Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20120726

Dossier : A‑467‑10

Référence : 2012 CAF 213

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

 

Dr NOËL AYANGMA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard), le 1er février 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                         LA JUGE DAWSON

 


Date : 20120726

Dossier : A‑467‑10

Référence : 2012 CAF 213

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

Dr NOËL AYANGMA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               L’appel vise un jugement, daté du 26 novembre 2010 et répertorié à 2010 CF 1194, par lequel la Cour fédérale (le juge Crampton, maintenant Juge en chef) a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le Dr Ayangma à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne.

 

[2]               Le Dr Ayangma s’est plaint à la Commission qu’il avait été victime, de la part de certains cadres dirigeants de Santé Canada, d’actes discriminatoires sur le fondement de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique et de sa culture, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6. La Commission a mené deux enquêtes et rendu trois décisions dont la plus récente rejetait la plainte sans renvoyer l’affaire au Tribunal canadien des droits de la personne. C’est cette décision qui a fait l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Le Dr Ayangma interjette maintenant appel de la décision de la Cour fédérale devant notre Cour.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’arrive à la conclusion que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant la demande de contrôle judiciaire du Dr Ayangma. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

A.        La plainte : les points en litige

 

[4]               La plainte déposée par le Dr Ayangma devant la Commission portait sur les trois points suivants :

 

●          sa suspension et son congédiement par Santé Canada, y compris des questions liées à une enquête portant sur des demandes de remboursement de frais de déplacement;

 

●          le rejet par Santé Canada de sa candidature à divers postes, à savoir des postes de niveau PM‑05, EX‑01 et EX‑02;

 

●          des actes discriminatoires dont il a été victime pendant qu’il travaillait à Santé Canada, de décembre 1998 au 18 mai 2004. La Commission, par l’intermédiaire de ses enquêteurs, a tenté de préciser ce qu’il en était.

 

(Voir le Formulaire de plainte adressé à la Commission en date du 25 mai 2004.)

 

B.        Dispositions législatives pertinentes

 

[5]               Les plaintes, sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), ne donnent pas forcément toutes lieu à un examen approfondi de la part du Tribunal. La Commission peut rejeter les plaintes qui n’ont aucune chance de succès, ou les renvoyer à un autre organe décisionnel si elles relèvent d’une autre autorité. Les articles 41 et 44, notamment, prévoient ces situations.

 

[6]               Les articles 41 et 44 sont rédigés comme suit :

 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

 

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

(2) La Commission peut refuser d’examiner une plainte de discrimination fondée sur l’alinéa 10a) et dirigée contre un employeur si elle estime que l’objet de la plainte est traité de façon adéquate dans le plan d’équité en matière d’emploi que l’employeur prépare en conformité avec l’article 10 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

 

(3) Au présent article, « employeur » désigne toute personne ou organisation chargée de l’exécution des obligations de l’employeur prévues par la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

 (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

 

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié,

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,

 

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

(4) Après réception du rapport, la Commission :

 

 

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

 

 

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

41 (1) Subject to section 40 [which deals with certain subject‑matter and territorial restrictions not applicable in this case], the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

(2) The Commission may decline to deal with a complaint referred to in paragraph 10(a) in respect of an employer where it is of the opinion that the matter has been adequately dealt with in the employer’s employment equity plan prepared pursuant to section 10 of the Employment Equity Act.

 

 

 

(3) In this section, “employer” means a person who or organization that discharges the obligations of an employer under the Employment Equity Act.

 

 

 (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

 

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

*                                

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

 

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

 

 

[7]               Dans la présente affaire, la Commission a rendu, en vertu des articles 41 et 44 de la Loi, trois décisions distinctes dont il sera question ci‑dessous. Ultimement, la Commission a rejeté la plainte du Dr Ayangma, après avoir conclu qu’aucun des points soulevés ne justifiait un renvoi au Tribunal canadien des droits de la personne.

 

C.        Les positions des parties devant la Cour fédérale et en appel devant notre Cour

 

[8]               Tant devant la Cour fédérale que devant notre Cour, les parties ont convenu que, dans la présente affaire, la Commission avait l’obligation dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en matière d’examen préalable aux articles 41 et 44 de la Loi de faire enquête et de se pencher sur tous les points soulevés dans la plainte du Dr Ayangma et de faire en sorte qu’il bénéficie de l’équité procédurale tout au long du processus.

 

[9]               En première instance et en appel, les parties ne se sont pas entendues sur la question de savoir si la Commission s’était acquittée des obligations susmentionnées compte tenu des faits de la présente affaire. En outre, le Dr Ayangma a contesté de façon générale le caractère raisonnable de la décision de la Commission de rejeter sa plainte.

 

D.        La décision de la Cour fédérale

 

[10]           La Cour fédérale a donné raison à la Commission, en concluant que celle‑ci avait en fin de compte fait enquête et s’était penchée sur tous les points soulevés dans la plainte. Elle a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le Dr Ayangma. Enfin, la Cour fédérale a conclu que la décision de la Commission de rejeter la plainte était raisonnable – cette décision faisant partie des issues acceptables au regard des faits et du droit.

 

E.        Analyse

 

(1)               Introduction

 

[11]           La Commission a traité la plainte du Dr Ayangma en trois étapes, lesquelles ont donné lieu à trois décisions de sa part. Les première et troisième décisions se fondaient sur le rapport d’un enquêteur. La deuxième décision se fondait sur le rapport d’un membre de la Division des services de règlement de la Commission.

 

[12]           Le Dr Ayangma n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l’égard des deux premières décisions de la Commission, mais il a demandé à la Cour fédérale de contrôler la troisième décision de la Commission.

 

[13]           Comme nous le verrons plus loin, pour comprendre la troisième décision de la Commission, il est nécessaire d’examiner le rapport d’enquête sur lequel elle se fondait, ainsi que les décisions et les rapports antérieurs à celle‑ci. L’examen de ces décisions et rapports n’a toutefois pas été une mince tâche. La démarche adoptée par la Commission pour examiner la plainte du Dr Ayangma – soit un examen en plusieurs étapes – a créé beaucoup de confusion. Pis encore, comme nous le verrons plus loin, les décisions et les rapports manquent de précision et les liens entre eux ne sont pas toujours limpides. Cette situation a grandement compliqué la procédure devant la Commission, la demande de contrôle judiciaire soumise à la Cour fédérale et l’appel devant notre Cour. J’en dirai davantage à ce sujet à la fin des présents motifs.

 

[14]           Pour les raisons qui suivent, il m’est impossible de souscrire à certaines des conclusions de la Cour fédérale concernant certains des points sur lesquels ont porté les enquêtes et les décisions de la Commission. Malgré cela et malgré les lacunes de la procédure devant la Commission, je suis d’accord avec le résultat auquel est parvenue la Cour fédérale. Tout comme elle, je suis convaincu que la troisième décision de la Commission – celle visée par le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et par le présent appel – réglait la plainte du Dr Ayangma d’une manière raisonnable et juste. Je suis également convaincu que la troisième décision de la Commission réglait tous les aspects de la plainte du Dr Ayangma. Enfin, tout comme la Cour fédérale, je ne peux conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

 

(2)        La plainte du Dr Ayangma et l’objection initiale de Santé Canada

 

[15]           Le rapport du membre de la Division des services de règlement contient le résumé suivant de la plainte du Dr Ayangma et de l’objection initiale de Santé Canada (aux paragraphes 1 à 3) :

1.         Le plaignant allègue avoir été suspendu sans traitement, avoir été congédié, ne pas avoir obtenu le poste de Directeur, Politique et programmes (EX‑01), et ne pas avoir été promu au poste de Superviseur régional des programmes (PM‑05) (traduction libre) contrairement à ses collègues de race blanche en Alberta.

 

2.         Le 25 mai 2004 le plaignant a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne incluant les allégations suivantes :

 

(1)        que le mis en cause [Santé Canada] l’a traité différemment en cours d’emploi, suspendu sans traitement, puis congédié en raison de sa race, de sa couleur (noire) et de son origine nationale ou ethnique (Cameroun);

 

(2)        qu’en 2000, malgré le fait qu’il aurait eu gain de cause envers la nomination d’une autre personne au poste de Directeur, Politique et programmes (niveau EX‑01), le mis en cause a tout de même nommé cette autre personne dans le poste;

 

(3)        qu’en 2000 et 2002, quand le niveau de poste de ses collègues de race blanche en Alberta a été revu à la hausse de PM‑04 à PM‑05, tous les titulaires, sauf lui, auraient été promus sans concours, alors que le mis en cause a ouvert un concours en mars 2003 pour combler son poste;

 

(4)        que le mis en cause a annulé le concours pour le poste de gestionnaire de niveau PM-05 alors que le plaignant était qualifié pour ce poste et qu’il l’occupait préalablement;

 

(5)        que le mis en cause a modifié la description de tâches dudit poste de PM‑05 pour favoriser une candidate en particulier;

 

(6)        que ladite candidate, une amie du directeur régional, a ainsi obtenu le poste de PM‑05;

 

(7)        que le mis en cause a aussi fait preuve de favoritisme quand son directeur régional a aussi nommé une amie de longue date au poste de gestionnaire de niveau PM‑05 qui aurait dû lui revenir;

 

(8)        qu’en octobre 2003, le mis en cause, par l’intermédiaire de la personne nommée par favoritisme au poste de PM‑05, a débuté une vérification interne de toutes les dépenses de voyage soumises par le plaignant de 1998 à 2003; et

 

(9)        que le 3 décembre 2003, le mis en cause l’a suspendu sans traitement, puis congédié le 7 mai 2004.

 

3.         Lors du dépôt de la plainte, le mis en cause s’est objecté à ce que la Commission statue sur la plainte en indiquant : (1) que le plaignant poursuivait d’autres voies de recours pour les mêmes événements et (2) que certains des événements étaient survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte.

 

 

(3)        La première enquête et la première décision de la Commission

 

[16]           La Commission a chargé un enquêteur de faire enquête sur la plainte du Dr Ayangma. Dans son rapport, cet enquêteur – le premier des deux enquêteurs nommés par la Commission – a constaté que Santé Canada avait soulevé deux objections préliminaires à l’encontre de la plainte du Dr Ayangma (au paragraphe 5) :

5.                  Le mis en cause s’objecte à la tenue de l’enquête parce que le plaignant poursuit d’autres voies de recours au sujet des événements décrits dans celle-ci et parce que certains des événements décrits dans la plainte sont survenus plus d’un an avant le dépôt de celle-ci.                                                                        

 

[17]           En ce qui concerne le délai de prescription, l’enquêteur a constaté que l’alinéa 41(1)e) de la Loi prévoit un délai de prescription d’un an, et que le Dr Ayangma avait signé sa plainte le 18 mai 2004 et l’avait déposée auprès de la Commission le 25 mai 2004.

 

[18]           L’enquêteur a résumé les divers aspects de la plainte du Dr Ayangma, en relevant les dates des événements décrits dans la plainte. Ce résumé montre que bon nombre de ces événements s’étaient produits avant le 25 mai 2003 et devaient être écartés en raison du délai de prescription d’un an (aux paragraphes 1 à 4 du premier rapport d’enquête) :

1.                  Le plaignant est noir et originaire du Cameroun. Il allègue que le mis en cause l’a traité différemment en cours d’emploi, suspendu sans traitement puis congédié en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.

 

2.         Le plaignant allègue que, malgré qu’en 2000 il ait eu gain de cause contre la nomination d’une autre personne au poste de Directeur, Politique et programmes (niveau EX-01), le mis en cause a tout de même nommé cette autre personne à ce poste au lieu du plaignant.

 

3.         Le plaignant allègue que le niveau de son poste et celui de ses collègues de race blanche en Alberta a été revu à la hausse entre 2000 et 2002. Tous les titulaires, sauf lui, auraient été promus sans concours alors que le mis en cause a ouvert, en mars 2003 un concours pour combler son poste. En octobre 2003, le mis en cause a débuté une vérification interne de toutes les dépenses de voyage soumises par le plaignant de 1998 à 2003.

 

4.         Le plaignant allègue que le 3 décembre 2003, le mis en cause l’a suspendu sans traitement puis congédié le 7 mai 2004.

 

[19]           L’enquêteur a conclu que le plaignant avait effectivement tenté de présenter sa plainte concernant le poste EX‑01 dans le délai imparti (au paragraphe 24 du premier rapport d’enquête) :

24.       Selon les dossiers de la Commission, il appert que le plaignant ait tenté de déposer une plainte en 2001, vraisemblablement au moment où il apprît qu’il ne serait pas nommé au poste de niveau EX-01. Cette correspondance a été détruite. Il aurait été invité par le personnel de la Commission, telle qu’était la consigne à l’époque, d’épuiser d’abord les autres recours disponibles. Il semble que c’est ce qu’il fît et, suite aux décisions défavorables des tribunaux, qu’il communiqua à nouveau avec la Commission en janvier 2004 pour déposer la présente plainte qu’il a signé le 18 mai 2004. Le mis en cause n’a pas indiqué que ce délai lui causerait un préjudice au sujet des allégués visant ce concours.

 

[20]           De plus, l’enquêteur a ajouté que certains aspects de la plainte n’étaient pas prescrits et « pourraient être enquêt[és] », si ce n’était des autres voies de recours dont disposait le Dr Ayangma. Il s’agissait des aspects (au paragraphe 26 du premier rapport d’enquête) liés à:

[…] la re-classification des postes de PM‑04 à PM‑05 débutant en mars 2003 dans la région de l’Atlantique, […] l’enquête interne au sujet des frais de voyages du plaignant, […] sa suspension sans traitement et […] son congédiement.

 

 

[21]           Il est difficile de dire pourquoi l’enquêteur a estimé que le volet relatif au concours PM‑05 échappait au délai de prescription d’un an, étant donné que certains des faits sous‑jacents se sont produits plus d’un an avant le dépôt de la plainte. Comme nous le constaterons plus loin, un autre enquêteur a subséquemment conclu différemment sur ce point, estimant que le volet relatif au concours PM‑05 était prescrit.

 

[22]           En ce qui a trait aux autres aspects non résolus de la plainte, l’enquêteur a noté que le Dr Ayangma « n’a pas fourni de motifs pour avoir tardé à les porter à l’attention de la Commission ». Il a donc considéré que ces aspects étaient prescrits (voir le paragraphe 25).

 

[23]           L’enquêteur a également confirmé que le Dr Ayangma avait déposé des griefs concernant sa suspension et son congédiement par Santé Canada, comportant notamment des allégations sur la façon incorrecte dont il aurait été traité lors de la vérification de ses frais de déplacement.

 

[24]           À partir de ces faits, l’enquêteur a formulé une recommandation (aux paragraphes 28 et 29 du premier rapport d’enquête). Au vu de l’analyse qui précède, la formulation de sa recommandation, reproduite ci‑dessous, prête pour le moins à confusion :

28.       Il est recommandé, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne que la Commission statue sur [les] allégations respectant le délai de prescription d’un an ainsi que sur les allégations visant le concours pour le poste de niveau EX‑01 

 

-parce que le plaignant avait communiqué avec la Commission dans les délais pour les allégations au sujet du concours pour le poste de niveau EX‑01

 

-parce que, pour les autres allégations hors délai, le plaignant n’a pas fourni d’explication valable pour avoir tardé à communiquer avec la Commission.

 

29.       Il est recommandé, en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission ne statue pas sur la plainte à ce moment-ci parce que celle‑ci pourrait avantageusement être instruite selon des procédures prévues par une autre loi fédérale. Au terme de ces procédures, ou s’il devient manifeste qu’elles ne sont pas normalement ouvertes au plaignant, la Commission peut, si le plaignant le demande, choisir d’exercer son pouvoir de statuer sur la plainte.

 

[25]           Si on considère cette recommandation isolément, on ne peut déterminer quelles parties de la plainte du Dr Ayangma sont prescrites et quelles parties ne le sont pas. Seule l’analyse plutôt complexe qui précède cette recommandation permet de le savoir.

 

[26]           Dans sa première décision, la Commission a adopté la recommandation de l’enquêteur. Malheureusement, toutefois, la Commission a fait sienne la majeure partie de la formulation prêtant à confusion. La partie pertinente de la décision est rédigée en ces termes :

Après avoir examiné cette information, la Commission a décidé, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de statuer sur les allégations respectant le délai de prescription d’un an ainsi que sur les allégations visant le concours pour le poste de niveau EX‑01 parce que :

 

●          vous avez communiqué avec la Commission dans les délais pour les allégations au sujet du concours pour le poste de niveau EX‑01;

 

●          pour ce qui est des autres allégations hors délai, vous n’avez pas fourni d’explication valable pour avoir tardé à communiquer avec la Commission.

 

De plus, la Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas statuer sur la plainte à ce moment-ci parce que :

 

●          la plainte pourrait avantageusement être instruite selon des procédures prévues par une autre loi fédérale. Au terme de ces procédures, ou s’il devient manifeste qu’elles ne sont pas normalement ouvertes au plaignant, la Commission peut, si le plaignant le demande, choisir d’exercer son pouvoir de statuer sur la plainte.

 

[27]           Qu’a donc décidé la Commission? J’interprète la décision de la Commission comme si elle adoptait intégralement la recommandation de l’enquêteur, une recommandation qui se fondait sur l’analyse factuelle que celui‑ci avait effectuée. Cette analyse permet de mieux comprendre la teneur de la décision de la Commission. Par conséquent, à mon avis, dans sa première décision, la Commission a décidé ce qui suit :

 

●          le volet relatif au poste EX‑01 n’était pas prescrit parce que le Dr Ayangma avait tenté antérieurement d’entreprendre une démarche auprès de la Commission à ce sujet;

 

●          le volet relatif au concours PM‑05 n’était pas prescrit – mais, tel qu’il a été mentionné précédemment, il y a des raisons de mettre en doute cette conclusion étant donné qu’au moins certains faits sous‑jacents à ce volet se sont produits plus d’un an avant la réception de la plainte par la Commission en mai 2004;

 

●          les volets relatifs à la vérification interne des frais de déplacement du Dr Ayangma, sa suspension sans solde et son congédiement n’étaient pas prescrits;

 

●          tous les éléments qui précèdent devaient être laissés en suspens en attendant que le Dr Ayangma exerce ses autres recours;

 

●          tous les autres points ont été soulevés hors délai et devaient donc être rejetés.

 

Le Dr Ayangma n’a pas cherché, en dépit de son manque de précision, à faire clarifier la première décision de la Commission, et il n’en a pas demandé le contrôle judiciaire. Il a plutôt poursuivi ses autres recours.

 

(4)        Le deuxième rapport et la deuxième décision de la Commission

 

[28]           Plus de quatre années s’étant écoulées, le Dr Ayangma a informé la Commission qu’il avait exercé ses autres recours sans succès. En réponse, la Commission a chargé une représentante de la Division des services de règlement d’étudier l’affaire. Celle‑ci a produit un rapport.

 

[29]           Le but de ce rapport était d’aviser les parties, le Dr Ayangma et Santé Canada, « qu’une décision sera[it]  rendue par la Commission en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, et de préciser les facteurs s’appliquant à cette décision ».

 

[30]           La représentante de la Division des services de règlement de la Commission a également précisé qu’elle était uniquement appelée à se pencher sur le volet relatif au poste EX‑01 étant donné que tous les autres aspects de la plainte étaient hors délai. Cette affirmation était manifestement erronée. Elle avait été saisie d’autres questions : les allégations concernant la vérification interne des frais de déplacement du Dr Ayangma, la suspension et le congédiement du Dr Ayangma et le concours PM‑05. Il était évident au vu de la plainte et du premier rapport d’enquête que les allégations concernant la vérification des frais de déplacement du Dr Ayangma ainsi que celles concernant sa suspension et son congédiement avaient été déposées à temps. Ce n’est qu’en ce qui concerne le concours PM‑05 que des doutes subsistaient quant au délai de prescription.

 

[31]           Dans sa réponse au rapport, le Dr Ayangma s’est dit en désaccord avec la conclusion susmentionnée selon laquelle seul le volet relatif au poste EX‑01 était en litige.

 

[32]           La Commission a rendu une décision, sa deuxième, le 19 mai 2009. Elle y écrit qu’« [a]près avoir examiné cette information, la Commission a décidé, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de statuer sur la plainte ».

 

[33]           Cette formulation est vague. La Commission n’a pas précisé exactement quels aspects de la plainte demeuraient en litige.

 

[34]           Comme nous l’avons vu, en réalité, seules les allégations concernant le poste EX‑01, la vérification interne des frais de déplacement du Dr Ayangma, la suspension et le congédiement du Dr Ayangma et le concours PM‑05 demeuraient des points en litige. Je considère que, par sa décision, la Commission avise les parties qu’elle examinera ces points particuliers, maintenant que le Dr Ayangma a exercé ses autres recours.

 

[35]           Dans les arguments qu’il a présentés devant la Cour, le procureur général a soutenu que suivant la deuxième décision de la Commission seul le volet relatif au poste EX‑01 pouvait être examiné. Il a fait valoir que le mot « plainte » doit être interprété à la lumière de la première décision de la Commission, qui autorisait seulement l’examen du volet relatif au poste EX‑01 une fois que le Dr Ayangma aurait exercé les autres recours qui lui étaient ouverts. Pour étayer cette observation, le procureur général s’est appuyé sur le fait que la Cour fédérale a estimé que la deuxième décision de la Commission ne visait que «les allégations visant le concours pour le poste de niveau EX‑01 » (au paragraphe 26). Pour les motifs exposés ci‑dessus, je refuse de reconnaître que la première décision de la Commission ait autorisé seulement l’examen des allégations relatives au concours EX‑01, tout comme je refuse de reconnaître que la deuxième décision de la Commission ait porté uniquement sur celles‑ci.

 

[36]           En dépit du fait que la deuxième décision de la Commission manquait de clarté, le Dr Ayangma n’a pas cherché à la faire clarifier ni à en demander le contrôle judiciaire. Il a plutôt pris part à l’étape suivante du processus de la Commission – une deuxième enquête qui a donné lieu à la troisième et dernière décision de la Commission.

 

(5)        La deuxième enquête et la troisième et dernière décision de la Commission

 

[37]           La Commission a chargé une enquêteure d’effectuer une deuxième enquête. Il n’y a aucun document au dossier qui précise ce sur quoi devait porter son enquête. Elle a produit un rapport (le deuxième rapport d’enquête) plus complet et plus clair que les deux autres rapports.

 

[38]           D’entrée de jeu, l’enquêteure a noté dans son rapport que la première décision de la Commission manquait de clarté. Puis, en examinant la plainte et le dossier de la Commission, elle a tenté de déterminer avec exactitude les points encore en litige après les deux premières décisions de la Commission. Elle a conclu que les allégations concernant le poste EX‑01 ainsi que celles concernant la vérification interne des frais de déplacement du Dr Ayangma, sa suspension et son congédiement étaient toujours en litige, mais que – contrairement à ce qui ressort de l’analyse précédente – les allégations relatives au concours PM‑05 ne l’étaient plus (au paragraphe 7) :

 […] la Commission [dans sa décision datée du 17 novembre 2004] n’a pas clairement indiqué quelles allégations elle considérait comme étant hors délais. Un examen approfondi du formulaire de plainte ainsi que des autres documents au dossier indique qu’outre l’allégation concernant le poste de EX-01 sur laquelle la Commission a spécifiquement décidé de statuer, les allégations se rapportant aux incidents survenus entre 1998 et 2000 ainsi que les allégations concernant la reclassification des collègues du plaignant entre 2000 et 2002, celles concernant le concours PM-05 de mars 2003 ainsi que celle concernant les postes de niveau EX-02 sont hors délais. Il appert également du dossier qu’aucune explication n’avait été fournie par le plaignant afin d’expliquer le retard à porter plainte concernant ces incidents. Il semble donc que ces allégations font partie de celles sur lesquelles la Commission a décidé de ne pas statuer car le plaignant n’avait pas fourni d’explication valable pour son retard à contacter la Commission. Par conséquent, elles ne seront pas examinées par [moi].

 

[39]           Bien que l’enquêteure ait été d’avis que les allégations relatives au concours PM‑05 n’étaient plus en litige et qu’elle ait affirmé qu’elle n’en tiendrait pas compte, elle l’a néanmoins fait parce que le Dr Ayangma l’y a carrément amené lors d’un appel téléphonique. À la suite de cet appel, elle a pris en considération le point de vue du Dr Ayangma concernant le concours PM‑05, mais elle a conclu qu’il y avait prescription. Elle a conclu également, à tort, que, suivant la première décision de la Commission, les allégations relatives au concours PM‑05 comptaient parmi celles qui étaient prescrites. Tout cela ressort au paragraphe 9 de son rapport :

Lors d’un entretien téléphonique avec l’enquêtrice, le plaignant a soumis que ses allégations concernant le concours PM-05 avaient été soumises dans les délais car ce n’est qu’en septembre 2003 que la gestion avait décidé d’annuler le concours. Cependant, un examen approfondi du formulaire de plainte ainsi que des documents soumis par le plaignant indique que l’acte discriminatoire qui est reproché au mis en cause est celui de tenir un concours afin de combler le poste PM-05 qu’il occupait par intérim plutôt que de le nommer dans ce poste sans concours. Selon la documentation soumise, cette décision a été prise en mars 2003 et a été maintenue en mai 2003. L’enquêtrice note que bien que la décision d’annuler le concours n’a été prise qu’en septembre 2003, le plaignant avait déjà indiqué dès le printemps, qu’il refusait de se soumettre au processus de sélection et qu’il retirait sa candidature. Le formulaire de plainte est daté du 18 mai 2004 et n’a été reçu par la Commission que le 25 mai 2004. Le plaignant n’a fourni aucune explication pour le retard à déposer sa plainte concernant le concours initié en mars 2003. Cette allégation semble donc être hors délais et est visée par la décision de la Commission en date du 17 novembre 2004 [la première décision].

 

[40]           Par conséquent, l’enquêteure a examiné les allégations concernant le poste EX‑01, la vérification interne des frais de déplacement du Dr Ayangma ainsi que les allégations concernant sa suspension et son congédiement.

 

[41]           Elle a constaté que les allégations concernant le poste EX‑01 avaient fait l’objet de procédures devant le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, devant la Cour fédérale et devant notre Cour et que dans tous les cas elles avaient été rejetées (paragraphe 18 du deuxième rapport d’enquête). Elle a conclu qu’il y avait donc chose jugée en ce qui concerne les allégations relatives au poste EX‑01 et que celles‑ci devaient être rejetées.

 

[42]           Elle a également recommandé que la Commission rejette les allégations concernant la suspension et le congédiement du Dr Ayangma. À son avis, « il n’y a aucune preuve permettant de conclure que son traitement [par Santé Canada] était lié aux motifs cités dans sa plainte » et Santé Canada a fourni une « explication raisonnable pour ses gestes qui ne semble pas être un prétexte afin d’exercer de la discrimination illicite » (aux paragraphes 42 et 47 du deuxième rapport d’enquête).


[43]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, l’enquêteure a recommandé que la Commission rejette tous les autres aspects de la plainte du Dr Ayangma.

 

[44]           Avant que la Commission ne l’examine, les parties se sont vu accorder la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires concernant le deuxième rapport d’enquête. Le Dr Ayangma a soumis ses observations le 6 octobre 2009. Il était principalement préoccupé par le fait que le rapport ne traitait pas des questions concernant les postes PM‑05 et EX‑02. Ces préoccupations n’étaient pas fondées :

 

●          PM‑05. Comme nous l’avons vu, l’enquêteure a examiné cette question : voir le paragraphe 9 de son rapport.

 

●          EX‑02. Cette question concerne le fait que le Dr Ayangma aurait été exclu, en 2002 et au cours des années suivantes, du processus d’embauche d’un directeur régional. Tel qu’il a été mentionné précédemment au paragraphe 27, dans sa première décision, la Commission a conclu qu’à cet égard la plainte était prescrite. Néanmoins, en réponse aux préoccupations du Dr Ayangma, l’enquêteure a de fait examiné cette question. Au paragraphe 8 de son rapport, citant un courriel envoyé par le Dr Ayangma le 15 janvier 2001, elle a conclu qu’il n’avait pas l’intention de participer à ce processus d’embauche. Par conséquent, le Dr Ayangma ne pouvait se plaindre du résultat de ce processus. De plus, l’enquêteure a confirmé que le volet relatif au poste EX‑02 était prescrit.

 

[45]           La Commission a rendu sa troisième décision le 23 décembre 2009. Elle a adopté la recommandation de l’enquêteure de rejeter tous les points soulevés dans la plainte du Dr Ayangma.

 

[46]           Plus particulièrement, la Commission a examiné et rejeté les aspects de la plainte qui étaient toujours en litige après sa première décision :

 

●          Les allégations concernant le poste EX‑01 – La Commission a conclu que la plainte concernant le poste EX‑01 ne pouvait être examinée pour cause de prescription étant donné qu’elle avait fait l’objet de procédures antérieures devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ou qu’elle aurait pu faire l’objet de telles procédures.

 

●          La vérification interne des frais de déplacement du Dr Ayangma, sa suspension et son congédiement. La Commission a conclu que « la preuve n’appuie pas les allégations du plaignant selon lesquelles il a été défavorisé en cours d’emploi en raison de sa race, sa couleur ou son origine nationale ou ethnique » et « compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, l’examen par le Tribunal canadien des droits de la personne n’est pas justifié ».

 

[47]           L’emploi par la Commission des mots « en cours d’emploi » et « la plainte » sans autres précisions indique qu’elle se penchait sur l’ensemble de la plainte de discrimination couvrant toute la durée de l’emploi du Dr Ayangma. À mon avis, cette description générale englobait le concours PM‑05, volet que l’enquêteure a jugé, vu les faits, frappé de prescription.

 

(6)        Examen de ce qui précède et des observations du Dr Ayangma

 

[48]           La seule décision susceptible de contrôle par la Cour fédérale et d’appel devant notre Cour est la troisième décision de la Commission. Le Dr Ayangma n’a pas demandé le contrôle judiciaire des première et deuxième décisions de la Commission.

 

[49]           Devant notre Cour, s’appuyant sur la description des faits donnée par la Cour fédérale, le Dr Ayangma a soutenu que la Commission n’avait pas examiné tous les points soulevés dans la plainte.

 

[50]           Je ne suis pas d’accord. Le résumé des enquêtes et des décisions présenté ci‑dessus – lequel s’écarte quelque peu des conclusions de la Cour fédérale – montre que la Commission a en fin de compte examiné et tranché tous les points soulevés dans la plainte du Dr Ayangma.

 

[51]           Le Dr Ayangma a également soutenu que la Commission avait décidé que certains points ne feraient pas l’objet de l’examen préalable prévu à l’article 41 ou à l’article 44 de la Loi et qu’elle est revenue sur cette décision par la suite. Je ne suis pas d’accord. Le résumé qui précède montre que la Commission n’est revenue sur aucune décision à cet égard.

 

[52]           Enfin, devant notre Cour, le Dr Ayangma a soulevé plusieurs autres moyens pour attaquer la troisième décision de la Commission. Il avait soulevé les mêmes moyens devant la Cour fédérale.

 

[53]           Plus particulièrement, le Dr Ayangma a soutenu que la Commission :

 

●          a commis une erreur en concluant que la partie de la plainte relative au poste EX‑01 était irrecevable pour cause de chose jugée;

 

●          a omis de faire enquête sur les plaintes concernant les concours EX‑02 et PM‑05 et les questions connexes;

 

●          a fait erreur en refusant de renvoyer au Tribunal la partie de la plainte concernant sa suspension et son congédiement;

 

●          a manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en omettant de mener une enquête et une analyse impartiales et équitables de ses diverses plaintes.

 

[54]           La Cour fédérale a déterminé la norme de contrôle applicable à l’égard de chacune des questions soulevées et elle a procédé à un examen très détaillé de la question de savoir si la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle. La Cour fédérale a conclu, à l’égard de chacune d’elles, que la Commission n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[55]           En appel, notre tâche consiste à déterminer si la Cour fédérale a retenu la norme de contrôle appropriée et si elle a appliqué cette norme correctement : Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, au paragraphe 18.

 

[56]           À mon avis, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en choisissant de procéder à l’examen de la question du manquement à l’équité procédurale suivant la norme de la décision correcte et de procéder à celui des autres questions suivant la norme de la décision raisonnable. Elle n’a pas non plus fait erreur en concluant que la Commission elle‑même n’avait commis quant à ces questions aucune erreur susceptible de contrôle. La Cour fédérale a conclu que la Commission avait examiné tous les aspects de la plainte du Dr Ayangma et qu’il était raisonnable qu’elle la rejette en entier. Elle a également conclu que la Commission a procédé à une enquête et une analyse impartiales et équitables. Ces deux conclusions sont étayées par le dossier de la preuve devant la Cour fédérale. Bien que la Cour fédérale ait, dans une certaine mesure, mal interprété les décisions de la Commission, ces erreurs d’interprétation n’ont eu aucune incidence sur les conclusions qu’elle a tirées concernant les points en cause. Abstraction faite de ces erreurs d’interprétation sans conséquence, je souscris pour l’essentiel au raisonnement exposé aux paragraphes 59 à 106 des motifs de jugement de la Cour fédérale.

 

[57]           J’aimerais ajouter que notre Cour peut dans le cadre d’un contrôle judiciaire confirmer le résultat de la décision d’un tribunal administratif en tenant compte non seulement des motifs qui ont été donnés, mais aussi de ceux qui auraient dû l’être : Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654. Un examen approfondi du dossier de preuve de la Commission – particulièrement le deuxième rapport d’enquête – démontre que c’est à bon droit que la Commission a conclu que tous les aspects de la plainte du Dr Ayangma devaient être rejetés parce qu’ils étaient soit prescrits, soit irrecevables pour cause de chose jugée ou encore non étayés par une preuve de différence de traitement fondée sur un motif de distinction illicite.

 

[58]           Compte tenu de ce qui précède, même si j’étais persuadé que la procédure devant la Commission était entachée de certaines irrégularités, je choisirais, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, de ne pas annuler la décision de la Commission : Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada–Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202. Il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire à la Commission : sur la foi du dossier de preuve, dont l’exhaustivité n’a pas été mise en doute, une décision de rejeter la plainte en vertu des articles 41 et 44 de la Loi s’ensuivrait automatiquement.

 

F.         Post‑scriptum

 

[59]           La Commission compte parmi les plus anciens et les plus importants organes administratifs. Le législateur a jugé approprié de l’investir du pouvoir d’examiner les plaintes comme celle du Dr Ayangma, pour des raisons d’efficacité administrative, d’accessibilité pour les personnes comme le Dr Ayangma et d’expertise.

 

[60]           Les affaires comme celle en l’espèce – à savoir une plainte de discrimination en milieu de travail – constituent le pain quotidien de la Commission. Il est vrai qu’en l’espèce le nombre d’allégations, l’existence d’autres voies de recours et la présence d’une partie qui agit pour elle‑même sont venus compliquer les choses. Mais, pareille situation n’a rien d’inhabituel pour la Commission.

 

[61]           La Commission, pourtant, a semé la confusion et manqué d’efficacité dans le traitement de la plainte.

 

[62]           Dans la présente affaire, la Commission a décidé d’appliquer le délai de prescription à certaines parties de la plainte du Dr Ayangma et de reporter l’examen des autres parties à plus tard pour permettre au Dr Ayangma d’exercer les autres recours qui lui étaient ouverts. Il aurait sans doute été plus efficace et moins compliqué de reporter l’examen de tous les aspects de la plainte pendant l’exercice des autres recours et d’examiner les questions découlant des articles 41 et 44 de la Loi dans une seule et même décision. Diviser l’examen de ces questions en deux ou, comme cela s’est produit en l’espèce, en trois parties accroît le risque de confusion et d’erreurs, et peut donner lieu à une multitude d’examens judiciaires longs et coûteux. Il vaut mieux éviter les processus en plusieurs étapes, nécessitant la préparation de multiples rapports et donnant lieu à de multiples décisions, comme ce fut le cas en l’espèce.

 

[63]           La précision est toujours de rigueur en ce qui concerne les questions devant faire l’objet d’une enquête, les recommandations de l’enquêteur et les conclusions de la Commission. Cela est d’autant plus vrai lorsque le processus comporte plusieurs étapes.

 

[64]           En l’espèce, la confusion a régné tout au long du processus. Il est difficile de dire avec certitude ce qu’ont fait exactement, à divers moments, la Commission, ses enquêteurs et son personnel. Dès le début du processus, des erreurs fondamentales ont été commises.

 

[65]           Chose étonnante, dans la présente affaire, l’enquêteure n’a pu s’en tenir à faire enquête sur la plainte du Dr Ayangma; elle a aussi dû se pencher sur le processus suivi par la Commission elle‑même – plus particulièrement sur ses rapports et décisions et sur les dossiers à leur origine – pour déterminer quelles questions demeuraient en litige et quelles questions ne l’étaient plus.

 

[66]           Précision et clarté sont nécessaires, particulièrement dans un régime administratif mis sur pied pour accroître l’efficacité et faciliter l’accès à la justice. Sans précision ni clarté, la confusion et l’incertitude règnent.

 

[67]           En l’espèce, heureusement pour la Commission, la confusion et l’incertitude n’ont pas entraîné l’annulation de sa troisième décision. Il est évident que la Commission a bel et bien examiné tous les points soulevés dans la plainte du Dr Ayangma, que sa décision de rejeter la plainte en entier était raisonnable et qu’elle a toujours agi de manière équitable.

 

[68]           Normalement, étant la partie ayant obtenu gain de cause, l’intimé devrait avoir droit aux dépens. Toutefois, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, je n’adjugerais aucuns dépens relativement à l’appel.

 

G.        Décision proposée

 

[69]           Pour les motifs exposés précédemment, je rejetterais l’appel.

 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

      J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

      Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑467‑10

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DE
MONSIEUR LE JUGE CROMPTON, DATÉE DU 26 NOVEMBRE 2010

 

 

INTITULÉ :                                                  NOËL AYANGMA c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 1er février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 26 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Noël Ayangma

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Melissa Chan

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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