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Date : 20130208

Dossier : A‑137‑12

Référence : 2013 CAF 33

 

CORAM:       LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

MARK PAYNE

appelant

et

LA BANQUE DE MONTRÉAL

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 janvier 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 février 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

LE JUGE WEBB

 

 


Date : 20130208

Dossier : A‑137‑12

Référence : 2013 CAF 33

 

CORAM:       LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

MARK PAYNE

appelant

et

LA BANQUE DE MONTRÉAL

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               Alors qu’il était directeur de la succursale de la Banque de Montréal (la BMO) à Woodstock, une petite ville ontarienne, Mark Payne a eu une relation de nature sexuelle avec la directrice adjointe de la succursale, Teresa Carter. M. Payne et Mme Carter ont eu des rapports de nature sexuelle dans les locaux de la succursale et ailleurs.

 

[2]               À la suite d’une allégation de harcèlement visant M. Payne faite par Mme Carter, la BMO a eu connaissance de la liaison et a congédié M. Payne pour motif valable. M. Payne a déposé auprès de Développement des ressources humaines Canada une plainte pour congédiement injuste en application du paragraphe 240(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2 (le Code). Un arbitre, Peter J. Barton (l’arbitre) a instruit la plainte conformément au paragraphe 242(2) du Code. Dans sa décision, datée des 11 novembre 2010 et 26 avril 2011, l’arbitre a décidé que le congédiement était injuste et a ordonné à la BMO de réintégrer M. Payne dans ses fonctions. Les dispositions pertinentes du Code sont jointes à titre d’annexe aux présents motifs.

 

[3]               La BMO a présenté devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’arbitre. Dans une décision rendue le 13 avril 2012 par le juge Rennie (le juge), la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire (2012 CF 431) et annulé la décision de l’arbitre au motif qu’elle était déraisonnable.

 

[4]               Notre Cour est maintenant saisie d’un appel de la décision du juge. La première question à trancher est de savoir si la décision de l’arbitre, selon laquelle les écarts de conduite de M. Payne n’étaient pas suffisamment graves pour justifier le congédiement, était, en soi et quant à ses motifs, déraisonnable. Si la décision relative au congédiement est confirmée, il faut alors rechercher à savoir si la réintégration était ou non une mesure déraisonnable.

 

[5]               Par les motifs que je vais exposer, je ne suis pas convaincu que la décision de l’arbitre relative au congédiement était déraisonnable, mais je conclus que l’ordonnance de réintégration, l’était. Par conséquent, j’accueillerais l’appel en partie et je renverrais l’affaire à un nouvel arbitre pour qu’il accorde la mesure qu’il estime appropriée.

 

Les faits

[6]               Les faits essentiels sont constants. En août 2003, la BMO a embauché M. Payne, maintenant âgé de 62 ans, à titre de directeur de sa succursale de Mount Forest, en Ontario. En avril 2007, M. Payne a été promu directeur, avec hausse de salaire et d’échelon, de la succursale de Woodstock de la BMO.

 

[7]               En septembre 2008, la BMO a imposé à M. Payne une suspension avec salaire pendant qu’elle faisait enquête sur les plaintes portées contre lui par cinq employées de la succursale de Woodstock (comptant dix employés). Celles‑ci alléguaient que M. Payne avait eu un comportement répréhensible. Il aurait notamment crié sur elles sur un ton agressif, les aurait rabaissées devant des collègues de travail et des clients, aurait interrogé une employée sur la nature d’un rendez‑vous chez le médecin pour lequel elle avait demandé un congé et aurait commenté l’apparence physique de deux employés.

 

[8]               Le 16 octobre 2008, une fois l’enquête menée sur ces plaintes (la première enquête), M. Payne a fait l’objet d’une mesure corrective au troisième palier, la mesure disciplinaire la plus sévère avant le congédiement. On lui a intimé de suivre un plan d’action selon lequel il lui était interdit de faire tout commentaire ou avoir tout comportement importun à l’endroit d’autres employés; M. Payne était aussi censé comprendre la différence entre les rapports appropriés et inappropriés avec les autres, y compris avec ses subalternes. On précisait dans le plan d’action : [traduction] « Ces attentes quant à l’exercice des fonctions valent pour tous les rapports avec vos collègues, dans quelque contexte que ce soit ».

 

[9]               M. Payne s’est vu refuser toute prime pour cet exercice financier et on l’a affecté à une plus petite succursale, soit celle de Norwich, aussi en Ontario, où il portait le titre de directeur de succursale. Il devait se contenter d’agir « dans l’ombre » de la directrice en poste jusqu’à sa prise de retraite un peu plus d’un an plus tard ou obtenir d’elle un encadrement de pair. La mutation a donné lieu à une baisse d’échelon, mais pas de salaire, pour M. Payne.

 

[10]           Le 6 novembre 2008, la BMO a diligenté une deuxième enquête sur le comportement de M. Payne, par suite de la plainte pour harcèlement portée par Mme Carter. Lorsque les enquêteurs l’ont interrogé le lendemain, M. Payne a nié avoir eu une relation personnelle avec Mme Carter. Il a de nouveau été suspendu avec salaire. Lors d’un entretien qui s’est déroulé le 10 novembre, M. Payne a toutefois admis avoir eu une relation à caractère sexuel avec Mme Carter. Le 12 novembre, on l’a mis en congé sans solde.

 

[11]           Il est constant que la relation à caractère sexuel a débuté au cours de l’été 2008 et a duré jusqu’à la fin d’octobre, au moment où les conjoints de Mme Carter et de M. Payne en ont appris l’existence. M. Payne et Mme Carter ont eu des rapports consensuels de nature sexuelle à la succursale de Woodstock, pendant et après les heures ouvrables, ainsi qu’au domicile de Mme Carter, notamment à deux reprises après la mutation de M. Payne à Norwich et l’imposition du plan de mesures correctives. Il est aussi constant que M. Payne et Mme Carter se sont rencontrés pour déjeuner pendant la première enquête et que M. Payne a alors communiqué à Mme Carter des renseignements sur l’enquête qu’on lui avait dit être confidentiels et qui ne devaient pas être communiqués.

 

[12]           Le 17 novembre 2008, l’associée de la BMO chargée des relations de travail et des politiques d’emploi a envoyé au premier vice‑président, région de l’Ontario, de la banque un courriel par lequel elle recommandait le congédiement pour motif valable de M. Payne (dossier d’appel, à la page 131). Elle a fait les observations suivantes :

[traduction] Mark n’est toujours pas conscient de la portée de ses actions et de son comportement en tant que gestionnaire et qu’employé de la BMO – tout au long de notre conversation téléphonique, il a tenté de tout rejeter sur autrui. Il a ainsi déclaré que Teresa Carter essayait de « le prendre au piège en raison de son piètre rendement » et a qualifié de « ridicule » notre […]  [première] enquête sur ses pratiques de gestion. Je […] lui ai clairement fait comprendre que sa perception selon laquelle notre enquête interne était « ridicule » dénotait clairement l’absence chez lui de toute prise de conscience.

 

 

[13]           L’auteure de ces commentaires a également indiqué dans son rapport relatif à la première enquête que M. Payne

[traduction] n’avait pas conscience de la façon dont son comportement était perçu et, lorsqu’on lui a demandé de réfléchir davantage à cette perception, sa réponse semblait indiquer qu’il avait des remords et s’engageait à changer (dossier d’appel, à la page 103).

 

 

[14]           Le 20 novembre 2008, on a congédié M. Payne pour motif valable. La lettre de congédiement alléguait qu’il n’avait pas respecté le caractère confidentiel de la première enquête en en discutant avec Mme Carter; qu’il avait agi de manière répréhensible dans les locaux de la banque pendant et hors des heures ouvrables; qu’il n’avait pas répondu aux attentes formulées dans la lettre du 16 octobre relative aux mesures correctives; enfin, qu’il avait manqué au code d’éthique et de conduite de la BMO. Il est indiqué dans ce code que les normes déontologiques les plus rigoureuses doivent guider les décisions des employés, que les violations de ces normes sont prises très au sérieux et peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires, y compris au congédiement.

 

[15]           On résume comme suit dans la lettre les motifs de congédiement : [traduction] « Vous avez fait montre d’un faible jugement et votre comportement témoignait d’un véritable manque d’intégrité et d’honnêteté, de sorte que vous avez perdu notre confiance » (dossier d’appel, à la page 134).

 

Décision de l’arbitre

[16]           Après avoir énoncé les faits, l’arbitre a discuté les motifs de congédiement. Il a conclu que M. Payne avait sciemment manqué à l’obligation de confidentialité entourant la première enquête et avait menti aux enquêteurs de la BMO quant à la nature de sa relation avec Mme Carter. L’arbitre a dit estimer que ces incidents n’étaient pas [traduction] « extrêmement graves », mais qu’ils l’étaient suffisamment pour justifier la prise de mesures disciplinaires.

 

[17]           L’arbitre a considéré que le motif principal du congédiement était la relation à caractère sexuel entre M. Payne et Mme Carter. À cet égard, il a tiré comme conclusion de fait qu’un employé de la succursale de Woodstock était au courant de [traduction] « l’affection » de M. Payne pour Mme Carter parce qu’il l’avait vu lui baiser la  main au travail, et que lui‑même leur avait dit de [traduction] « faire cela hors du bureau ». Il n’y avait toutefois aucune preuve du fait que d’autres employés ou membres de la collectivité locale étaient au courant de quoi que ce soit. La relation ayant été décrite comme « consensuelle » dans l’exposé conjoint des faits, l’arbitre en a déduit qu’aucune pression indue n’avait été exercée.

 

[18]           L’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que M. Payne avait violé la politique de la BMO contre le harcèlement, par exemple en abusant de son poste de superviseur par la menace de sanctions ou l’offre d’avantages liés au travail. L’arbitre a, par contre, estimé que le comportement de M. Payne avait pu enfreindre le principe d’intégrité personnelle mis de l’avant par le code de conduite de la BMO et a conclu que le déni initial de M. Payne concernant sa relation avec Mme Carter constituait de la malhonnêteté au sens de ce code.

 

[19]           L’arbitre a conclu que, peu importe que M. Payne ait contrevenu ou non à la politique contre le harcèlement ou au code de conduite de la BMO, il avait agi de façon [traduction] « irréfléchie à l’extrême » et exposé la Banque à un [traduction] « risque réel » : « [l]a réputation de la Banque dans la collectivité aurait pu être gravement entachée par le battage médiatique ». Toutefois, faute de preuve que d’autres employés (à une exception près), des clients ou des membres de la collectivité locale aient eu connaissance de la relation, l’arbitre a conclu que les actions de M. Payne n’avaient en fait causé qu’une faible préjudice à la BMO, voire aucun.

 

[20]           L’arbitre a relevé que, selon le principe des mesures disciplinaires progressives, on doit normalement fournir l’occasion aux employés de s’amender avant de procéder à leur congédiement, et que M. Payne aurait peut‑être tiré de bonnes leçons si on lui avait permis de réfléchir sur ses écarts de conduite avec Mme Carter. L’arbitre a toutefois aussi reconnu que, même en l’absence de mesures disciplinaires antérieures moins lourdes, l’employeur peut congédier un employé si [traduction] « un incident très grave » se produit. Selon l’arbitre, la question était donc de savoir si, compte tenu également du manquement à l’obligation de confidentialité et des mensonges, la liaison entre M. Payne et Mme Carter était un incident de cette nature.

 

[21]           Bien qu’il ait jugé dangereux, stupides et irréfléchis les écarts de conduite de M. Payne, l’arbitre a néanmoins conclu que ceux‑ci, pris en compte avec la violation de la confidentialité et les mensonges, n’étaient pas graves au point de justifier le congédiement. Il a fait état des motifs suivants à l’appui.

 

[22]           Premièrement, il s’agissait essentiellement d’une relation entre des adultes consentants [traduction] « qui se trouvaient à travailler dans le même lieu ». Selon l’arbitre, en qualifiant la relation de consensuelle dans l’exposé conjoint des faits, on a laissé entendre que M. Payne n’avait pas exercé sur Mme Carter des pressions d’ordre professionnel; l’arbitre n’a par ailleurs pu relever l’existence d’aucune pareille pression. Le fait que M. Payne était le superviseur de Mme Carter et exerçait une fonction de modèle n’avait pas un caractère déterminant.

 

[23]           Deuxièmement, quoique la [traduction] « situation aurait été différente » si plusieurs personnes dans le lieu de travail ou la collectivité avaient été au courant de la relation et que cela les avait troublées, le comportement de M. Payne n’avait en fait causé qu’un faible préjudice à la BMO, voire aucun.

 

[24]           Troisièmement, comme M. Payne a toujours agi dans l’intérêt supérieur de la banque, mis à part lorsqu’il a eu sa liaison avec Mme Carter, une suspension aurait pu être la bonne solution parce que, s’il avait eu le temps nécessaire pour réfléchir sur sa conduite, il aurait peut‑être changé.

 

[25]           L’arbitre a ordonné à la BMO de réintégrer M. Payne dans ses fonctions après une suspension de quatre mois.

 

Décision de la Cour fédérale

[26]           Le juge a appliqué la norme du caractère raisonnable en ce qui concerne le contrôle de la décision de l’arbitre. L’examen des motifs de la décision de l’arbitre a permis au juge de relever les erreurs suivantes.

 

[27]           Premièrement, l’arbitre n’avait pas procédé à l’analyse contextuelle requise par la jurisprudence McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, [2001] 2 R.C.S. 161, (McKinley) pour évaluer si les écarts de conduite de M. Payne étaient « conciliable[s] avec la relation employeur‑employé » (au paragraphe 57).

 

[28]           En particulier, l’arbitre n’avait pas examiné le comportement de M. Payne dans son ensemble, notamment la conduite qui lui avait valu la sanction disciplinaire la plus sévère avant le congédiement, à l’issue de la première enquête sur les plaintes portées par des employées. L’arbitre avait souligné que M. Payne n’avait pas eu de rapports sexuels avec Mme Carter avant, pendant et après avoir eu les écarts de conduite qui ont fait l’objet de sanctions. En outre, l’arbitre n’avait accordé aucune importance au fait que M. Payne était gestionnaire, et que la banque devait pouvoir compter sur sa loyauté et son bon jugement; M. Payne devait en particulier faire preuve de leadership quant à l’application de la politique contre le harcèlement.

 

[29]           Deuxièmement, l’arbitre avait commis une erreur de droit en estimant que les écarts de conduite de M. Payne ne justifiaient pas son congédiement parce qu’ils n’avaient pas causé un préjudice réel à l’employeur. En effet, un écart de conduite susceptible de causer un préjudice peut suffire à justifier le congédiement. Quoi qu’il en soit, le juge a conclu que la BMO avait subi un préjudice puisqu’un employé avait eu connaissance de la relation et que les actes reprochés ont parfois eu lieu pendant les heures ouvrables, ce qui a donc fait perdre à la banque des heures de travail pour lesquelles elle avait rémunéré deux employés.

 

[30]           Troisièmement, a fait remarquer le juge, l’arbitre n’avait pas expliqué dans ses motifs comment, face à une conduite qu’il avait lui‑même qualifiée d’irréfléchie, de stupide et de dangereuse, la BMO pouvait avoir toujours suffisamment confiance dans le bon jugement de M. Payne comme gestionnaire pour que puisse se poursuivre la relation employeur‑employé.

 

[31]           Le juge a également conclu que même si le congédiement de M. Payne était injuste, ce qu’il ne croyait pas, il avait été déraisonnable de lui accorder la réintégration comme mesure. En effet, compte tenu des conclusions de fait tirées par l’arbitre, il était déraisonnable de conclure que la conduite de M. Payne n’avait pas eu une incidence négative sur la confiance que la BMO avait en M. Payne en tant qu’employé ayant du personnel à gérer.

 

Questions en litige et analyse

(i) Norme de contrôle

[32]           La principale question en litige en l’espèce est de savoir si le congédiement de M. Payne était injuste. C’est une question mélangée de fait et de droit parce que la réponse est fonction de l’application par l’arbitre des règles de droit pertinentes aux conclusions de fait qu’il a tirées, le processus consistant à apprécier les faits dans le cadre juridique approprié. La norme de contrôle applicable à la décision d’un tribunal administratif sur des questions mélangées de fait et de droit est présumée être la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53).

 

[33]           Rien en l’espèce ne réfute cette présomption, bien au contraire. La clause privative figurant au paragraphe 243(1) du Code renforce la conclusion voulant que le législateur souhaite que les cours chargées du contrôle judiciaire des décisions d’arbitres fassent preuve de retenue. Il faut examiner avec soin tout le contexte pour décider du caractère « injuste » ou non d’un congédiement, ce qui met inévitablement à contribution l’expérience de l’arbitre et son appréciation des réalités pratiques de la relation de travail.

 

[34]           Si l’arbitre n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant que le congédiement était injuste, c’est aussi la norme du caractère raisonnable qui permet d’établir s’il a exercé erronément son pouvoir discrétionnaire en matière de réparation en ordonnant la réintégration de M. Payne.

 

[35]           Il n’est pas controversé entre les parties que le juge a recouru pour l’une et l’autre question à la norme de contrôle du caractère raisonnable. La question à trancher par notre Cour est de savoir si le juge a appliqué cette norme correctement pour tirer à la conclusion que la décision de l’arbitre, tant à l’égard du congédiement que de la mesure, était déraisonnable (Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, 2009 D.T. C. 5046, aux paragraphes 16 à 19). C’est par conséquent la décision de l’arbitre qui retiendra toujours principalement l’attention de notre Cour dans le présent appel.

 

(ii) Contrôle selon la norme du caractère raisonnable

[36]           Par l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a fourni des orientations quant à l’application de la norme de contrôle du caractère raisonnable. Premièrement, elle nous rappelle au paragraphe 47 qu’il s’agit d’une norme de déférence qui reconnaît le fait que, bien souvent, les questions déférées aux tribunaux administratifs ne donnent pas lieu à une seule réponse correcte et, au paragraphe 49, que le législateur confie en premier lieu le pouvoir décisionnel à un tribunal spécialisé en raison de son expérience dans le domaine visé et de sa bonne connaissance du régime législatif qui relève de sa responsabilité. Selon la norme du caractère raisonnable, les cours réformatrices doivent faire preuve de respect à l’égard des décisions des tribunaux administratifs spécialisés (au paragraphe 48).

 

[37]           Deuxièmement, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 48 que la cour qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit prendre en compte tant le processus décisionnel (c’est‑à‑dire les motifs) du tribunal administratif que l’issue du processus (c’est‑à‑dire la décision elle‑même). Lorsqu’elle examine les motifs, la cour réformatrice doit rechercher s’ils justifient la décision, et s’il sont transparents et intelligibles. Quant à l’issue, il doit s’agir d’une décision possible acceptable que le tribunal peut rendre au regard des faits et du droit.

 

[38]           La Cour suprême a donné des précisions sur la méthode indiquée en matière de contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland Nurses). Elle a déclaré en particulier au paragraphe 14 que l’insuffisance des motifs du tribunal ne rend pas nécessairement sa décision déraisonnable. La cour réformatrice peut toujours confirmer la décision si elle s’inscrit dans l’éventail des issues possibles acceptables dont fait état l’arrêt Dunsmuir. Il faut analyser de concert et non séparément les motifs et le résultat, dans le cadre d’un « exercice […] global », aux termes de la juge Abella, qui s’exprimait au nom de la Cour suprême. La juge a ainsi déclaré au paragraphe 14 que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ».

 

[39]           Aux paragraphes 16 à 18, la Cour suprême a également conseillé aux cours réformatrices de ne pas fixer des critères trop stricts pour rechercher si les motifs des tribunaux administratifs remplissent les exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité. Il n’est pas nécessaire de discuter chaque question ou argument soulevé, ni de procéder à l’examen en profondeur des questions. La cour réformatrice peut aussi examiner le dossier du tribunal afin d’apprécier le caractère raisonnable de la décision, bien qu’elle ne puisse pas substituer ses propres motifs à ceux du tribunal (au paragraphe 15). La juge Abella a ajouté (au paragraphe 16) :

[…] les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

[40]           Comme on l’a vu, l’arbitre devait décider en l’espèce si le congédiement de M. Payne était injuste au sens du paragraphe 242(3) du Code. La BMO attaque les motifs de la décision de l’arbitre parce qu’il n’aurait pas tenu valablement compte de certains éléments factuels pertinents sur le plan du droit et aurait accordé trop d’importance à certains autres.

 

[41]           Toutefois, la cour qui procède au contrôle selon la norme du caractère raisonnable n’a pas habituellement pour rôle de substituer son opinion à celle du tribunal quant à l’importance relative des faits examinés par ce dernier. La cour doit néanmoins rechercher, sur le fondement des motifs donnés par le tribunal, complétés lorsque cela est nécessaire par le dossier administratif, si la décision peut se justifier sur le plan rationnel eu égard à la marge d’appréciation que les cours de justice accordent aux tribunaux spécialisés, laquelle se traduit par l’application de la norme déférente du caractère raisonnable.

 

[42]           Selon la jurisprudence McKinley, il faut procéder à un examen du contexte essentiellement factuel qui tienne compte de multiples facteurs pour établir si, en fonction des faits de l’affaire, les écarts de conduite d’un employé sont suffisamment graves pour justifier son congédiement. L’arbitre en cause en l’espèce dispose, par conséquent, d’une marge d’appréciation relativement large. Le juge Iacobucci fait les observations suivantes à ce sujet (au paragraphe 34) :

Il ressort en outre de la jurisprudence que, selon l’approche contextuelle – qui tient compte autant des circonstances ayant entouré le comportement que de sa nature ou gravité –, le juge des faits a le pouvoir discrétionnaire de décider si [les écarts de conduite] constitue[nt] un motif valable de congédiement.

 

 

La BMO a une longue pente à remonter pour établir que la décision de l’arbitre était déraisonnable.

 

[43]           On ne peut pas conclure à la légère non plus que la mesure était déraisonnable en l’espèce étant donné le large pouvoir discrétionnaire conféré aux arbitres en la matière par le paragraphe 242(4) du Code et le fait que la décision relative à la mesure qu’il convient d’accorder relève tout particulièrement de leur champ d’expertise.

 

(iii) Était‑il déraisonnable pour l’arbitre de conclure que le congédiement était injuste?

a) Congédiement injuste – le contexte juridique

[44]           Il n’est pas controversé entre les parties que l’arrêt McKinley de la Cour suprême fait jurisprudence quant à la grille d’analyse à laquelle le juge doit recourir pour rechercher si les écarts de conduite d’un employé sont suffisamment graves pour justifier son congédiement pour motif valable, même lorsque l’employeur n’a pas imposé précédemment des sanctions moins lourdes ou des « mesures disciplinaires progressives » à l’employé pour des écarts semblables.

 

[45]           L’affaire McKinley s’inscrivait dans le contexte d’une action de common law en rupture de contrat où le demandeur alléguait qu’on l’avait congédié sans motif valable. Comme l’arbitre l’a reconnu dans la présente affaire, l’approche prescrite par la jurisprudence McKinley est également applicable pour rechercher si le congédiement d’un employé est « injuste » aux fins du Code.

 

[46]           L’arrêt McKinley est important en ce qu’on y rejette l’approche fondée sur des catégories pour établir si l’inconduite d’un employé justifie son congédiement. À de rares exceptions près, la catégorie en cause d’inconduite, y compris la malhonnêteté, n’a pas un caractère déterminant. Il faut plutôt examiner avec soin l’ensemble des circonstances de l’affaire afin que la sanction infligée à l’employé soit proportionnelle à la gravité de l’inconduite. Ce principe est fondé sur l’importance du travail dans la vie des personnes et l’inégalité typique du rapport de force en matière de rapports employeur‑employé (aux paragraphes 53 et 54).

 

[47]           S’exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci a ainsi observé que l’« analyse des circonstances ayant entouré l’inconduite alléguée, de sa gravité et de la mesure dans laquelle elle a influé sur la relation employeur‑employé » (au paragraphe 56) était nécessaire « pour déterminer si elle est conciliable avec la relation employeur‑employé » (au paragraphe 58). Le juge Iacobucci avait observé plus tôt ce qui suit (au paragraphe 48) quant à l’inconduite en cause dans l’affaire McKinley :

Plus particulièrement, il s’agit de savoir si la malhonnêteté de l’employé a eu pour effet de rompre la relation employeur‑employé. Ce critère peut être énoncé de plusieurs façons. On pourrait dire, par exemple, qu’il existe un motif valable de congédiement lorsque la malhonnêteté viole une condition essentielle du contrat de travail, constitue un abus de la confiance inhérente à l’emploi ou est fondamentalement ou directement incompatible avec les obligations de l’employé envers son employeur.

 

 

[48]           Il ressort clairement de la jurisprudence McKinley et de la jurisprudence subséquente à laquelle les avocats nous ont renvoyés qu’il n’est pas aisé de satisfaire à ce critère. Le congédiement pour motif valable est rarement jugé être juste en l’absence d’avertissements préalables et de sanctions moins lourdes infligées pour des écarts de conduite semblables.

 

[49]           L’arbitre a estimé, à juste titre, que la grille d’analyse consacrée par la jurisprudence McKinley s’appliquait à la plainte de M. Payne. La BMO concède qu’une relation à caractère sexuel entre un(e) superviseur(e) et un(e) subordonné(e), même lorsque les actes reprochés ont lieu au travail, ne fait pas partie des catégories restreintes d’inconduite qui justifient le congédiement en l’absence d’une analyse contextuelle de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire en cause (voir Cavaliere c. Corvex Manufacturing Ltd., [2009] O.J. no 2334, au paragraphe 2).

 

[50]           Selon la BMO, l’erreur commise par l’arbitre fut de ne pas appliquer la méthode consacrée par la jurisprudence McKinley; en effet, l’arbitre aurait fait abstraction d’éléments du contexte devant être pris en compte pour apprécier la gravité de l’inconduite de M. Payne, ce qui, selon l’avocat de la BMO, a abouti à une décision qui ne pouvait se justifier au regard des faits et du droit.

 

b) L’arbitre a‑t‑il examiné les écarts de conduite de M. Payne dans leur ensemble?

[51]           Il n’est pas controversé entre les parties que les écarts de conduite pour lesquels on a infligé des sanctions disciplinaires à M. Payne en octobre 2008 faisaient partie du contexte dont l’arbitre devait tenir compte, selon la jurisprudence McKinley, pour apprécier la gravité de la relation de nature sexuelle entre M. Payne et Mme Carter. Le décideur doit procéder à son appréciation en tenant compte, de manière cumulative, des écarts de conduite de l’employé pour établir si le congédiement sans préavis était, ou non, injuste (Poliquin c. Devon Canada Corp., 2009 ABCA 216, [2009] 9 W.W.R. 416, aux paragraphes 73 à 75).

 

[52]           L’avocat de la BMO affirme que l’arbitre n’a pas suivi la méthode consacrée par la jurisprudence McKinley pour établir si les écarts de conduite de M. Payne justifiaient son congédiement parce qu’il n’a pas tenu compte des écarts pour lesquels M. Payne avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires à l’époque même de sa liaison avec Mme Carter. Je rejette cette thèse.

 

[53]           Premièrement, l’arbitre a décrit de manière relativement détaillée les plaintes des employés, ainsi que l’enquête et les mesures disciplinaires qui en ont résulté. Deuxièmement, dans la partie de ses motifs réservée à son analyse, l’arbitre a déclaré qu’étant donné la courte période où M. Payne avait été au service de la BMO et le fait que [traduction] « son dossier faisait état de deux mesures disciplinaires, y compris celle du 16 octobre » (c’est moi qui souligne), il était justifié d’infliger une sanction plus sévère.

 

[54]           Il est vrai que l’arbitre n’a pas mentionné les écarts de conduite pour lesquels on avait déjà infligé des mesures disciplinaires à M. Payne lorsqu’il a recherché si la violation de la confidentialité, les mensonges et la liaison, pris ensemble, justifiaient le congédiement pour un motif valable. Toutefois, vu la mention déjà relevée des autres écarts commis, je ne puis déduire du défaut de l’arbitre de les mentionner de nouveau qu’il n’en a pas tenu compte. La description des faits par l’arbitre montre aussi clairement qu’il savait que les plaintes ayant abouti à la première enquête remontaient, en gros, à la même époque que la liaison en cause.

 

[55]           La BMO impute à M. Payne un modèle de comportement démontrant, de différentes manières et à peu près au même moment, son inaptitude à exercer des responsabilités de gestion, compte tenu particulièrement du fait que la plupart des employés sous sa supervision étaient des femmes. L’avocat de la BMO fait valoir que l’arbitre a commis une erreur en faisant abstraction de cet important élément du contexte.

 

[56]           À mon avis, cet argument revient pour l’essentiel à dire que l’arbitre aurait dû accorder plus de poids à cet aspect de l’affaire lorsqu’il a apprécié la gravité des écarts de conduite de M. Payne. Toutefois, le poids à accorder aux diverses composantes de l’enquête contextuelle sur les circonstances d’espèce relève du pouvoir discrétionnaire des arbitres, et la norme de la décision raisonnable fait habituellement obstacle à l’intervention judiciaire pour un tel motif.

 

[57]           Je relèverais à cet égard qu’il existe d’importantes différences entre les écarts de conduite découlant, d’une part, des plaintes d’employées concernant les commentaires importuns de M. Payne et la façon dont celui‑ci leur parlait et, d’autre part, des rapports consensuels de nature sexuelle entre M. Payne et Mme Carter. Je reconnais aussi toutefois que, sur un plan plus général, ces deux types d’écarts constituent, de la part d’un gestionnaire, un comportement inapproprié à l’endroit d’employées sous sa supervision.

 

c) L’arbitre a‑t‑il commis une erreur en exigeant la preuve d’un préjudice?

[58]           L’avocat de la BMO a soutenu que l’arbitre avait conclu erronément qu’un employé ne pouvait être congédié pour un motif valable que lorsque le risque de préjudice créé par son inconduite donnait lieu à un préjudice réel. En effet, l’arrêt Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431 (C.A), à la page 456, enseigne que l’inconduite qui fait courir à l’employeur un risque important de grave préjudice peut suffire pour justifier le congédiement sans préavis, et ce, même si le préjudice ne se concrétise pas.

 

[59]           Je retiens la formulation de l’avocat de la BMO de la règle de droit pertinente. Je n’estime toutefois pas qu’il ressort d’une interprétation impartiale des motifs de l’arbitre que celui‑ci a considéré le préjudice réel comme une condition juridique préalable au congédiement pour motif valable.

 

[60]           L’arbitre a reconnu de manière appropriée les graves risques de préjudice pour la BMO découlant des écarts de conduite de M. Payne. En particulier, la relation entre celui‑ci et Mme Carter aurait pu nuire au moral du personnel : les employées pouvaient penser qu’avoir des relations sexuelles avec le directeur de la succursale était le prix à payer pour obtenir une promotion. En outre, le comportement de M. Payne aurait pu compromettre la réputation de la BMO à Woodstock : cela ferait vraisemblablement mauvaise impression sur les clients, actuels et éventuels, d’apprendre qu’à une banque les deux cadres supérieurs avaient au travail une relation de nature sexuelle. Enfin, il était toujours possible que Mme Carter intente une poursuite contre la BMO en raison du comportement de M. Payne.

 

[61]           Malgré ces risques sérieux de préjudice, l’arbitre a conclu qu’une seule personne, un employé de sexe masculin de la succursale, avait eu connaissance de cette relation, et qu’ainsi la BMO n’avait guère subi de véritable préjudice par suite des écarts de conduite de M. Payne. Le fait que le comportement à risque d’un employé n’ait causé à l’employeur aucun préjudice important est un élément pertinent en matière d’analyse contextuelle et peut justifier un jugement moins grave quant aux écarts de conduite (Dooley c. C.N. Weber Ltd, [1994] O.J. no 712, au paragraphe 21; conf., [1995] O.J. no 940 (C.A.); autorisation d’appel rejetée, [1995] C.S.C.R. no 264 (Dooley)).

 

[62]           J’interprète les motifs de l’arbitre comme indiquant seulement que le caractère relativement restreint du préjudice subi par la BMO atténue la gravité de l’inconduite de M. Payne, et non pas que la simple création d’un risque de préjudice ne pourrait jamais constituer, en droit, un motif valable de congédiement. Le fait que l’arbitre n’ait par ailleurs pas mentionné dans ses motifs que le déroulement au travail de la relation avait pu nuire à la productivité des deux intéressés ne constitue pas, à mon sens, une omission fatale.

 

[63]           C’est à l’arbitre qu’il incombe de décider, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’affaire, quel poids il convient d’accorder au fait que l’inconduite de M. Payne a causé à la BMO un préjudice relativement peu important.

 

d) L’arbitre a‑t‑il pris en compte les fonctions de superviseur de M. Payne?

[64]           Selon l’avocat de la BMO, l’arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte, dans son analyse contextuelle, de la gravité des écarts de conduite de M. Payne du fait que celui‑ci supervisait d’autres employés, dont la plupart étaient des femmes. Il faut toujours examiner avec soin la relation de nature sexuelle entre un(e) gestionnaire et un(e) employé(e) placé(e) sous ses ordres pour rechercher si le ou la gestionnaire a tiré avantage de l’inégalité inhérente du rapport de force. Les gestionnaires ont des obligations tant envers les employés qu’ils supervisent qu’envers leur employeur (Bannister c. General Motors of Canada Ltd. (1998), 164 D.L.R. (4th) 325 (C.A. Ont.); Simpson c. Consumers’ Assn. of Canada (2001), 209 D.L.R (4th) 214 (C.A. Ont.)).

 

[65]           L’avocat de la BMO soutient que, lorsqu’on les considère de manière globale, les écarts de conduite de M. Payne étaient fondamentalement incompatibles avec l’exercice par ce dernier de ses fonctions et justifiaient son congédiement pour motif valable.

 

[66]           L’arbitre a conclu que la relation entre M. Payne et Mme Carter était consensuelle, et ce, en grande partie parce qu’on l’avait ainsi décrite dans l’exposé conjoint des faits, mais aussi parce qu’il n’avait relevé aucune preuve de menaces ou de promesses relatives au travail. Il a par conséquent conclu que cette relation ne résultait pas de pressions indues.

 

[67]           Faute d’une telle preuve, l’existence de rapports sexuels entre superviseurs et subordonnés ne constitue pas nécessairement un motif valable de congédiement. Dans S.(S.) c. Huang & Danczkay Property Management Inc., [1999] O.J. no 4802 (C.S.J.), la juge Swinton a ainsi observé (au paragraphe 43) :

[traduction] Il ressort clairement de Norberg [c. Wynrib,] [1992] 2 R.C.S. 226, que ce ne sont pas toutes les relations de nature sexuelle entre des employés et des superviseurs ou supérieurs qui sont involontaires en raison d’une inégalité du pouvoir de négociation. L’élément qui vicie le consentement est la contrainte, l’iniquité ou l’exploitation dans le cadre de l’arrangement, et cet élément est absent en l’espèce.

 

 

[68]           L’arbitre a bien compris que M. Payne était le superviseur de Mme Carter, et il avait conscience de la possibilité que M. Payne ait abusé de ses fonctions pour initier ou poursuivre avec l’employée en question une relation de nature sexuelle. La question est de savoir si, au vu des faits d’espèce, l’arbitre a omis de procéder à une analyse contextuelle parce qu’il se serait arrêté à la qualification de la relation dans l’exposé conjoint des faits, soit une relation consensuelle.

 

[69]           M. Payne savait que Mme Carter était vulnérable. Elle avait déjà obtenu de mauvais résultats à une évaluation du rendement au travail, et c’était à lui qu’il revenait de rédiger la suivante, même si dans les faits il n’en a pas été ainsi. Mme Carter avait également dit à M. Payne qu’elle éprouvait des problèmes conjugaux. Elle a déclaré à l’enquêteur qu’elle s’était sentie obligée de poursuivre la relation, et elle s’est plainte auprès de la BMO du fait que M. Payne l’avait harcelée vers la fin de leur relation.

 

[70]           L’analyse par l’arbitre de cet élément du contexte est assurément peu fouillée, compte tenu particulièrement du fait qu’on se montre plus sensible dans la jurisprudence récente à la vulnérabilité des femmes face aux avances non désirées de leurs supérieurs. Quatre points doivent toutefois être relevés.

 

[71]           Premièrement, on estime, de manière générale, que l’inégalité du rapport de force entre un superviseur et une subordonnée est un facteur pertinent dans les affaires où le harcèlement sexuel est le motif du congédiement et où la question est de savoir si le comportement du superviseur n’est pas désiré. Or, le congédiement de M. Payne par la BMO ne reposait pas sur ce motif et la BMO n’a pas attaqué la conclusion de l’arbitre selon laquelle M. Payne n’avait pas enfreint sa politique contre le harcèlement.

 

[72]           Deuxièmement, l’arbitre savait que M. Payne et Mme Carter avaient relaté de manière différente aux enquêteurs qui avait été l’instigateur de la relation et qui avait voulu qu’elle continue.

 

[73]           Troisièmement, il ressort clairement de la description de l’argumentation de la BMO donnée par l’arbitre qu’il avait parfaitement conscience de la possibilité que des superviseurs abusent de leur pouvoir, particulièrement dans des affaires de harcèlement sexuel.

 

[74]           Quatrièmement, bien que Mme Carter ait dit à l’enquêteur qu’elle s’était sentie obligée de poursuivre la relation, l’arbitre a souligné que la version des faits de M. Payne était différente quant à la question de savoir qui avait été l’instigateur de l’affaire et qui avait voulu qu’elle se poursuive. Dans ces circonstances, il aurait été difficile pour l’arbitre de pousser bien loin l’examen de cette question, étant donné tout particulièrement que Mme Carter n’avait pas témoigné à l’audience.

 

[75]           Compte tenu de tous ces éléments, l’arbitre n’était pas tenu, dans le cadre de l’analyse contextuelle consacrée par la jurisprudence McKinley, d’examiner davantage si la relation était ou non véritablement consensuelle.

 

e) L’issue était‑elle déraisonnable?

[76]           Comme je l’ai déjà dit, je ne juge pas déterminantes les erreurs entachant, selon la BMO, les motifs de la décision de l’arbitre. Il était loisible à l’arbitre d’estimer que la nature consensuelle de la relation et le fait qu’aucun préjudice important pour l’employeur n’avait été démontré atténuaient la gravité des écarts de conduite de M. Payne.

 

[77]           À l’appui de sa conclusion que le congédiement était une sanction excessive, l’arbitre a donné comme troisième motif qu’on n’avait pas donné à M. Payne l’occasion de tirer des leçons des mesures disciplinaires infligées après la première enquête. L’arbitre a aussi cru M. Payne quand il a déclaré avoir toujours agi dans les meilleurs intérêts de la banque, mis à part lorsqu’il a eu sa liaison avec Mme Carter, et il en a conclu qu’une suspension [traduction] « aurait bien pu réussir » à le faire réfléchir sur ses manquements et à améliorer ses aptitudes de gestionnaire.

 

[78]           Cette conclusion suit le renvoi précédent de l’arbitre au concept de mesures disciplinaires progressives, lequel offre l’occasion aux employés de s’amender par l’infliction de sanctions moins lourdes pour les écarts de conduite qu’ils ont commis. L’arbitre a observé que, comme M. Payne n’avait fait l’objet d’une mesure corrective au troisième palier que le 16 octobre, il n’avait pas eu l’occasion de démontrer qu’à l’avenir il n’aurait plus de comportements inappropriés avec ou envers les employées sous sa supervision.

 

[79]           À titre de juge des faits, il était loisible à l’arbitre de prêter foi à la déclaration de M. Payne selon laquelle il avait toujours agi dans les meilleurs intérêts de la BMO, mis à part lorsqu’il a eu sa liaison avec Mme Carter. J’ai toutefois des réserves quant au recours par l’arbitre à cet élément du raisonnement pour justifier sa conclusion relative au caractère injuste du congédiement de M. Payne. Il aurait mieux valu que l’arbitre examine, pour décider de l’à‑propos de la réintégration comme mesure, s’il était opportun que la BMO accorde une autre chance à M. Payne en l’espèce.

 

[80]           Il peut sembler surprenant qu’on ait conclu que les faits de la présente affaire ne justifiaient pas le congédiement pour motif valable. Toutefois, le législateur a confié la mission de se prononcer sur cette question à l’arbitre. Une cour réformatrice n’a pas pour mission de substituer son opinion sur le bien‑fondé d’un différend à l’opinion de l’arbitre. Elle a uniquement pour mission résiduelle de veiller à ce que les motifs énoncés par l’arbitre justifient le résultat atteint et démontrent que la décision s’inscrit dans l’éventail des issues acceptables. Il se peut qu’une décision, même s’inscrivent dans l’éventail des issues acceptables, paraisse « contre‑intuitive » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 13) aux yeux d’un profane.

 

[81]           Deux facteurs font ressortir la nécessité de la retenue judiciaire en l’espèce : la clause privative figurant au paragraphe 243(1) du Code, et l’importance du pouvoir discrétionnaire dont doit nécessairement disposer l’arbitre pour apprécier et mettre en balance les multiples facteurs composant l’analyse contextuelle prescrite par la jurisprudence McKinley. Le contexte comprend la protection offerte par le Code aux employés non syndiqués contre le congédiement injuste (les employés syndiqués sont protégés du congédiement arbitraire par les clauses relatives au « motif valable » des conventions collectives) en reconnaissance de l’inégalité du rapport de force dans la relation employeur‑employé et de l’importance du travail dans la vie des gens. Non seulement le congédiement pour motif valable met fin à la relation employeur‑employé sans préavis, mais encore il peut rendre très difficile l’obtention par l’employé concerné d’un travail comparable à l’avenir.

 

[82]           Par conséquent, bien que l’arbitre ait conclu que les écarts de conduite de M. Payne avaient été dangereux, irréfléchis et stupides, ses motifs justifient, à mon sens, sa conclusion selon laquelle le congédiement pour motif valable constituait une sanction excessive. Ce résultat s’inscrit dans l’éventail des issues raisonnablement acceptables au regard des faits et du droit.

 

[83]           Vu ma conclusion quant à la décision de l’arbitre sur la question du congédiement, je suis appelé à me pencher sur la deuxième question : si le congédiement était injuste, l’arbitre a‑t‑il commis une erreur en ordonnant la réintégration de M. Payne?

 

(iv) La réintégration était‑elle une mesure déraisonnable?

[84]           Dans des motifs distincts présentés cinq mois après la décision relative au congédiement, l’arbitre a ordonné à la BMO de réintégrer M. Payne dans ses fonctions après une suspension de quatre mois et lui a accordé une indemnité. La question est ici de savoir si l’arbitre a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable en ordonnant la réintégration.

 

[85]           L’arbitre a déclaré que, [traduction] « sauf dans des circonstances exceptionnelles », la réintégration était la mesure souhaitable en matière de congédiement injuste. Après avoir signalé les facteurs qui justifieraient de ne pas réintégrer l’employé congédié injustement, l’arbitre a souligné un certain nombre de points. Premièrement, les mensonges de M. Payne au sujet de sa liaison ont pu miner la confiance que la BMO avait en lui, mais ils étaient peut‑être [traduction] « compréhensibles ». Deuxièmement, l’arbitre a jugé [traduction] « inquiétantes » les mesures disciplinaires précédemment infligées à M. Payne et il a observé que ce dernier était très susceptible d’être renvoyé advenant l’apparition de nouveaux problèmes. L’arbitre a toutefois estimé que cette question ne se posait pas pour l’instant; dans l’intervalle, on pouvait remédier aux manquements de M. Payne par de la formation. Troisièmement, les rapports personnels entre M. Payne et les autres cadres de la BMO s’étaient détériorés. Quatrièmement, M. Payne n’occupait pas son nouveau poste depuis assez longtemps pour qu’on puisse constater s’il avait tiré des leçons des mesures disciplinaires infligées. L’employeur n’ayant pas démontré que la réintégration était [traduction] « irréaliste », M. Payne méritait qu’on lui accorde une autre chance.

 

[86]           Dans Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349 (C.A.), au paragraphe 12, autorisation d’appel refusée, Bulletin de la C.S.C. 1998, p. 1399, la Cour a souligné que les arbitres avaient entière discrétion pour accorder la mesure souhaitée parmi celles énumérées au paragraphe 242(4) du Code, y compris l’indemnisation et la réintégration. La réintégration ne constitue pas un droit mais, sauf dans des circonstances exceptionnelles, elle est, en pratique, la mesure accordée de préférence par les arbitres en cas de congédiement injuste.

 

[87]           Bien qu’il faille faire preuve de retenue face à l’exercice par un arbitre du large pouvoir discrétionnaire conféré par le Code quant aux mesures, les motifs énoncés en l’espèce ne constituent pas, avec égards, une justification valable de la décision d’ordonner la réintégration.

 

[88]           Les facteurs contextuels à prendre en compte pour rechercher si le congédiement est injuste recoupent, dans une large mesure, les facteurs pertinents pour juger de l’opportunité de la réintégration. Le juge Manson énonce, dans la décision Banque de Montréal c. Sherman, 2012 CF 1513, une liste non exhaustive des facteurs habituellement considérés pour se prononcer sur la justesse de la réintégration. La question essentielle à laquelle il faut répondre pour décider du caractère approprié de la réintégration est de nature nettement prospective : l’employeur pourra‑t‑il faire un jour de nouveau confiance au jugement de l’employé, de telle sorte qu’il soit disposé à courir le risque de nouveaux écarts de conduite? L’arbitre n’a pas abordé de front cette question. Il a plutôt recherché, ce qui ne revient pas au même, si la réintégration était « irréaliste »?

 

[89]           Même si l’arbitre avait posé la bonne question, il ne lui était pas loisible de conclure de manière raisonnable, au regard des faits et du droit, que M. Payne devait être réintégré dans ses fonctions de directeur de la succursale de Norwich (la seule option envisagée par l’arbitre). Une employée comptant beaucoup plus d’années de service que M. Payne auprès de la BMO occupait désormais le poste de ce dernier et, en cas de réintégration, il faudrait peut‑être la remplacer.

 

[90]           L’arbitre a passé en revue les divers facteurs donnant à penser que la réintégration était inappropriée : M. Payne avait menti aux enquêteurs et enfreint l’obligation de confidentialité; il n’était [traduction] « pas un gestionnaire particulièrement bon »; son poste à Norwich avait été comblé; ses relations avec ses supérieurs étaient mauvaises. La principale raison pour laquelle l’arbitre a ordonné la réintégration semble avoir été que, comme M. Payne n’avait pas eu l’occasion de tirer des leçons des mesures disciplinaires précédemment infligées, il méritait la chance de démontrer qu’il pouvait s’amender et de regagner la confiance que la banque avait placée en lui comme gestionnaire.

 

[91]           L’arbitre n’a toutefois pas signalé que M. Payne était venu reprendre à Woodstock sa relation de nature sexuelle avec Mme Carter après avoir fait l’objet de mesures correctives, au mépris de la directive clairement donnée d’avoir un comportement approprié avec les employés. Cela remet en cause à mon avis le fondement principal de la conclusion de l’arbitre, soit que M. Payne méritait qu’on lui donne l’occasion de s’amender après la prise de mesures disciplinaires contre lui et de montrer à la BMO qu’elle pouvait de nouveau lui faire confiance en tant que gestionnaire. L’arbitre s’est aussi appuyé sur sa conviction que M. Payne n’avait pas eu l’occasion de tirer des leçons des sanctions disciplinaires antérieures pour étayer sa conclusion selon laquelle le congédiement était injuste. Or, ce n’était qu’un des trois facteurs sur lesquels l’arbitre a fondé sa décision quant au congédiement.

 

[92]           Compte tenu des autres conclusions tirées par l’arbitre ainsi que du dossier dans son ensemble, je ne vois aucun raisonnement ni aucun fondement rationnel qui puisse justifier d’accorder la réintégration comme réparation. Bien que M. Payne soit maintenant âgé de 62 ans, il ne travaillait pour la BMO depuis guère plus de cinq ans lorsqu’on l’a congédié. Il n’avait donc pas à son actif des années de service irréprochable auprès de la BMO qui auraient fondé la conclusion que la confiance de la banque en ses capacités de gestionnaire pouvait être rétablie.

 

[93]           Il faut espérer que les parties pourront s’entendre sur la question de la mesure sans que l’on doive de nouveau recourir à un arbitre. Trop de temps et de ressources ont déjà été consacrés à cette affaire.

 

(v) Conclusions

[94]           Par tous les motifs exposés, j’accueillerais l’appel en partie, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire dans la mesure où elle attaque la décision de l’arbitre portant que le congédiement était injuste, mais j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire en partie pour annuler la mesure accordée par l’arbitre. Si les parties ne peuvent s’entendre sur la mesure, je renverrais l’affaire à un nouvel arbitre pour qu’il accorde une mesure appropriée. Comme les deux parties ont eu partiellement gain de cause dans le présent appel, je n’adjugerais aucuns dépens, que ce soit devant notre Cour ou devant les juridictions inférieures.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Wyman W. Webb, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑137‑12

 

INTITULÉ :                                                  MARK PAYNE c.
LA BANQUE DE MONTRÉAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 14 janvier 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW ET LE JUGE WEBB

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Brooks

Jennifer Barlow

 

POUR L’APPELANT

 

Malcolm MacKillop

Meighan Ferris‑Miles

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LERNERS LLP

London (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Shields O’Donnell MacKillop

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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