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Date : 20130225

Dossier : A-333-12

Référence : 2013 CAF 52

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BERNARD LAPOINTE

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 21 février 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 février 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LA JUGE TRUDEL

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 



Date : 20130225

Dossier : A-333-12

Référence : 2013 CAF 52

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BERNARD LAPOINTE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le juge-arbitre Jacques Blanchard (le juge-arbitre) rejetant l’appel de la Commission d’assurance-emploi (la Commission) à l’encontre d’une décision antérieure d’un conseil arbitral. Le juge-arbitre a conclu que le conseil arbitral n’a commis aucune erreur dans l’établissement de la rémunération de Bernard Lapointe (le défendeur) en vertu des articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (DORS/96-332) (Règlement) et a donc rejeté l’appel de la Commission.

 

[2]               Le litige porte sur des sommes déduites du revenu du défendeur par son employeur et remises en son nom à la Commission de la Construction du Québec (CCQ). Cette dernière devait ensuite verser ces sommes au défendeur à titre de paie de vacances en juillet et décembre de chaque année (décision du conseil arbitral, p.2).

 

[3]               Le défendeur qui était alors bénéficiaire de prestations a omis d’inclure ces sommes dans le calcul de la rémunération qu’il a déclarée auprès de la Commission. Suite à une enquête, la Commission a avisé le défendeur que les montants en question constituent une rémunération et devaient être répartis, ce qui a donné lieu à un trop payé de 150$.

 

[4]               La notion de rémunération aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23 (la Loi), est définie aux articles 35 et 36 du Règlement dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

 

 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

[…]

 

« revenu »

 

« revenu » Tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne, notamment un syndic de faillite. (income)

 

[…]

 

*       (2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la rémunération qu’il faut prendre en compte pour vérifier s’il y a eu l’arrêt de rémunération visé à l’article 14 et fixer le montant à déduire des prestations à payer en vertu de l’article 19, des paragraphes 21(3), 22(5), 152.03(3) ou 152.04(4), ou de l’article 152.18 de la Loi, ainsi que pour l’application des articles 45 et 46 de la Loi, est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi, notamment :

*        

*                      a) les montants payables au prestataire, à titre de salaire, d’avantages ou autre rétribution, sur les montants réalisés provenant des biens de son employeur failli;

*                       […]

*                       

36(4) La rémunération payable au prestataire aux termes d’un contrat de travail en échange des services rendus est répartie sur la période pendant laquelle ces services ont été fournis.

 

[...]

 

(8) Sauf si elle est payée ou payable par suite de son licenciement ou de la cessation de son emploi, la paie de vacances payée ou payable au prestataire est répartie de la façon suivante :

*                      a) si elle se rapporte à une ou plusieurs périodes de vacances précises, elle est répartie :

*                       

*                  (i) sur un nombre de semaines qui commence par la première semaine de ces périodes et se termine au plus tard par la dernière semaine de celles-ci,

*                   

*                  (ii) de sorte que la rémunération totale tirée par lui de cet emploi dans chaque semaine consécutive soit égale à sa rémunération hebdomadaire normale provenant de cet emploi;

*                   

*                      b) autrement elle est répartie, lorsqu’elle est payée :

*                       

*                  (i) sur un nombre de semaines qui commence par la première semaine pour laquelle elle est payable,

*                  (ii) de sorte que le montant attribué en vertu du présent paragraphe à chacune de ces semaines, sauf la dernière, soit égal à la rémunération hebdomadaire normale du prestataire provenant de cet emploi.

[Je souligne]

35. (1) The definitions in this subsection apply in this section.

 

 

“income”

 

“income” means any pecuniary or non-pecuniary income that is or will be received by a claimant from an employer or any other person, including a trustee in bankruptcy. (revenu)

 

*       (2) Subject to the other provisions of this section, the earnings to be taken into account for the purpose of determining whether an interruption of earnings under section 14 has occurred and the amount to be deducted from benefits payable under section 19, subsection 21(3), 22(5), 152.03(3) or 152.04(4) or section 152.18 of the Act, and to be taken into account for the purposes of sections 45 and 46 of the Act, are the entire income of a claimant arising out of any employment, including

*        

*                      (a) amounts payable to a claimant in respect of wages, benefits or other remuneration from the proceeds realized from the property of a bankrupt employer;

*                       

*                     

 

36 (4) Earnings that are payable to a claimant under a contract of employment for the performance of services shall be allocated to the period in which the services were performed.

 

(8) Where vacation pay is paid or payable to a claimant for a reason other than a lay-off or separation from an employment, it shall be allocated as follows:

 

*                      (a) where the vacation pay is paid or payable for a specific vacation period or periods, it shall be allocated

*                  (i) to a number of weeks that begins with the first week and ends not later than the last week of the vacation period or periods, and

*                   

*                  (ii) in such a manner that the total earnings of the claimant from that employment are, in each consecutive week, equal to the claimant's normal weekly earnings from that employment; and

*                   

*                      (b) in any other case, the vacation pay shall, when paid, be allocated

*                  (i) to a number of weeks that begins with the first week for which it is payable, and

*                   

(ii) in such a manner that, for each week except the last, the amount allocated under this subsection is equal to the claimant's normal weekly earnings from that employment.

 

 

[I underline]

 

 

 

[5]               Le conseil arbitral s’est dit d’avis que le défendeur n’avait pas à déclarer les sommes remises à la CCQ puisqu’elles devaient être réparties selon le paragraphe 36(8) et non pas selon le paragraphe 36(4) comme la Commission avait conclu. Selon le conseil arbitral, le paragraphe 36(8) « établit le mode de répartition du revenu gagné versé sous forme de paie de vacances » (décision du conseil arbitral, p.2).

 

[6]               En disposant de l’appel qui s’ensuivit, le juge-arbitre s’est dit d’accord avec le raisonnement du conseil arbitral tout en faisant valoir des motifs additionnels. Selon le juge-arbitre la CCQ, lorsqu’elle reçoit les montants retenus par l’employeur, agit comme fiduciaire et les détient à ce titre pour le bénéfice du défendeur. Cette relation fait en sorte que ces sommes perdent leur caractère de rémunération et se transforment en épargne. Le juge-arbitre se fonde notamment sur deux décisions de cette Cour : Canada (Procureur général) c. Brière, [1994] A.C.F. no. 1708 [Brière] et Canada (Procureur général) c. Whelan, [1989] F.C.J. No. 531 [Whelan] (motifs, pp. 2 et 3).

 

[7]               Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soumet que ces décisions n’ont pas l’effet que le juge-arbitre leur attribue. Il ajoute que la décision du conseil arbitral, si elle devait être maintenue, ferait en sorte que les sommes en question ne seraient jamais prises en compte aux fins de la Loi, ni lorsqu’elles sont versées sous forme de salaire, ni lorsqu’elles le sont sous forme de paie de vacances.

 

- Analyse et décision

 

[8]               Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que ni l’une ni l’autre des décisions citées par le juge-arbitre ne soutient la conclusion à laquelle il en est arrivé. La règle établie par la Cour suprême dans Bryden c. Commission de l’emploi et de l’immigration, [1982] 1 R.C.S. 443 [Bryden] et reprise par cette Cour notamment dans Whelan, Brière et plus récemment dans Sarazin c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 313 au paragraphe 8 est à l’effet qu’une paie de vacances remise par un fiduciaire à un prestataire, après avoir été versée au fiduciaire par l’employeur, n’a plus le caractère de rémunération mais bien celui d’épargne (Bryden, p.449).

 

[9]               En l’occurrence, la seule question qui se pose est à savoir si les montants remis à la CCQ par l’employeur au nom du défendeur constituent une rémunération.

 

[10]           À cet égard, il est bien établi que les montants retenus par un employeur à même la rémunération versée à un employé et remis à un fiduciaire pour le bénéfice de l’employé ont au moment de la remise, caractère de rémunération (Canada (Attorney General) v. Nield  [1990] F.C.J. No. 862 (CAF), 124. N.R. 333 [Nield] ; voir aussi Canada (Attorney General) v. Haycock, [1990] F.C.J. No. 863 (CAF)). Ce n’est qu’au moment où ces montants seront versés par le fiduciaire à l’employé qu’ils perdent le caractère de rémunération et revêtent celui d’épargne (Nield, para 5) :

 

In order for the vacation pay to lose its normal character of earnings and acquire that of savings, the moneys have to be clearly set aside at each period of pay, after deduction of income tax and unemployment insurance premiums, since they are part of the employee's remuneration; and thereafter they must be kept separate and beyond the needs and control of the employer's operations. Anything less would make it impossible to claim, at the time they are remitted to the employee, that the moneys have already been paid and were merely being kept and "saved" on behalf of the employee.

 

[Je souligne]

 

[11]           Le juge-arbitre ainsi que le conseil arbitral ont confondu ces deux paiements et n’ont pas tenu compte du fait que la question devant eux se situait au niveau du premier paiement. En bref, les montants versés par l’employeur à la C.C.Q. ne sont pas visés par la jurisprudence citée par le juge-arbitre et ne peuvent être traités comme paie de vacances selon le paragraphe 36(8) du Règlement puisqu’ils n’ont pas ce caractère.

 

[12]           J’accorderais donc la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du juge-arbitre et je retournerais l’affaire au juge arbitre en chef ou à un juge-arbitre désigné pour qu’elle soit décidée à nouveau en tenant pour acquis que la rémunération du défendeur au sens du paragraphe 35(2) comprend les montants prélevés à même son salaire et remis à la CCQ pour être éventuellement versés au défendeur à titre de paie de vacances, et qu’ils devaient donc être répartis en vertu du paragraphe 36(4) du Règlement.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

Robert M. Mainville j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-333-12

 

INTITULÉ :                                                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. BERNARD LAPOINTE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 21 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LA JUGE TRUDEL

                                                                                                LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 25 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Liliane Bruneau

POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Lapointe

POUR LUI-MÊME

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

 

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