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Date : 20130205

Dossier : A-376-12

Référence : 2013 CAF 26

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LA BANDE INDIENNE DE LOWER NICOLA

appelante

et

LE CHEF VICTOR YORK

intimé

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 février 2013

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE EVANS

                                                                                                                         LA JUGE DAWSON

 



Date : 20130205

Dossier : A-376-12

Référence : 2013 CAF 26

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LA BANDE INDIENNE DE LOWER NICOLA

appelante

et

LE CHEF VICTOR YORK

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Le chef Victor York interjette appel du jugement en date du 31 juillet 2012 (2012 CF 949) par lequel la Cour fédérale (le juge Near) a annulé une résolution du 1er novembre 2011 du conseil de la bande indienne de Lower Nicola qui était censée destituer Victor York de son poste de chef.

 

[2]               Même si la Cour fédérale avait des réserves sur la question de savoir si le conseil avait respecté le droit du chef à l’équité procédurale, elle a choisi de fonder sa décision sur le caractère raisonnable de la décision du conseil. Elle a estimé qu’il était impossible de déterminer si la décision du conseil était raisonnable parce que le fondement de la décision du conseil était inconnu.

 

[3]               Je suis d’avis de rejeter l’appel, mais pour des motifs différents de ceux de la Cour fédérale.

 

[4]               La destitution du chef est régie par l’alinéa 34c) des Custom Election Rules, qui dispose :

 

            [traduction] 

34.       Tout membre du conseil peut être destitué de ses fonctions sur-le-champ par l’adoption d’une résolution du conseil de bande en ce sens, une élection partielle étant ensuite aussitôt déclenchée aux termes de l’article 24, si :

 

[...]

 

c)         le membre ne s’est pas acquitté de ses responsabilités de membre du conseil pendant une période de plus de 30 jours suivant la réception d’un avis écrit du conseil lui enjoignant de le faire.

 

 

[5]               Cet article est la seule disposition qui peut être invoquée pour destituer un chef de bande. Il est précis et clair. Aucune disposition des Custom Election Rules ne permet d’assouplir le préavis impératif de 30 jours prévu à l’alinéa 34c). Un autre document de base, le Policy and Procedures of Chief and Councillors (1997), prévoit la suspension, mais non la destitution, du chef.

 

[6]               Rien ne permet de penser que le conseil ait tenté d’interpréter l’alinéa 34c) et d’en discerner les exigences, de sorte que la norme de la décision raisonnable qui s’applique normalement à l’interprétation, par les bandes, des dispositions de leurs codes électoraux (p. ex., Première nation de Fort McKay c. Orr, 2012 CAF 269), ne s’applique pas dans le cas qui nous occupe. En d’autres mots, il n’y a aucune interprétation à l’égard de laquelle notre Cour pourrait faire preuve de déférence. De plus, les décisions relatives au contenu de l’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (SCFP c. Ontario (Ministre de la Main-d’œuvre), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100). À mon avis, peu importe la norme de contrôle applicable, la validité de la résolution du conseil ne saurait être confirmée compte tenu de l’alinéa 34c) et des règles de common law relatives à l’équité procédurale.

 

[7]               À mon avis, l’alinéa 34c) et les règles d’équité procédurale de common law font en sorte que, pour destituer le chef de la bande, le conseil doit suivre les formalités suivantes :

 

●          Le conseil doit lui envoyer un avis écrit lui enjoignant de s’acquitter de ses responsabilités;

 

●          L’avis doit préciser que le défaut par lui de s’acquitter de ses responsabilités dans les 30 jours suivants risque de se solder par une résolution le destituant de ses fonctions. Bien que j’estime que cette mesure soit prévue implicitement par le libellé de l’alinéa 34c) et s’accorde avec l’objet de cet alinéa, il s’agit également d’une exigence prévue par les règles de l’équité procédurale de la common law dans les cas où, comme en l’espèce, les conséquences sont graves et la norme de common law n’a pas été exclue par un texte législatif (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999], 2 R.C.S. 817, au paragraphe 25; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 R.C.S. 311, à la page 328).

 

●          Après que le chef se soit vu accorder un délai de 30 jours pour s’acquitter de ses responsabilités, il se voit accorder une possibilité véritable de faire valoir son point de vue d’une manière ou d’une autre devant le conseil (voir l’arrêt Nicholson, précité); une fois qu’il a examiné les faits et les observations formulées, le conseil peut adopter une résolution portant destitution de l’intéressé si à son avis cette mesure est justifiée et appropriée.

 

●          Si le conseil adopte une résolution de destitution, il doit immédiatement après envisager la possibilité de convoquer une élection conformément à l’article 24 des Custom Election Rules.

 

[8]               Ces exigences sont semblables à celles que le chef a fait valoir devant la Cour fédérale et devant notre Cour. L’appelante n’a pas sérieusement contesté ces exigences.

 

[9]               L’appelante a fait valoir que le conseil avait donné au chef de nombreux avis écrits au sujet de son comportement au cours de l’année 2011 et que les avis en question suffisaient. J’estime toutefois qu’aucun de ces avis ne satisfaisait aux exigences susmentionnées.

 

[10]           Lors des débats qui ont eu lieu devant nous, l’appelante a confirmé que seulement deux des avis envoyés au chef évoquaient la possibilité d’une destitution : la lettre du 9 mars 2011 et celle du 18 octobre 2011. Je proposerai donc quelques réflexions personnelles au sujet de ces lettres et d’une autre lettre – qui, comme l’appelante a insisté pour le dire lors des débats, constitue un avis en bonne et due forme – en l’occurrence, la lettre du 28 septembre 2011.

 

[11]           La lettre du 9 mars 2011 faisait allusion à la possibilité de la destitution du chef, mais n’évoquait pas la possibilité que le défaut de s’acquitter de ses obligations au cours des 30 jours suivants puisse se solder par sa destitution. Elle avisait plutôt le chef que le conseil avait adopté une motion pour faire enquête sur sa conduite. Elle énumérait un certain nombre de préoccupations, notamment au sujet de manquement à son obligation fiduciale – le seul « manquement » qui a été mentionné – et prévenait l’intéressé que, si l’enquête faisait ressortir d’autres « manquements », le conseil donnerait suite en prenant les mesures requises pour suspendre le chef ou pour le destituer conformément aux Custom Election Rules de la bande indienne de Lower Nicola. Suivant une interprétation que je crois juste, la lettre du 9 mars 2011 se voulait une simple mise en garde expliquant qu’à l’issue de l’enquête, le conseil était susceptible d’entamer le processus prévu à l’alinéa 34c).

 

[12]           Quant à la lettre du 18 octobre 2011  la seule autre lettre dans laquelle il est fait allusion à la destitution du chef , le conseil semble l’avoir considérée comme le principal document ayant servi à aviser le chef, ainsi qu’il ressort à l’évidence du libellé de la résolution du 1er novembre 2011 :

 

[traduction] 

ATTENDU QUE le conseil dûment élu de la bande indienne de Lower Nicola (le conseil) a envoyé une lettre (ci‑jointe) au chef Victor York, le 18 octobre 2011;

 

ET ATTENDU QUE le chef Victor York n’a pas répondu à la lettre du 18 octobre 2011 et qu’il n’a pas participé à l’assemblée tenue le 25 octobre 2011 pour répondre aux allégations contenues dans la lettre du 18 octobre 2011;

 

ET ATTENDU QUE les membres du conseil se sont réunis lors d’une assemblée extraordinaire dûment convoquée pour clore l’enquête menée au sujet des éventuels manquements et transgressions commis par Victor York, en sa qualité de chef dûment élu de la bande de Lower Nicola énumérés dans la lettre susmentionnée du 18 octobre 2011;

[…]

 

PAR CONSÉQUENT, IL EST RÉSOLU qu’à compter de la date ci‑après mentionnée [le 1er novembre 2011], le conseil démet et destitue Victor York en tant que chef de la bande indienne de Lower Nicola compte tenu des éléments de preuve contenus dans la lettre du 18 octobre 2011.

 

 

[13]           Quoi qu’il en soit, la lettre du 18 octobre 2011 ne satisfait aucunement aux exigences susmentionnées : elle n’avise pas le chef du fait que son défaut de s’acquitter de ses obligations dans les 30 jours suivants risque de se solder par une résolution le destituant de son poste. Elle précède également de 14 jours la date de la résolution du 1er novembre 2011 : le chef n’a donc pas eu droit au délai de 30 jours lui permettant de corriger le défaut qui lui est reproché. Je tiens à ajouter que, pendant le plus clair du délai de 14 jours, le conseil avait suspendu le chef et que ce dernier n’avait donc pas la possibilité de corriger son présumé défaut.

 

[14]           Comme nous l’avons déjà mentionné, lors des débats, l’appelante a également fortement tablé sur une autre lettre, la lettre du 28 septembre 2011 adressée au chef par le conseil. Cette lettre est antérieure de 34 jours à la résolution du 1er novembre 2011. Cette lettre est toutefois loin de satisfaire aux exigences susmentionnées. Elle ne dit rien au sujet de la destitution du chef et elle ne l’avise pas que son défaut de s’acquitter de ses obligations au cours des 30 prochains jours est susceptible de se solder par une résolution le destituant de son poste. La lettre du 28 septembre 2011 l’informait plutôt qu’il avait été suspendu pour 30 jours et le prévenait qu’une [traduction] « enquête plus approfondie » serait ouverte.

 

[15]           Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, je conclus que le conseil n’a pas suivi la procédure requise pour destituer le chef de son poste. Par conséquent, la résolution du 1er novembre 2011 doit être invalidée.

 

[16]           Dans ces conditions, il est inutile de se demander si la décision du conseil de destituer le chef était raisonnable, c’est‑à‑dire si elle appartenait aux issues acceptables et défendables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). Je ne formule aucun commentaire sur les motifs formulés par la Cour fédérale à cet égard.

 

[17]           Les présents motifs ne portent que sur les irrégularités procédurales commises en l’espèce. Rien dans les présents motifs ne devrait être interprété comme l’expression d’une opinion sur les agissements du chef qui auraient motivé l’adoption de la résolution du conseil.

 

[18]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel. Le chef sollicite les dépens avocat-client tant en appel qu’en première instance. L’appelant n’a affiché aucun comportement qui justifierait l’adjudication de tels dépens. Néanmoins, j’estime que les dépens devraient suivre l’issue de la cause. Par conséquent, je suis d’avis d’adjuger au chef ses dépens suivant le barème habituel tant en appel qu’en première instance.

 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord »
Eleanor R. Dawson, j.c.a.

 

« Je suis d’accord »
John M. Evans, j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-376-12

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 31 JUILLET 2012 PAR LE JUGE NEAR DANS LE DOSSIER T‑1964‑11)

 

INTITULÉ :                                                                          Bande indienne de Lower Nicola c. Le chef Victor York

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 4 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               Le juge Stratas

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           Le juge Evans et la juge Dawson

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 5 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David C. Rolf

Paul Anderson

 

POUR L’APPELANTE

 

Teressa Nahanee

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parlee McLaws s.r.l.

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’APPELANTE

 

Teressa Nahanee, avocate

Merritt (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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