Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121207

Dossier : A‑452‑11

Référence : 2012 CAF 322

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

 

LA MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 24 octobre 2012

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20121207

Dossier : A‑452‑11

Référence : 2012 CAF 322

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

 

LA MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Le 26 août 2010, Apotex Inc. a introduit une demande en contrôle judiciaire à l’égard du traitement que la ministre de la Santé avait réservé à l’avis de conformité qu’elle avait présenté relativement à des comprimés d’oméprazole magnésien (les comprimés).

 

[2]               Un juge de la Cour fédérale a rejeté la demande, au motif qu’Apotex l’avait présentée essentiellement à l’égard de trois décisions distinctes prises par la ministre au cours du processus d’examen des médicaments. Ces décisions étaient les suivantes : la suspension – ainsi qualifiée par Apotex ‑ par la ministre, le 5 décembre 2008, de l’autorisation relative aux comprimés; la délivrance par la ministre, le 9 février 2009, d’une [traduction] « lettre de retrait suivant un avis de non‑conformité » à l’égard des comprimés; et la décision du 27 juillet 2009 par laquelle la ministre a refusé la demande d’Apotex en réexamen de la décision du 9 février 2009. En tout état de cause, la demande de contrôle judiciaire a été introduite 13 mois après la date de la dernière des trois décisions. Le juge a conclu, par conséquent, que la demande de contrôle avait été présentée après le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.

 

[3]               Le juge a ensuite conclu que la requête, présentée par Apotex de manière subsidiaire, en prorogation du délai d’introduction de la demande était sans fondement.

 

[4]               Enfin, le juge a rejeté la thèse d’Apotex portant qu’elle a un droit acquis à un avis de conformité parce que la ministre avait précédemment terminé l’examen de sa présentation et décidé qu’un tel avis serait délivré une fois que les exigences du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, (le Règlement AC) seraient remplies. Or, ces exigences allaient être remplies à l’expiration d’un brevet détenu par AstraZeneca Canada Inc. Avant l’expiration de ce brevet, la présentation d’Apotex était, en d’autres termes, en « instance de brevet ».

 

[5]               Notre Cour est saisie d’un appel interjeté de la décision de la Cour fédérale. Apotex soutient en appel que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant :

a)                  que sa demande de contrôle judiciaire était assujettie au délai de 30 jours prévu pour son dépôt au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales,

b)                  qu’elle ne satisfaisait pas au critère donnant ouverture à une prorogation de délai, et

c)                  qu’elle n’avait pas un droit acquis à un avis de conformité.

 

[6]               Par les motifs exposés ci-dessous, je conclus que le juge de la Cour fédérale n’a pas commis cette erreur de droit. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

Discussion des questions

a)         La demande d’Apotex était‑elle assujettie au délai de dépôt de 30 jours?

 

[7]               Apotex a soutenu, tant devant la Cour fédérale que devant notre Cour, que sa demande n’était pas prescrite parce que les agissements reprochés s’inscrivent dans le contexte d’une conduite continue inéquitable et apparemment partiale, à l’égard de laquelle le délai de prescription de 30 jours ne joue pas. Apotex a invoqué la jurisprudence Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476, [1999] A.C.F. no 179, de notre Cour.

 

[8]               Le juge a rejeté la manière dont Apotex avait qualifié sa demande. Il a observé qu’Apotex sollicitait, par son avis de demande modifié, un bref de prérogative en ce qui concerne trois décisions ministérielles. Selon lui, la demande visait « à contester le caractère équitable de trois décisions administratives distinctes » (motifs, au paragraphe 18), et la thèse d’Apotex n’était « rien de plus qu’un moyen déguisé visant à permettre à Apotex d’éviter d’enfreindre à la fois la lettre et l’esprit du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et de l’article 302 des Règles » (motifs, au paragraphe 21).

 

[9]               Le juge a exposé la position d’Apotex en se fondant sur l’examen de l’avis de demande modifié de celle‑ci, et son exposé constituait une conclusion mélangée de fait et de droit. De sorte qu’en l’absence d’une erreur de droit isolable (aucune n’est alléguée par Apotex), la Cour ne peut infirmer la conclusion du juge que si une erreur manifeste et dominante est établie (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 10 et 36).

 

[10]           À mon sens, il n’a pas été établi qu’une erreur manifeste de cette sorte avait été commise. La principale mesure sollicitée par Apotex était l’annulation de la décision du 5 décembre 2008 de la ministre de suspendre l’autorisation antérieure de sa présentation, et une ordonnance enjoignant à la ministre de lui délivrer un avis de conformité à l’égard de ses comprimés. Apotex n’a pas demandé une ordonnance enjoignant à la ministre de mettre fin à une conduite quelconque qui serait inéquitable ou partiale.

 

[11]           L’avis de demande modifié d’Apotex allait dans le sens de la conclusion du juge selon laquelle celle‑ci sollicitait un bref de prérogative concernant trois décisions distinctes, et était donc assujetti aux dispositions du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

b)         Apotex a‑t‑elle satisfait au critère donnant ouverture à une prorogation de délai?

 

[12]           Apotex n’a pas attaqué l’exactitude de l’exposé du juge, au paragraphe 22 de ses motifs, quant aux volets du critère applicable aux requêtes en prorogation de délai :

a)                  elle a eu constamment l’intention de poursuivre la demande;

b)                  la demande est fondée;

c)                  le délai ne cause aucun préjudice aux défendeurs;

d)                 une explication raisonnable existe au sujet du délai.

 

[13]           Or, selon Apotex, le juge a commis une erreur de droit en se penchant uniquement sur les premier et dernier volets du critère, au lieu de l’appliquer dans son intégralité. Apotex ajoute : [traduction] « [L]orsque la demande de contrôle judiciaire au fond repose sur des moyens sérieux, ou lorsque la justice le commande, la cour doit accorder moins d’importance, voire aucune, aux autres volets du critère. De solides moyens quant au fond peuvent faire contrepoids au peu de justification du retard. »

 

[14]           La décision du juge de refuser la prorogation de délai est de nature discrétionnaire, et elle appelle la retenue. Notre Cour ne peut intervenir à moins que le juge ait commis une erreur, n’ait pas accordé suffisamment d’importance à des facteurs pertinents, se soit fondé sur un principe de droit erroné ou ait rendu une décision manifestement si mauvaise que cela équivaut à une injustice (Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 223, [2011] A.C.F. no 1003, au paragraphe 18).

 

[15]           Je suis d’avis que le juge n’a commis en l’espèce aucune erreur susceptible de contrôle. Je rejette l’argument d’Apotex voulant que le juge ait commis une erreur de principe en ne prenant pas explicitement en compte le fond de la demande et la question du préjudice.

 

[16]           L’arrêt de principe quant au critère applicable en matière de requêtes en prorogation de délai est Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263, 63 N.R. 106, de notre Cour, où le juge en chef Thurlow (s’exprimant en son nom et en celui du juge Mahoney) a observé à la page 272 [du recueil de la C.F.] (non souligné dans l’original) :

Il me semble toutefois qu’en étudiant une demande comme celle‑ci, on doit tout d’abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.

 

 

[17]           Le juge en chef Thurlow a ensuite ajouté (aux pages 277 et 278) (non souligné dans l’original) :

Pour répondre à la première de ces questions, il faut notamment se demander si le requérant avait, dans le délai de 10 jours, l’intention de présenter sa demande et s’il a toujours eu cette intention par la suite. Tout abandon de cette intention, tout relâchement ou défaut du requérant de poursuivre cette fin avec la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui ne pourrait que nuire considérablement à ses chances d’obtenir la prorogation. La longueur de la période pour laquelle la prorogation est exigée et la question de savoir si cette prorogation causerait un préjudice à la partie adverse et, si c’est le cas, la nature de ce préjudice, sont également pertinentes. Cependant, en dernière analyse, la question de savoir si l’explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l’espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d’énoncer des règles qui auraient l’effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n’a pas jugé bon de restreindre.

 

[18]           On ne saurait soutenir, à partir de ces observations, que le juge commet une erreur de principe s’il ne prend pas explicitement en compte chacun des quatre éléments du critère.

 

[19]           Tel est l’enseignement de l’arrêt Exeter c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 253, 423 N.R. 262; dans cette affaire, notre Cour statuait sur un appel interjeté à l’encontre d’une décision refusant la prorogation d’un délai au motif qu’un seul des quatre volets du critère avait été appliqué. Voici ce que la Cour a observé au paragraphe 8 des motifs :

À mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion de la Cour fédérale concernant les explications données par l’appelante pour justifier le retard, étant donné que la requête de l’appelante est rejetée pour un autre motif – qui ne permet pas non plus de faire droit à sa requête –, soit parce que la demande n’a aucune chance d’être accueillie […].

 

[20]           Je rejette en outre la thèse d’Apotex portant que le juge n’a pas pris en considération le fond de la demande. Voici ce que le juge a observé au paragraphe 28 des motifs :

[…] La Cour fédérale rejette des demandes qui sont probablement beaucoup plus valables et importantes aux yeux des parties que la présente demande en raison de délais beaucoup plus courts que ceux de la présente affaire.

 

 

c)         Apotex avait‑elle un droit acquis à un avis de conformité?

 

[21]           Même s’il a conclu que la demande était prescrite, le juge a néanmoins recherché si Apotex avait droit à un avis de conformité parce que cette question n’était « pas résolue par le non‑respect du délai relatif à l’introduction de la présente demande » (motifs, au paragraphe 31). J’abonde dans son sens et, comme la question a été entièrement débattue en appel, j’estime approprié d’examiner la thèse d’Apotex portant que la ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire suffisamment ou de manière assez arrêtée pour qu’elle ait acquis le droit à la délivrance d’un avis de conformité pour ses comprimés.

 

[22]           On peut résumer comme suit l’argumentation d’Apotex quant à l’existence de son droit acquis à un avis de conformité :

 

i)                    Il faut examiner la portée et la nature du pouvoir conféré à la ministre par le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (le Règlement) pour trancher les questions étroitement entrelacées qui sont de savoir, premièrement, à quel moment la ministre a exercé ce pouvoir à l’égard d’une présentation et, deuxièmement, si elle a eu l’occasion de revoir ou de réexaminer une décision antérieure.

ii)                  Des dispositions des articles C.08.001 à C.08.003 interdisent la vente ou l’annonce d’une « drogue nouvelle » à moins, notamment, qu’une présentation d’un des types définis ait été déposée auprès de la ministre et qu’un avis de conformité ait été délivré relativement à cette présentation.

iii)                Le paragraphe C.08.004(1) du Règlement dispose (non souligné dans l’original) :

C.08.004.  (1) Sous réserve de l’article C.08.004.1, après avoir terminé l’examen d’une présentation de drogue nouvelle, d’une présentation abrégée de drogue nouvelle ou d’un supplément à l’une de ces présentations, le ministre :

 

a) si la présentation ou le supplément est conforme aux articles C.08.002, C.08.002.1 ou C.08.003, selon le cas, et à l’article C.08.005.1, délivre un avis de conformité;

 

 

b) si la présentation ou le supplément n’est pas conforme aux articles C.08.002, C.08.002.1 ou C.08.003, selon le cas, ou à l’article C.08.005.1, en informe le fabricant.

C.08.004. (1) Subject to section C.08.004.1, the Minister shall, after completing an examination of a new drug submission or abbreviated new drug submission or a supplement to either submission,

 

(a) if that submission or supplement complies with section C.08.002, C.08.002.1 or C.08.003, as the case may be, and section C.08.005.1, issue a notice of compliance; or

 

(b) if that submission or supplement does not comply with section C.08.002, C.08.002.1 or C.08.003, as the case may be, or section C.08.005.1, notify the manufacturer that the submission or supplement does not so comply.

 

 

iv)                Une fois que la ministre a terminé d’examiner une présentation, elle est tenue de délivrer un avis de conformité si elle conclut que la présentation respecte les exigences pertinentes.

v)                  En l’espèce, après avoir terminé d’examiner la présentation d’Apotex, la ministre l’a avisée que sa présentation était [traduction] « satisfaisante » aux fins du Règlement. La ministre aurait donc délivré un avis de conformité peu après, n’eût été l’application du Règlement AC.

vi)                Puisque la ministre doit délivrer un avis de conformité lorsqu’il est conclu que la présentation respecte les exigences pertinentes, l’examen n’est pas effectué de manière continue. Apotex s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, au paragraphe 114, pour soutenir que la ministre ne dispose d’aucun délai pour changer d’idée, puisqu’elle est tenue d’agir dès que son examen est terminé.

vii)              Aucune disposition du Règlement ne vise l’obtention ou l’examen de nouveaux renseignements entre l’autorisation de la présentation et la délivrance d’un avis de conformité. Si l’avis de conformité est délivré et qu’ensuite de nouveaux renseignements obtenus indiquent qu’il n’y a plus lieu de considérer que la drogue en cause est efficace ou sans danger, l’article C.08.006 permet à la ministre de suspendre cet avis. C’est la démarche qu’il faudrait suivre dans les cas où, comme en l’espèce, il est allégué l’existence de réserves quant à l’innocuité ou à l’efficacité après que la ministre a terminé son examen, mais avant la délivrance de l’avis de conformité.

viii)            Pour conclure son analyse du Règlement, Apotex soutient que le régime ne prévoit pas la suspension de l’avis de conformité avant sa délivrance par suite de l’obtention de nouveaux renseignements, puisqu’il prévoit l’obligation de délivrer un avis de conformité une fois l’examen terminé, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les nouveaux renseignements.

ix)                Apotex soutient que son raisonnement est parfaitement conforme aux décisions rendues par notre Cour dans les affaires Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 (C.A.); conf. [1994] 3 R.C.S. 1100, [1994] A.C.S. no 113 (Apotex c. Canada).

x)                  Enfin, l’article 8 du Règlement AC précise la période censée servir à établir le montant des dommages qu’une deuxième personne subit lorsque la demande d’interdiction de délivrance présentée aux termes de l’article 6 de ce règlement fait l’objet d’un désistement ou est rejetée. Cette période débute à la date à laquelle la drogue a été autorisée et où la présentation devient en instance de brevet. On recourt à cette date parce qu’elle correspond au moment où la seconde personne aurait obtenu un avis de conformité, n’eût été l’application du Règlement AC. Apotex fait valoir que cette date n’aurait pas été choisie comme point de départ de référence aux fins du calcul des dommages si la décision de la ministre avait pu être revue et demeurait assujettie au pouvoir discrétionnaire continu de révocation de la ministre.

 

[23]           Je suis d’avis que le raisonnement d’Apotex est erroné pour les motifs suivants.

 

[24]           Premièrement, bien que je convienne de la nécessité d’examiner la portée et la nature du pouvoir que le Règlement confère à la ministre, j’estime que le Règlement doit être interprété selon la méthode privilégiée d’interprétation des lois.

 

[25]           La Cour suprême du Canada a formulé cette méthode en ces termes :

Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre, voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan. Driedger on the Construction of Statutes (3e éd., 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd., 1990)). Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd., 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci‑dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro‑Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto‑Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

 

Voir : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 au paragraphe 21. Voir également : R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 29.

 

[26]           La Cour suprême a reformulé ce principe de la manière suivante par l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 (non souligné dans l’original) :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

[27]           La Cour suprême a réaffirmé cette formulation de la méthode d’interprétation des lois à privilégier par les arrêts Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, au paragraphe 27.

 

[28]           Les juges majoritaires ont expliqué comme suit, par l’arrêt de la Cour suprême Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, au paragraphe 15, dans quelles limites il convient de recourir au contexte :

Dans l’exercice d’interprétation, plus le texte choisi par le législateur sera général, plus le contexte sera important.  L’exercice d’interprétation contextuelle comporte ses limites.  Le tribunal n’endosse son rôle d’interprète que lorsque les deux éléments de la communication convergent vers une même direction : le texte s’y prête et l’intention du législateur se dégage clairement du contexte.

 

[29]           Or, le raisonnement d’Apotex ne tient pas compte de l’objet de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27 (la Loi) et du Règlement. La Cour suprême du Canada enseigne que cet objet consiste à « encourager la mise en marché de médicaments efficaces et non nocifs de façon à améliorer l’état de santé de la population » (AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, au paragraphe 12). La responsabilité première de la ministre sous le régime de la Loi et du Règlement est de veiller à la santé et au bien‑être des Canadiens.

[30]           Lorsque la ministre exerce son pouvoir discrétionnaire de délivrer un avis de conformité, en vertu de l’article C.08.004, elle doit être convaincue de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue concernée. Rien dans le libellé du Règlement n’appelle la conclusion contraire, et on en arriverait à un résultat absurde, à mon avis, si on interprétait le Règlement d’une manière obligeant la ministre à délivrer un avis de conformité même sans qu’elle ne soit convaincue de l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue.

 

[31]           Deuxièmement, à mon avis, la jurisprudence Centre hospitalier Mont‑Sinaï de la Cour suprême du Canada ne va pas dans le sens de la thèse d’Apotex portant que l’examen de la ministre n’est pas un processus continu.

 

[32]           Dans l’affaire Centre hospitalier Mont‑Sinaï, était en cause l’exercice par le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec de son pouvoir discrétionnaire de ne pas délivrer de permis au Centre conformément aux lois provinciales réglementant le fonctionnement des hôpitaux. Pour les juges majoritaires de la Cour suprême, le nœud de l’affaire était la conclusion de fait selon laquelle le ministre avait bien exercé son pouvoir discrétionnaire en faveur du Centre, puis avait infirmé de manière non-valide l’exercice de ce pouvoir. Sur ce dernier point, les juges majoritaires ont observé que, selon la réglementation, le ministre ne disposait « […] d’aucun délai pour changer d’idée. De plus, même si le ministre avait disposé d’un tel pouvoir sur la base de pouvoirs discrétionnaires généraux, il reste que le refus qu’il a prononcé en l’espèce ne constituait pas un exercice valide de son pouvoir discrétionnaire » (motifs de la majorité, au paragraphe 114).

 

[33]           Les juges majoritaires n’ont pas conclu que le ministre peut changer d’idée uniquement lorsque des dispositions législatives ou réglementaires prévoient un délai. En outre, les juges majoritaires et minoritaires (leurs motifs concordant quant à l’issue de l’affaire) ont tous retenu le principe général selon lequel « avoir droit au permis est différent du fait de le posséder » (motifs de la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 1 et 97). Ainsi que le juge Binnie (s’exprimant en son nom et au nom de la juge en chef) l’a en outre observé, « [a]u gouvernement, une mesure ne se concrétise qu’au moment où elle est prise ».

 

[34]           Troisièmement, comme je l’ai déjà mentionné précédemment, Apotex soutient que le Règlement permet que « les éléments de preuve ou les nouveaux renseignements » soient portés à l’attention de la ministre après la délivrance de l’avis de conformité. L’absence de disposition équivalente concernant l’examen de nouveaux éléments de preuve ou renseignements obtenus une fois l’examen terminé mais avant la délivrance d’un avis de conformité militerait en faveur de la thèse selon laquelle la ministre ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire continu. La thèse d’Apotex part du principe que la présentation d’une drogue ne peut comporter que deux étapes sous le régime du Règlement : (1) la présentation fait l’objet d’un examen, ou (2) l’examen est terminé. Toutefois, rien dans le Règlement ne permet d’affirmer que seules deux étapes sont possibles. Dans le cours normal des choses, il peut fort bien y avoir un certain délai entre le moment où la ministre informe le demandeur que les exigences relatives à l’innocuité et à l’efficacité sont satisfaites et le moment où un avis de conformité peut être délivré. Si, pendant cette période, la ministre obtient des renseignements qui mettent en doute ses conclusions initiales, elle fait preuve de négligence en délivrant l’avis de conformité.

 

[35]           Bien que le Règlement ne vise pas explicitement les répercussions de l’instance de brevet sous le régime du Règlement AC, il ressort de l’objet plus général du Règlement, ainsi que du pouvoir discrétionnaire conféré à la ministre pour lui donner effet, que celle-ci dispose du pouvoir discrétionnaire de revoir une demande en instance de brevet lorsqu’elle l’estime nécessaire pour vérifier à nouveau l’innocuité et l’efficacité de la drogue.

 

[36]           Quatrièmement, il est bien vrai que la Cour a conclu par l’arrêt Apotex c. Canada qu’Apotex disposait d’un droit acquis à un avis de conformité (motifs, au paragraphe 93). La Cour suprême du Canada a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de cette décision, retenant essentiellement les motifs de notre Cour.

 

[37]           Dans cette affaire, Apotex avait déposé le 15 février 1990 une présentation relativement à l’Apo‑Enalapril. Le 22 décembre 1992, elle a présenté une demande par laquelle elle sollicitait une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus obligeant le ministre à délivrer un avis de conformité à l’égard de son médicament. Dès le 3 février 1993, l’Apo‑Enalapril répondait à toutes les normes établies quant à l’innocuité et à l’efficacité pour la délivrance d’un avis de conformité (motifs de la Cour d’appel fédérale, aux paragraphes 22 et 29). Cet élément contextuel était important.

 

[38]           S’il est vrai que, dès le 4 février 1993, le ministre aurait pu rendre une décision dans cette affaire, des représentants de Santé Canada ont demandé un avis juridique concernant le pouvoir du ministre de délivrer un avis de conformité alors que l’adoption de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, (le projet de loi C‑91) était imminente.

[39]           La question était de savoir si Apotex disposait d’un droit acquis à l’avis de conformité. Pour y répondre, il fallait rechercher si, le 4 février 1993, la ministre fut dessaisie de son pouvoir discrétionnaire relatif à l’avis de conformité.

 

[40]           La Cour a jugé que quatre éléments étaient pertinents pour décider si Apotex disposait d’un droit acquis à l’avis de conformité : a) la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre; b) la pertinence des avis juridiques; c) la pertinence des mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur; d) la question de savoir si l’affaire avait été présentée au ministre pour examen (motifs de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 64).

 

[41]           S’agissant de la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre, la Cour a observé : « La portée du pouvoir discrétionnaire d’un décideur varie selon que l’on qualifie diverses considérations de “pertinentes” ou de “non pertinentes” à son exercice. » La Cour a rejeté la thèse selon laquelle le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre était, du point de vue de l’interprétation des lois, suffisamment général pour viser d’autres considérations que celles concernant l’innocuité et l’efficacité (motifs de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 65).

 

[42]           La Cour a ensuite conclu que, pendant le temps qui lui avait finalement été nécessaire pour rendre sa décision, le ministre avait pris en considération des éléments non pertinents. Apotex, ainsi, avait un droit acquis à l’avis de conformité.

 

[43]           Vu que dans l’affaire Apotex c. Canada, l’innocuité et l’efficacité de la drogue n’avaient jamais été mises en cause, et que la Cour a conclu que les facteurs pertinents pour apprécier le pouvoir discrétionnaire du ministre étaient précisément cette innocuité et cette efficacité, à mon sens, on ne saurait soutenir sur le fondement de cette jurisprudence que le droit à l’avis de conformité est acquis lorsque la ministre n’est pas convaincue de l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue. Cette question n’a tout simplement pas été déférée à la Cour.

 

[44]           Avant d’en finir sur ce point, j’ai aussi tenu compte de l’argument d’Apotex selon lequel il était [traduction] « inéquitable et arbitraire » que les représentants de la ministre aient préféré les résultats défavorables obtenus lors de l’examen de sa présentation en 2008 aux résultats favorables obtenus en 2002 alors que, selon ses dires, il n’y avait eu aucun changement de situation important. J’ai également tenu compte de l’argument d’Apotex concernant la conduite, censée donner lieu à une crainte raisonnable de partialité, des représentants de la ministre.

 

[45]           La ministre a débattu les éléments de preuve produits par Apotex sur ces questions.

 

[46]           Compte tenu de l’ensemble des preuves, je conclus qu’Apotex n’a pas démontré que les réserves de la ministre relatives à l’innocuité et à l’efficacité n’étaient pas sincères. Il ressort des preuves qu’il existe une grande incertitude à la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada quant aux exigences de bioéquivalence qu’il convient d’appliquer aux inhibiteurs de la pompe à protons. Une telle incertitude scientifique n’enlève rien à la sincérité des réserves de la ministre en matière d’innocuité et d’efficacité.

 

[47]           Revenons maintenant à l’analyse de la thèse d’Apotex quant à l’existence d’un droit acquis. Il est nécessaire d’examiner l’argument d’Apotex selon lequel, si la ministre pouvait revoir la décision qu’elle a déjà prise d’autoriser une présentation, la date de cette autorisation n’aurait pas été utilisée comme point de départ de référence pour le calcul des dommages, aux fins de l’article 8 du Règlement AC. Toutefois, si la ministre revient sur la conclusion initiale et décide ensuite de ne pas délivrer l’avis de conformité à la seconde partie, il n’est plus possible d’intenter le recours fondé sur l’article 8. Là encore, j’estime que cet argument n’est d’aucune utilité pour l’interprétation du Règlement.

 

[48]           Pour conclure enfin, Apotex soutient essentiellement qu’en raison de l’autorisation initiale de la ministre, elle pouvait légitimement s’attendre à ce que l’avis de conformité soit délivré une fois l’instance de brevet terminée. La doctrine de l’attente légitime, toutefois, ne confère pas de droits fondamentaux de la nature de ceux revendiqués par Apotex (voir, par exemple, Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249, au paragraphe 78, ainsi que Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 2, à la page 7-24).

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion

[49]           Par ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑452‑11

 

INTITULÉ :                                                  APOTEX INC. c.
LA MINISTRE DE LA SANTÉ ET
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

H.B. Radomski

Daniel Cohen

 

POUR L’APPELANTE

 

J. Sanderson Graham

Agnieszka Zagorska

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.