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Date : 20130322

Dossiers : A‑463‑11

A‑464‑11

A‑465‑11

 

Référence : 2013 CAF 88

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

JACK ST. ARNAUD, ALBERT PATENAUDE, HARRY BRAUN

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 5 février 2013

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE WEBB

Y A SOUSCRIT :                                                                                             LA JUGE TRUDEL

MOTIFS CONCORDANTS :                                                                      LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20130322

Dossiers : A‑463‑11

A‑464‑11

A‑465‑11

 

Référence : 2013 CAF 88

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

JACK ST. ARNAUD, ALBERT PATENAUDE, HARRY BRAUN

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               La Cour est saisie d’appels d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2011 CCI 536). Une nouvelle cotisation a été établie à l’égard des trois appelants de manière à inclure dans leur revenu des montants visés au paragraphe 146(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), ou au paragraphe 146.3(4) de la Loi au motif que la fiducie régie par leur régime enregistré d’épargne‑retraite ou leur fonds enregistré de revenu de retraite, selon le cas, avait acquis des actions de certaines sociétés privées et que la juste valeur marchande de ces actions était nulle. Des pénalités pour faute lourde avaient aussi été imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Puisqu’avant l’audience à la Cour canadienne de l’impôt, la Couronne avait reconnu que les pénalités n’auraient pas dû être imposées, les appels ont été accueillis en ce qui concerne les pénalités, qui furent supprimées , mais ils ont été rejetés à tous autres égards. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais les appels.

 

[2]               La Cour canadienne de l’impôt a prononcé des motifs conjoints. Les appels interjetés devant la Cour ont été réunis suivant une ordonnance de la Cour datée du 4 mai 2012 et l’appel dans le dossier A‑463‑11 a été désigné comme étant l’appel principal. Les motifs qui suivent seront versés au dossier A‑463‑11 et une copie sera versée comme motifs du jugement dans les dossiers A‑464‑11 et A‑465‑11.

 

[3]               Dans les présents motifs, une fiducie régie par un régime enregistré d’épargne‑retraite sera appelée un REER et une fiducie régie par un fonds enregistré de revenu de retraite sera appelée un FERR. La mention d’un régime enregistré désignera une fiducie régie soit par un régime enregistré d’épargne‑retraite, soit par un fonds enregistré de revenu de retraite.

 

Les dispositions de la Loi

[4]               Le paragraphe 146(9) de la Loi (qui n’a pas été modifié depuis son ajout à la Loi en 1972) est rédigé comme suit :

(9) Lorsque, au cours d’une année d’imposition, une fiducie régie par un régime enregistré d’épargne‑retraite :

a) soit dispose de biens en échange d’une contrepartie d’une valeur inférieure à la juste valeur marchande que ces biens avaient au moment de la disposition, ou sans aucune contrepartie;

b) soit acquiert des biens en échange d’une contrepartie d’une valeur supérieure à la juste valeur marchande que ces biens avaient au moment de l’acquisition, toute différence entre cette juste valeur marchande et la contrepartie doit être incluse dans le calcul du revenu, pour l’année d’imposition, du rentier qui bénéficie de ce régime.

 

(9) Where in a taxation year a trust governed by a registered retirement savings plan

(a) disposes of property for a consideration less than the fair market value of the property at the time of the disposition, or for no consideration, or

 

(b) acquires property for a consideration greater than the fair market value of the property at the time of the acquisition, the difference between the fair market value and the consideration, if any, shall be included in computing the income for the taxation year of the annuitant under the plan.

 

 

[5]               Le paragraphe 146.3(4) de la Loi (qui n’a pas été modifié depuis son ajout à la Loi en 1978) est rédigé comme suit :

(4) Lorsque, à un moment donné d’une année d’imposition, une fiducie régie par un fonds enregistré de revenu de retraite :

a) soit dispose de biens pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande des biens au moment de la disposition, ou gratuitement;

b) soit acquiert des biens pour une contrepartie supérieure à la juste valeur marchande des biens au moment de l’acquisition, il doit être inclus dans le calcul du revenu, pour l’année d’imposition, du contribuable qui est le rentier en vertu du fonds à ce moment, 2 fois la différence entre cette juste valeur marchande et la contrepartie.

 

(4) Where at any time in a taxation year a trust governed by a registered retirement income fund

(a) disposes of property for a consideration less than the fair market value of the property at the time of the disposition, or for no consideration, or

(b) acquires property for a consideration greater than the fair market value of the property at the time of the acquisition, 2 times the difference between that fair market value and the consideration, if any, shall be included in computing the income for the taxation year of the taxpayer who is the annuitant under the fund at that time.

 

 

[6]               Bien que les conditions qui doivent être remplies pour que les paragraphes 146(9) et 146.3(4) s’appliquent soient identiques, les conséquences découlant de ces deux paragraphes sont très différentes. Si le paragraphe 146(9) s’applique (dans un cas où les fonds d’un REER sont utilisés), le montant inclus dans le revenu est la différence entre la contrepartie payée pour les biens et leur juste valeur marchande. Mais dans le cas où les fonds d’un FERR sont utilisés, le montant inclus dans le revenu représente le double de cette différence. L’avocat de la Couronne ne pouvait pas expliquer la raison pour laquelle il existe une différence si importante lorsque les fonds détenus dans un FERR sont utilisés pour acquérir des biens. On pourrait se demander si l’exigence prévue au paragraphe 146.3(4) de la Loi d’inclure le double d’une telle différence dans le revenu impose une pénalité et, dans l’affirmative, si une défense de diligence raisonnable pourrait être invoquée à l’encontre de l’imposition de la pénalité (Yarrows c. Frowde Limited, [1934] O.J. no 272, au paragraphe 37, et Consolidated Canadian Contractors Inc. c. Canada, [1999] 1 C.F. 209). Cette question n’a toutefois pas été soulevée dans le présent appel et je ne me prononcerai pas à cet égard.

 

[7]               Les parties ont exprimé des avis différents à propos de l’interprétation des paragraphes 146(9) et 146.3(4) de la Loi. Selon la Couronne, les dispositions devraient être interprétées et appliquées tout simplement de la façon dont elles sont rédigées et toute acquisition de biens par un REER ou un FERR pour un montant supérieur à la juste valeur marchande des biens donnera lieu à l’inclusion d’un montant au revenu du rentier comme le prévoient les dispositions. Selon les appelants, la disposition ne devrait s’appliquer que si l’acquisition des biens par le REER ou le FERR fait partie d’un stratagème élaboré pour permettre à un rentier de retirer des fonds d’un REER ou d’un FERR sans payer d’impôt sur ces montants. Il est cependant clair que les paragraphes susmentionnés s’appliquent uniquement si un REER ou un FERR dispose de biens ou en acquiert. Puisque, pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que les REER et le FERR n’avaient pas acquis les biens sur lesquels les nouvelles cotisations étaient fondées, il est inutile de commenter les points de vue différents exprimés par les parties en ce qui concerne l’interprétation de ces paragraphes.

 

Le contexte

[8]               En l’espèce, les appelants sont d’innocentes victimes qui ont perdu d’importants montants d’argent qui se trouvaient dans leur régime enregistré respectif lorsqu’une personne (ou des personnes) a pris l’argent qui devait être investi dans certaines sociétés privées. Chaque appelant a perdu la totalité du montant qui avait été payé à même son régime enregistré et qui, dans le cas d’Albert Patenaude, représentait la totalité de son fonds de retraite. Les appelants n’ont pas seulement perdu d’importants montants d’argent qui se trouvaient dans leur REER : une nouvelle cotisation a été établie à l’égard de Jack St. Arnaud et Albert Patenaude de manière à inclure dans leur revenu le montant de leur perte; une nouvelle cotisation a aussi été établie à l’égard d’Harry Braun, conformément au paragraphe 146.3(4) de la Loi, de manière à inclure dans son revenu le double du montant de sa perte.

 

[9]               Les appelants étaient déçus du faible rendement qu’ils obtenaient de leurs placements dans leur régime enregistré. Séparément, par l’entremise d’un ami, on a présenté à chaque appelant les personnes qui faisaient la promotion de Sonnum Capital Leasing Corp. (Sonnum) et de Cuatro Corp. (Cuatro). Dans chaque cas, on a convaincu les appelants qu’ils pouvaient obtenir un meilleur rendement s’ils acquéraient des actions de Sonnum ou de Cuatro. Sonnum était présentée comme une société dotée d’une machine capable de produire des blocs de construction en béton sur les chantiers et Cuatro, comme une société qui fabriquait des panneaux de fibres, mais qui planifiait aussi d’élargir ses activités aux blocs de construction en béton.

 

[10]           Dans chaque cas, les appelants ont transféré des fonds à Olympia Trust pour ensuite donner à cette dernière instruction d’acheter des actions. Chaque appelant a reçu une lettre de Mohammed H. Khatri, CA, lui indiquant que la juste valeur marchande des actions qui devaient être acquises était égale au montant à payer pour ces actions. Les parties conviennent maintenant que, pendant toute la période en cause en l’espèce, la juste valeur marchande des actions de Sonnum et de Cuatro était nulle.

 

[11]           Voici les montants que chaque personne a fait retirer de son REER ou de son FERR et les actions qui devaient être acquises :

Personne

Montant

Actions à acquérir

Jack St. Arnaud

42 000 $

42 actions privilégiées de Sonnum

Albert Patenaude

78 700 $

31 480 actions ordinaires de Cuatro

Harry Braun

10 000 $

4 000 actions ordinaires de Cuatro

 

[12]           Jack St. Arnaud a aussi payé personnellement 125 000 $ pour des actions privilégiées de Sonnum et l’épouse d’Harry Braun a également fait retirer 15 000 $ de son FERR pour acquérir des actions de Sonnum.

 

[13]           Selon la Couronne, les REER ou le FERR des appelants ont acquis les actions mentionnées ci‑dessus et la juste valeur marchande des actions était nulle au moment de l’acquisition des actions. Bien que les parties ne contestent pas que la juste valeur marchande des actions de Sonnum et de Cuatro était nulle tout au long de la période pertinente, la question de savoir si les REER et le FERR des appelants avaient acquis les actions est une question en litige. Puisqu’une nouvelle cotisation a été établie à l’égard des appelants, conformément aux paragraphes 146(9) et 146.3(4) de la Loi, au motif que leur REER ou FERR a acquis les actions de Sonnum ou de Cuatro, si ces REER et FERR n’ont pas acquis les actions, les nouvelles cotisations imposées en vertu de ces paragraphes ne sauraient être maintenues.

 

[14]           Le juge de la Cour canadienne de l’impôt semble avoir conclu que les appelants avaient convenu que les régimes enregistrés avaient acquis les actions en cause. Il a déclaré au paragraphe 3 de ses motifs que « [l]es faits importants de ces affaires ne suscitent donc maintenant aucun désaccord », et au paragraphe 9 que « [c]es achats d’actions ont eu lieu en juillet et en août 2001 dans le cas de MM. Patenaude et Braun, et en janvier 2002 dans le cas de M. St. Arnaud ».

 

[15]           Environ 1 000 pages de pièces et 49 pages d’extraits d’interrogatoires préalables ont été présentées à l’audience tenue devant la Cour canadienne de l’impôt. Aucune analyse de cette grande quantité de documents n’a été entreprise pour déterminer si les régimes enregistrés des appelants avaient acquis les actions en question.

 

[16]           À l’audience des présents appels, l’avocat des appelants a soutenu que ceux‑ci n’ont jamais admis que leur régime enregistré respectif avait acquis les actions. Au cours de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, l’avocat des appelants a aussi soutenu, en ce qui a trait à l’importante quantité de documents admis sur consentement, que [traduction] « le fondement de leur admission comme je l’ai déjà déclaré, mais simplement pour être clair, est que nous n’admettons pas que les conditions générales sous‑jacentes ont été remplies pour garantir la validité de ces documents. » Les réponses des appelants aux demandes d’aveux appuient également cette position, car les appelants ont refusé d’admettre que les actions en cause ont été acquises.

 

[17]           Dans la demande d’aveux signifiée à Albert Patenaude, le paragraphe 16 énonçait ce qui suit :

[traduction]

16. Le 9 juillet 2001 ou vers cette date, la fiducie du REER a, pour le compte de l’appelant, acheté 31 480 actions ordinaires de catégorie A de Cuatro Corp. au prix de 2,50 $ l’action pour un total de 78 000 $ (sic); […]

 

[18]           En réponse à la demande d’aveux, Albert Patenaude a déclaré ce qui suit :

[traduction]

5. Il refuse de reconnaître la véracité des faits mentionnés aux paragraphes 1, 10, 11, 16, 17, 18, 20, 21, 23, 25, 26, 27, 31, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 58, même si les documents montrent que les diverses entités auraient valablement existé et que les transactions qui y sont décrites auraient eu lieu telles que décrites, au motif que l’appelant ne reconnaît pas la validité des entités ni celle des transactions décrites.

 

 

[19]           En ce qui a trait à Harry Braun, la demande d’aveux lui demandait directement de reconnaître que son FERR avait acheté les actions, ce qui a suscité la même réponse que celle ci‑dessus.

 

[20]           La demande d’aveux signifiée à Jack St. Arnaud lui demandait directement de reconnaître qu’il avait, pour les actions qu’il croyait acheter personnellement, [traduction] « acheté 125 actions privilégiées de catégorie C de Sonnum Capital Leasing Corp. au prix de 1 000 $ l’action pour un total de 125 000 $ ». La demande d’aveux ne contient cependant pas une telle demande directe de reconnaître que son REER avait acquis des actions de Sonnum. Même s’il n’y avait pas de demande de reconnaître que son REER avait acquis des actions de Sonnum, la même réponse que celle mentionnée ci‑dessus a été fournie dans sa réponse à la demande d’aveux.

 

[21]           En conséquence, il est donc clair que le juge de la Cour canadienne de l’impôt s’est trompé en ne se livrant pas à l’analyse requise pour déterminer si les actions avaient été acquises, mais en concluant plutôt que les parties avaient reconnu tous les faits, notamment sur la question de savoir si les régimes enregistrés avaient acquis les actions en question. Il importe également de souligner que seule l’application des dispositions pertinentes de la loi régissant Sonnum et Cuatro permet de répondre à la question de savoir si les actions en l’espèce ont été acquises. Il sera donc nécessaire d’examiner le dossier et la loi régissant ces sociétés pour établir si les régimes enregistrés des appelants ont acquis les actions en question.

 

Le REER de Jack St. Arnaud a‑t‑il acquis des actions de Sonnum?

[22]           Jack St. Arnaud a conclu avec Sonnum une convention d’achat d’actions datée du 25 janvier 2002. Dans cette convention, Sonnum est désignée comme étant le [traduction] « vendeur ». Le préambule de cette convention était rédigé comme suit :

[traduction]

attendu que :

 

A.        Le vendeur est le porteur inscrit et le détenteur des actions émises et en circulation du capital‑actions de Sonnum Capital Leasing Corp. (la « Société »), une société privée sous contrôle canadien dûment constituée en Alberta;

 

B.        L’acheteur souhaite acheter des actions de la Société détenue par le vendeur (les « actions ») et le vendeur désire vendre les actions, selon les modalités et sous réserve des conditions énoncées ci‑après; […]

 

[23]           Dans cette même convention, Sonnum était désignée comme étant à la fois le vendeur et la Société. Le préambule énonce clairement que Sonnum est le porteur inscrit des actions et le reste de la convention est rédigé à titre de convention d’achat et de vente et non comme une convention pour l’émission d’actions du capital autorisé de la société. Plus particulièrement, l’article 3.3 de cette convention dispose :

[traduction]

3. […]  Le vendeur fait les déclarations suivantes :

 

[…]

 

3.3       Le vendeur est le propriétaire légitime des actions qui sont libres et quittes de sûretés, de privilèges et d’autres charges.

 

[24]           Sonnum a été constituée sous le régime de l’Alberta Business Corporations Act (ABCA). En 2002, le paragraphe 32(1) de l’ABCA était le suivant :

[traduction]

32(1) Sous réserve du paragraphe (2) et des articles 33 à 36, la société ne doit pas :

 

a)                   détenir ses propres actions ni celles de sa société mère;

 

b)                  permettre que ses actions soient acquises par ses filiales ayant la personnalité morale.

 

(2) L’ensemble des filiales de la société mère ne peut détenir plus de 1 % des actions émises de chaque catégorie d’actions d’une société mère.

 

[25]           Le paragraphe 32(2) de l’ABCA ne s’applique pas puisque la convention ne prévoyait pas la vente d’actions de Sonnum par une de ses filiales. L’article 33 de l’ABCA prévoit qu’une société peut, à titre de représentant, détenir ses propres actions à la condition de ne pas avoir un intérêt bénéficiaire dans ces actions. Les articles 34, 35 et 36 de l’ABCA s’appliquent à une société qui achète, rachète ou d’une quelconque autre manière acquiert ses propres actions. En conséquence, aucun de ces articles ne pourrait s’appliquer et, en vertu de l’ABCA, Sonnum ne pouvait pas détenir ses propres actions. La convention était erronée en ce qu’elle déclarait que Sonnum était le détenteur légitime de ses actions émises et en circulation. À mon avis, le REER de Jack St. Arnaud ne pouvait donc pas acquérir des actions de Sonnum en vertu de cette convention.

 

[26]           Même si le REER de Jack St. Arnaud ne peut pas avoir acquis les actions de Sonnum en vertu de cette convention, vu qu’il semble que les dossiers d’entreprise de Sonnum indiquent que les actions ont été émises au REER de Jack St. Arnaud, j’examinerai la question de savoir si les actions pourraient être considérées comme étant valablement émises du capital autorisé de la société indépendamment de cette convention.

 

[27]           Le document qui était censé être un certificat d’actions pour les 42 actions privilégiées de catégorie C de Sonnum émises à Olympia Trust Company en fiducie pour le compte de Jack St. Arnaud était daté du 19 avril 2002. Selon le dossier, il y avait trois catégories d’actions de Sonnum : les actions ordinaires de catégorie A, les actions ordinaires de catégorie B et les actions privilégiées de catégorie C. Par conséquent, Sonnum n’avait qu’une catégorie d’actions privilégiées, soit les actions privilégiées de catégorie C. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, la Couronne était d’avis que le REER de Jack St. Arnaud avait acquis ces actions. Toutes les parties ont convenu que les actions de Sonnum et de Cuatro n’avaient aucune valeur à toutes les dates pertinentes. Aux fins du paragraphe 146(9) de la Loi, la date pertinente est la date de l’acquisition des biens. En conséquence, si le REER de Jack St. Arnaud avait acquis les actions, les actions auraient été acquises le 19 avril 2002 et la juste valeur marchande de ses actions à cette date aurait été nulle.

 

[28]           Au paragraphe 1 du rapport d’évaluation des actions de Sonnum, rédigé pour le ministère de la Justice, l’évaluateur a souligné que les dates servant à établir la juste valeur marchande étaient les dates d’émission des actions entre le 18 juin 2001 et le 3 mars 2004. Dans sa conclusion (sur laquelle la Couronne s’appuie), l’évaluateur a apporté des précisions et a indiqué ce qui suit :

[traduction]

68. Compte tenu des renseignements examinés et sous réserve des limites de la portée du présent rapport, des hypothèses, des réserves et des restrictions qui y sont mentionnées, je suis d’avis que la juste valeur marchande de [Sonnum] a toujours été nulle au cours de la période du 18 juin 2001 au 31 mai 2004 et, par conséquent, la juste valeur marchande de toutes les catégories d’actions ordinaires et privilégiées, par catégorie et par action, était nulle à l’émission à toutes les dates d’émission entre le 18 juin 2001 et le 3 mars 2004.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]           L’annexe 1a) de ce rapport est une estimation de la juste valeur marchande globale au 31 mai 2002, soit environ 42 jours après le 19 avril 2002. Le total du passif, après avoir pris en compte un remboursement de la TPS, s’élevait à 38 749 $. À la page 17 de ce rapport, l’évaluateur conclut que Sonnum est une société de portefeuille n’ayant aucun élément d’actif d’exploitation ni aucune activité d’exploitation et que la juste valeur marchande de Sonnum devrait être établie en utilisant une approche fondée sur la liquidation. Puisque Sonnum était une société de portefeuille sans activités d’exploitation, il semble logique de supposer que son passif n’a subi aucune modification importante entre le 19 avril 2002 et le 31 mai 2002.

 

[30]           Selon l’annexe 6 du rapport d’évaluation, au cours de la période du 15 août 2001 au 19 avril 2002 (sur la foi des grands livres de Sonnum), Sonnum avait émis 1 411 actions privilégiées de catégorie C au prix de 1000 $ l’action. Cela signifie que Sonnum aurait dû recevoir 1 411 000 $ au cours de cette période.

 

[31]           Selon le résumé des grands livres présenté à l’annexe 6 du rapport d’évaluation, Sonnum aurait émis au total environ 2,3 millions de dollars d’actions privilégiées de catégorie C au cours de la période du 15 août 2001 à mars 2004. À mon avis, le seul fondement logique à partir duquel il est possible de conclure que la juste valeur marchande de Sonnum était toujours nulle au cours de cette période (et plus particulièrement le 19 avril 2002) est que Sonnum n’a jamais reçu l’argent ou que Sonnum n’a reçu l’argent comptant qu’à titre de mandataire pour la personne qui s’est enfuie avec celui‑ci. Dans l’un ou l’autre cas, Sonnum n’a pas reçu l’argent pour son propre compte. Si Sonnum avait été la bénéficiaire de l’argent, la juste valeur marchande des actions n’aurait donc pas été nulle au moment où au moins certaines actions étaient émises. En s’appuyant sur cette conclusion selon laquelle la juste valeur marchande de Sonnum a toujours été nulle au cours de la période, il faut considérer que le ministre du Revenu national (le ministre) a implicitement présumé que, d’une façon ou d’une autre, l’argent qui devait être utilisé pour acquérir des actions n’a pas été utilisé à cette fin.

 

[32]           En 2002, le libellé des paragraphes 27(3) et (5) de l’ABCA était le suivant :

[traduction]

27(3) Les actions ne doivent pas être émises avant d’avoir été entièrement libérées soit en numéraire, soit en biens ou en service rendu dont la juste valeur ne peut être inférieure à la somme d’argent que la société recevrait si la libération devait se faire en numéraire.

[…]

(5) Pour l’application du présent article, « biens » ne comprend ni les billets à ordre ni la promesse de paiement faite par un attributaire.

 

[33]           Si Sonnum n’a pas reçu l’argent ou l’a reçu tout simplement à titre d’intermédiaire pour la personne qui est disparue avec l’argent, les actions de Sonnum ne peuvent donc pas avoir été validement émises. Il s’ensuit que les registres d’entreprise de Sonnum et les documents qui ont été imprimés comme certificats d’actions ne reflétaient pas des actions validement émises de Sonnum.

 

[34]           Je me suis également demandé si le REER de Jack St. Arnaud avait acquis un droit à la restitution de l’argent. Même si un tel droit peut constituer un bien au sens de la Loi, il n’est pas le bien que la Couronne a indiqué comme étant les biens acquis par le REER. Quoi qu’il en soit, il n’y a eu aucune évaluation ni aucun accord concernant la juste valeur marchande de ce droit. L’évaluateur a par ailleurs souligné que quatre rentiers ont été en mesure de ravoir leur argent après avoir indiqué qu’ils ne voulaient pas les actions de Sonnum, même si au moins une des personnes a dû menacer Sonnum d’une poursuite en justice et qu’un délai de deux ans s’est écoulé à compter de l’exercice du droit d’encaissement par anticipation. Cela tend à indiquer que le droit d’avoir un remboursement du montant qui a été payé peut avoir eu une juste valeur marchande qui était supérieure à zéro.

 

[35]           Je conclus que la preuve contredit l’hypothèse du ministre selon laquelle le REER de Jack St. Arnaud a acquis des actions de Sonnum et, par conséquent, la nouvelle cotisation du ministre établie à l’égard de Jack St. Arnaud en vertu du paragraphe 146(9) de la Loi ne peut être maintenue.

 

Le REER d’Albert Patenaude et le FERR d’Harry Braun ont‑ils acquis des actions de Cuatro?

[36]           Albert Patenaude et Harry Braun ont tous deux fait l’objet d’une nouvelle cotisation au motif que leur régime enregistré avait acquis des actions de Cuatro et que la juste valeur marchande des actions de Cuatro était nulle à l’époque de l’acquisition de ces actions. Harry Braun a conclu une convention d’achat d’actions avec Celestine Investments Inc. (Celestine), datée du 17 mai 2001, et Albert Patenaude a conclu une convention d’achat d’actions avec Celestine, datée du 7 juin 2001.

 

[37]           Dans chacune des conventions, Celestine était désignée comme étant le « vendeur ». Le préambule et les déclarations et garanties contenues à l’article 3.3 des conventions sont identiques dans chacune des conventions. En voici le texte :

[traduction]

attendu que :

 

A.        Le vendeur est le porteur inscrit et le détenteur des actions émises et en circulation du capital‑actions de Cuatro Corp. (la « Société »), une société privée sous contrôle canadien dûment constituée en Alberta;

 

B.        L’acheteur souhaite acheter des actions de la Société détenue par le vendeur (les « actions ») et le vendeur désire vendre les actions, selon les modalités et sous réserve des conditions énoncées ci‑après;

[…]

 

3. […] Le vendeur fait les déclarations suivantes :

 

[…]

 

3.3       Le vendeur est le propriétaire légitime des actions qui sont libres et quittes de sûretés, de privilèges et d’autres charges.

 

[38]           Il est raisonnable de conclure à partir du dossier que Cuatro a été constituée en vertu de l’ABCA. L’article 49 de l’ABCA impose à une société l’obligation de tenir un registre de valeurs mobilières identifiant les personnes auxquelles des valeurs mobilières (des actions ou des titres de créances – article 1 de l’ABCA) ont été émises. L’article 50 de l’ABCA prévoit que la société peut considérer que le propriétaire inscrit est la seule personne ayant qualité pour exercer les droits et pouvoirs liés à la valeur mobilière. Il était raisonnable que le ministre examine les registres d’entreprise de Cuatro pour déterminer qui détenait des actions de Cuatro à un moment précis.

 

[39]           Dans les actes de procédure devant la Cour canadienne de l’impôt, le ministre n’émet pas l’hypothèse que Celestine détenait des actions de Cuatro. Lorsqu’il a établi une nouvelle cotisation à l’égard de ces appelants, le ministre a déclaré qu’il présumait que [traduction] « Celestine Investments Inc. n’[était] pas identifiée comme la propriétaire d’actions de Cuatro Corp. ni dans le livre de procès‑verbaux ni dans le registre de valeurs mobilières de Cuatro Corp. ».

 

[40]           Il est bien établi en droit qu’une personne ne peut vendre ce dont elle n’est pas propriétaire. Puisque le dossier ne contient aucun élément de preuve montrant que Celestine détenait des actions de Cuatro (et qu’il appuie réellement une conclusion selon laquelle Celestine n’était pas propriétaire d’actions de Cuatro), il s’ensuit nécessairement que le FERR d’Harry Braun et le REER d’Albert Patenaude ne peuvent pas avoir acquis les actions de Cuatro auprès de Celestine.

 

[41]            Vu qu’une personne peut acquérir des actions soit d’un actionnaire existant, soit du capital autorisé de la société, et que la nouvelle cotisation était fondée sur l’acquisition d’actions de Cuatro par le FERR d’Harry Braun et le REER d’Albert Patenaude, je me suis demandé si le dossier étayait une conclusion selon laquelle les actions de Cuatro pouvaient être par ailleurs considérées comme ayant été valablement émises par le capital autorisé de la société à ce FERR et à ce REER. Le rapport d’évaluation contient une annexe concernant les actions de Cuatro qui énumère les actions émises de Cuatro et qui inclut un renvoi au certificat d’actions pour les actions en question.

 

[42]           Dans le rapport d’évaluation concernant les actions de Cuatro, l’évaluateur retenu par le ministère de la Justice déclare ce qui suit à la page 11 :

[traduction]

40. Il est raisonnable de supposer que la participation de Cuatro Corp. à des activités liées à des panneaux faits de paille n’avait pas dépassé le stade théorique pour les raisons suivantes :

 

a.         Le rapport sur lequel s’est appuyé Mohammed Khatri pour rédiger son évaluation de Cuatro Corp. était de fait simplement une copie d’un rapport rédigé par Evans & Evans, Inc. pour une autre société, Cuatro U.S.A. Inc., et qui avait été modifié pour qu’il paraisse être un rapport rédigé à l’intention de Cuatro Corp.

 

b.         Ce rapport, intitulé Cuatro Corp. Estimate of Potential Market Value [estimation de la valeur marchande potentielle de Cuatro Corp.], daté du 15 septembre 2000 et attribué à Evans & Evans, Inc., a été publié sur du papier à en‑tête d’Evans & Evans, Inc. sans l’autorisation de celle‑ci.

 

c.         À part les déclarations faites par les promoteurs de Cuatro Corp., aucun autre renseignement ni aucun autre fondement n’appuyaient le fait que Cuatro Corp. exploitait une telle entreprise.

 

d.         Cuatro Corp. a reçu peu d’argent comptant du produit brut d’émission de 545 500 $, sinon rien*.

 

e.         Cuatro Corp. a prêté plus de 356 000 $ à des parties liées et n’a inscrit aucune immobilisation ni aucun élément d’actif lié à la recherche.

 

(* La note de bas de page figurant dans le texte original a été omise.)

 

[43]           À la fin du paragraphe d., il y a une note de bas de page qui renvoie à la note 2 de l’annexe 2 du rapport d’évaluation. L’annexe 2 est une description du capital‑actions émis par Cuatro. Cette note est rédigée comme suit :

[traduction]

2. La description ci‑dessus d’actions émises à des investisseurs est tirée de dossiers dressés par Mohammed Khatri. Selon l’inscription, 218 200 actions ont été émises. Ces actions s’élèvent à un montant de 545 500 $ au prix de 2,50 $ l’action, tel que cela apparaît au bilan de Cuatro Corp. au 31 décembre 2001, dont une partie est reproduite en annexe 3. Compte tenu du bilan, du témoignage de Mohammed Khatri et de discussions avec Murray Bond et le vérificateur de l’évasion fiscale de l’ARC, Ken Cameron, il semble que seul un petit montant, s’il en est, de l’argent comptant payé pour le capital‑actions a été déposé dans le compte bancaire de Cuatro Corp. Murray Bond soutient que Cuatro Corp. n’a reçu qu’environ 31 000 $. Le vérificateur de l’évasion fiscale de l’ARC estime que la société n’a jamais reçu de fonds parce que Murray Bond n’est pas en mesure de prouver la réception d’un montant quelconque.

 

[44]           Cette description d’actions inclut les actions qui, selon l’hypothèse du ministre, ont été acquises par le FERR d’Harry Braun et le REER d’Albert Patenaude. Des extraits de l’interrogatoire préalable de Kenneth Cameron (le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada mentionné ci‑dessus) ont été présentés à l’audience. Ces extraits confirment que le suivi des fonds par l’Agence du revenu du Canada (dans la mesure où elle pouvait les suivre) révélait que l’argent n’a pas été versé à Cuatro. Les hypothèses faites par le ministre dans les actes de procédure devant la Cour canadienne de l’impôt reflètent le mouvement des fonds (qui devait être utilisés pour acheter des actions de Cuatro) vers d’autres sociétés (et non Cuatro).

 

[45]           Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, l’article 27 de l’ABCA prévoit qu’une action ne peut être émise avant que la contrepartie ne soit entièrement payée. L’évaluateur qui a rédigé le rapport d’évaluation des actions de Cuatro a indiqué cette exigence dans la note de bas de page no 1 de l’annexe 2 de son rapport. Étant donné la preuve au dossier et l’opinion de la Couronne selon laquelle Cuatro n’avait reçu aucun montant d’argent que les divers investisseurs avaient payé pour des actions, il ne pouvait y avoir aucun fondement pour tirer une conclusion selon laquelle le FERR d’Harry Braun et le REER d’Albert Patenaude avaient acquis des actions non émises de Cuatro.

 

[46]           Les droits que peuvent avoir acquis ces régimes enregistrés par suite de la convention avec Celestine peuvent avoir été des biens aux fins de la Loi. Cependant, les nouvelles cotisations étaient fondées sur le fait que les régimes enregistrés avaient acquis les actions de Cuatro, non sur le fait que ces régimes avaient acquis un droit à des dommages‑intérêts ou un droit de résiliation.

 

[47]           Par conséquent, il s’ensuit que la nouvelle cotisation du ministre établie à l’égard d’Harry Braun en vertu du paragraphe 146.3(4) de la Loi et celle établie à l’égard d’Albert Patenaude en vertu du paragraphe 146(9) de la Loi ne peuvent être maintenues.

 

Conclusion

[48]           J’accueillerais les appels, j’annulerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt et j’annulerais les nouvelles cotisations établies à l’égard de Jack St. Arnaud, d’Albert Patenaude et d’Harry Braun. J’adjugerais également à chaque appelant ses dépens devant la Cour et la Cour canadienne de l’impôt.

 

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

MOTIFS CONCORDANTS

LA JUGE SHARLOW

[49]           Je suis d’accord avec la façon dont mon collègue le juge Webb propose de trancher les présents appels, essentiellement pour les motifs qu’il a prononcés. Contrairement à lui cependant, je conclus qu’il est indiqué d’examiner l’argument subsidiaire des appelants concernant l’interprétation des paragraphes 146(9) et 146.3(4) de la Loi. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’interprétation proposée par les appelants est exacte.

 

[50]           Je dois commencer mon analyse par une brève description du régime législatif pertinent et de son objet. Selon l’article 146 de la Loi, un « régime d’épargne‑retraite » désigne un contrat conclu entre un particulier (le rentier) et une institution financière titulaire d’une licence appropriée et aux termes duquel le rentier place de l’argent auprès de l’institution pour financer son revenu de retraite conformément aux modalités du régime. Habituellement, les fonds sont détenus en fiducie pour en faciliter le placement et l’on dit de la fiducie qu’elle est « régie par » le régime. On décrit certains régimes d’épargne‑retraite comme étant « immobilisés », ce qui signifie que le rentier ne peut recevoir de paiements en vertu du régime avant une date de retraite prévue, sauf dans des circonstances déterminées. Les modalités d’un régime d’épargne‑retraite peuvent autoriser le rentier à effectuer des placements avec les fonds détenus en fiducie conformément au régime.

 

[51]           Un régime d’épargne‑retraite assorti de modalités répondant à certaines exigences prévues par la Loi peut être « enregistré » auprès du ministre, devenant ainsi un « régime enregistré d’épargne‑retraite ». Tant que le régime est enregistré, le rentier peut demander des déductions d’impôt sur le revenu concernant les montants versés au régime (à l’intérieur de limites prescrites), et les revenus et les gains à l’égard des fonds versés s’accumulent dans la fiducie, libres d’impôt. Si la fiducie subit une perte imputable à ces placements, le montant d’argent disponible pour financer le revenu de retraite du rentier est réduit en conséquence, mais il n’existe pas d’allégement fiscal à l’égard d’une telle perte.

 

[52]           Sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes dans le cadre des présents appels, toute prestation que reçoit le rentier d’un REER est imposée entre les mains du rentier en vertu du paragraphe 146(8), dont la partie pertinente est rédigée comme suit :

146. (8) Est inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition le total des montants qu’il a reçus au cours de l’année à titre de prestations dans le cadre de régimes enregistrés d’épargne‑retraite […]

146. (8) There shall be included in computing a taxpayer’s income for a taxation year the total of all amounts received by the taxpayer in the year as benefits out of or under registered retirement savings plans […].

 

Le paragraphe 146(8) s’applique aux montants que le rentier retire du REER, de même qu’au revenu de retraite versé au rentier et tiré du REER.

 

[53]           En raison de l’objet d’un REER qui consiste à financer le revenu de retraite du rentier, il ne peut exister indéfiniment. Lorsque le rentier atteint un certain âge (maintenant 71 ans), les cotisations doivent prendre fin. Le rentier doit alors prendre l’une de trois mesures. Une première option consiste à retirer tous les fonds détenus dans le REER (qui seraient imposables entre les mains du rentier). Selon une deuxième option, le rentier peut donner instruction que les fonds détenus dans le REER soient utilisés pour faire l’acquisition d’une rente viagère ou d’une rente à durée déterminée en vertu de laquelle des paiements périodiques sont versés au rentier (auquel cas les versements de rente seraient imposables entre les mains du rentier au moment de leur réception). En vertu de la troisième option, le rentier donne instruction de transférer les fonds à un fonds enregistré de revenu de retraite au sens de l’article 146.3 de la Loi.

 

[54]           Si la dernière option mentionnée est choisie, les revenus et les gains continuent de s’accumuler dans la fiducie, libres d’impôt, et le rentier peut donner des instructions quant à leur placement. Une certaine portion des fonds détenus en fiducie doit toutefois être versée tous les ans au rentier, faisant en sorte que les fonds détenus en fiducie diminueront avec le temps. Sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes dans le cadre des présents appels, le rentier doit payer de l’impôt sur le revenu à l’égard de tous ces versements, de même qu’à l’égard de tout autre avantage qu’il reçoit provenant du FERR, conformément au paragraphe 146.3(5). Le passage pertinent de la disposition est rédigé comme suit :

146.3 (5) Il doit être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition les sommes qu’il a reçues au cours de l’année dans le cadre d’un fonds enregistré de revenu de retraite […].

146.3 (5) There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year all amounts received by the taxpayer in the year out of or under a registered retirement income fund […].

 

 

 

[55]           Les articles 146 et 146.3 contiennent des règles détaillées concernant les placements que peut effectuer un REER ou un FERR. Des dispositions qui assujettissent le rentier à un impôt égal à la valeur de tout placement non admissible qu’il a acquis ont un effet dissuasif sur l’acquisition de tels placements.

 

[56]           Il est possible que les règles relatives aux placements admissibles soient de façon générale destinées à favoriser les décisions judicieuses en matière de placements et à décourager celles qui sont imprudentes, mais aucune ne le dit expressément. Pour des raisons de politique fiscale, cela peut s’expliquer par le fait qu’un certain nombre de décisions mal avisées en matière de placements sont inévitables lorsque des contribuables ont légalement le droit de donner des instructions quant au placement de leurs propres fonds de retraite.

 

[57]           Lorsqu’un fonds de retraite subit une perte en raison d’une décision imprudente en matière de placement, le contribuable qui a pris ou autorisé la décision assume la perte, sans aucune conséquence fiscale. Aucune disposition n’augmente le fardeau économique du rentier en imposant le montant de la perte (dans le cas d’un REER) ou en imposant le double de ce montant (dans le cas d’un FERR). Dans ces cas, le fardeau fiscal a été imposé à l’égard des montants qui ont été tirés d’un REER ou de FERR et qui sont disparus sans aucune trace, contrairement à l’intention et à l’autorisation expresse du rentier. Il n’est pas allégué que les appelants ont reçu des paiements ou qu’ils en ont bénéficié de quelque façon. Au contraire, il est acquis que ce n’est pas le cas.

 

[58]           L’assujettissement à l’impôt dans ces cas est fondé sur les paragraphes 146(9) et 146.3(4). Ces dispositions sont citées dans les motifs du juge Webb, mais elles sont reproduites ici par souci de commodité :

REER

REER

146. (9) Lorsque, au cours d’une année d’imposition, une fiducie régie par un régime enregistré d’épargne‑retraite :

146. (9) Where in a taxation year a trust governed by a registered retirement savings plan

a) soit dispose de biens en échange d’une contrepartie d’une valeur inférieure à la juste valeur marchande que ces biens avaient au moment de la disposition, ou sans aucune contrepartie;

(a) disposes of property for a consideration less than the fair market value of the property at the time of the disposition, or for no consideration, or

b) soit acquiert des biens en échange d’une contrepartie d’une valeur supérieure à la juste valeur marchande que ces biens avaient au moment de l’acquisition, toute différence entre cette juste valeur marchande et la contrepartie doit être incluse dans le calcul du revenu, pour l’année d’imposition, du rentier qui bénéficie de ce régime.

 

 

(b) acquires property for a consideration greater than the fair market value of the property at the time of the acquisition, the difference between the fair market value and the consideration, if any, shall be included in computing the income for the taxation year of the annuitant under the plan.

 

 

FERR

RRIF

146.3 (4) Lorsque, à un moment donné d’une année d’imposition, une fiducie régie par un fonds enregistré de revenu de retraite :

146.3 (4) Where at any time in a taxation year a trust governed by a registered retirement income fund

a) soit dispose de biens pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande des biens au moment de la disposition, ou gratuitement;

(a) disposes of property for a consideration less than the fair market value of the property at the time of the disposition, or for no consideration, or

b) soit acquiert des biens pour une contrepartie supérieure à la juste valeur marchande des biens au moment de l’acquisition, il doit être inclus dans le calcul du revenu, pour l’année d’imposition, du contribuable qui est le rentier en vertu du fonds à ce moment, 2 fois la différence entre cette juste valeur marchande et la contrepartie.

(b) acquires property for a consideration greater than the fair market value of the property at the time of the acquisition, 2 times the difference between that fair market value and the consideration, if any, shall be included in computing the income for the taxation year of the taxpayer who is the annuitant under the fund at that time.

 

 

 

[59]           La Couronne soutient que ces dispositions devraient être interprétées de façon littérale. L’interprétation littérale de dispositions législatives ne peut cependant pas être retenue sans un examen plus approfondi. L’interprétation d’une disposition législative, même une interprétation qui semble claire à sa face même, nécessite la prise en compte de son contexte et de son objet en interprétant les dispositions d’une loi comme formant « un tout harmonieux » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10).

 

[60]           L’objet des paragraphes 146(9) et 146.3(4) suscite un débat entre les parties. La différence entre leurs thèses peut être illustrée par un exemple simple.

 

[61]           Imaginons le cas de Mary, qui est la rentière en vertu d’un REER détenant des placements dont la valeur s’élève à un million de dollars. En vertu du régime législatif concernant les REER, ces placements sont destinés à être utilisés pour financer le revenu de retraite de Mary. Mary entend parler d’une occasion de placement auprès d’une nouvelle société qui serait un « placement admissible » pour un REER. Elle retient les services de conseillers qui, après avoir effectué toutes les vérifications nécessaires, concluent honnêtement et à raison que la juste valeur marchande du placement s’élève à 800 000 $. Forte de leurs conseils, Mary donne instruction à la fiducie d’utiliser un montant de 800 000 $ de son fonds de retraite pour acheter le placement. On apprend par la suite que les conseillers ont commis une erreur (bien qu’il n’y ait pas eu de négligence de leur part) et, en fait, la juste valeur marchande du placement s’élevait uniquement 600 000 $ au moment de l’achat. Le résultat financier de la décision de Mary concernant le placement fondé sur leurs conseils était, sur papier, une perte immédiate de 200 000 $ pour le fonds de retraite de la rentière (j’appelle cette perte « une perte sur papier » parce que l’investissement pourrait prendre de la valeur si la société réussit plus tard). Selon l’interprétation que la Couronne donne à l’alinéa 146(9)b), Mary doit également inclure la somme de 200 000 $ dans son revenu pour l’année au cours de laquelle le placement a été acheté. En supposant que le taux d’imposition de Mary est de 30 %, elle subit une perte financière permanente de 60 000 $.

 

[62]           Comment justifier l’assujettissement de Mary à un impôt de 60 000 $ dans ces circonstances? La Couronne soutient que le besoin de dissuader les mauvais placements payés avec l’argent après impôt le justifie. Si tel était le cas, cela tendrait à indiquer que les paragraphes 146(9) et 146.3(4) ne sont pas censés s’appliquer à une décision de placement prise après avoir effectué toutes les vérifications nécessaires. Or, la Couronne n’admet pas que l’application des paragraphes 146(9) ou 146.3(4) soit de quelque façon fondée sur la raison ou la motivation sur laquelle la transaction repose ou sur les vérifications du décideur.

 

[63]           L’argument de la Couronne concernant l’objet des paragraphes 146(9) et 146.3(4) est fondé sur l’hypothèse selon laquelle il est nécessairement mauvais de disposer de biens pour une valeur inférieure à leur juste valeur marchande ou d’acquérir des biens pour une valeur supérieure à leur juste valeur marchande. Cette hypothèse peut être fondée ou non, mais pour les besoins de l’espèce, je l’accepte. À mon avis, il n’est pas logique de conclure que les paragraphes 146(9) et 146.3(4) ont pour objet de dissuader les mauvais placements et de nier au même moment que l’application de ces dispositions peut être évitée en montrant que tout le nécessaire a été fait pour vérifier la juste valeur marchande des biens. Cela jette un doute sur la validité de l’interprétation littérale des paragraphes 146(9) et 146.3(4) que propose la Couronne.

 

[64]           Les appelants proposent une interprétation différente de l’objet des paragraphes 146(9) et 146.3(4). Ils soutiennent qu’il est raisonnable d’inférer que le législateur a supposé que, si un REER ou un FERR est autorisé à disposer de biens pour un produit que l’on sait être inférieur à leur juste valeur marchande ou d’acquérir des biens à un coût que l’on sait être supérieur à leur juste valeur marchande, la raison doit être que le rentier ou quelqu’un qui lui est lié a pris des dispositions pour recouvrer la totalité ou une partie de la perte qui en découle au moyen d’une entente accessoire. Pour ce motif, les appelants soutiennent que l’interprétation de ces dispositions est assujettie, logiquement, à l’existence d’une telle entente accessoire qui a pour but d’éviter l’assujettissement du rentier à l’impôt qui aurait été imposé si celui-ci avait simplement retiré des fonds du REER ou du FERR.

 

[65]           Supposons que Mary a permis que son REER utilise un montant de 800 000 $ de son fonds de retraite pour acheter un actif dont elle savait que la valeur s’élevait à 600 000 $ et qu’elle a également conclu une entente accessoire en vertu de laquelle elle récupérait par des moyens indirects ou détournés, la totalité ou une partie du paiement en trop de 200 000 $. Dans ce cas, le fonds de retraite de Mary a perdu le même montant de 200 000 $, mais il y a deux autres conséquences importantes. Premièrement, Mary aura récupéré, en vertu de l’entente accessoire, une part de la perte de 200 000 $. Deuxièmement, Mary aura économisé 60 000 $ en évitant les dispositions législatives exigeant qu’elle paie de l’impôt sur tout montant qu’elle reçoit de son REER. À mon avis, on peut logiquement conclure que l’impôt prévu par les paragraphes 146(9) et 146.3(4) visait à dissuader ce genre de transaction, ce qui milite en faveur de l’interprétation que proposent les appelants.

 

[66]           À choisir entre l’interprétation proposée par les appelants et l’interprétation proposée par la Couronne, j’accepte l’interprétation des appelants et je conclus que les alinéas 146(9)b) et 146.3(4)b) ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

[67]           En conclusion, je constate que le ministre dispose de nombreux outils prévus par la loi pour dissuader ce qui pourrait sembler être des abus du régime législatif concernant les régimes enregistrés. Je n’ai pas l’intention de les mentionner tous, mais j’en mentionnerai un, l’alinéa 207.05(2)c), qui est entré en vigueur le 23 mars 2011. Cette disposition prévoit un impôt égal à la « somme découlant d’un dépouillement de REER », une expression définie qui inclurait le genre de transaction décrite dans le deuxième exemple ci‑dessus. Cette définition est la suivante :

« somme découlant d’un dépouillement de REER » Relativement à un FERR ou à un REER, toute somme utilisée ou obtenue par le particulier contrôlant du FERR ou du REER, ou par une personne avec laquelle celui‑ci a un lien de dépendance, dans le cadre d’une opération ou d’un événement, ou d’une série d’opérations ou d’événements, dont l’un des objets principaux consiste à permettre au particulier contrôlant ou à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance d’utiliser un bien détenu dans le cadre du FERR ou du REER ou d’en tirer profit. En est exclue toute somme qui, selon le cas :

“REER strip”, in respect of a RRIF or REER, means an amount used or obtained by the controlling individual of the RRIF or REER, or a person who does not deal at arm’s length with the controlling individual, as part of a transaction or event or a series of transactions or events one of the main purposes of which is to enable the controlling individual, or a person who does not deal at arm’s length with the controlling individual, to use or obtain the benefit of property held in connection with the RRIF or REER, but does not include an amount that is

a) est incluse dans le revenu du particulier contrôlant ou de son époux ou conjoint de fait en application des articles 146 ou 146.3;

(a) included in the income of the controlling individual or their spouse or common‑law partner under section 146 or 146.3;

b) est un retrait exclu en vertu des articles 146.01 ou 146.02;

(b) an excluded withdrawal under section 146.01 or 146.02;

c) est visée aux paragraphes 146(16) ou 146.3(14.2);

(c) described in subsection 146(16) or 146.3(14.2); or

d) représente le principal d’une créance qui est un bien exclu visé par règlement.

(d) the principal amount of a debt obligation that is a prescribed excluded property.

 

 

[68]           Enfin, je souligne qu’en plus des nombreuses dispositions anti‑évitement concernant précisément les régimes enregistrés, un stratagème abusif d’évitement fiscal visant un régime enregistré pourrait être assujetti à la règle anti‑évitement générale prévue à l’article 245 de la Loi. Cette règle est entrée en vigueur le 13 septembre 1988.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑463‑11

                                                                        A‑464‑11

                                                                        A‑465‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  ST. ARNAUD et autres c. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 5 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE WEBB

 

Y A SOUSCRIT :                                         LA JUGE TRUDEL

 

MOTIFS CONCORDANTS :                     LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeff D. Pniowsky

 

Pour les appelants

 

Karen Janke‑Curliss

Anne Jinnouchi

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les appelants

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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