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Date : 20130215

Dossier : A-65-12

Référence : 2013 CAF 39

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JACQUES MARIER

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 10 décembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 février 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                          LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER

 

 

 



Date : 20130215

Dossier : A-65-12

Référence : 2013 CAF 39

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JACQUES MARIER

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

[1]               La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) a refusé la demande de prestations de chômage de M. Marier (ou le défendeur) au motif qu’il avait quitté volontairement l’un de ses deux emplois sans justification et qu’il ne s’agissait pas là de la seule solution raisonnable dans son cas. Le Conseil arbitral a accueilli l’appel de M. Marier. La Commission s’est à son tour portée en appel de cette décision devant le juge-arbitre qui a maintenu la décision du Conseil arbitral (CUB 78444, 23 novembre 2010). De là, la présente demande de contrôle judiciaire intentée par le procureur général du Canada (le demandeur ou procureur général) que je propose de rejeter sans frais, mais pour des motifs différents de ceux énoncés par le juge-arbitre.

 

[2]               En l’espèce, le procureur général soutient qu’un travailleur qui quitte volontairement l’un de ses emplois concurrents sans justification aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23 (la Loi) est exclu du bénéfice des prestations à moins qu’il n’ait, depuis qu’il a quitté cet emploi, exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis pour recevoir des prestations de chômage. Au soutien de sa prétention, il cite l’arrêt de notre Cour dans Canada (Procureur général) c. Trochimchuk, 2011 CAF 268, [Trochimchuk].

 

[3]               Avec égards, je suis d’avis que Trochimchuk n’offre pas une réponse finale et définitive en matière de traitement des demandes de prestations de chômage des prestataires exerçant plus d’un emploi à la fois.

 

[4]               Dans le cas d’emplois concurrents lorsque le prestataire ne crée pas une situation de chômage en quittant l’un de ses emplois, comme c’est le cas en l’espèce, la thèse du procureur général produit un résultat absurde auquel le législateur n’a pu vouloir donner suite. L’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi mise de l’avant par le procureur général pénalise indûment les personnes qui occupent plus d’un emploi à la fois et heurte l’objectif général de la Loi qui est de prévoir une compensation pour tout assuré qui se trouve involontairement sans emploi (Canada (Procureur général) c. Lamonde, 2006 CAF 44 au paragraphe 9).

 

[5]               L’exemple qui suit expose d’entrée de jeu mon propos : M. X travaille à l’usine ABC depuis le 1er janvier 2005. En janvier 2012, il prend un deuxième emploi chez XYZ afin de payer quelques dépenses imprévues. Le 1er juin 2012, il quitte ce second emploi volontairement fort conscient qu’il a un autre emploi et qu’il ne se retrouvera pas au chômage. Malheureusement pour lui, en août 2012, ABC réduit ses opérations et M. X perd donc l’emploi qu’il y occupait sans aucune faute de sa part. Selon le procureur général qui prend appui sur Trochimchuk, M. X. ne pourra recevoir de prestations de chômage n’ayant pas accumulé en deux mois chez ABC le nombre d’heures requis pour ce faire. En effet, seront retranchées du calcul des heures assurables non seulement les heures qu’il avait accumulées chez XYZ avant le 1er juin 2012, mais aussi celles accumulées chez ABC avant cette même date.

 

Les faits pertinents

 

[6]               La trame factuelle est simple. M. Marier a déposé une demande initiale de prestations régulières ayant pris effet le 18 juillet 2010. Pendant sa période de référence, soit dans les 52 semaines précédant la date de début de sa demande, M. Marier occupait deux emplois à temps partiel. Du 13 juin 2009 au 1er février 2010, il travaillait pour Nettoyage Solvanet [Solvanet]. Il était sur une liste de rappel de jour et travaillait de 25 à 30 heures par semaine. M. Marier a quitté volontairement cet emploi afin de suivre une formation de cinq mois dans le domaine du nettoyage tout en conservant son emploi du soir.

 

[7]               En effet, du 1er juillet 2009 au 18 juillet 2010, le défendeur travaillait aussi de 25 à 30 heures par semaine, pour la Coopérative des horticulteurs de Québec [Coopérative]. Il quittera également ce poste de façon volontaire afin d’accepter un emploi auprès du Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale [CSSS de la Vieille-Capitale] devant commencer le 5 août suivant. Suite à une décision de son nouvel employeur, il n’entrera au service de ce dernier que le 30 août 2010, soit quelques semaines plus tard que ce qui avait été anticipé. De là, sa demande de prestations pour la période courant du 18 juillet 2010 au 30 août 2010.

 

[8]               Le 25 septembre 2010, le demandeur reçoit la décision finale de la Commission (dossier du demandeur à la page 36). Les deux premiers paragraphes de cette décision se lisent comme suit :

 

Nous désirons vous informer que nous ne pouvons pas vous payer des prestations régulières d’assurance-emploi car vous avez quitté volontairement votre emploi chez [Solvanet] … sans justification … Nous sommes d’avis que le fait d’avoir quitté volontairement votre emploi n’était pas la seule solution raisonnable dans votre cas. Toutefois, étant donné que votre période de prestations débute le 18 juillet 2010, les prestations vous sont refusées à partir de cette date seulement.

 

Nous avons vérifié si vous aviez travaillé le minimum d’heures assurables requis depuis que vous avez quitté volontairement cet emploi sans justification. Malheureusement, vous n’avez accumulé que 581 heures d’emploi assurable, alors qu’il vous faut 700 heures.

 

[Je souligne.]

 

[9]               Ce constat est le résultat d’un calcul qui ne tient pas compte des heures d’emploi assurable accumulées par M. Marier auprès de la Coopérative avant la date de son départ volontaire de chez Solvanet. La preuve avait révélé que M. Marier comptait près de 1000 heures de travail auprès de la Coopérative. Selon la décision de la Commission, M. Marier devait accumuler 700 heures de travail après son départ de chez Solvanet pour avoir droit à des prestations régulières. Ainsi, dès son départ de chez Solvanet, le compteur était remis à zéro indépendamment de tout autre emploi assurable exercé concurremment.

Questions en litige

 

[10]           Au paragraphe 13 de son mémoire des faits et du droit, le demandeur propose les questions qui suivent :

 

a)         Le juge-arbitre a-t-il erré en droit en tenant compte des heures d’emploi assurable accumulées chez la [Coopérative] par le défendeur antérieurement au départ volontaire d’un autre emploi, soit [Solvanet], omettant ainsi d’appliquer l’alinéa 30(1)a) et le paragraphe 30(5) de la Loi?

 

b)         Le juge-arbitre a-t-il erré en droit en omettant de trancher la question de savoir si le départ volontaire en était un sans justification, tel que prévu aux articles 29 et 30 de la Loi?

 

[11]           Mon analyse ne portera que sur cette seconde question. L’alinéa 30(1)a) et le paragraphe 30(5) de la Loi ne sont pertinents que dans l’éventualité où je conclus que le défendeur a quitté volontairement son emploi chez Solvanet sans justification. Ce n’est pas la conclusion à laquelle j’en arrive.

 

[12]           Je me distance donc de Trochimchuk qui se limite à interpréter le paragraphe 30(5) de la Loi d’autant plus que le juge-arbitre et la Cour d’appel dans cette affaire ont peu commenté la trame factuelle rendant difficile un exercice de comparaison de la situation des prestataires. La question de savoir si la prestataire avait quitté volontairement son premier emploi sans justification semble avoir été prise pour acquis. En effet, dans Trochimchuk, la prestataire avait volontairement quitté un emploi le 10 mai 2009 afin de poursuivre ses études. Sans plus, la Cour a noté qu’il est de jurisprudence constante que l’abandon d’emploi afin d’étudier ne constitue pas une justification au sens de la Loi (Trochimchuk au paragraphe 2, citant Canada (Procureure générale) c. Mancheron, 2001 CAF 174). Par la suite, la Cour a entrepris l’analyse de la décision du juge-arbitre (CUB 76124, 16 décembre 2010) lequel avait soulevé l’unique « question de la bonne interprétation à donner au paragraphe 30(5) de la [Loi] ».

 

[13]           Mon approche est toute autre, tel qu’annoncée précédemment. Considérant celle-ci et la trame factuelle du présent dossier, je ne me sens donc aucunement liée par Trochimchuk. Mais avant de développer mon raisonnement, il est utile de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi et d’exposer la position des parties.

 

[14]           L’article 7 de la Loi traite des conditions requises pour recevoir des prestations. Il prévoit, entre autres, que des prestations de chômage sont payables si

 

7(2) L’assuré autre qu’une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises si, à la fois :

 

o                       a) il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;

 

 

o                       b) il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins le nombre d’heures indiqué au tableau qui suit en fonction du taux régional de chômage qui lui est applicable.

7(2) An insured person, other than a new entrant or a re-entrant to the labour force, qualifies if the person

 

 

o                       (a) has had an interruption of earnings from employment; and

o                        

o                       (b) has had during their qualifying period at least the number of hours of insurable employment set out in the following table in relation to the regional rate of unemployment that applies to the person.

 

 

[15]           L’article 30, pour sa part, fait partie de la section intitulée « Exclusion et Inadmissibilité » et traite, entre autres, de l’inconduite et du départ sans justification. Il se lit :

 

  (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

 

o                       a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

 

[…]

 

(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

 

[…]

 

 [Je souligne.]

 (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

 

o                       (a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

 

                                  

(5) If a claimant who has lost or left an employment as described in subsection (1) makes an initial claim for benefits, the following hours may not be used to qualify under section 7 or 7.1 to receive benefits:

o                       (a) hours of insurable employment from that or any other employment before the employment was lost or left; and

o                       (b) hours of insurable employment in any employment that the claimant subsequently loses or leaves, as described in subsection (1).

 

 

 [Emphasis added.]

 

 

[16]           Enfin, l’article 29 est l’outil d’interprétation pour l’article 30 précité. Les alinéas 29b.1) et c) se lisent ainsi : 

 

29. Pour l’application des articles 30 à 33 :

 

[…]

 

                                 b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :

o                       (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,

o                       (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,

o                        

o                       (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;

 

 

                                 cle prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

                                  

o                       (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,

o                       (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,

o                       (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,

o                       (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,

o                        

o                       (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,

o                        

o                       (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,

o                       (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,

o                       (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,

o                       (ix) modification importante des fonctions,

o                       (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,

o                       (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,

o                       (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,

o                       (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,

o                       (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

 

[Je souligne.]

 

29. For the purposes of sections 30 to 33,

 

 

                                 (b.1) voluntarily leaving an employment includes

o                       (i) the refusal of employment offered as an alternative to an anticipated loss of employment, in which case the voluntary leaving occurs when the loss of employment occurs,

o                       (ii) the refusal to resume an employment, in which case the voluntary leaving occurs when the employment is supposed to be resumed, and

o                       (iii) the refusal to continue in an employment after the work, undertaking or business of the employer is transferred to another employer, in which case the voluntary leaving occurs when the work, undertaking or business is transferred; and

                                 (cjust cause for voluntarily leaving an employment or taking leave from an employment exists if the claimant had no reasonable alternative to leaving or taking leave, having regard to all the circumstances, including any of the following:

                                  

o                       (i) sexual or other harassment,

o                       (ii) obligation to accompany a spouse, common-law partner or dependent child to another residence,

o                       (iii) discrimination on a prohibited ground of discrimination within the meaning of the Canadian Human Rights Act,

o                       (iv) working conditions that constitute a danger to health or safety,

o                       (v) obligation to care for a child or a member of the immediate family,

o                       (vi) reasonable assurance of another employment in the immediate future,

o                       (vii) significant modification of terms and conditions respecting wages or salary,

o                       (viii) excessive overtime work or refusal to pay for overtime work,

o                        

o                       (ix) significant changes in work duties,

o                       (x) antagonism with a supervisor if the claimant is not primarily responsible for the antagonism,

o                        

o                       (xi) practices of an employer that are contrary to law,

o                       (xii) discrimination with regard to employment because of membership in an association, organization or union of workers,

o                        

o                       (xiii) undue pressure by an employer on the claimant to leave their employment, and

o                       (xiv) any other reasonable circumstances that are prescribed.

 

[Emphasis added.]

 

 

La position des parties

 

[17]           Tel que mentionné précédemment, le procureur général plaide que le juge-arbitre s’est mal dirigé en droit puisqu’il a omis d’appliquer l’alinéa 30(1)a) et le paragraphe 30(5) de la Loi. Suite aux questions de la Cour lors de l’audition de cette demande de contrôle judiciaire, tout particulièrement quant à la situation de prestataires occupant des emplois concurrents, la procureure du demandeur s’en est tenue à Trochimchuk. Quant au défendeur, il n’a pas produit de dossier et n’était pas présent à l’audition. Une note de service dont le demandeur a eu copie indique que M. Marier, à tout le moins en octobre 2012 au moment où cette note a été rédigée par un agent du greffe, était hospitalisé suite à un accident vasculaire cérébral. Ni le défendeur ni son représentant, Jacques Marier, n’étaient présents à l’audition mais la Cour note que ce dernier entendait formuler quelques remarques quant aux nombreux paliers à franchir pour obtenir une décision finale dans un dossier d’assurance-emploi. Cette question n’est pas en litige et je n’entends pas en traiter au-delà de cette mention.

 

Analyse

 

[18]           Monsieur Marier a-t-il quitté volontairement son emploi chez Solvanet sans justification? Non. La thèse du procureur général revient, selon moi, à vider de tout son sens l’expression « quitter volontairement un emploi sans justification ».

 

[19]           Selon le libellé même de l’alinéa 29c) précité, pour savoir si un prestataire est « fondé à quitter volontairement son emploi », il faut se demander « si, compte-tenu de toutes les circonstances, son départ […] constitue [selon la prépondérance des probabilités] la seule solution raisonnable dans son cas » (Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190 [White]; Harold MacNeil c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2009 CAF 306). Le prestataire assume le fardeau de cette démonstration (Canada (Procureur général) c. Patel, 2010 CAF 95, cité au paragraphe 3 de White).

 

[20]           L’alinéa 29c) dresse une liste non-exhaustive de situations suivant lesquelles peut ainsi se justifier l’abandon volontaire d’un emploi, dont au sous-alinéa 29c)(vi) l’ « assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat ». Ce sous-alinéa a d’ailleurs joué en faveur de M. Marier lorsqu’il a quitté la Coopérative pour entrer au service du CSSS de la Vieille-Capitale mais je le cite ici pour une toute autre raison.  En effet, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Langlois, 2008 CAF 18 [Langlois], notre Cour notait la difficulté de fournir une interprétation harmonieuse des termes « constitue la seule solution raisonnable dans son cas » de l’alinéa 29c) et ceux du sous-alinéa 29c)(vi) reproduits ci-haut. Le raisonnement que tenait notre Cour est ici fort pertinent. Au nom d’une formation majoritaire, le juge Létourneau, j.c.a. écrivait :

 

[17]      Car il n’est pas évident que ces termes font bon ménage. De fait, il est difficile, voire impossible, de soutenir ou de conclure qu’une personne qui quitte volontairement son emploi pour en occuper un autre le fait nécessairement parce que son départ constitue « la seule solution raisonnable dans son cas » (je souligne). Une personne peut tout simplement vouloir réorienter sa carrière ou progresser à l’intérieur de son métier ou de sa profession en changeant d’employeur.

 

[18]      Cette notion de « seule solution raisonnable dans son cas » s’applique sans aucun doute à bon nombre des situations prévues par l’alinéa 29c). Ainsi, par exemple, dans les cas de harcèlement de nature sexuelle ou autre (sous-alinéa 29c)(i)), de discrimination (sous-alinéa 29c)(iii)), de conditions de travail dangereuses pour la santé ou la sécurité (sous-alinéa 29c)(iv)), d’excès d’heures supplémentaires (sous-alinéa 29c)(viii)), pour n’en nommer que quelques-unes, il est souvent possible de solutionner le problème que posent ces situations par des méthodes autres que celle de quitter l’emploi.

 

[19]      Ainsi, on peut palier aux conditions dangereuses d’un emploi en améliorant les conditions de travail, en portant un masque ou autre équipement sécuritaire ou en étant relocalisé dans un autre endroit de l’usine ou de l’entreprise : voir Canada (Procureur général) c. Hernandez, 2007 CAF 320. Le départ de l’employé dans ces situations constitue l’ultime solution. Et l’on peut comprendre l’exigence du législateur qu’il soit la seule solution raisonnable dans son cas.

 

[20]      La plupart des situations envisagées par l’alinéa 29c) concernent des évènements ou des faits et gestes qui surviennent dans le cadre de l’emploi qu’occupe le prestataire. Le sous-alinéa 29c)(vi) s’adresse à une toute autre situation qui implique un changement d’emploi. Il n’est pas alors question de concocter et d’apporter un remède à l’intérieur du même emploi où il est facile d’imaginer d’autres alternatives que le départ.

 

[21]      Le sous-alinéa 29(c)(vi) revêt aussi une autre caractéristique importante qui le démarque des autres situations couvertes par l’article 29. Comme cette Cour le soulignait dans les affaires Canada (Procureur général) c. Campeau, 2006 CAF 376 et Canada (Procureur général) c. Côté, 2006 CAF 219, le sous-alinéa 29(c)(vi) est le seul qui, avec la clause résiduaire contenue au sous-alinéa 29(c)(xiv) (toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement), ne suppose pas l’intervention d’un tiers. En d’autres termes, la réalisation de la circonstance prévue au sous-alinéa 29(c)(vi) dépend de la seule volonté du prestataire. Comme je le soulignerai plus loin, cette caractéristique du sous-alinéa 29(c)(vi) nous ramène au fondement même et aux principes du régime de l’assurance qui, faut-il le rappeler, est un régime d’indemnisation fondée sur le risque.

 

 

[21]           Il est de jurisprudence constante que le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs (Canada (Procureur général) c. Abrahams, [1983] 1 R.C.S. 2). Dans Langlois, précité au paragraphe 32, notre Cour écrivait :

 

L’assurance prévue par le régime est fonction du risque qu’un salarié peut encourir de perdre son emploi. Sauf exceptions, il incombe à l’assuré, comme contrepartie de sa participation au régime, de ne pas, sans justification, provoquer le risque et, encore moins faut-il le dire, de ne pas transformer un simple risque en une certitude de chômage : voir Tanguay c. Canada (Commission d’assurance-chômage)(C.A.F.), [1985] A.C.F. no. 910.

 

 

[22]           La jurisprudence déborde d’exemples où les circonstances particulières d’un prestataire ont été examinées en vue de déterminer si la décision de quitter volontairement un emploi était justifiée au sens de la Loi (à titre d’exemple, on pourra consulter : Lakic c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 4; Green c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 313; Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190; Canada (Procureur général) c. Langevin, 2011 CAF 163; Canada (Procureur général) v. Greey,  2009 CAF 296 ; Canada (Procureur général) c. Richard, 2009 CAF 122; Canada (Procureur général) c. Langlois, 2008 CAF 18; Canada (Procureur général) c. Imran, 2008 CAF 17 ; Canada (Procureur général) c. Murugaiah, 2008 CAF 10 ; Canada (Procureur général) c. Bordage, 2005 CAF 155 et Canada (Procureur général) c. Laughland, 2003 CAF 129).

 

[23]           Il en ressort essentiellement qu’un prestataire quitte volontairement son emploi sans justification au sens de l’alinéa 29c) lorsque son geste engendre pour lui une période de chômage immédiate qu’il ne pouvait ignorer (par ex. emploi quitté pour retourner aux études) ou différée qu’il aurait dû prévoir (par ex. emploi à temps plein quitté pour accepter un emploi saisonnier) et qu’il n’était pas justifié d’agir ainsi puisqu’il ne s’agissait pas là de la seule solution raisonnable pour lui. Ce principe s’explique aisément dans le cadre d’un programme d’assurance emploi qui se fonde sur un système de risques calculés. Cette interprétation des termes « fondé à quitter volontairement son emploi » correspond parfaitement au but général de la Loi qui est, je le répète, de procurer des prestations aux chômeurs véritables et non à ceux qui participent à leur état de chômage alors qu’il ne s’agit pas pour eux de la seule solution raisonnable.

 

[24]           Or, en l’espèce, M. Marier a quitté volontairement son emploi chez Solvanet pour suivre un cours de formation de jour sachant qu’il avait toujours un emploi auprès de la Coopérative l’occupant de 25 à 30 heures par semaine et que cet emploi n’était nullement compromis. Aux termes de Langlois, il ne provoquait ni risque, ni certitude de chômage. Au sens de l’article 18 de la Loi, il était certes « capable de travailler et disponible à cette fin » puisqu’il occupait toujours ses fonctions auprès de la Coopérative.

 

[25]           Selon moi, la position du procureur général met à risque toute personne qui occupe des emplois concurrents et qui choisit volontairement d’en quitter un. Faute de faire la démonstration de l’une des situations prévues à l’alinéa 29c) précité ou de toute autre circonstance analogue ou prévue par règlement, la décision du travailleur ne pourra jamais satisfaire au test de « la seule solution raisonnable ». En réalité, suivant cette position, la seule solution raisonnable pour M. Marier était de conserver le statu quo et de ne jamais quitter l’un de ses emplois concurrents à moins de ne risquer l’exclusion du bénéfice des prestations. Mais à la base, la Loi n’exige pas des prestataires qu’ils occupent plus d’un emploi à la fois.

 

[26]           Je ne saurais ici passer sous silence les arrêts de notre Cour Canada (Procureur général) c. Leung, 2004 CAF 160 et Gennarelli c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 198 dans lesquels il fut décidé que les prestataires étaient fondés à quitter volontairement un de leurs deux emplois concurrents parce qu’ils avaient chacun « des motifs raisonnables de croire » qu’ils conserveraient leur autre emploi.

 

[27]           C’est également la conclusion que je tire en l’espèce. M. Marier était fondé à quitter volontairement son emploi chez Solvanet sachant qu’il conservait son second emploi à la Coopérative. Il ne quittera d’ailleurs la Coopérative que suite à l’assurance d’un nouveau poste au CSSS de la Vieille-Capitale, un départ volontaire justifié selon la Commission.

 

[28]           Vu cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire d’aborder la question de l’interprétation du paragraphe 30(5) de la Loi.

 

Conclusion

 

[29]           Pour ces motifs, je propose de rejeter la demande de contrôle judiciaire sans frais.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

Pierre Blais j.c. »

 

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-65-12

 

INTITULÉ :                                                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. JACQUES MARIER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 10 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 15 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Liliane Bruneau

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

 

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