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Date : 20130225

Dossier : A-39-13

Référence : 2013 CAF 55

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

LE Ministre de la Sécurité publique

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

appelant

et

YVES LEBON

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 février 2013

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 25 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                  LE JUGE STRATAS

 



Date : 20130225

Dossier : A-39-13

Référence : 2013 CAF 55

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

appelant

et

YVES LEBON

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 25 février 2013)

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Il y a déjà plus de quatre ans, M. LeBon, un citoyen canadien actuellement détenu dans une prison à sécurité minimale aux États-Unis, a demandé à être transféré dans un établissement canadien. La Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21, autorise et régit ces demandes.

 

[2]               Conformément à la Loi, le ministre est tenu de prendre une décision à l’égard de chacune des demandes après avoir examiné l’ensemble des facteurs prévus à l’article 10 de la Loi, fondés sur l’objet de la Loi, lequel est de « … faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux ».

 

[3]               Le ministre a rejeté la demande de M. LeBon. Il a conclu à la présence de l’un des facteurs prévus à l’article 10 qui joue contre le transfèrement, à savoir : le risque que le délinquant commette une « infraction d’organisation criminelle ». Tous les autres facteurs soulevés par la preuve étaient favorables au transfèrement.

 

[4]               Notre Cour a annulé le refus opposé par le ministre parce qu’il n’avait pas, dans ses motifs, démontré qu’il avait apprécié les facteurs prévus à l’article 10 comme il était tenu de le faire. Plus particulièrement, il n’a pas expliqué pourquoi les facteurs favorables au transfèrement ne devraient pas avoir préséance. En conséquence, la Cour a estimé que le ministre n’avait pas motivé son refus comme l’exige le paragraphe 11(2) de la Loi. En outre, ses motifs n’avaient pas la qualité « transparente » et « intelligible » qu’ils auraient dû avoir. La Cour a renvoyé l’affaire au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision. Voir LeBon c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 132, inf. 2011 CF 1018.

 

[5]               Dans sa nouvelle décision, le ministre a de nouveau refusé la demande de transfèrement de M. LeBon.

 

[6]               La Cour fédérale a annulé la nouvelle décision du ministre : 2012 CF 1500. La Cour fédérale a conclu que le ministre « n’a[vait] manifesté qu’un intérêt de pure forme » envers les motifs de notre Cour, « repr[enant] son raisonnement antérieur » et témoignant de son « esprit fermé » et d’une « intransigeance » (aux paragraphes 13 et 15). La Cour fédérale a également estimé que le refus était essentiellement déraisonnable : non seulement le ministre avait-il omis d’expliquer de manière acceptable les raisons pour lesquelles il avait conclu à l’existence d’un risque que M. LeBon commette une « infraction d’organisation criminelle », mais le dossier était dépourvu de fondement rationnel étayant sa conclusion (aux paragraphes 18 à 23).

 

[7]               Au lieu de renvoyer l’affaire au ministre, la Cour fédérale a rendu une ordonnance impérative. Elle a enjoint au ministre d’accepter, dans un délai de 45 jours, la demande de transfèrement de M. Le Bon et de lui confirmer par écrit que toutes les mesures ont été prises pour le transférer rapidement dans un établissement correctionnel au Canada.

 

[8]               Le ministre interjette appel de cette décision devant notre Cour. Immédiatement après avoir institué son appel, le ministre a demandé à la Cour de surseoir à l’exécution du jugement prononcé par la Cour fédérale jusqu’à ce qu’elle statue sur l’appel. Bien que la Cour ait constaté que M. LeBon avait subi un préjudice au cours des quatre dernières années, elle a prononcé le sursis : 2013 CAF 18.

 

[9]               Devant notre Cour, le ministre conteste les conclusions de la Cour fédérale selon lesquelles le ministre avait fait preuve d’un « esprit fermé » et d’« intransigeance » dans sa nouvelle décision et qu’il n’avait manifesté « qu’un intérêt de pure forme » envers la décision antérieure de notre Cour. Nous estimons que le dossier étaye ces conclusions de fait.

 

[10]           Devant notre Cour, le ministre ne conteste pas la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle sa nouvelle décision est essentiellement déraisonnable. La seule question qui demeure en litige et à laquelle nous devons répondre est celle de savoir si la Cour fédérale pouvait, en droit, prononcer une ordonnance impérative au lieu de renvoyer l’affaire afin qu’une nouvelle décision soit à nouveau rendue.

 

[11]           Le ministre prétend en effet que la Cour fédérale était limitée : elle n’avait d’autre alternative que de renvoyer l’affaire au ministre, lui donnant ainsi une troisième chance de prendre une décision conforme aux lois fédérales et à la jurisprudence.

 

[12]           Pour les motifs énoncés ci-après, et malgré les observations habilement et professionnellement exposées par Me Lawrence, l’avocate du ministre, nous ne croyons pas que la Cour fédérale était à ce point limitée.

 

[13]           Dans les mémoires qu’elles ont présentés à la Cour, les parties ont invoqué une jurisprudence restreinte où la Cour fédérale a « prescrit les modalités de la décision » des tribunaux administratifs : voir, par ex., Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31; Simmons c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 130. Dans le cadre de directives données aux parties avant la tenue de l’audience, notre Cour a signalé que cette jurisprudence s’inscrit dans le droit général applicable aux mandamus et elle a invité les parties à présenter, en outre, lors de l’audience, des observations concernant la possibilité de solliciter une ordonnance de mandamus dans les circonstances. Nous avons reçu et examiné ces observations.

 

[14]           Nous estimons, dans les circonstances, que la Cour fédérale disposait d’au moins deux sources d’autorité lui permettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance impérative (mandamus:

 

●          Comme nous l’avons déjà mentionné, la Cour fédérale a jugé que la preuve n’étayait pas la conclusion du ministre selon laquelle il y avait un risque important que M. LeBon commette une « infraction d’organisation criminelle », et la Couronne ne s’oppose pas à ce point de vue. Ce facteur étant de ce fait écarté, il ne restait que des facteurs favorables au transfèrement. Il était donc loisible à la Cour fédérale, dans ces circonstances, de conclure sur la foi des éléments de preuve que le seul moyen légitime d’exercer son pouvoir discrétionnaire était de faire droit au transfèrement. De telles circonstances donnent lieu à mandamus : Apotex c. Canada (Procureur général), [1994] 3 R.C.S. 1100, conf. [1994] 1 C.F. 742, aux pages 767 et 768 (C.A.) (principes 3, 4d) et 4e)), la Cour suprême approuvant l’arrêt de notre Cour sur ce point dans Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, 2001 CSC 31, [2001] 1 R.C.S. 772, au  paragraphe 41.

 

●          Dans les circonstances inhabituelles de l’espèce, il est également possible de recourir au mandamus pour éviter que d’autres retards surviennent et qu’un nouveau préjudice soit causé à M. LeBon si une troisième chance était donnée au ministre de statuer sur l’affaire conformément à la loi, alors que le ministre ne s’était pas conformé aux motifs du jugement antérieur de la Cour, qu’il n’avait « manifesté qu’un intérêt de pure forme » envers ceux-ci, et qu’il avait fait preuve d’un « esprit fermé » et d’« intransigeance » : voir Pointon v. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles), 2002 BCCA 516, au paragraphe 27 (les tribunaux sont compétents pour accorder un mandamus dans des circonstances exceptionnelles lorsque le retard entraînerait un préjudice); voir également la doctrine et la jurisprudence citées dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 148 (les tribunaux ont la compétence, depuis plusieurs siècles, d’accorder un mandamus dans des cas exceptionnels de vices d’administration) (motifs dissidents du juge LeBel, les juges majoritaires n’étant pas en désaccord sur l’existence de la compétence).

 

[15]           Nous estimons également que la Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire ayant conduit à l’ordonnance impérative rendue contre le ministre (mandamus) sur le fondement de la preuve au dossier. Par conséquent, rien ne justifie que notre Cour s’immisce dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale : Trinity Western, précité, au paragraphe 40.

 

[16]           Au paragraphe 2 de son jugement, la Cour fédérale a imparti un délai de 45 jours au ministre dans lequel il devait se conformer au jugement qu’elle avait prononcé. Ce délai de 45 jours est expiré. Dans les circonstances, le jugement de la Cour fédérale sera modifié comme suit :

 

a)      au paragraphe 2, les termes « dans un délai de 45 jours » seront remplacés par le terme « immédiatement »;

 

b)      au paragraphe 3, les termes « de lui confirmer par écrit que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour le transférer rapidement dans un établissement correctionnel au Canada » seront remplacés par les termes « il est ordonné au ministre de faire tout en son pouvoir pour donner effet au transfèrement du demandeur dans un établissement correctionnel au Canada en mars 2013 ou, sinon, le plus tôt possible ».

 

[17]           L’appel sera à tous autres égards rejeté avec dépens, lesquels sont fixés à 8 900 $, y compris les débours et les taxes.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-39-13

 

APPEL DU JUGEMENT PRONONCÉ PAR MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU LE 29 DÉCEMBRE 2012, DOSSIER NUMÉRO T-1414-12

 

INTITULÉ :                                                                          Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c. Yves LeBon

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 25 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                    Les juges Sharlow, Stratas et Webb

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                                    Le juge Stratas

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catherine A. Lawrence

 

Pour l’appelant

 

Yavar Hameed

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’appelant

 

Hameed & Farrokhzad

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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