Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20130214

Dossier : A‑487‑11

Référence : 2013 CAF 38

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

KERRY MURPHY

appelant

et

AMWAY CANADA CORPORATION

et

AMWAY GLOBAL

 

intimées

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 7 novembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 février 2013.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20130214

Dossier : A‑487‑11

Référence : 2013 CAF 38

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

KERRY MURPHY

appelant

et

AMWAY CANADA CORPORATION

et

AMWAY GLOBAL

 

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Le 23 octobre 2009, l’appelant, Kerry Murphy, a introduit une procédure en éventuel recours collectif contre Amway Canada Corporation et Amway Global (ci‑après l’intimée) par laquelle il soutenait que les pratiques d’affaires de l’intimée contrevenaient aux articles 52, 55 et 55.1 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. 34. En réponse à la procédure intentée par l’appelant, l’intimée a présenté plusieurs requêtes, notamment une requête en suspension de l’instance et en renvoi à l’arbitrage, requête que le juge Boivin (le juge) de la Cour fédérale du Canada a accueillie avec dépens le 23 novembre 2011. La décision du juge a été publiée sous la référence 2011 CF 1341. Le recours collectif de l’appelant a donc été suspendu.

 

[2]               La décision du juge a abouti au présent appel par lequel l’appelant demande l’annulation de la suspension accordée par le juge afin de poursuivre son instance devant la Cour fédérale. L’une des questions soulevées dans l’appel est de savoir s’il est possible d’interjeter appel de la décision du juge devant notre Cour. Si l’on répond à cette question par l’affirmative, il faut alors rechercher si les questions de fond soulevées par l’appelant dans sa déclaration sont des points qui, bien qu’ils soient clairement visés par la Convention de soumettre les différends à la médiation et à l’arbitrage (la Convention d’arbitrage) conclue par les parties, sont effectivement arbitrables.

 

Les faits

[3]               L’appelant est propriétaire d’une petite entreprise et est inscrit en qualité de propriétaire de commerce indépendant (PCI), commerce que chapeaute l’entreprise de l’intimée, Amway Canada (qui fait également affaire sous le nom d’Amway Global). Amway Canada est un grossiste dans le domaine des produits domestiques, de soins personnels, de beauté et de santé. L’entreprise vend ses produits selon un plan de commercialisation à niveaux multiples. Sa structure comporte un grand nombre de PCI, lesquels recrutent à leur tour d’autres distributeurs pour conclure d’autres ventes et instaurer ainsi une distribution à niveaux multiples. Chaque PCI doit prendre connaissance de la brochure « Opportunité commerciale » et signer un accord d’inscription afin de pouvoir faire partie du réseau de distribution. L’Accord d’inscription, que chaque particulier doit signer pour devenir un PCI, comprend une convention d’arbitrage par laquelle les parties conviennent de soumettre tout différend éventuel à l’arbitrage. L’Accord d’inscription incorpore par renvoi le Plan de compensation des PCI et les Règles de déontologie d’Amway (les Règles de déontologie).

 

[4]               Au cours des ans, l’appelant a été inscrit à quatre reprises (première inscription en 1980‑1982) chez Amway Canada à titre de PCI, dans la province de Colombie‑Britannique. Aux fins du présent appel, il suffira de dire que l’appelant s’est inscrit comme PCI le 5 juin 2008, inscription qui était valide jusqu’à la fin de cette année‑là. Le 26 novembre 2008, l’appelant a renouvelé son inscription pour l’année 2009, et celle‑ci est venue à échéance le 31 décembre 2009.

 

[5]               Le 23 octobre 2009, l’appelant a introduit une instance devant la Cour fédérale du Canada en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence. Dans sa déclaration, l’appelant a, entre autres, soutenu que l’intimée utilisait un système de commercialisation à paliers multiples au sens du paragraphe 55(1) de la Loi sur la concurrence, et que, dans le cadre de ce système, l’intimée n’avait pas fourni à ses distributeurs les renseignements exacts concernant la rémunération qu’ils pouvaient recevoir. De plus, l’appelant a soutenu que l’intimée exploitait un système de vente pyramidale illégal en violation du paragraphe 55(1) de la Loi sur la concurrence et que l’entreprise reposait sur la tromperie des distributeurs potentiels quant aux possibilités d’affaires qu’elle leur offrait. Ce faisant, aux dires de l’appelant, l’intimée a agi contrairement aux articles 52 et 55 de la Loi sur la concurrence.

 

[6]               L’appelant a donc sollicité des dommages‑intérêts de 15 000 $ et présenté à cette fin une requête en autorisation du recours collectif projeté. Aucun autre membre potentiel du groupe ne s’est manifesté.

 

[7]               À la suite du dépôt de la déclaration de l’appelant et de sa proposition de recours collectif, l’intimée a déposé une requête en rejet ou en suspension permanente de l’instance de l’appelant et en renvoi de l’affaire à l’arbitrage au motif que celle‑ci n’était pas du ressort de la Cour fédérale. Plus particulièrement, l’intimée a soutenu qu’aux termes de la Convention d’arbitrage conclue par les parties, les questions soulevées dans la déclaration devaient obligatoirement être réglées par arbitrage.

 

[8]               Le 5 mai 2010, le juge Mainville, qui était alors à la Cour fédérale, a ordonné que la requête soit entendue le 18 juin 2010 (2010 CF 498).

 

[9]               Le 18 juin 2010, le juge Mainville a entendu la requête de l’intimée et, le 2 juillet 2010, il a rendu ses motifs à l’appui d’une ordonnance rejetant la requête de l’intimée avec dépens (2010 CF 724). Comme le juge Mainville l’a expliqué au paragraphe 3 de ses motifs, les parties ont plaidé à l’audience qui a abouti à son ordonnance du 5 mai 2010 que la requête de l’intimée en suspension de l’instance et en renvoi à l’arbitrage soulevait, d’une part, la question de la portée, de la validité et de l’effet exécutoire de la Convention d’arbitrage et de la renonciation limitée au recours collectif contenue dans celle‑ci et, d’autre part, celle de savoir si c’était la Cour fédérale ou un arbitre qui devait se prononcer sur cette question.

 

[10]           Toutefois, comme le juge Mainville l’a expliqué plus en détail au paragraphe 4 de ses motifs, les parties ont adopté une approche différente au sujet de la requête de l’intimée en suspension de l’instance et en renvoi à l’arbitrage, requête que le juge avait entendue le 18 juin 2010. Plus particulièrement, les parties, en ce qui concerne la requête, se sont bornées à débattre la question de savoir si le problème qu’elle soulevait devait être tranché par la Cour fédérale ou par l’arbitre. Ainsi, devant le juge Mainville, les parties ont débattu uniquement la question de la compétence, laissant de côté la question de fond qui, selon l’accord des parties, serait tranchée ultérieurement soit par l’arbitre, dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, soit par la Cour fédérale, à l’étape de l’autorisation du recours collectif.

 

[11]           Après avoir passé en revue les arguments de l’appelant et de l’intimée, le juge Mainville a examiné de près la Convention d’arbitrage conclue par les parties, et plus particulièrement les règles 11.3.9 et 11.3.10 des Règles de déontologie. Le juge a relevé que les parties avaient convenu que leur convention d’arbitrage exécutoire jouait et qu’elle était assujettie au régime de la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario, L.O. 1991, ch. 17 (la LAO).

 

[12]           D’après le juge Mainville, les Règles de déontologie disposent clairement que les réclamations liées à un recours collectif sont exclues du processus d’arbitrage et que tout différend concernant le caractère exécutoire ou l’applicabilité de la renonciation limitée au recours collectif énoncée à la règle 11.3.9 des Règles de déontologie devait être tranché par la Cour. Par conséquent, il a conclu que [traduction] « les réclamations liées à un recours collectif et tout différend concernant le caractère exécutoire ou l’applicabilité de la renonciation limitée aux recours collectifs ne sont pas “[des] question[s] que la convention défèrent obligatoirement à l’arbitrage” visées au paragraphe 7(1) de la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario » (motifs du juge Mainville, paragraphe 20).

 

[13]           Au paragraphe 25 de ses motifs, le juge Mainville décide que la Convention d’arbitrage conclue par les parties confère à la Cour la compétence et le pouvoir d’entendre les réclamations relatives à un recours collectif et les questions touchant le caractère exécutoire ou l’applicabilité de la renonciation limitée aux recours collectifs. Le juge conclut que la question de fond soulevée dans la requête de l’appelant devait être tranchée par la Cour fédérale et non par l’arbitre.

 

[14]           Les 3, 4 et 5 octobre 2011, le juge a entendu les arguments des parties au sujet de la question de fond soulevée dans la requête de l’intimée, nommément la portée, la validité et l’effet exécutoire de la Convention d’arbitrage et de la renonciation limitée aux recours collectifs contenue dans la convention. Comme je l’ai déjà signalé, le juge a accueilli la requête de l’intimée avec dépens.

 

Décision de la Cour fédérale

[15]           Après avoir soigneusement examiné les faits, le juge a procédé à l’analyse des Règles de déontologie, de la Convention d’arbitrage, de l’historique de procédure de la requête ayant donné lieu au jugement lui‑même et de la jurisprudence récente concernant les renonciations à intenter des recours collectifs en matière de conventions d’arbitrage et de protection du consommateur. Dans chacune des parties de son jugement, le juge a exposé la thèse des parties avant de procéder à son analyse. Il a, sans ambages, conclu que la Convention d’arbitrage jouait et était exécutoire et qu’elle excluait l’exercice de tout recours collectif concernant un montant supérieur à 1 000 $.

 

[16]           Les deux parties citent une jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531 (Seidel). L’appelant a invoqué la jurisprudence Seidel afin de soutenir que tant la renonciation à intenter un recours collectif que le règlement du différend au moyen de l’arbitrage privé et confidentiel étaient contraires à l’intérêt public. Il a opéré une analogie entre, d’une part, les dispositions de la Loi sur la concurrence et le régime législatif en cause dans l’affaire Seidel et, d’autre part, la Business Practices and Consumer Protection Act de la Colombie‑Britannique, SBC 2004, ch. 2 (la BPCPA). L’intimée s’est appuyée sur la jurisprudence Seidel et sur d’autres jurisprudences de la Cour suprême afin de soutenir que les conventions d’arbitrage doivent être appliquées sauf s’il existe un texte législatif clair à l’effet contraire. Dans ses observations, elle a indiqué que les faits de l’affaire Seidel n’étaient pas analogues à la présente espèce en raison de l’interaction des articles 3 et 172 de la BPCPA.

 

[17]           Le juge a rappelé que la jurisprudence canadienne enseigne depuis longtemps que le Canada est un pays « favorable à l’arbitrage ». En l’absence de dispositions légales à l’effet contraire, le juge doit donner effet à l’accord des parties de recourir à l’arbitrage. L’appelant a fait valoir qu’une telle disposition pouvait se trouver dans l’article 36 de la Loi sur la concurrence, mais le juge n’a pas retenu cette thèse. D’après le juge, l’article 36 se borne à affirmer la compétence de la Cour fédérale pour connaître des différends découlant de la partie VI de la Loi sur la concurrence, sans toutefois en faire le seul for compétent. Par conséquent, l’article 36 n’empêche pas les parties de rejeter cette juridiction en optant pour un processus d’arbitrage valide par une clause contractuelle.

 

[18]           Le juge a ajouté que la comparaison entre l’article 36 de la Loi sur la concurrence et les articles 3 et 172 de la BPCPA n’avait aucune commune mesure : l’article 3 dispose que toute renonciation ou cession d’un droit individuel est nulle sauf si elle est expressément permise par la BPCPA, tandis que l’article 172 régit les recours collectifs relatifs aux transactions commerciales pour les parties à un contrat et les tierces parties, ouvrant droit à l’obtention d’un jugement déclaratoire et d’une injonction. Ni l’une ni l’autre de ces dispositions n’est analogue à l’article 36 de la Loi sur la concurrence. Qui plus est, la Loi sur la concurrence ne contient aucune disposition similaire à l’article 3 de la BPCPA. En conséquence, le juge a conclu que la jurisprudence Seidel n’était pas pertinente en l’espèce.

 

Accord d’inscription

[19]           Comme je l’ai indiqué précédemment, l’Accord d’inscription, modifié le 1er septembre 2008, comporte une convention d’arbitrage et incorpore le Plan de compensation des PCI et les Règles de déontologie. Les dispositions suivantes de la Convention d’arbitrage et des Règles de déontologie sont pertinentes en l’espèce :

Convention d’arbitrage

[VERSION FRANÇAISE]

 

La Compagnie Amway Canada s/n Amway (« Amway Global ») et ses PCI acceptent mutuellement de résoudre toutes les revendications et tous les litiges issus de ou ayant rapport à un Commerce Indépendant, au Plan de Compensation des Propriétaires de Commerce Indépendant Amway (« Plan de Compensation des PCI ») ou aux Règles de la Déontologie, ainsi que les litiges au sujet du Matériel de Support Commercial (MSC), tel que défini [ci‑après] sous les Procédures de résolution des conflits décrites dans les Règles de la Déontologie, et spécifiquement dans la Règle 11. Les Règles de la Déontologie devront faire partie de cet Accord [d’inscription] de PCI et sont incorporées à titre de référence.

 

J’accepte de soumettre tout litige que je puisse avoir avec un autre PCI, Amway ou un Fournisseur Approuvé de MSC, […] qui n’est pas résolu officieusement en vertu de la Règle 11.1 à la conciliation en vertu de la Règle 11.2. La condition de conciliation est réciproque et lie à la fois Amway, les PCI et les Fournisseurs Approuvés.

 

J’accepte également que si tout litige ne peut pas être résolu malgré des efforts de bonne foi lors de la conciliation en vertu de la Règle 11.2, je soumettrai toute revendication ou tout litige issu de ou ayant un rapport avec mon Commerce Indépendant, le Plan de Compensation des PCI ou les Règles de la Déontologie des PCI (y […] compris toute revendication contre un autre PCI ou ses représentants, dirigeants, agents ou employés, ou contre la Compagnie Amway Canada, et toute compagnie mère, succursale, filiale, compagnie englobée ou remplaçante ou leurs représentants, dirigeants, agents ou employés) ainsi que tout litige en rapport avec du MSC ou des Fournisseurs Approuvés de MSC, à un arbitrage exécutoire, conformément à la Règle 11.3. La décision prise suite à cet arbitrage sera finale et exécutoire, et le jugement rendu pourra en être remis à un tribunal ayant la juridiction appropriée. Toute demande d’arbitrage doit être faite dans un délai de 2 ans après que la controverse est survenue, mais jamais après la date où la procédure légale engagée serait rendue nulle en vertu de la loi de prescription en vigueur, sous réserve de la clause d’interruption de la Règle 11.3.4. Je reconnais que cette Convention indique une transaction touchant des affaires entre états et provinces. La Loi sur l’arbitrage en Ontario (1991) ou tout statut d’arbitrage canadien pouvant le remplacer régira l’interprétation, la mise en vigueur et la procédure dans tout tribunal provincial ou fédéral au Canada. C’est l’intention des parties d’appliquer au maximum les règles d’arbitrage dans tous les cas d’arbitrage. La Convention d’arbitrage et de conciliation en vertu de la Règle 11 est réciproque et lie Amway, les PCI et les Fournisseurs Approuvés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Règles de la déontologie

[VERSION FRANÇAISE]

11.3. L’arbitrage

 

Tous les conflits qui ne sont pas résolus selon le processus décrit dans les Règles 11.1 et 11.2 ci‑dessus devront être réglés par l’arbitrage tel qu’indiqué ci‑dessous. La sentence arbitrale sera irrévocable et aura force obligatoire pour les parties et ce jugement peut être enregistré par tout tribunal compétent. […] [Comme il est énoncé à la Règle 1, les lois du Michigan s’appliquent, mais les parties reconnaissent que le contrat du PCI et chacune de ses parties font foi d’une transaction qui suppose le commerce entre États, et que la United States Arbitration Act régit l’interprétation et l’application des règles d’arbitrage et la procédure d’arbitrage.]

 

11.3.1. [L’obligation d’arbitrage est réciproque et lie les parties.]

 

[…]

 

11.3.5. Si un PCI est impliqué dans une revendication ou un conflit en vertu des règles d’arbitrage, il ne divulguera pas à toute autre personne n’étant pas impliquée directement dans le processus de conciliation ou d’arbitrage (a) la substance ou la raison de la revendication; (b) le contenu de tout témoignage ou autre élément de preuve présenté lors de l’audience d’arbitrage ou obtenu au moyen d’une communication préalable; ou (c) les modalités ou le montant de toute décision arbitrale. Cependant, rien dans ces Règles n’empêchera une partie, de bonne foi, d’enquêter sur une revendication ou une défense, y compris des entrevues de témoins et une enquête préalable.

 

[…]

 

11.3.7. Pour réduire le temps et les frais de l’arbitrage, l’arbitre ne fournira pas d’exposé des motifs pour sa décision à moins que ce ne soit requis par toutes les parties. La décision de l’arbitre sera limitée à la décision des droits et des responsabilités des parties dans le conflit spécifique faisant objet de l’arbitrage.

 

[…]

 

11.3.9. Aucune partie de cet accord ne fera valoir ses droits en tant qu’action de groupe, collective ou représentative si (a) le montant de la revendication individuelle dépasse 1 000 $; ou (b) la partie plaignante, si c’est un PCI, a atteint le statut de Platine soit dans l’année budgétaire courante ou toute autre période précédente. Ce sous‑alinéa devra être exécutoire quand la loi applicable autorise les renonciations à intenter un recours collectif et n’aura aucun effet lorsque la loi applicable interdit les renonciations en tant que question de droit. Dans tous les cas, la clause de renonciation à intenter un recours collectif, ainsi que toute autre clause de la Règle 11, est dissociable au cas où tout tribunal la trouve inexécutable ou inapplicable dans un cas particulier.

 

11.3.10.  Les revendications d’action de groupe ne sont pas arbitrables en vertu de ces Règles dans toutes circonstances, mais au cas où un tribunal refuse d’autoriser un groupe à intenter un recours collectif, tous les demandeurs individuels devront résoudre toute revendication restante par l’arbitrage.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[20]           Quelques mots sur la Convention d’arbitrage sont de mise. D’entrée de jeu, la Convention incorpore les Règles de la déontologie. Elle précise ensuite que tout différend opposant un PCI à l’intimée, s’il n’est pas réglé à l’amiable, doit être réglé par conciliation, conformément à la règle 11.3, et que toute sentence arbitrale prononcée est définitive et lie les parties. Enfin, la Convention d’arbitrage stipule que la LAO « régira l’interprétation, la mise vigueur et la procédure dans tout tribunal fédéral ou provincial au Canada ». Bien que les termes employés par les parties ne soient pas tout à fait clairs, je crois comprendre que leur intention était d’assujettir à la LAO leur convention d’arbitrage et toute poursuite engagée en vertu de celle‑ci.

 

[21]           J’examinerai vais maintenant les Règles de déontologie. La règle 11.3 énonce la marche à suivre pour le règlement des différends. Premièrement, si la médiation est infructueuse, les parties doivent recourir à l’arbitrage pour régler leur différend. Deuxièmement, toute sentence arbitrale rendue est définitive et lie les parties. Troisièmement, les lois de l’État du Michigan s’appliquent aux procédures d’arbitrage et la United States Arbitration Act (loi des Etats-Unis sur l’arbitrage) régit l’interprétation et l’application des règles et des procédures d’arbitrage. Quatrièmement, la demande d’arbitrage doit être déposée soit auprès des JAMS (les anciens Judicial Arbitration and Mediation Services), soit auprès de l’American Arbitration Association (l’AAA). L’arbitrage se déroule conformément aux règles d’arbitrage commercial des JAMS ou de l’AAA, sous réserve de toute modification ou clarification précisée à la règle 11.3. Les règles d’arbitrage commercial et les règles de déontologie des JAMS ou de l’AAA encadrent l’arbitrage et, en cas de conflit entre ces règles et la règle 11.3 des Règles de la déontologie, c’est cette dernière qui l’emporte.

 

[22]           Je note ici qu’il semble y avoir une divergence entre la Convention d’arbitrage et la règle 11.3, en ce sens que la convention prévoit l’application de la LAO alors que la règle 11.3 prévoit l’application de la United States Arbitration Act. Je suis d’avis que, dans la mesure où les questions soulevées dans la déclaration de l’appelant sont sujettes à l’arbitrage, la LAO est la loi applicable.

 

[23]           Les autres dispositions des Règles de déontologie qui sont pertinentes sont les règles 11.3.9 et 11.3.10. La règle 11.3.9 exclut les recours collectifs à l’égard des réclamations supérieures à 1 000 $. Il s’agit de la renonciation limitée au recours collectif que reconnaît le juge Mainville dans ses motifs et qui est au cœur du différend opposant les parties. Autrement dit, la question est de savoir si l’appelant peut faire valoir sa réclamation de 15 000 $ dans le cadre d’une action en recours collectif devant la Cour fédérale, malgré la règle 11.3.9. Pour ce qui est de toutes les autres réclamations, soit celles de 1 000 $ ou moins, la règle 11.3.10 stipule que les réclamations en recours collectif ne sont arbitrables en aucune circonstance. La règle 11.3.10 stipule toutefois également que si les tribunaux refusent d’autoriser une telle réclamation en recours collectif, celle‑ci peut être réglée au moyen de l’arbitrage.

 

Analyse

[24]           Comme je l’ai signalé au début des présents motifs, la première question à trancher est celle de savoir s’il est possible d’interjeter appel de la décision du juge devant notre Cour. Si la réponse est négative, l’appel devient sans objet. Je me tourne maintenant sur cette question.

 

1.         Est‑ce que le paragraphe 7(6) de la LAO interdit l’instruction du présent appel?

[25]           La disposition en cause de la LAO est le paragraphe 7(6), qu’il convient d’appréhender dans le contexte de la totalité de l’article 7, rédigé comme suit :

7. (1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.

 

(2)  Cependant, le tribunal judiciaire peut refuser de surseoir à l’instance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

1. Une partie a conclu la convention d’arbitrage alors qu’elle était frappée d’incapacité juridique.

 

2. La convention d’arbitrage est nulle.

 

 

3. L’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario.

 

4. La motion a été présentée avec un retard indu.

 

5. La question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire.

 

(3)  L’arbitrage du différend peut être engagé et poursuivi pendant que la motion est devant le tribunal judiciaire.

 

(4)  Si le tribunal judiciaire refuse de surseoir à l’instance :

 

a) d’une part, aucun arbitrage du différend ne peut être engagé;

 

b) d’autre part, l’arbitrage qui a été engagé ne peut être poursuivi, et tout ce qui a été fait dans le cadre de l’arbitrage avant que le tribunal judiciaire ne rende sa décision est sans effet.

 

(5)  Le tribunal judiciaire peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions, s’il constate :

 

a) d’une part, que la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite;

 

b) d’autre part, qu’il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions.

 

(6)  La décision du tribunal judiciaire n’est pas susceptible d’appel.

 

7. (1) If a party to an arbitration agreement commences a proceeding in respect of a matter to be submitted to arbitration under the agreement, the court in which the proceeding is commenced shall, on the motion of another party to the arbitration agreement, stay the proceeding.

 

 

(2)  However, the court may refuse to stay the proceeding in any of the following cases:

 

1. A party entered into the arbitration agreement while under a legal incapacity.

 

2. The arbitration agreement is invalid.

 

3. The subject‑matter of the dispute is not capable of being the subject of arbitration under Ontario law.

 

4. The motion was brought with undue delay.

 

5. The matter is a proper one for default or summary judgment.

 

 

(3)  An arbitration of the dispute may be commenced and continued while the motion is before the court.

 

(4)  If the court refuses to stay the proceeding,

 

(a) no arbitration of the dispute shall be commenced; and

 

(b) an arbitration that has been commenced shall not be continued, and anything done in connection with the arbitration before the court made its decision is without effect.

 

 

(5)  The court may stay the proceeding with respect to the matters dealt with in the arbitration agreement and allow it to continue with respect to other matters if it finds that,

 

 

(a) the agreement deals with only some of the matters in respect of which the proceeding was commenced; and

 

(b) it is reasonable to separate the matters dealt with in the agreement from the other matters.

 

(6)  There is no appeal from the court’s decision.

 

 

[26]           Le paragraphe 7(1) dispose que le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit surseoir à l’instance si la question soulevée en est une qui, en raison de la convention d’arbitrage, doit être déférée à l’arbitre. Le paragraphe 7(2) prévoit alors les cas où le tribunal judiciaire peut refuser de surseoir à une telle instance. Selon le paragraphe 7(4), si le tribunal judiciaire refuse de surseoir à l’instance, il n’y a nulle procédure d’arbitrage, et si la procédure d’arbitrage est déjà engagée, il y est mis fin. Le paragraphe 7(5) de la LAO vise les cas où certaines questions soulevées dans l’instance entrent dans les prévisions de la convention d’arbitrage et d’autres non. Enfin, le paragraphe 7(6) prescrit en termes non équivoques que la décision rendue par le tribunal est sans appel.

 

[27]           Je suis d’avis qu’un appel de la décision du juge peut être interjeté devant notre Cour, et ce, pour les motifs qui suivent.

 

[28]           S’appuyant sur le paragraphe 7(6) de la LAO, l’intimée soutient qu’on ne peut interjeter appel de la décision du juge. Plus particulièrement, elle soutient que puisque les parties consentent à ce que leur convention d’arbitrage soit assujettie aux dispositions de la LAO, notre Cour ne peut, en raison du paragraphe 7(6), connaître d’un appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale se prononce sur la question de savoir si les questions soulevées dans la déclaration de l’appelant peuvent être tranchées de façon appropriée par l’arbitrage. À l’appui de cette thèse, l’intimée nous renvoie à une décision du juge Shaw de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, Fowler c. 1752476 Ontario Ltd, 2010 ONSC 779 (Fowler), et à un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario donnant effet au paragraphe 7(6) de la LAO, Huras c. Primerica Financial Services Ltd., [2000] 137 OAC 79 (Huras) (voir également à ce sujet les arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario Mantini c. Smith Lyons LLP, [2003] 228 D.L.R. (4th) 214, 174 O.A.C. 138, et Brown c. Murphy (2002), 59 O.R. (3d) 404). L’intimée s’appuie également sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta Lamb c. AlanRidge Homes Ltd., 2009 ABCA 343, où cette cour donne effet à une disposition similaire que l’on trouve dans l’Alberta Arbitration Act, R.S.A. 2000, ch. A‑43. Enfin, l’intimée invoque l’arrêt Halterm Ltd. c. Canada, [1984] ACF no 541 (Q.L.), 55 N.R. 541 (CAF) (Halterm), par lequel notre Cour donne effet à une obligation contractuelle interdisant d’interjeter appel d’une décision de la Cour fédérale.

 

[29]           Je tiens à me faire bien comprendre : contrairement aux faits de la jurisprudence de la Cour d’appel de l’Ontario, la LAO n’est pas en cause en l’espèce parce qu’elle a force de loi, mais bien parce que les parties l’ont incorporée à leur convention d’arbitrage. Dans les affaires tranchées par la Cour d’appel de l’Ontario, les parties avaient convenu de régler leurs litiges par arbitrage et, à cette fin, des conventions d’arbitrage avaient été conclues. Ces conventions d’arbitrage avaient été conclues en Ontario et elles étaient assujetties aux dispositions de la LAO. Autrement dit, la volonté du législateur, c’est‑à‑dire la législation ontarienne, s’appliquait aux conventions d’arbitrage.

 

[30]           Par conséquent, la Cour d’appel de l’Ontario était tenue d’appliquer les termes de la LAO aux conventions d’arbitrage et aux procédures engagées en vertu de celles‑ci. On peut en dire autant de l’affaire décidée par la Cour d’appel de l’Alberta : les parties avaient conclu une convention d’arbitrage en Alberta et l’Alberta Arbitration Act y était applicable. Ainsi, à l’instar de la Cour d’appel de l’Ontario, la Cour d’appel de l’Alberta n’avait pas d’autre choix que d’appliquer les dispositions de cette loi. Au paragraphe 14 de ses motifs, la Cour d’appel de l’Alberta fait l’observation suivante :

 

[traduction] Nous sommes d’avis que le paragraphe 7(6) [identique au paragraphe 7(6) de la LAO] reflète une considération de principe tout aussi importante, à savoir que le processus visant à déterminer si les parties devraient aller en arbitrage ou intenter des procédures judiciaires ne devrait pas être embourbé par le recours au processus d’appel. Le législateur voulait de toute évidence que la décision de la Cour du banc de la Reine soit définitive, afin de favoriser une décision rapide de la juridiction où les parties se feraient entendre pour régler leur différend.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           Par conséquent, malgré le droit de toute partie d’interjeter appel d’une ordonnance définitive d’un juge de la Cour supérieure de justice en vertu de l’alinéa 6(1)b) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, L.O. 1990, ch. C‑43, la Cour d’appel de l’Ontario était tenue de prendre en compte l’intention du législateur ontarien, soit que les décisions d’un juge de la Cour supérieure de justice rendues en vertu du paragraphe 7(6) de la LAO ne soient pas susceptibles d’appel.

 

[32]           Cependant, dans la présente affaire, la LAO n’a pas force de loi devant notre Cour. Bref, nous ne sommes pas liés par ce texte. La question en jeu est celle de savoir si les parties peuvent, en incorporant la LAO à leurs négociations, écarter la compétence de notre Cour énoncée au paragraphe 27(2) de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, lequel prévoit qu’un jugement interlocutoire ou un jugement définitif de la Cour fédérale est susceptible d’appel. À mon sens, la réponse à cette question est que les parties ne peuvent empêcher notre Cour d’exercer sa compétence pour entendre le présent appel.

 

[33]           La question dont nous sommes saisis n’est pas de savoir si notre Cour est disposée à renoncer à exercer sa compétence de manière à donner effet à l’intention des parties de régler leurs différends par arbitrage. Il ne fait aucun doute que la Cour est disposée à donner effet aux conventions d’arbitrage si l’objet de la contestation est de son ressort. Toutefois, la question dont nous sommes saisis dans le présent appel est de savoir s’il est possible d’interjeter appel d’une décision par laquelle un juge conclut que les questions soulevées dans la déclaration de l’appelant sont à juste titre visées par une convention d’arbitrage, c’est‑à‑dire que ces questions sont arbitrables. Autrement dit, la Cour doit rechercher si la conclusion du juge sur l’arbitrabilité des questions soulevées dans la déclaration est correcte.

 

[34]           Notre Cour a compétence en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi sur les cours fédérales, et nous devons donc entendre l’appel, à moins qu’il n’existe des motifs valables justifiant un refus de notre part d’exercer notre compétence. Or, nul n’a avancé de tels motifs, si ce n’est le fait que les parties ont incorporé la LAO à leur convention d’arbitrage. À mon avis, cela ne suffit pas pour écarter à la compétence de notre Cour pour entendre l’appel.

 

[35]           Il me reste à aborder l’arrêt Halterm rendu par notre Cour. Dans cette affaire, Halterm Ltd. avait conclu un contrat de bail avec le Conseil des ports nationaux au sujet des installations de terminal à conteneurs au port de Halifax, en Nouvelle‑Écosse, d’une durée de 20 ans. Selon l’une des clauses du contrat, Halterm Ltd. pouvait, à titre de locataire, demander à la Cour fédérale de fixer le taux de location approprié et, dans ce cas, ni l’une ou l’autre des parties n’exercerait un droit d’appel de la décision de la Cour fédérale. En concluant que la décision de la Cour fédérale n’était pas susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale, le juge Mahoney a fait l’observation suivante au paragraphe 9 de ses motifs :

[…] C’est de l’intention des parties à un contrat commercial dont il s’agit. Les usages commerciaux courants voudraient que le règlement d’un litige comme celui-ci dont la possibilité était envisagée soit confié à l’arbitrage. Il semble clair qu’en choisissant de s’en remettre à la Cour de l’Échiquier, les parties avaient l’intention de conférer au jugement de première instance un caractère final, comme celui que revêt une décision arbitrale, et d’exclure tout droit d’appel. […]

 

[36]           Autrement dit, la Cour a assimilé la décision de la Cour fédérale à celle d’un arbitre à l’égard de laquelle les parties ont convenu qu’elle serait définitive. Avec égards, telle n’est pas la situation en l’espèce, où la question est de savoir si les questions soulevées dans la déclaration de l’appelant doivent, ou non, être déférées à l’arbitre.

 

[37]           Par conséquent, il nous est loisible d’instruire le présent appel conformément au paragraphe 27(2) de la Loi sur les cours fédérales. J’aborderai maintenant une question d’une autre nature.

 

2.         Est‑ce que la Convention d’arbitrage suspend automatiquement un recours collectif introduit devant un tribunal compétent?

[38]           Dans son avis d’appel et au paragraphe 18 de son mémoire des faits et du droit, l’appelant soutient que le juge a commis une erreur dans son interprétation des règles 11.3.9 et 11.3.10 des Règles de la déontologie. Selon l’appelant, ce n’est que lorsqu’une cour refuse d’autoriser un recours collectif que les parties doivent porter différend à l’arbitrage. En toute déférence, ce n’est pas ce que les Règles de la déontologie prescrivent. Comme l’intimée le soutient, les Règles de la déontologie comprennent une convention d’arbitrage et une renonciation aux recours collectifs. En fait, les recours collectifs sont autorisés si le montant en cause est inférieur à 1 000 $. Par contre, les recours collectifs de plus de 1 000 $ sont expressément interdits par la Convention d’arbitrage. À cause de cette disposition, l’appelant, qui a une réclamation de 15 000 $, ne peut présenter une requête en autorisation de recours collectif. Aux paragraphes 28 et 31 de ses motifs, le juge discute ce point comme suit :

[28]     La Cour estime que la Convention d’arbitrage conclue par les parties est claire. Premièrement, l’article 11.3.9 des Règles de la déontologie autorise les recours collectifs pour les montants inférieurs à 1 000 $. Deuxièmement, les réclamations supérieures à 1 000 $ sont visées par la renonciation aux recours collectifs. Troisièmement, comme cela est mentionné à l’article 11.3.10, les recours collectifs ne peuvent en aucune circonstance faire l’objet d’un arbitrage aux termes des Règles de la déontologie. Enfin, pour ce qui est des réclamations inférieures à 1 000 $, dans le cas où le tribunal refuse d’autoriser un recours collectif, chacun des demandeurs doit soumettre ses autres réclamations à l’arbitrage.

 

[…]

 

[31]      Dans ce contexte, et compte tenu du libellé clair des articles 11.3.9 et 11.3.10, la Cour rejette la prétention du demandeur selon laquelle la Cour a compétence à l’égard du recours collectif et conclut par conséquent que la réclamation de 15 000 $ présentée par le demandeur doit être entendue par (i) un arbitre et (ii) sur une base individuelle conformément à la Convention d’arbitrage conclue par les parties.

 

 

[39]           L’intimée fait observer, à juste titre selon moi, que les arguments de l’appelant dans le présent appel concernent uniquement la question de l’arbitrabilité et non pas la question de l’interprétation de la convention. Par conséquent, on ne m’a pas convaincu qu’il y a une raison d’être en désaccord avec le juge au sujet de la signification de la Convention d’arbitrage, sous réserve des arguments de l’appelant concernant la question de l’arbitrabilité, vers lesquels je me tourne maintenant.

 

3.         Est‑ce qu’une réclamation privée en dommages‑intérêts fondée sur l’article 36 de la Loi sur la concurrence peut faire l’objet d’un arbitrage?

[40]           La question de droit fondamentale soulevée par le présent appel est de savoir si la réclamation privée en dommages‑intérêts formée en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence est arbitrable. Pour les motifs qui suivent, je conclus que oui.

 

[41]           L’appelant soutient que les réclamations privées fondées sur l’article 36 ne sont pas arbitrables. À partir de cette prémisse, il avance que si une telle réclamation n’est pas arbitrable, le juge n’avait pas compétence pour suspendre son action et, partant, la LAO ne joue pas en l’occurrence. L’appelant ajoute que des motifs impérieux d’ordre public, de même que l’intention du législateur dans la Loi sur la concurrence, vont dans le sens de ses arguments. Il cite des passages tirés de l’arrêt de la Cour suprême General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, portant sur l’importance de la concurrence dans le marché canadien, l’expérience américaine en matière de lois antitrust et les fondements de l’intérêt public qui forment la philosophie de la législation sur la concurrence. L’appelant craint que, s’il est forcé de suivre la procédure d’arbitrage, sa réclamation fondée sur l’article 36 ne soit soumise à un arbitre américain qui appliquera les lois du Michigan. L’appelant soutient que cette issue indésirable, combinée à la nature privée et confidentielle de la procédure arbitrale, démontre que l’arbitrage ne doit pas être permis pour des raisons d’intérêt public.

 

[42]           Comme il l’a fait devant le juge, l’appelant invoque un arrêt récent de la Cour suprême, Seidel, à l’appui de sa thèse portant que la Cour fédérale est un for compétent devant lequel il peut introduire son recours collectif malgré les dispositions de la Convention d’arbitrage. En particulier, il justifie par l’intérêt public la nécessité d’autoriser le recours collectif : selon lui, la nature privée et confidentielle de l’arbitrage est manifestement incompatible avec la philosophie de la Loi sur la concurrence, notamment la promotion d’un environnement économique exempt de pratiques anticoncurrentielles. De plus, d’après lui, l’arrêt Seidel enseigne que les considérations d’intérêt public – et en particulier, les renonciations au recours collectif – peuvent écarter l’application d’une convention d’arbitrage.

 

[43]           Pour sa part, l’intimée avance que si l’argument de l’appelant était retenu, aucune réclamation fondée sur l’article 36 de la Loi sur la concurrence ne pourrait être portée en arbitrage, dans quelque circonstance que ce soit. Elle poursuit en citant d’autres décisions récentes qui rappellent que les questions intéressant l’ordre public n’ont pas d’incidence sur la question de savoir si l’arbitrage est permis : Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs et al, 2007 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 801 (Dell), Rogers Sans‑fil Inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921 (Rogers Sans‑fil); Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [2003] 1 R.C.S. 178, 2003 CSC 17 (Éditions Chouette); et Jean Estate c. Wires Jolley LLP., 2009 ONCA 339.

 

[44]           L’intimée fait valoir que ces décisions vont dans le sens de sa thèse selon laquelle les questions soulevées par l’appelant dans son action intentée en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence sont arbitrables et, partant, assujetties à la Convention d’arbitrage. L’intimée soutient aussi qu’il ressort de cette jurisprudence qu’une loi, comme la Loi sur la concurrence, ne doit pas être interprétée comme excluant l’arbitrage sauf si le texte de la loi l’indique. À cet égard, l’intimée ajoute qu’on ne trouve dans la Loi sur la concurrence aucune disposition qui exclut l’arbitrage comme voie de règlement des questions couvertes par l’article 36 de cette loi.

 

[45]           Enfin, l’intimée avance que la jurisprudence Seidel de la Cour suprême a définitivement mis un terme à la controverse. L’action de l’appelant fondée sur l’article 36 de la Loi sur la concurrence est arbitrable.

 

[46]           À mon avis, la réponse à la question de savoir si l’objet de la déclaration de l’appelant est arbitrable se trouve dans la jurisprudence Seidel, sur laquelle je me pencherai maintenant.

 

[47]           Dans l’affaire Seidel, la Cour suprême était saisie d’un différend opposant Telus Communications Inc. (Telus) à Mme Seidel, une de ses clientes, au sujet d’un contrat de téléphone cellulaire qui stipulait que tout différend devait être réglé au moyen d’un arbitrage privé, confidentiel et liant les parties.

 

[48]           Faisant fi de la convention d’arbitrage, Mme Seidel a intenté, devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, une action par laquelle elle prétendait être la victime de pratiques commerciales trompeuses et abusives contraires aux articles 4 et 5, à l’alinéa 8(3)b) et à l’article 9 de la BPCPA. Dans sa réclamation contre Telus, Mme Seidel a invoqué les mesures prévues aux articles 171 et 172 de la BPCPA. En dernier lieu, se fondant sur la Class Proceedings Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, C‑50, elle a demandé d’agir en son nom et en qualité de représentante d’un groupe de consommateurs auxquels on aurait facturé des sommes excessives.

 

[49]           Comme les dispositions en cause dans l’affaire Seidel sont pertinentes pour la décision que nous devons rendre dans la présente affaire, je reproduis l’article 3, le paragraphe 171(1) et les paragraphes 172(1) et 172 (3) de la BPCPA. Je reproduis également l’article 36 de la Loi sur la concurrence, qui ressemble beaucoup au paragraphe 171(1) de la BPCPA (NOTE : la version française des dispositions pertinentes de la BPCPA est la reproduction de la version française donnée dans l’arrêt Seidel de la Cour suprême) :

 

La BPCPA

 

[traduction]

3.  Sauf dans la mesure où elle est expressément permise par la présente loi, la renonciation aux droits, avantages ou protections qui y sont prévus est nulle.

 

 

[…]

 

171.  (1) Sous réserve du paragraphe (2), la personne, autre qu’une personne visée aux alinéas a) à e), qui a subi un préjudice ou une perte en raison d’une infraction à la présente loi ou à ses règlements, peut intenter une action contre :

a) le fournisseur,

b) une agence d’évaluation de crédit, au sens de l’article 106 [définitions],

c) un collecteur, au sens de l’article 113 [définitions],

d) un huissier, un agent de recouvrement ou un administrateur de dettes, au sens de l’article 125 [définitions],

e) une personne tenue de détenir une licence sous le régime de la partie 9 [Licences]

qui a commis l’infraction ayant causé le préjudice ou la perte ou qui y a acquiescé.

 

[….]

 

172 (1)  Le directeur ou une personne autre qu’un fournisseur – que cette personne ait ou non un intérêt, particulier ou autre, à faire valoir sous le régime de la présente loi ou qu’elle soit ou non touchée par l’opération commerciale à l’origine du litige – peut intenter une action devant la Cour suprême en vue d’obtenir

a) un jugement déclarant qu’un acte commis par un fournisseur, ou sur le point de l’être, ou une pratique qu’il utilise, ou est sur le point d’utiliser, en ce qui concerne une opération commerciale contrevient à la présente loi ou à ses règlements;

b) une injonction provisoire ou permanente interdisant au fournisseur de contrevenir à la présente loi ou à ses règlements.

 

[. . .]

 

(3)   Si la Cour accueille l’action sous le régime du paragraphe (1), elle peut ordonner

a) que le fournisseur restitue à une personne les sommes ou autres biens ou choses, à l’égard desquels cette personne a un intérêt, et qui peuvent avoir été obtenus par suite d’une contravention à la présente loi ou à ses règlements;

b) si l’action est intentée par le directeur, que le fournisseur lui rembourse la totalité ou une partie raisonnable des frais engagés pour soumettre le fournisseur à une inspection sous le régime de la présente loi;

c) que le fournisseur informe le public, de manière efficace et rapide et suivant les modalités que la cour estime raisonnables, du contenu de tout jugement, jugement déclaratoire, ordonnance ou injonction prononcé contre le fournisseur sous le régime du présent article.

 

 

La Loi sur la Concurrence

 

36.  (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

 

(2) Dans toute action intentée contre une personne en vertu du paragraphe (1), les procès‑verbaux relatifs aux procédures engagées devant tout tribunal qui a déclaré cette personne coupable d’une infraction visée à la partie VI ou l’a déclarée coupable du défaut d’obtempérer à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, ou qui l’a punie pour ce défaut, constituent, sauf preuve contraire, la preuve que la personne contre laquelle l’action est intentée a eu un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI ou n’a pas obtempéré à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, selon le cas, et toute preuve fournie lors de ces procédures quant à l’effet de ces actes ou omissions sur la personne qui intente l’action constitue une preuve de cet effet dans l’action.

 

(3) La Cour fédérale a compétence sur les actions prévues au paragraphe (1).

 

 

 

(4) Les actions visées au paragraphe (1) se prescrivent :

a) dans le cas de celles qui sont fondées sur un comportement qui va à l’encontre d’une disposition de la partie VI, dans les deux ans qui suivent la dernière des dates suivantes :

(i) soit la date du comportement en question,

(ii) soit la date où il est statué de façon définitive sur la poursuite;

 

 

b) dans le cas de celles qui sont fondées sur le défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance du Tribunal ou d’un autre tribunal, dans les deux ans qui suivent la dernière des dates suivantes :

(i) soit la date où a eu lieu la contravention à l’ordonnance du Tribunal ou de l’autre tribunal,

(ii) soit la date où il est statué de façon définitive sur la poursuite.

 

The BPCPA

 

 

3.  Any waiver or release by a person of the person’s rights, benefits or protections under this Act is void except to the extent that the waiver or release is expressly permitted by this Act.

 

[…]

 

171. (1)  Subject to subsection (2), if a person, other than a person referred to in paragraphs (a) to (e), has suffered damage or loss due to a contravention of this Act or the regulations, the person who suffered damage or loss may bring an action against a

(a) supplier,

(b) reporting agency, as defined in section 106 [definitions],

 

(c) collector, as defined in section 113 [definitions],

(d) bailiff, collection agent or debt pooler, as defined in section 125 [definitions], or

 

(e) a person required to hold a licence under Part 9 [Licences]

 

who engaged in or acquiesced in the contravention that caused the damage or loss.

 

[…]

 

172. (1)  The director or a person other than a supplier, whether or not the person bringing the action has a special interest or any interest under this Act or is affected by a consumer transaction that gives rise to the action, may bring an action in Supreme Court for one or both of the following:

(a) a declaration that an act or practice engaged in or about to be engaged in by

 

 

 

 

 

(b) an interim or permanent injunction restraining a supplier from contravening this Act or the regulations.

 

[…]

 

(3) If the court grants relief under subsection (1), the court may order one or more of the following:

(a) that the supplier restore to any person any money or other property or thing, in which the person has an interest, that may have been acquired because of a contravention of this Act or the regulations;

(b) if the action is brought by the director, that the supplier pay to the director the actual costs, or a reasonable proportion of the costs, of the inspection of the supplier conducted under this Act;

 

(c) that the supplier advertise to the public in a manner that will assure prompt and reasonable communication to consumers, and on terms or conditions that the court considers reasonable, particulars of any judgment, declaration, order or injunction granted against the supplier under this section.

 

The Competition Act

 

36.  (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or

 

(b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act,

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

 

 

(2) In any action under subsection (1) against a person, the record of proceedings in any court in which that person was convicted of an offence under Part VI or convicted of or punished for failure to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act is, in the absence of any evidence to the contrary, proof that the person against whom the action is brought engaged in conduct that was contrary to a provision of Part VI or failed to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act, as the case may be, and any evidence given in those proceedings as to the effect of those acts or omissions on the person bringing the action is evidence thereof in the action.

 

 

 

 

 

 

(3) For the purposes of any action under subsection (1), the Federal Court is a court of competent jurisdiction.

 

(4) No action may be brought under subsection (1),

(a) in the case of an action based on conduct that is contrary to any provision of Part VI, after two years from

 

 

(i) a day on which the conduct was engaged in, or

(ii) the day on which any criminal proceedings relating thereto were finally disposed of,

whichever is the later; and

(b) in the case of an action based on the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court, after two years from

 

 

(i) a day on which the order of the Tribunal or court was contravened, or

(ii) the day on which any criminal proceedings relating thereto were finally disposed of,

whichever is the later.

 

 

[50]           Après avoir cité la jurisprudence de la Cour suprême sur l’exercice de l’arbitrage commercial pour régler les différends, à savoir les arrêts Dell, Rogers Sans‑fil, Éditions Chouette, Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, et GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401, le juge Binnie a signalé qu’un certain nombre de législateurs provinciaux (québecois, ontarien et albertain) étaient intervenus dans le marché pour imposer des restrictions aux clauses d’arbitrage figurant dans des contrats de consommation. Il a ensuite défini la question que la Cour suprême devait trancher, à savoir si l’article 172 de la BPCPA contenait des limites dont l’effet restreindrait l’applicabilité de la clause d’arbitrage. La question précise posée par le juge Binnie était celle‑ci : l’article 172 de la BPCPA l’emporte‑t‑il sur la disposition d’un contrat de consommation relative à la médiation et à l’arbitrage?

 

[51]           Le juge Binnie s’est d’abord référé à l’article 3 de la BPCPA, qui dispose que toute renonciation aux droits, avantages ou protections sous le régime de cette loi est nulle « sauf dans la mesure où elle est expressément permise par la présente loi ». De l’avis du juge Binnie, l’article 3 a pour objet d’invalider la clause d’arbitrage dans la mesure où elle vise à retirer un droit, un avantage ou une protection accordée par la BPCPA.

 

[52]           Il a ensuite examiné l’article 172 de la BPCPA, en vertu duquel une partie de l’action de Mme Seidel avait été intentée. Il a observé que, contrairement au recours prévu à l’article 171 de cette coi, qui ne peut être intenté que par la personne qui a subi le préjudice, le recours de l’article 172 peut être exercé « par pratiquement toute personne ». Le fait que le recours ne soit pas uniquement ouvert à la personne qui, dans les faits, a subi le préjudice fait ressortir le caractère d’intérêt public de la réparation prévue à l’article 172. Au paragraphe 32 de ses motifs, le juge Binnie fait les observations suivantes :

[…] En ouvrant la porte à l’intervention de poursuivants privés dans l’intérêt public, on augmente considérablement l’efficacité potentielle de la Loi, ce qui favorise le respect des normes qu’elle établit en vue de protéger les consommateurs. La législature a de toute évidence voulu qu’il soit loisible à la Cour suprême d’empêcher les fournisseurs ayant contrevenu à la BPCPA de faire subir à quelque consommateur que ce soit le comportement fautif reproché (ce type d’ordonnance étant du ressort exclusif des tribunaux judiciaires) plutôt que de restreindre la partie de l’interdiction à un plaignant en particulier (comme dans le cas d’un arbitrage « privé » et « confidentiel » prévu par contrat privé).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[53]           Il a ensuite dit qu’à son avis, il ressort de la structure interne de l’article 172 que le législateur provincial savait fort bien qu’en matière de consommation, les jugements déclaratoires et les injonctions sont les recours les plus efficaces pour protéger les intérêts du public en général et des consommateurs et dissuader les fournisseurs de commettre des actes fautifs, et que, dans bien des cas, les dommages‑intérêts constituent une mesure moins utile compte tenu des faibles sommes en jeu.

 

[54]           Le juge Binnie a ensuite examiné l’environnement législatif et a estimé que l’article 172 est une mesure d’intérêt public qui joue, que la « partie demanderesse » soit, ou non, touchée par l’opération commerciale. Il a comparé l’article 172 à l’article 171, qui dispose que la « partie demanderesse » doit être la personne qui a subi un préjudice ou une perte. Selon lui, cette différence n’est guère le fruit du hasard, en ce sens que l’article 171 confère seulement un droit d’action privé, tandis que l’article 172 « considère l’appelant comme un défenseur de l’intérêt public cherchant à braquer les projecteurs sur des allégations de mauvaise conduite commerciale, et la cour doit respecter l’intention exprimée par le législateur à cet article » (Seidel, paragraphe 36).

 

[55]           Après avoir déclaré que la BPCPA vise uniquement à assurer la protection des consommateurs et qu’elle appelle donc une interprétation large, favorable aux consommateurs, le juge Binnie a fait observer que l’arbitrage est susceptible de nuire aux objectifs de politique générale de  l’article 172. Il s’exprime ainsi au paragraphe 37 :

[…] L’arbitrage discret, privé et confidentiel est susceptible de nuire aux objectifs de politique générale de l’art. 172 puisque les consommateurs d’un produit donné ont peu de possibilité de rejoindre d’autres consommateurs pour partager leur expérience et leurs doléances, et obtenir réparation dans le cadre d’une action en justice très médiatisée.

 

 

[56]           Le juge Binnie est allé plus loin. À son avis, les motifs habituellement invoqués pour justifier et défendre l’arbitrage sont incompatibles avec l’atteinte de l’objet de l’article 172. Autrement dit, les objectifs de l’arbitrage privé – la confidentialité, l’absence de précédent faisant autorité et le fait d’éviter que le différend soit rendu public – ont pour effet de nuire à l’application efficace de la mesure prévue par l’article 172.

 

[57]           Le juge Binnie a aussi signalé que la solution qu’il propose de l’affaire n’est pas incompatible avec l’enseignement des arrêts de la Cour suprême Dell ou Rogers Sans‑fil. À son avis, les textes législatifs québécois en cause dans ces affaires ne contiennent aucune disposition analogue à l’article 172 de la BPCPA, « qui soumet certains recours légaux à la compétence d’un organe décisionnel particulier » (Seidel, paragraphe 41). Il a ensuite réitéré le principe énoncé dans les arrêts Dell, Rogers Sans‑fil et Éditions Chouette, à savoir qu’il y a lieu de faire jouer les clauses d’arbitrage, sauf si une disposition de la loi en cause y fait obstacle.

 

[58]           Le juge Binnie a ensuite abordé la question de savoir si la réclamation de Mme Seidel fondée sur l’article 172 de la BPCPA peut prendre la forme d’un recours collectif, faisant remarquer que la clause d’arbitrage dispose que les parties conviennent de renoncer à leur droit d’intenter un recours collectif contre Telus ou de participer à un tel recours.

 

[59]           Le juge Binnie a d’abord observé qu’il ressort clairement des termes employés dans la clause d’arbitrage que c’est uniquement en raison de la convention d’arbitrage que les consommateurs renoncent à leur droit de procéder par recours collectif. Selon le juge, si la clause d’arbitrage est invalide, comme c’était le cas en l’occurrence, en raison de l’article 3 de la BPCPA, il s’ensuit nécessairement que la renonciation au recours collectif l’est également. À l’appui de sa conclusion, le juge a signalé le fait que l’intitulé de la clause d’arbitrage était « Arbitrage » et non pas « Arbitrage et renonciation au recours collectif ». Compte tenu des termes employés dans la clause, il ne faisait aucun doute que rien n’empêchait Mme Seidel de poursuivre sa demande d’autorisation au titre de l’article 172 sous la forme d’un recours collectif.

 

[60]           Me fondant sur les principes énoncés par le juge Binnie dans l’arrêt Seidel, je me dois de conclure que les questions soulevées par l’appelant dans sa déclaration présentée en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence sont arbitrables. Il ressort clairement du jugement de la Cour suprême qu’il faut des dispositions législatives expresses pour que le juge refuse de donner effet aux termes d’une convention d’arbitrage. En l’espèce, la Loi sur la concurrence ne contient aucune disposition qui indique que le législateur avait l’intention de restreindre ou d’interdire les clauses d’arbitrage. Plus particulièrement, aucune disposition de la Loi sur la concurrence n’interdirait la renonciation à un recours collectif dans le but d’empêcher la saisine de la réclamation par l’arbitre.

 

[61]           Bien qu’elle ait décidé par l’arrêt Seidel que la réclamation de Mme Seidel fondée sur l’article 172 de la BPCPA n’était pas arbitrable, la Cour suprême a néanmoins estimé que sa réclamation fondée sur l’article 171 pouvait être portée en arbitrage. Comme je l’ai déjà relevé dans mon examen de l’arrêt Seidel, le juge Binnie a comparé le libellé de l’article 171 à celui de l’article 172 et constaté des différences significatives qui révèlent l’intention du législateur de faire en sorte que les questions soulevées en vertu de l’article 172 soient traitées par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, et que, le cas échéant, des injonctions provisoires ou permanentes soient prononcées contre les fournisseurs coupables d’infractions réprimées par la BPCPA. Autrement dit, comme le libellé de l’article 172 est différent, le législateur a voulu que les questions soulevées au titre de cet article demeurent privées et confidentielles, ce qui serait le cas si elles étaient réglées par voie d’arbitrage.

 

[62]           Comme le fait valoir l’intimée, l’action privée en dommages‑intérêts fondée sur l’article 171 de la BPCPA et celle qui est prévue par l’article 36 de la Loi sur la concurrence sont très semblables. Il est clair qu’en se prononçant comme elle l’a fait sur l’article 172 de la BPCPA, la Cour suprême ne s’est pas seulement fondée sur le libellé de ce texte lui‑même, mais aussi sur celui de l’article 3 de la Loi, qui prévoit en termes clairs que les droits, avantages et protections conférés aux consommateurs par la Loi ne peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’un abandon, sauf si la renonciation ou l’abandon est permis par la Loi. Sur ce fondement, la Cour suprême a conclu que la réclamation de Mme Seidel fondée sur l’article 172 pouvait être portée devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et que Mme Seidel pouvait poursuivre sa demande d’autorisation de recours collectif.

 

[63]           Pour conclure sur l’arrêt Seidel, je fais miennes les observations du juge au paragraphe 60 de ses motifs, où il explique pourquoi il ne peut retenir la thèse de l’appelant selon laquelle l’article 36 de la Loi sur la concurrence s’apparente à l’article 172 de la BPCPA :

La Cour ne peut retenir l’argument du demandeur selon lequel le libellé et l’objet de l’article 36 de la Loi sur la concurrence ressemblent à ceux des dispositions de la BPCPA précitées. Par exemple, à la différence de l’article 172 de la BPCPA, l’article 36 ne prévoit pas le recours à l’injonction ou les réclamations présentées par des tiers. De la même façon, la Loi sur la concurrence ne comprend pas de disposition semblable à l’article 3 de la BPCPA selon lequel [traduction] « [s]auf dans la mesure où elle est expressément permise par la présente loi, la renonciation aux droits, avantages ou protections qui y sont prévus est nulle ». Bref, la Cour estime que le libellé de la Loi sur la concurrence ne peut se comparer à celui de la BPCPA et qu’il n’est donc pas justifié de faire des comparaisons avec l’affaire Siedel sur ce fondement.

 

 

[64]           En fin de compte, si je comprends bien les arguments de l’appelant, il soutient que le droit de la concurrence, de par sa nature même, ne devrait jamais être assujetti à l’arbitrage parce que l’arbitrage n’est pas compatible avec les objectifs de servir l’intérêt public que l’on trouve dans la Loi sur la concurrence. Autrement dit, il y a quelque chose d’intouchable dans la législation en matière de concurrence qui prime sur toute Convention d’arbitrage. Des arguments semblables ont été avancés à l’occasion des affaires Dell et Rogers Sans‑fil dans le contexte du droit de la consommation, arguments que la Cour suprême a rejetés.

 

[65]           À mon sens, rien ne permet de conclure, comme le soutient l’appelant, que les réclamations faites en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence ne peuvent être réglées par arbitrage. Comme l’a clairement indiqué la Cour suprême par l’arrêt Seidel, et auparavant par les arrêts Dell et Rogers Sans‑fil, ce n’est que lorsque la loi peut être lue ou interprétée comme excluant ou interdisant l’arbitrage, comme c’est le cas de l’article 172 de la BPCPA, que le juge refuse de donner effet aux conventions d’arbitrage valides.

 

[66]           La réclamation de l’appelant présentée en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence est une réclamation privée et, à mon humble avis, elle doit être déférée à l’arbitre conformément à l’intention des parties lorsqu’elles ont conclu la Convention d’arbitrage.

 

Dispositif

[67]           Par ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Gauthier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    A‑487‑11

 

INTITULÉ :                                                  KERRY MURPHY c.
AMWAY CANADA CORP. et
AMWAY GLOBAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 7 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Éric Lafrenière

André Lespérance

 

POUR L’APPELANT

 

Claude Marseille

Adam Tobias Spiro

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lauzon Bélanger Lespérance Inc.

Montréal (Québec)

 

Trudel & Johnston

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANT

 

Blake, Cassels et Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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