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Date : 20130426

Dossier : A‑355‑12

Référence : 2013 CAF 111

 

CORAM : LA JUGE SHARLOW

                   LA JUGE DAWSON

                   LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

EVERTON BROWN

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 avril 2013

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                               LE JUGE WEBB

 

 


Date : 20130426

Dossier : A‑355‑12

Référence : 2013 CAF 111

 

CORAM : LA JUGE SHARLOW

                   LA JUGE DAWSON

                   LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

EVERTON BROWN

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DAWSON

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (Cour de l’impôt). Pour les motifs répertoriés sous 2012 CCI 251, 2012 DTC 1211, la Cour de l’impôt a rejeté l’appel formé par l’appelant des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (La Loi) pour les années d’imposition 2004, 2005, 2006 et 2007. Pour chacune de ces années, le ministre a ajouté des revenus non déclarés (calculés selon une méthode de dépôt modifiée) et il a établi des pénalités pour faute lourde.

 

[2]               Pour parvenir à sa décision de rejeter l’appel, le juge a tiré trois conclusions principales. Premièrement, il a conclu que l’appelant n’était pas crédible, de sorte que son témoignage ne pouvait être admis « en l’absence d’éléments de preuve corroborants fiables, qui sont absents du dossier d’instruction » (paragraphes 45 et 56 des motifs). Deuxièmement, l’appelant a fait comparaître cinq témoins pour étayer les explications qu’il a fournies sur l’origine et la propriété des espèces en cause, ainsi que sur la nature de certaines opérations. Le juge a estimé qu’aucun de ces témoins n’était fiable (paragraphe 48 des motifs). Enfin, le juge a conclu que la loi ne permettait pas d’exclure les documents fournis à l’Agence du revenu du Canada par la police de London, Ontario (paragraphe 44 des motifs).

 

[3]               Par suite de ces conclusions, le juge a confirmé les cotisations établies par le ministre.

 

[4]               Dans le présent appel, l’appelant soulève un certain nombre de questions. Certaines d’entre elles ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Par exemple, l’appelant sollicite une ordonnance portant restitution de certaines sommes et d’un véhicule, de même qu’une ordonnance visant la radiation d’un privilège grevant son domicile. Cependant, comme elle l’a expliqué à l’appelant au cours de l’audience, la Cour ne peut que rejeter l’appel de la décision de la Cour de l’impôt, rendre la décision qui aurait dû l’être par cette dernière ou renvoyer l’affaire pour jugement à la Cour de l’impôt (article 52, Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (la LCF)). De son côté, la Cour de l’impôt ne pouvait que rejeter l’appel des cotisations ou l’accueillir en annulant les cotisations, en les modifiant ou en les déférant au ministre compétent pour nouvel examen et nouvelles cotisations (article 171 de la Loi).

[5]               La Cour a compétence pour examiner les questions soulevées par l’appelant qui portent sur l’appréciation de la crédibilité et de la preuve faite par le juge et sur la décision de ce dernier d’accepter en preuve les documents fournis par la police à l’Agence du revenu du Canada.

 

[6]               Examinons d’abord les questions soulevées par l’appelant qui portent sur l’appréciation de la crédibilité et de la preuve faite par le juge. L’appelant soutient que cette appréciation a été viciée par l’allégation selon laquelle il s’était déjà livré au trafic de la cocaïne. Il soutient également que le juge a commis une erreur en lui attribuant certains achats alors qu’il avait fourni des documents (des reçus, par exemple) montrant que les biens en question avaient été achetés par quelqu’un d’autre. L’appelant ajoute que le juge a commis une erreur en lui attribuant certaines opérations alors que ces dernières avaient été faites à même des comptes bancaires conjoints. Enfin, il fait valoir qu’il agissait pour son propre compte et qu’il ne savait pas qu’il devait fournir certains éléments de preuve à la Cour de l’impôt.

 

[7]               Comme nous le verrons plus en détail ci‑après, l’appelant a été accusé de trafic de drogue, mais n’a jamais été reconnu coupable. À mon avis, cela n’a pas influencé l’appréciation de la crédibilité faite par le juge. Le juge savait que la Couronne ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les accusations qui pesaient contre l’appelant (paragraphe 58 des motifs). Il n’est pas raisonnable de supposer que la conclusion du juge sur la crédibilité de l’appelant a été viciée alors que le juge savait que la preuve ne permettait pas de poursuivre l’appelant. De plus, l’examen de la transcription révèle qu’il existait des éléments de preuve suffisamment nombreux pour étayer la conclusion du juge en matière de crédibilité.

 

[8]               En ce qui concerne l’attribution d’opérations à l’appelant, comme il a été expliqué à l’audience, le fait que le nom d’une personne figure sur une facture ne permet pas de prouver de façon convaincante que la personne a payé les articles mentionnés sur la facture. Le juge doit examiner l’ensemble de la preuve pour déterminer qui a payé le ou les articles en question. De même, s’agissant des dépôts dans les comptes conjoints, le juge devait établir si l’argent déposé dans le ou les comptes était celui de l’appelant. C’est une question qui se posait indépendamment des noms qui figuraient au compte. Le juge a eu l’occasion de rencontrer et d’écouter chacun des témoins et il a dû tirer des conclusions quant à savoir si c’était l’argent de l’appelant qui avait servi aux achats et aux dépôts en cause. Les conclusions de fait du juge ne contiennent aucune erreur manifeste et dominante.

 

[9]               En ce qui a trait au fait que l’appelant agissait pour son propre compte au procès, je comprends très bien les difficultés que peut éprouver une personne qui n’est pas un avocat et qui doit décider quels éléments de preuve présenter pour s’opposer à une cotisation établie par le ministre du Revenu national. Cependant, comme il a été expliqué lors de l’audition de l’appel, il n’est pas possible en appel de soumettre des éléments de preuve qui étaient disponibles en première instance et qui auraient pu être présentés au juge.

 

[10]           Il s’ensuit que l’appelant n’a pas démontré que le juge avait commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité ou de la preuve.

 

[11]           La seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si le juge a commis une erreur en concluant que la loi ne lui permettait pas d’exclure des documents que l’Agence du revenu du Canada avait reçus de la police de London.

 

[12]           Voici les faits qui sous‑tendent cette question. Le 17 octobre 2007, des agents du service de police de London ont exécuté un mandat de perquisition à la résidence de l’appelant. Le mandat, délivré en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, reposait sur des allégations selon lesquelles l’appelant se livrait au trafic de la cocaïne. Le mandat autorisait la saisie de produits allégués de la criminalité, de drogues illicites, de documents financiers et d’autres renseignements pertinents. Conformément à ce mandat, certains éléments de preuve et documents ont été saisis par le service de police de London. L’appelant a été accusé de trafic de drogue, mais le procès n’a pas eu lieu en raison de l’insuffisance de la preuve.

 

[13]           Les documents saisis ont été remis par le service de police de London à des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada. Un agent de la police de London a déclaré devant la Cour de l’impôt que l’Agence du revenu du Canada n’avait pas été informée au sujet du mandat, de la perquisition ou de la saisie.

 

[14]           Les documents transmis par la police à l’Agence du revenu du Canada faisaient partie du dossier dont cette dernière s’est servie pour préparer l’analyse du revenu de l’appelant. Au moins certains des documents saisis ont été soumis en preuve devant la Cour de l’impôt.

 

[15]           Comme nous l’avons dit précédemment, l’appelant soutient que les documents n’auraient pas dû être admis en preuve par le juge et que leur admission avait porté atteinte aux droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte).

 

[16]           Le juge a justement conclu que le droit pertinent conféré par la Charte était celui que garantit l’article 8, soit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Le juge s’est ensuite appuyé sur l’arrêt de la Cour suprême, R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, pour conclure que les documents reçus de la police de London étaient admissibles en preuve. L’essentiel du raisonnement appliqué par le juge est exposé aux paragraphes 37 à 39 de ses motifs. Puisque, dans l’arrêt Jarvis, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada pouvait transmettre des documents validement obtenus dans le cadre d’une vérification à des agents qui menaient une enquête pénale, le juge a donc estimé que la Charte permettait aussi à la police de transmettre des renseignements à des vérificateurs de l’Agence du revenu du Canada. Le juge a aussi tenu compte de l’observation formulée par la Cour suprême dans l’arrêt Jarvis, à savoir que le droit au respect de la vie privée du contribuable est très restreint en ce qui concerne les documents qu’il doit tenir et produire dans le cadre d’une vérification.

 

[17]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que le juge a eu raison de conclure que les documents reçus de l’Agence du revenu du Canada étaient admissibles en preuve. Cependant, je tire cette conclusion pour des motifs assez différents de ceux qu’a exposés le juge.

 

[18]           Selon l’article 8 de la Charte, « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». La Cour suprême du Canada a défini ce droit comme un droit qui protège l’attente raisonnable en matière de vie privée (R. c. Cole, 2012 CSC 53 2012 A.C.S. no 53).

 

[19]           La perquisition et les saisies effectuées par la police de London étaient autorisées par mandat. L’appelant n’a jamais contesté la validité de ce mandat. Il s’ensuit que la perquisition et les saisies étaient légales. Se pose alors la question de savoir si l’appelant avait des motifs raisonnables de s’attendre à ce que la police de London protège la confidentialité des documents qu’elle avait saisis. La question de l’existence d’une telle attente raisonnable dépend de « l’ensemble des circonstances » (Cole, paragraphe 39).

 

[20]           L’appelant n’a mentionné aucun élément de preuve ni aucune jurisprudence à l’appui de la conclusion selon laquelle il avait une attente raisonnable en matière de vie privée concernant les documents légalement saisis par la police de London.

 

[21]           En ce qui a trait à la preuve, le témoignage de l’appelant devant la Cour de l’impôt était incompatible avec toute attente subjective en matière de vie privée. En effet, au cours de son interrogatoire principal, l’appelant a affirmé que les documents saisis par la police auraient dû lui être remis de sorte que l’Agence du revenu du Canada aurait pu ensuite les lui demander (transcription du témoignage du 28 février 2012, page 173).

 

[22]           Par ailleurs, la jurisprudence ne permet pas de conclure, de façon objective, à l’existence d’une attente importante en matière de vie privée. Comme le juge l’a souligné, la Cour suprême a observé dans l’arrêt Jarvis (au paragraphe 95), que « le droit au respect de la vie privée du contribuable est très restreint en ce qui concerne les documents et registres qu’il doit tenir conformément à la LIR, et produire au cours d’une vérification ».

 

[23]           Étant donné que l’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il avait une attente raisonnable en matière de vie privée relativement aux documents saisis, il s’ensuit que son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives n’a pas été violé. Par conséquent, le juge a agi correctement en admettant en preuve les documents en cause.

 

[24]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Wyman W. Webb j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 


Cour d’appel fédéralE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑355‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  EVERTON BROWN c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 11 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                    LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 26 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Everton Brown

 

POUR L’APPELANT

 

Suzanie Chua

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

L’appelant agissant seul

 

POUR L’APPELANT

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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