Date : 20121214
Dossier : A‑349‑12
Référence : 2012 CAF 330
CORAM : LE JUGE EVANS
LE JUGE STRATAS
LE JUGE MAINVILLE
ENTRE :
MICHAEL EDWARDS
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 décembre 2012
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE EVANS
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE STRATAS
LE JUGE MAINVILLE
Date : 20121214
Dossier : A‑349‑12
Référence : 2012 CAF 330
CORAM : LE JUGE EVANS
LE JUGE STRATAS
LE JUGE MAINVILLE
ENTRE :
MICHAEL EDWARDS
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EVANS
[1] Il s’agit d’un appel interjeté par Michael Edwards d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2012 CCI 264), en date du 23 juillet 2012, dans laquelle la juge Woods (juge des requêtes) a rejeté sa requête en ajournement de l’audition de son appel devant la Cour de l’impôt. La date pour l’audition de l’appel avait été fixée au 26 novembre 2012 pour une durée prévue de cinq jours.
[2] Monsieur Edwards a présenté sa requête dans le cadre de son appel formé à l’encontre d’une cotisation pour l’année d’imposition 2003 lui refusant un don de charité de 10 000 $. Il avait fait ce don dans le cadre d’un programme de dons financés par emprunt, « The ParkLane Charitable Donation Program », sous le régime duquel, en contrepartie d’une mise de fonds de 3 150 $, il a obtenu un reçu aux fins de l’impôt de 10 000 $ d’une œuvre de charité de son choix.
[3] Environ 18 000 contribuables ont participé à ce programme et à des programmes semblables, dont 8 000 ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation. Le montant des dons versés dans le cadre de ces programmes totalise environ 500 millions de dollars. Le dossier de M. Edwards a été désigné en tant que dossier principal au regard de huit autres dossiers qui sont tenus en suspens jusqu’à ce que l’issue du présent appel soit connue, sans qu’ils soient toutefois liés. La juge des requêtes a en outre déclaré (au par. 4) que [traduction] « des milliers d’autres contribuables attendent en coulisse ».
[4] Monsieur Edwards a demandé un ajournement de douze mois jusqu’à l’adoption de modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) en ce qui a trait au traitement fiscal des dons de bienfaisance. En certaines circonstances, les autorités fiscales permettent à un contribuable de demander une déduction pour don de bienfaisance applicable à une portion de ce don lorsque la valeur du don excède celle du bénéfice retiré. Il a déclaré que, si les modifications proposées étaient adoptées, elles pourraient l’aider à conclure un règlement avec le ministre du Revenu national ou avoir gain de cause en appel. Dans le budget de mars 2012, le gouvernement indiquait son intention d’adopter les modifications proposées avec effet rétroactif au mois de décembre 2002, date de leur première annonce.
[5] Bien que les modifications proposées n’aient pas encore été adoptées, l’Agence du revenu du Canada (ARC) les a appliquées comme si elles avaient déjà force de loi, et elle a déclaré que les contribuables pouvaient s’en remettre à ses lignes directrices publiées le 24 décembre 2002 expliquant la gestion par l’ARC de ces modifications. L’ARC a cependant refusé à M. Edwards d’en bénéficier parce que, selon elle, les circonstances entourant son don l’excluent de leur champ d’application. Les modifications proposées n’ayant pas force de loi, M. Edwards ne peut interjeter appel d’une cotisation pour contester le point de vue du ministre, selon lequel les modifications proposées ne s’appliquent pas aux faits relatifs à son cas.
[6] Après avoir examiné avec attention les faits relatifs à l’affaire ainsi que les facteurs pertinents quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder un ajournement, la juge des requêtes a conclu que l’atteinte à l’intérêt public d’assurer le traitement rapide des litiges en matière fiscale l’emportait sur les effets préjudiciables que M. Edwards risque de subir en raison de sa décision d’en appeler avant l’adoption des modifications proposées. À cet égard, elle a souligné que l’appel vise une cotisation pour l’année d’imposition 2003 et que la date de son audition avait été initialement fixée en 2010.
[7] Comme on ne savait pas si les modifications proposées allaient être adoptées, ni à quel moment, ou même si elles s’appliqueraient au cas de M. Edward une fois adoptées, la juge des requêtes a estimé que la présente affaire ne constituait pas « un rare cas » (Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd., 2004 CAF 354, au par. 3) justifiant d’accorder un ajournement jusqu’à l’adoption de dispositions législatives susceptibles d’influer sur l’issue d’un appel.
[8] Selon la documentation qui lui avait été soumise, la juge des requêtes n’a pas commis, à mon avis, d’erreur de principe, n’a pas apprécié les faits de façon gravement erronée ou encore n’a pas pris de décision déraisonnable au regard de l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire conféré à un juge, aux termes de l’article 137 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a, d’ajourner une audience « aux conditions appropriées ». C’est à juste titre que les tribunaux d’appel font preuve de déférence à l’égard des décisions discrétionnaires rendues par les juges de la Cour de l’impôt, y compris au regard des requêtes en ajournement, parce que ces juges sont généralement les mieux placés pour apprécier l’ensemble des circonstances du litige.
[9] Toutefois, dans une lettre datée du 5 décembre 2012, soit 5 jours avant l’audition du présent appel, l’avocat de M. Edwards a déposé un recueil additionnel de jurisprudence et de doctrine dans lequel il est dit que les modifications proposées, ainsi que d’autres modifications de nature technique à la Loi de l’impôt sur le revenu, figurent dans le Projet de loi C‑48 dont la date de la première lecture est le 26 novembre 2012.
[10] À mon avis, il s’agit là d’un fait nouveau qui n’a pas été présenté à la juge des requêtes, et qui ne pouvait l’être, au moment où elle a rejeté la requête en ajournement, le 23 juillet 2012. C’est un fait qui aurait peut-être pu l’inciter à disposer autrement de la requête parce qu’il est fort probable que les modifications proposées seront adoptées l’année prochaine, d’autant plus que le gouvernement dispose maintenant d’une majorité à la Chambre des communes et au Sénat.
[11] De plus, si l’appel de M. Edwards était instruit avant que les modifications proposées aient force de loi et qu’il soit tranché en fonction du droit existant, une autre cause type serait retenue pour débattre des questions en litige en fonction des modifications proposées telles qu’adoptées. Le fait de rejeter maintenant la demande d’ajournement de l’appel formé par M. Edwards devant la Cour de l’impôt ne favorise donc pas l’économie des ressources judiciaires.
[12] Étant donné que le dépôt du Projet de loi C‑48 réduit de beaucoup l’incertitude entourant l’adoption des modifications proposées, l’ajournement demandé causera un préjudice moindre à l’intérêt public d’assurer une administration de la justice plus rapide. De toute façon, il se pourrait très bien que le rejet de l’appel n’ait pas pour effet d’assurer le traitement plus rapide du litige parce qu’il n’est pas évident que la Cour de l’impôt pourrait fixer une nouvelle date d’audition dans les douze prochains mois.
[13] Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel et j’ajournerais l’instruction de l’appel de M. Edwards devant la Cour de l’impôt jusqu’au 26 novembre 2013, ou jusqu’à une date antérieure en fonction de l’adoption, du rejet ou du retrait des modifications proposées. Il s’agit de la durée de l’ajournement qui nous a été proposée par l’avocat de M. Edwards. Son avocat s’est également engagé à ne pas solliciter un autre ajournement de l’audition de l’appel si les modifications proposées ne sont pas adoptées le 26 novembre 2013 au plus tard. À moins de circonstances extraordinaires, aucune autre demande d’ajournement ne devrait être accueillie en l’espèce.
[14] J’ajouterais qu’il semble y avoir quelque chose de fondamentalement injuste dans le traitement par l’ARC, au cours des dix dernières années, des modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu comme si elles avaient déjà force de loi. Le contribuable est incapable de contester une décision de l’ARC suivant laquelle les modifications proposées ne s’appliquent pas à la situation du contribuable en question. Je tiens à souligner toutefois que je n’exprime aucune opinion sur la question de savoir si M. Edwards bénéficiera des modifications proposées lorsqu’elles seront adoptées, si elles le sont un jour.
[15] Monsieur Edwards a également interjeté appel de la décision de la Cour de l’impôt de lui refuser le droit au paiement de ses frais raisonnables et convenables dans le cadre de la requête. Dans une ordonnance en date du 23 mai 2008, le juge Bowman, alors juge en chef, a accueilli la requête présentée par la Couronne visant à soustraire l’appel de l’application des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle) pour l’assujettir aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). En vertu du paragraphe 18.11(6) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T‑2, il a ordonné que les frais raisonnables et convenables liés à l’appel interjeté par M. Edwards soient payés par la Couronne.
[16] La juge des requêtes n’a pas motivé sa décision de ne pas adjuger à M. Edwards ses dépens relativement à la requête, malgré l’ordonnance antérieure du juge en chef Bowman. L’avocate de la Couronne a reconnu devant notre Cour que le seul motif pour lequel la juge des requêtes aurait eu raison d’ordonner que chaque partie paye ses propres dépens, conformément à l’ordonnance du juge en chef Bowman, était qu’elle n’avait pas estimé comme étant « raisonnables et convenables » les frais encourus par M. Edwards relativement à la requête en ajournement.
[17] En l’absence de motifs justifiant l’exercice par un juge des requêtes du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, la Cour peut trancher la question de novo et rendre l’ordonnance que la juge des requêtes aurait dû rendre. Je ne suis pas convaincu que la requête en ajournement présentée par M. Edwards était frivole ou inappropriée, malgré le temps écoulé jusqu’à ce jour pour mener l’appel interjeté devant la Cour de l’impôt. En conséquence, j’adjugerais à M. Edwards les dépens afférents à la requête présentée devant la Cour de l’impôt.
[18] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens en faveur de M. Edwards tant devant notre Cour que devant les instances inférieures, d’annuler l’ordonnance de la juge des requêtes et d’ajourner l’audition de l’appel devant la Cour de l’impôt jusqu’au 26 novembre 2013, ou à toute autre date antérieure en fonction de l’adoption, du rejet ou du retrait des modifications proposées.
« John M. Evans »
j.c.a.
« Je suis d’accord
David Stratas, j.c.a. »
« Je suis d’accord
Robert M. Mainville, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Mario Lagacé, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A‑349‑12
INTITULÉ : MICHAEL
EDWARDS c.
SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L’AUDITION : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDITION : Le 10 décembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
DE LA COUR : LE JUGE EVANS
Y ONT SOUSCRIT : LES JUGES STRATAS ET MAINVILLE
DATE : Le 14 décembre 2012
COMPARUTIONS :
Ian S. MacGregor, c.r. Pooja Samtani David Mollica
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POUR L’APPELANT
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V. Lynn W. Gillis Devon Peavoy Tokunbo Omisade
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POUR L’INTIMÉE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. Toronto (Ontario)
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POUR L’APPELANT
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada
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POUR L’INTIMÉE
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