Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20130416

Dossier : A-377-11

Référence : 2013 CAF 103

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

E NTRE :

FATEH KAMEL

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

PASSEPORT CANADA

intimés

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 12 décembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 avril 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                          LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER

 



Date : 20130416

Dossier : A-377-11

Référence : 2013 CAF 103

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

FATEH KAMEL

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

PASSEPORT CANADA

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

 

[1]               M. Kamel (ou l’appelant) se pourvoit en appel d’un jugement de la Cour fédérale (2011 CF 1061) [Kamel-CF 2011] rendu par le juge Scott (le Juge), lequel a rejeté sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du ministre des Affaires étrangères (le ministre), sur recommandation de la Direction générale de la sécurité de Passeport Canada, de lui refuser un passeport régulier (Décision 2010 ou décision ministérielle). L’appelant est informé de cette décision par lettre datée du 15 juillet 2010. Des motifs intéressant la « sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays » sont à l’origine du refus du ministre fondé sur l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86, tel que modifié par le Décret modifiant le Décret sur les passeports canadiens, TR/2004-113 (Décret).

 

[2]               Il s’agit d’une seconde ronde judiciaire pour M. Kamel qui a essuyé un premier refus de service de passeport en 2005 (Décision 2005). La Décision 2005 fut aussi le sujet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (2008 CF 338, le juge Noël) [Kamel-CF 2008] et résulta en un appel devant notre Cour, laquelle déclarait que l’article 10.1 du Décret portait atteinte à l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (Charte), soit au droit d’un citoyen canadien d’entrer au Canada ou d’en sortir, mais que cette atteinte était justifiée aux termes de l’article premier de la Charte (Kamel c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 21, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 33088 (20 août 2009)) [Kamel-CAF 2009]. Cette conclusion était contraire à celle tirée par la Cour fédérale. Par ailleurs, le juge Noël avait déclaré que les principes d’équité procédurale n’avaient pas été respectés au cours de l’enquête administrative de Passeport Canada et avait annulé la décision négative du ministre. Cette conclusion n’étant pas contestée, elle n’était pas affectée par l’arrêt de notre Cour dans Kamel-CAF 2009. De là, la seconde demande de passeport déposée par l’appelant et la décision négative du ministre qui nous intéresse.

 

[3]               En l’espèce, M. Kamel soutient que la Décision 2010 porte atteinte à ses droits protégés sous les articles 6, 7 et 8 de la Charte. Considérant la nature constitutionnelle de son recours, il reproche à la Cour fédérale de ne pas avoir adopté la démarche juridique appropriée dans son analyse de la décision du ministre. Il nous demande donc de retourner le dossier devant la Cour fédérale pour un nouvel examen de la Décision 2010 en conformité avec les principes juridiques applicables. De plus, se fondant sur le paragraphe 24(1) de la Charte, il demande à cette Cour d’ordonner à Passeport Canada de lui délivrer un passeport régulier.

 

[4]               Ma démarche analytique diffère de celle de la Cour fédérale, mais tout compte fait, je propose de rejeter l’appel avec dépens. Je conclus que la restriction aux droits de M. Kamel vise des objectifs suffisamment importants et que le refus d’un passeport régulier à ce dernier est proportionnel à ces objectifs.

 

[5]               Afin de mieux comprendre le contexte sous-jacent à la Décision 2010, il importe de relater les faits pertinents au litige.

 

Les faits pertinents

 

[6]               M. Kamel, d’origine algérienne, est citoyen canadien depuis le 27 janvier 1993. Tel que rapporté dans Kamel-CAF 2009 (références omises) :

 

[5]        En mai 1999, M. Kamel est arrêté en Jordanie, puis extradé en France. Après un procès de plusieurs jours, il est déclaré coupable par le Tribunal de grande instance de Paris, le 6 avril 2001, d’avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme et de complicité dans la falsification de trois passeports qu’il avait apportés du Canada. L’acte de terrorisme en question était l’attentat perpétré à Roubaix, en France, en 1998. M. Kamel était représenté par avocat. Le Tribunal a décrit M. Kamel comme le « … principal animateur des réseaux internationaux déterminé à préparer des attentats et à procurer des armes et des passeports à des terroristes agissant partout dans le monde ». Une vingtaine d’accusés ont subi leur procès en même temps que M. Kamel. Il se vit imposer la peine la plus lourde, soit huit (8) ans d’emprisonnement et l’interdiction définitive du territoire français.

 

[6]        M. Kamel est emprisonné en France. Il est libéré après avoir purgé la moitié de sa peine. Il revient à Montréal, lieu de sa résidence au Canada, le 29 janvier 2005, avec un « passeport provisoire valable pour un seul voyage » délivré exceptionnellement pour lui permettre de revenir au Canada.

 

[7]        Le 13 juin 2005, M. Kamel demande un nouveau passeport aux autorités canadiennes. Il projetait un voyage d’affaires en Thaïlande. La preuve au dossier indique que « la Thaïlande est un pays où le trafic des passeports est intense. »

 

[8]        Éventuellement, après de nombreux échanges qui ne sont pas pertinents aux fins de cet appel, le Bureau des passeports du Canada recommande au Ministre de refuser la demande de passeport de M. Kamel. Le 1er décembre 2005, le Ministre refuse de délivrer le passeport.

 

 

[7]               C’est dans ce contexte que M. Kamel dépose sa première demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale avec le résultat précédemment exposé.

 

[8]               Quelques semaines après Kamel-CAF 2009, soit le 10 février 2009, M. Kamel signe une nouvelle demande de passeport qu’il présente le 5 mai suivant au bureau de Passeport Canada de Montréal (dossier d’appel, volume 4, pages 682 et s.). Il est avisé, par lettre de Passeport Canada du 27 juillet 2009, que la Section des enquêtes et de la revue de l’admissibilité de Passeport Canada étudie son admissibilité aux services de passeport en vertu de l’article 10.1 du Décret (ibidem à la page 686). Cet examen d’admissibilité conduira à la recommandation de Passeport Canada au ministre de refuser la demande de passeport de M. Kamel (dossier d’appel, volume 11 aux pages 2394 et s.). De là, la Décision 2010 dont l’appelant est avisé par lettre du 15 juillet suivant.

La Décision 2010

 

[9]               Cette lettre du 15 juillet 2010 n’est, en réalité, qu’un simple avis à l’appelant que le ministre a rendu sa décision et a approuvé la recommandation qui lui a été présentée, c’est-à-dire, « de vous refuser la délivrance d’un passeport en vertu de l’article 10.1 du Décret, et ce pour un[e] période de cinq ans, soit jusqu'au 17 juin 2015 ». On y mentionne aussi que nonobstant ce refus, « Passeport Canada peut, à tout moment, examiner une demande de passeport à durée de validité limitée comprenant une restriction géographique pour des raisons urgentes et impérieuses de compassion, telles qu’un état de santé critique ou le décès d’un membre de la famille immédiate ».

 

[10]           La recommandation dont il est question est celle de la Direction des enquêtes de la  Direction générale de la sécurité de Passeport Canada qu’accompagne une « note pour fins d’intervention » adressée au ministre par le sous-ministre des Affaires étrangères. C’est au bas de cette note que le ministre indique son accord ou non à la recommandation proposée. En l’espèce, c’est le 17 juin 2010 que le ministre souscrit à la recommandation de Passeport Canada.

 

[11]           Bien que j’y reviendrai plus longuement, il est utile, en guise de sommaire, de savoir que cette note avise le ministre qu’il lui est « demandé d’approuver une recommandation visant à refuser la délivrance d’un passeport à M. Fat[e]h Kamel, au motif qu’il a été reconnu coupable d’actes terroristes en France, en 2001 ». Cette note informe le ministre que M. Kamel a eu la possibilité de communiquer de nouveaux renseignements et de formuler des commentaires sur les informations qui figuraient déjà dans le dossier de Passeport Canada. De plus, le ministre est avisé que la recommandation tient compte des arguments et des renseignements soumis par M. Kamel les  5 et 17 mars 2010, de même qu’en avril 2010.

 

[12]           Tel que mentionné précédemment, la recommandation de Passeport Canada est faite en vertu de l’article 10.1 du Décret, lequel énonce :

10.1 Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport ou en révoquer un s’il est d’avis que cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays.

10.1 Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for greater certainty, the Minister may refuse or revoke a passport if the Minister is of the opinion that such action is necessary for the national security of Canada or another country.

 

 

[13]           Après avoir relaté son évaluation du cas de l’appelant, Passeport Canada formule sa recommandation négative au cœur de laquelle se trouvent les considérations suivantes :

 

a.       Le risque réel associé à la possession d’un document de voyage par M. Kamel vu sa condamnation en France;

 

b.      Les obligations internationales du Canada en matière de lutte contre le terrorisme;

 

c.       L’intégrité et la réputation du passeport canadien même si neuf années se sont écoulées depuis la condamnation de M. Kamel en France.

 

La décision de la Cour fédérale

 

[14]           Au paragraphe 33 de ses motifs, le Juge dresse une liste des questions en litige dans la demande de contrôle judiciaire dont il est saisi. Celles-ci portent sur les sujets suivants :

 

a.       la norme de contrôle applicable à la Décision 2010;

 

b.      l’équité procédurale dans le cadre de l’enquête de Passeport Canada;

 

c.       les droits constitutionnels de l’appelant sous les articles 6, 7 et 8 de la Charte;

 

d.      la justification de la violation des droits constitutionnels de l’appelant sous l’article premier de la Charte;

e.       la nécessité de prononcer un jugement déclaratoire constatant violation des droits constitutionnels de l’appelant; et

 

f.       la réparation aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte.

 

 

[15]           Selon l’appelant, la méthode analytique du Juge a « vidé de sa substance » l’encadrement que Kamel-CAF 2009 avait imposé au pouvoir discrétionnaire du ministre. Ceci m’amène à l’examen du jugement de la Cour fédérale en regard des questions qui étaient en litige devant elle et de ce motif de reproche.

 

[16]           Dans Kamel-CAF 2009, notre Cour s’était attardée aux mots « s’il [le ministre] est d’avis que cela est nécessaire pour la sécurité nationale » retrouvés à l’article 10.1 du Décret. Après avoir reconnu que l’article 10.1 confère au ministre un pouvoir discrétionnaire, Kamel-CAF 2009 énonçait « que le décideur doit exercer ce pouvoir de manière raisonnable et en tenant compte de facteurs pertinents ». Quant aux mots « cela est nécessaire », Kamel-CAF 2009 constatait qu’ils « donnent ouverture à un « débat judiciaire » » et « viennent même encadrer, donc restreindre, la discrétion dont est investi le décideur » (aux paragraphes 28 et 29). Il s’ensuivait que le décideur ne peut se satisfaire simplement que sa décision est « seulement commode ou avantageuse » (ibidem). Ces mots imposent à l’État un fardeau supplémentaire. Quel est-il? Kamel-CAF 2009 en dit ceci :

 

[30] Les mots « pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays » doivent s’interpréter à la lumière de la conclusion de la Cour suprême du Canada dans Suresh [2002 CSC 1] eu égard à l’expression « danger pour la sécurité du Canada ». Si la notion de « sécurité du Canada » a été jugée suffisamment précise dans Suresh, à plus forte raison doit-elle l’être dans le cas présent où : 1) l’adjectif « nécessaire » précise la disposition en ce qu’il introduit l’exigence d’un lien causal entre la sécurité nationale et le refus de délivrance d’un passeport; et où 2) la disposition en cause précise que la menace pour la sécurité d’un autre pays est envisagée, répondant ainsi aux inquiétudes exprimées par la Cour suprême du Canada aux par. 87 et 88 de ses motifs dans Suresh.

 

 

[17]           En début d’analyse, le Juge traite de la norme de contrôle applicable aux questions en litige. Prenant appui sur les motifs du juge Noël dans Kamel-CF 2008, il retient la norme de la décision raisonnable pour les questions de faits et celle de la rectitude pour les questions relatives à l’équité procédurale et aux violations de la Charte (motifs du Juge aux paragraphes 37 et 38). Lorsqu’il en vient à l’analyse des arguments des parties sous l’article premier de la Charte, le Juge adopte le test prescrit par l’affaire R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 [Oakes]. Je note immédiatement que le Juge n’avait pas, au moment où il a signé son jugement, le bénéfice des enseignements de la Cour suprême dans Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395 [Doré], une affaire dans laquelle la Cour suprême établit une approche analytique différente selon que c’est une loi ou une décision en matière contentieuse qui est censée violer la Charte.  Cela n’est pas en soi fatal.

 

[18]           Il est vrai que Doré propose un modèle d’analyse des décisions administratives plus souple qui tient compte du fait (a) que ces décisions sont généralement le résultat de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et (b) qu’on suppose qu’elles « prennent toujours en considération les valeurs fondamentales » (Doré au paragraphe 35). Cependant, le test de l’affaire Oakes que cite le Juge au paragraphe 96 de ses motifs « fait intervenir les mêmes réflexes justificateurs : l’équilibre et la proportionnalité » (Doré au paragraphe 5) que ceux sur lesquels l’affaire Doré fut décidée. Tenant compte de ceci, mon analyse se fondera plus particulièrement sur Doré et sur l’affaire Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761 [Lake] dans laquelle il fut décidé qu’il y avait lieu, en raison de l’expertise du ministre de la Justice en matière d’extradition et de sa proximité avec les faits pertinents, de déférer aux décisions de ce dernier pour la mise en balance des considérations opposées en jeu. Il n’y a aucune raison pour laquelle ces commentaires ne viseraient pas aussi le ministre des Affaires étrangères qui prend une décision sous l’article 10.1 du Décret. Lake discutait aussi du paragraphe 6(1) de la Charte.

 

[19]           Poursuivant l’analyse de la décision dont appel, je note que le Juge s’arrête aussi aux arguments de l’appelant relatifs à l’équité procédurale et les rejette tous. Souscrivant à l’énoncé du juge Noël dans Kamel-CF 2008 quant aux principes juridiques applicables en cette matière, il conclut qu’il n’y a pas eu manquement en l’espèce : Passeport Canada a tenu compte des commentaires de la Cour fédérale dans Kamel-CF 2008; la recommandation au ministre intègre les observations de l’appelant de manière satisfaisante; l’appelant a eu accès au rapport d’enquête préparé par Passeport Canada et a pu le commenter à plus d’une reprise. Enfin, le délai qui s’est écoulé avant la Décision 2010 ne constitue pas un retard indu ou déraisonnable compte tenu des procédures judiciaires engagées entre les parties et la nature particulière du dossier. Je suis d’accord. Aux paragraphes 87 et s. de son mémoire, l’appelant plaide aussi que Passeport Canada et le ministre ne représentent pas un tribunal indépendant et impartial. À mon avis, cet argument est sans fondement et je n’entends pas m’y attarder.

 

[20]           C’est à partir du paragraphe 68 de ses motifs que le Juge pose la question de savoir si les droits constitutionnels de l’appelant protégés par les articles 6, 7 et 8 de la Charte ont été violés par le processus d’enquête, la recommandation de Passeport Canada et la décision négative du ministre.

[21]           Quant à l’article 7 de la Charte, le Juge note l’argument de l’appelant selon lequel on le prive injustement, depuis 2005, de son droit à la liberté de circulation en ce qu’il est empêché de voyager afin de développer un commerce d’importation qu’il entend mettre sur pied avec son frère ou afin de visiter sa famille en Algérie ou simplement prendre des vacances de plaisir avec son épouse et leur fils (motifs du Juge au paragraphe 74). Finalement, le Juge retient l’argument des intimés : les droits revendiqués par l’appelant ne relèvent pas « des droits fondamentaux participant de l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelle » (ibidem au paragraphe 79). De toute façon, conclut-il, l’article 7 de la Charte ne protège pas les droits économiques.

 

[22]           Quant à l’article 8 de la Charte (protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives), le Juge conclut que l’appelant n’a présenté aucun élément de preuve pour soutenir sa thèse selon laquelle le processus d’enquête de Passeport Canada a enfreint ses droits garantis sous cet article (ibidem au paragraphe 90). De plus, le Juge note que le processus même de délivrance d’un passeport résulte en une vérification automatique de sécurité pour l’ensemble des Canadiens. Devant notre Cour, l’appelant soutient que la Décision 2010 viole sa vie privée en l’obligeant à justifier ses déplacements et ses besoins pour se déplacer, ce qui constitue aussi une violation de ses droits sous l’article 8.

 

[23]           Je suis en accord avec la façon dont le Juge a disposé des questions en litige relativement aux articles 7 et 8 de la Charte. Tout d’abord, le droit de quitter le Canada ou d’y entrer est protégé par le paragraphe 6(1) de la Charte et n’est donc pas inclus sous l’article 7 (Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, 5th ed., (Toronto : Carswell, 2007) à la page 47-11). Au surplus, « la capacité d’une personne de générer un revenu d’entreprise par le moyen de son choix n’est pas un droit garanti par l’article 7 de la Charte » (Siemens c Manitoba (Procureur général), 2003 CSC 3, [2003] 1 R.C.S. 6 au paragraphe 46).

 

[24]           De même, le Juge ne s’est pas trompé lorsqu’il a constaté qu’aucune preuve n’étayait l’argument de l’appelant sous l’article 8 de la Charte. Il était certes en droit de s’attendre à ce que l’appelant présente un fondement factuel pour soutenir son allégation (MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357 à la page 361; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873 au paragraphe 28). Le jugement français fait grand état des actions et associations de l’appelant dans le cadre des activités terroristes pour lesquelles il a été trouvé coupable par le Tribunal de grande instance de Paris. La connaissance de ces faits par Passeport Canada n’est certainement pas le résultat de fouilles, perquisitions ou saisies abusives de sa part qui font intervenir l’article 8 de la Charte, pas plus que ne le fait l’exigence que l’appelant justifie ses déplacements pour obtenir un passeport à durée limitée.

 

[25]           J’en viens donc à la partie du jugement sous appel qui traite de l’article 6 de la Charte.

 

[26]           Au paragraphe 72 de ses motifs, le Juge s’appuie sur Kamel-CAF 2009 pour énoncer que la décision refusant un passeport à l’appelant viole ses droits protégés par le paragraphe 6(1) de la Charte. Cette conclusion n’est nullement contestée.

 

[27]           Puis, le Juge répond à la question de savoir si cette violation est justifiée au sens de l’article premier de la Charte adoptant à nouveau le cadre analytique de Kamel-CAF 2009. En premier lieu, le Juge conclut que la décision en cause du ministre est prescrite par une règle de droit (motifs du Juge au paragraphe 95). Par la suite, citant les paragraphes 32 et 33 de Kamel-CAF 2009, lesquels renvoient aux affaires Oakes et Trociuk c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835, il expose le test juridique devant s’appliquer à la question de la justification (motifs du Juge au paragraphe 96) :

 

                                                              i.      la restriction vise-t-elle un objectif suffisamment important?

 

                                                            ii.      les moyens choisis sont-ils proportionnels à l’objectif visé?

 

 

[28]           En guise de réponse à cette première question, le Juge renvoie tout simplement aux paragraphes 50 et 51 de Kamel-CAF 2009 :

 

i) un objectif suffisamment important

 

[50]      Je retiens de la preuve que l’article 10.1 du Décret vise un objectif général, celui de contribuer à la lutte internationale contre le terrorisme et de respecter les engagements du Canada en ce domaine, et un objectif spécial, celui de maintenir la bonne réputation du passeport canadien.

 

[51]      Ces objectifs sont, à leur face même, suffisamment importants pour qu’une mesure restreignant le droit d’un citoyen canadien d’entrer au pays ou d’en sortir soit adoptée. La procureure de l’intimé [ici l’appelant] a d’ailleurs reconnu, à l’audience, que si nous en arrivions à la conclusion que l’article 10.1 du Décret était suffisamment précis pour constituer une règle de droit, l’objectif visé était suffisamment important.

 

 

[29]           Quant à la seconde question, le Juge, au paragraphe 106, conclut que 

La condamnation prononcée contre le demandeur porte sur des crimes qui sont intimement liés aux voyages et à l’utilisation d’un passeport. Le lien rationnel entre l’objectif visé et la violation des droits nous apparaît clairement établi.

[30]           Enfin, le Juge résume les arguments des parties sous deux rubriques qu’il intitule « (l)a disposition contestée doit porter le moins possible atteinte aux droits garantis par la Charte » et « (i)l doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure et l’effet recherché ».

 

[31]           Passant à l’analyse de ces arguments, d’entrée de jeu le Juge cite le paragraphe 67 de Kamel-CAF 2009 :

 

[67]      Dès lors que le ministre est d’avis, dans l’exercice légal de sa discrétion, qu’il est nécessaire, pour cause de sécurité nationale ou internationale, de refuser de délivrer un passeport à un citoyen canadien, la privation d’un passeport ne pèse pas lourd dans la balance quand on la compare au renforcement de la sécurité qu’elle procure. La Cour n’a pas à spéculer sur le préjudice que pourrait causer cette personne à la sécurité des Canadiens, du Canada et de la communauté internationale. La preuve est claire : le ministre faillirait à son devoir de protéger les Canadiens et le Canada et de respecter les engagements internationaux du Canada s’il délivrait le passeport demandé. Il n’y a pas lieu d’attendre que le risque se concrétise. La Cour doit se satisfaire, ici, d’hypothèses et de spéculations réalistes et se fonder, pour reprendre les mots du juge Bastarache dans Harper [Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827], « sur une crainte raisonnée du préjudice ». Le bon sens veut, ici, que le préjudice collectif possible l’emporte sur le préjudice individuel réel.

 

et conclut qu’en l’espèce le critère de la proportionnalité « est rempli puisque l’atteinte aux droits [de l’appelant] se limite temporellement à une période de cinq ans. On ne peut non plus qualifier cette atteinte de définitive et d’irrémédiable, puisqu’on constate qu’il y a possibilité de délivrance d’un passeport à validité limitée » (motifs du Juge au paragraphe 125).

 

Analyse

 

[32]           À mon avis, en suivant d’aussi près le raisonnement de notre Cour dans Kamel-CAF 2009, le Juge a exposé des principes généraux sans jeter un regard approfondi sur la Décision 2010 et sur la question de savoir si le ministre avait restreint les droits de M. Kamel protégés par la Charte de manière disproportionnée et donc déraisonnable. C’est donc ici que je me distance de son approche analytique. Il faut se rappeler que Kamel-CAF 2009 examinait la validité constitutionnelle de l’article 10.1 du Décret et non la décision du ministre autorisée par cette disposition législative, un examen qui se veut fort différent. Dans Kamel-CAF 2009, notre Cour avait d’ailleurs précisé que le débat ne portait que sur l’article 10.1 du Décret et qu’elle ne passerait, en conséquence, aucun commentaire de nature à influencer une nouvelle décision du ministre (Kamel-CAF 2009 aux paragraphes 12 et 11). En l’espèce, les valeurs consacrées par la Charte qui sont mises en cause s’appliquent aux circonstances de l’appelant. C’est à la lumière de cette trame factuelle particulière que le ministre, puis le Juge, se devaient de soupeser les intérêts de M. Kamel d’une part, et les objectifs du Décret d’autre part.

 

[33]            Il n’est donc pas suffisant, selon moi, de citer le paragraphe 67 de Kamel-CAF 2009 pour conclure que la Décision 2010 satisfait au critère de la nécessité et qu’il « en découle une proportionnalité entre les effets préjudiciables pour [l’appelant] et les effets bénéfiques pour l’ensemble de la collectivité » (motifs du Juge au paragraphe 122). Il n’est pas non plus suffisant, selon moi, de conclure que la Décision 2010 est raisonnable parce que le « paradigme unique de la sécurité nationale et des règles qui y sont applicables… [exigent qu’on laisse] place à l’exercice d’une discrétion éclairée » (ibidem au paragraphe 124). Il faut examiner la qualité de l’exercice de cette discrétion avant de ne qualifier cette dernière.

 

[34]           Certes, on ne peut définir en quelques mots la notion de « sécurité nationale ». Il faut donner à cette expression un sens large et équitable qui tienne aussi compte des obligations internationales du Canada (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 au paragraphe 85) [Suresh].

 

[35]           Je conçois que la décision ministérielle prise sous l’article 10.1 du Décret « repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique, au sens large » (Suresh au paragraphe 85). Ces considérations appellent à la retenue dans l’examen de la décision ministérielle. Par ailleurs, je n’accorderais aucune déférence à une décision ministérielle qui ne tienne pas compte des droits protégés par la Charte ou qui les restreigne de manière disproportionnée. Il s’agirait là d’une décision déraisonnable.

 

[36]           Il me faut donc déterminer si la Décision 2010 est une décision raisonnable satisfaisant au critère de la nécessité. Je parle ainsi d’une décision ministérielle de laquelle se constate la mise en balance des valeurs pertinentes consacrées par la Charte, de même que les objectifs du Décret et non d’une décision qui ne serait que « commode ou avantageuse » (Kamel-CAF 2009 au paragraphe 29). Cet exercice de mise en balance se devait évidemment d’être tenu par le ministre, conformément à l’article 10.1 du Décret, avant qu’il ne conclue au rejet de la demande de passeport de M. Kamel. La recommandation de Passeport Canada et la note pour fins d’intervention qui l’accompagne portant la signature du ministre constituent la Décision 2010. J’entends donc examiner de plus près ces deux documents.

 

 

 

 

-           La note pour fins d’intervention et la recommandation de Passeport Canada

 

[37]           Dans la note pour fins d’intervention, Passeport Canada décrit tout d’abord le contexte entourant sa recommandation informant le ministre, entre autres, des arguments de M. Kamel dont celui selon lequel « l’application de l’article 10.1 du Décret serait contraire aux droits de [M. Kamel] en vertu de la Charte. » (dossier d’appel, volume 11 à la page 2399).

 

[38]           Puis, il est recommandé au ministre « que vous »

1)         exerciez les pouvoirs que vous confère l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens et que vous refusiez de délivrer un passeport à M. Kamel;

 

2)         sous réserve de souscrire à la recommandation ci-dessus, votre décision soit valide pendant une période de cinq ans à partir de la date où elle aura été prise.

 

                                                                        Sous-ministre des Affaires étrangères

 

                                                                        ______________________________

 

Je suis d’accord

 

_(signature originale du ministre)_

Le ministre

 

(Ibidem à la page 2394.)

 

 

[39]           Suit cette note la recommandation de Passeport Canada qui y explique, entre autres, son processus d’enquête visant à évaluer :

 

… le risque associé à la possession d‘un document de voyage par l’individu concerné, l’impact de cette décision sur l’intégrité et la réputation du passeport canadien, et les obligations internationales de Passeport Canada dans le combat contre le crime transnational et le terrorisme. La Section considère aussi les actions, croyances et associations de l’individu ainsi que les risques que le passeport puisse être utilisé au Canada ou à l’étranger pour des raisons qui menaceraient la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays. Le processus d’enquête a été spécialement conçu pour veiller à l’équité de la procédure et à la conformité avec les principes de la justice naturelle.

 

(Ibidem à la page 2406.)

 

[40]           Puis, s’attardant aux faits intéressant plus particulièrement M. Kamel, Passeport Canada traite de sa condamnation en France et établit la concordance entre les dispositions du Code pénal français en vertu desquelles M. Kamel a été trouvé coupable et les dispositions similaires du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Réitérant que M. Kamel est dorénavant interdit de territoire en France, Passeport Canada note que la délivrance d’un passeport canadien à M. Kamel « pourrait faciliter son voyage dans d’autres pays de l’Union européenne pour lesquels l’entrée en France ne requiert pas de passeport et ainsi contrecarrerait les efforts de la France dans la sauvegarde de sa sécurité nationale » (ibidem à la page 2409).

 

[41]           Enfin, Passeport Canada présente son évaluation du cas et sa recommandation :

ÉVALUATION

 

La Section estime que le risque associé à la possession d’un document de voyage par M. Kamel est réel puisqu’il a été reconnu coupable devant une cour de justice d’avoir procuré des passeports à des terroristes. La Section est de cet avis même si, tel qu’il a été mentionné précédemment, M. Kamel nie les faits pour lesquels il a été reconnu coupable.

 

Quant aux obligations internationales de Passeport Canada, il faut considérer le rôle actif du Canada au sein de la communauté internationale en matière de lutte contre le terrorisme et de ce fait contrôler la délivrance de documents de voyage afin de prévenir le terrorisme.

 

Dans l’éventualité où M. Kamel obtenait un document de voyage canadien, l’impact sur l’intégrité et la réputation du passeport canadien serait assurément négatif. On ne doit pas donner l’impression que le passeport canadien est facile à obtenir pour quiconque et il ne doit pas être octroyé à des gens qui posent un risque. Il y va de la réputation du passeport canadien. Il y va de l’intérêt du Canada. Sinon, la communauté internationale n’accordera pas la confiance voulue aux passeports canadiens, et les citoyens canadiens en subiront les conséquences lors de voyages à l’étranger. Ils pourraient s’exposer à l’étranger à des interrogatoires, à la détention préventive et même à l’arrestation jusqu’à ce que les autorités du pays visité reconnaissent l’authenticité du document de voyage.

 

Passeport Canada a pris en considération le fait que la condamnation de M. Kamel est survenue en 2001, cependant, ce fait ne diminue pas l’obligation de Passeport Canada, ni l’impact négatif sur l’intégrité et la réputation du passeport canadien si un passeport lui était délivré.

 

RECOMMANDATIONS

 

Le ministre a la responsabilité de protéger la réputation et la valeur du passeport canadien, la sécurité mondiale et celle des Canadiens. Vous devez donc considérer les informations qui vous sont présentées avant d’évaluer s’il y a un risque et une possibilité de conséquences préjudiciables pour le Canada ou un autre pays, rendant nécessaire le refus de service de passeport dans le but de garantir la sécurité nationale.

 

En résumé, la délivrance d’un passeport est une décision administrative. Ce n’est ni une détermination de culpabilité ou d’innocence d’une infraction pénale. Il s’agit d’une décision qui permettra ou non de faciliter les voyages à l’étranger de
M. Kamel par la délivrance d’un document d’identité autorisé par le gouvernement du Canada.

 

La Direction générale de la sécurité de Passeport Canada recommande que vous exerciez votre autorité en vertu de la prérogative royale, tel qu’il est mentionné à la section 10.1 du Décret, et refusiez qu’un service de passeport soit offert à Fateh Kamel. Advenant que vous décidiez de refuser le service de passeport, nous recommandons que votre décision soit effective pour une période de 5 ans, débutant à la date à laquelle la décision a été rendue, et qu’aucun service de passeport ne soit rendu à Fateh Kamel durant cette période de 5 ans.

 

(Ibidem aux pages 2411-2412.)

 

 

[42]           Tel que mentionné, c’est sur la base de la note pour fins d’intervention, de la recommandation de Passeport Canada et du dossier qui les accompagnait que le ministre déclare son accord.

 

[43]           À l’audition devant notre Cour, M. Kamel se plaint surtout de ce que le Juge n’a pas correctement analysé la preuve justifiant la recommandation faite au ministre. L’appelant soutient que le ministre n’a pas procédé à une appréciation « des droits de l’appelant selon la norme de preuve et le droit applicables…, y incluant le respect de la présomption d’innocence et de bonne foi » (mémoire amendé des faits et du droit de l’appelant aux paragraphes 38 et 48). De plus, ajoute-t-il, il a purgé sa peine en France : « la double peine n’a pas sa place dans notre société ni la discrimination fondée sur le casier judiciaire » (mémoire amendé des faits et du droit de l’appelant au paragraphe 44). On ne peut inférer de son passé qu’il violera la loi ou menacera la sécurité du Canada ou d’autres pays si un passeport lui est délivré.

 

[44]           Dans son mémoire amendé des faits et du droit, il argue que

 

39.       … si le maintien de « la bonne réputation et l’intégrité du passeport canadien » a pu être considéré comme un objectif valide du Décret, il ne relevait pas les intimés de leur devoir de disposer d’autre part, d’une preuve valide, pertinente et prépondérante que l’atteinte était nécessaire à la sécurité nationale et justifiant l’atteinte aux droits constitutionnels de M. Kamel protégés par la Charte.

 

40.       De plus, en lien avec « la bonne réputation » du passeport canadien, le juge ne devait pas ignorer que Passeport Canada avait invoqué sans preuve que « la communauté internationale n’accordera pas la confiance voulue aux passeports canadiens » si un passeport est délivré à M. Kamel et que « les citoyens canadiens en subiront les conséquences lors de voyages à l’étranger », car ils « pourraient s’exposer à l’étranger à des interrogatoires, à la détention préventive et même à l’arrestation… »

 

[45]           À mon avis, ces arguments et tous autres de même acabit font fi du fait que la nature de l’analyse du caractère raisonnable de la décision du ministre, laquelle est ici discrétionnaire, est tributaire du contexte (Doré au paragraphe 7 citant Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5). Nous ne sommes pas ici en matière pénale ou criminelle. Le refus de délivrer un passeport à l’appelant ne se veut pas en guise de peine additionnelle pour les gestes qui ont mené à sa condamnation. Mais une fois sa peine purgée, l’appelant ne peut prétendre que le ministre ne peut tenir compte de la condamnation passée pour former son opinion et décider de la demande (Kamel-CF 2011 au paragraphe 124; Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 482, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 30184 (26 août 2004) au paragraphe 38). Il s’agit d’un facteur pertinent.

 

[46]           En l’espèce, la décision du ministre est prise sous l’article 10.1 du Décret parce qu’il est « d’avis que cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays ». Comme l’énonce Kamel-CAF 2009, la Cour doit se satisfaire, ici, d’hypothèses et de spéculations réalistes et se fonder sur une crainte raisonnée du préjudice (au paragraphe 67). Il ne faut pas attendre que le risque se concrétise. Encore une fois, la notion de sécurité nationale s’interprète largement (Suresh; Harkat (Re), 2012 CAF 122; Zündel (Re), 2005 CF 295) et suppose qu’une marge d’appréciation est laissée au ministre lors de la mise en balance des droits protégés de M. Kamel d’une part, et des obligations du Décret d’autre part. De plus, le ministre limite temporellement son refus de délivrer un passeport à l’appelant à une durée de cinq ans.  Comme le note la Cour fédérale, « ce refus s’accompagne également d’une seconde atténuation puisque [l’appelant] peut en tout temps déposer une demande de passeport à durée de validité limitée pour des raisons urgentes et de compassion » (motifs du Juge au paragraphe 113). Ceci m’amène à conclure que le ministre avait à l’esprit le critère de la proportionnalité qui sous-tend le second volet de toute analyse sous l’article premier de la Charte.

 

[47]           L’appelant aurait souhaité que la Décision 2010 reprenne l’ensemble de ses arguments et qu’on y voie un examen exhaustif de la preuve. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, la Cour suprême a rejeté un semblable argument préférant un exercice plus global : « … les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». En l’espèce, les solutions raisonnables possibles sont peu nombreuses : un passeport régulier est émis ou refusé, ou un autre type de passeport est délivré, dont celui à durée limitée pour des motifs urgents et de compassion. En l’instance, c’est sur une demande de passeport régulier que se penchait le ministre. Ce dernier était informé que les droits de M. Kamel protégés sous la Charte étaient en jeu et que l’atteinte de ces droits sous le paragraphe 6(1) de la Charte avait été reconnue par Kamel-CAF 2009. Le ministre était également au courant des circonstances particulières de M. Kamel et de l’historique de son cas. L’évaluation de l’atteinte aux droits de M. Kamel supposait une pondération essentiellement dépendante de l’appréciation des faits en cause.

 

[48]           Un examen attentif du dossier me démontre qu’il y a un lien causal entre la sécurité nationale et le refus du ministre de délivrer un passeport à M. Kamel qui a été condamné en France pour des crimes intimement reliés au terrorisme, incluant la falsification de passeports. Je suis également satisfaite de la pondération exercée par le ministre entre les droits constitutionnels de M. Kamel et l’objectif du Décret. Je n’oublie pas, comme l’énonçait Kamel-CAF 2009, que le « refus d’un passeport général n’a pas nécessairement pour effet de priver de façon absolue le citoyen canadien de son droit de sortir du pays » (au paragraphe 62).

 

[49]           Je ne peux donc souscrire aux arguments de l’appelant et conclure, comme il nous invite à le faire, que la décision ministérielle ne satisfait pas au critère de la nécessité.

 

 

[50]           En conséquence, je propose de rejeter l’appel avec dépens.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d'accord.

           Pierre Blais, j.c. »

 

« Je suis d'accord.

           J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 



COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-377-11

 

INTITULÉ :                                                                          Fateh Kamel c. Procureur général du Canada, ministre des Affaires étrangères, Passeport Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 12 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 16 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Johanne Doyon

POUR L’APPELANT

 

Linda Mercier

Sara Gauthier

Alexander Pless

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & associés Inc.

Montréal, Québec

 

POUR L’APPELANT

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

 

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