feimi de présenter une demande de protection dans le cadre d’un ERAR ne serait pas sans objet, parce qu’elle lui offrirait l’occasion de convaincre le MCI qu’il est exposé à certains risques. En second lieu, s’il était démontré que M. Feimi est exposé à des risques, il serait loisible au MCI de se demander s’il constitue un danger pour le public au Canada, compte tenu des renseignements alors connus, et de mettre en balance les risques auxquels il pourrait être exposé s’il était renvoyé du Canada avec le danger qu’il constituerait pour le public s’il n’était pas renvoyé.

 

[28]           Pour ces motifs, et pour ceux qui ont été exposés dans l’arrêt Febles, je répondrais par la négative aux deux volets de la question 2.

 

(iii) La conclusion de la SPR suivant laquelle le crime de M. Feimi était un crime « grave » était‑elle déraisonnable?

[29]           L’argument est le suivant : même si la dangerosité du demandeur d’asile ne constitue pas un facteur pertinent pour déterminer si le crime est « grave » de manière à déclarer le demandeur irrecevable à présenter sa demande d’asile, la SPR a, dans le cas qui nous occupe, appliqué de façon déraisonnable les facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara.

 

[30]           M. Feimi a contesté le raisonnement suivi par la SPR en ce qui concerne certaines des circonstances entourant le crime, ainsi que l’équité du processus suivi devant les tribunaux grecs. Quant aux circonstances entourant la perpétration du crime, M. Feimi se fonde principalement sur ce qu’il affirme être une conclusion erronée tirée par la SPR quant au nombre de coups de couteau qu’il a portés à la victime et sur la confusion de la SPR en ce qui concerne la question de savoir s’il y a eu un ou deux rapports du coroner. Pour démontrer l’iniquité du processus judiciaire grec, M. Feimi affirme qu’il n’a pas eu accès à un interprète au procès et qu’il a été mal représenté.

 

[31]           La question soumise à la SPR était celle de savoir s’il existait des « raisons sérieuses de considérer » que M. Feimi avait commis « un crime grave de droit commun ». Il est acquis aux débats que le crime qu’il a commis était un crime de droit commun et qu’il y avait lieu de présumer qu’il s’agissait d’un crime grave parce que, s’il avait été commis au Canada, le crime équivalent d’homicide involontaire coupable aurait été punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

[32]           Après avoir examiné attentivement le dossier, y compris les motifs de la SPR, le juge de première instance n’était pas convaincu que la décision à l’examen était déraisonnable compte tenu des éléments de preuve dont disposait la SPR ainsi que des facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara.

 

[33]           Pour essentiellement les mêmes motifs que ceux exposés par le juge de première instance, je suis d’avis que l’intervention de notre Cour n’est pas justifiée, et ce, même si certaines parties des motifs de la SPR peuvent être contestées. La conclusion globale tirée par la SPR, compte tenu des éléments dont elle disposait, suivant laquelle il existait des motifs sérieux de considérer que M. Feimi avait commis un crime grave, n’était pas déraisonnable.

 

F.         DÉCISION

[34]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel et de répondre aux questions certifiées de la manière suivante.

 

Question 1 :    Lorsque le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration rejette une demande d’avis de danger présentée par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui relève du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, aux fins d’application de l’alinéa 101(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut‑il demander l’exclusion dans le cadre d’une audience de la Section de protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en se fondant sur la même conduite criminelle que celle sur laquelle repose la demande d’avis de danger de l’Agence des services frontaliers du Canada?

 

Réponse : Oui.

Question 2 :    En appliquant la section F, alinéa b), de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, la Section de protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié devrait‑elle considérer :

 

a)      la réadaptation du demandeur du statut de réfugié depuis la perpétration de l’infraction en question?

 

b)     le fait que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a déterminé que le demandeur du statut de réfugié ne constitue pas un danger pour le public au Canada?

 

            Réponse :       a) Non.

                                    b) Non.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

 

« Je souscris à ces motifs. »

            La juge K. Sharlow, j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs. »

            Le juge David Stratas, j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑90‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  FEIMI c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 décembre 2012

 

 

ONT COMPARU :

 

David Matas

POUR L’APPELANT

 

Sharlene Telles‑Langdon

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR L’APPELANT

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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