Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20130429

Dossiers : A‑102‑13

A‑101‑13

 

Référence : 2013 CAF 114

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

Dossier : A‑102‑13

GEORGE ASSINIBOINE, MARVIN DANIELS et

RUTH ROULETTE

appelants

et

DENNIS MEECHES

intimé

 

ENTRE :

Dossier : A‑101‑13

 

DAVID MEECHES

appelant

et

DENNIS MEECHES

intimé

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 22 avril 2013.

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 29 avril 2013.

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                        LE JUGE MAINVILLE


Date : 20130429

Dossiers : A‑102‑13 A‑101‑13

Référence : 2013 CAF 114

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

Dossier : A‑102‑13

GEORGE ASSINIBOINE, MARVIN DANIELS et

RUTH ROULETTE

appelants

et

DENNIS MEECHES

intimé

 

ENTRE :

Dossier : A‑101‑13

 

DAVID MEECHES

appelant

et

DENNIS MEECHES

intimé

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Les appelants demandent un sursis à l’exécution du jugement daté du 26 février 2013 (référence 2013 CF 196) par lequel le juge Russell de la Cour fédérale a déclaré que le comité d’appel en matière d’élections de la Première Nation de Long Plain (le comité d’appel en matière d’élections) avait rendu une décision définitive et contraignante exigeant la tenue de nouvelles élections pour pourvoir aux postes de chef et de conseillers de la Première Nation de Long Plain et déclarant que toutes les personnes concernées étaient liées par cette décision et devaient s’y conformer.

 

CONTEXTE

[2]               La Première Nation de Long Plain (la Première Nation) est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, ch. I‑5. Elle est dirigée par un chef et quatre conseillers, élus pour des mandats de trois ans aux termes de la Loi électorale de la Première Nation de Long Plain (la Loi électorale), un code électoral adopté par la Première Nation. Les dernières élections ont eu lieu le 12 avril 2012 et se sont soldées par l’élection de l’appelant David Meeches au poste de chef et des appelants George Assiniboine, Marvin Daniels et Ruth Roulette aux postes de conseillers. Mme Daniels Barbara Esau, qui n’est pas partie aux présents appels, a alors également été élue comme conseillère.

 

[3]               Certaines plaintes portant sur le déroulement de ces élections ont été soumises au comité d’appel en matière d’élections constitué en vertu de la Loi électorale, dont une plainte formulée par l’intimé Dennis Meeches. Après avoir examiné l’affaire, le comité d’appel en matière d’élections a conclu ce qui suit :

[traduction]

Bien que, comme nous l’avons déjà vu, on ait pu constater certains accrocs à la Loi électorale de la Première Nation de Long Plain, il semble que, dans l’ensemble, l’élection se soit déroulée de façon équitable. Toutefois, comme la Loi électorale constitue un élément clé de la gouvernance de la Première Nation et comme cette loi a été édictée pour régir le déroulement des élections, nous recommandons que l’élection soit annulée et qu’un processus électoral qui respecte la lettre de la loi soit suivi.

 

[4]               Par la suite, une demande a été introduite devant la Cour fédérale au nom de la Première Nation en vue de faire annuler cette décision. Simultanément, une requête a été présentée en vue de surseoir à l’exécution de la décision en attendant qu’une décision définitive soit rendue au sujet de la demande. Le juge Harrington a rejeté la requête en sursis le 11 mai 2012 (référence 2012 CF 570) au motif que le comité d’appel en matière d’élections avait simplement recommandé la tenue de nouvelles élections et que cette recommandation n’était pas une « décision » ou une « ordonnance » que la Première Nation devait accepter ou à laquelle elle devait donner suite. Le juge Harrington a toutefois fait observer que, si le comité d’appel en matière d’élections ordonnait la tenue d’une nouvelle élection, une nouvelle requête en sursis pouvait au besoin être présentée. La Première Nation s’est désistée de sa demande peu de temps après avoir pris connaissance de la décision du juge Harrington.

 

[5]               À la lumière de cette décision, l’intimé Dennis Meeches a demandé au comité d’appel en matière d’élections de clarifier sa première décision, ce que le comité a refusé de faire. L’intimé Dennis Meeches a alors introduit sa propre demande devant la Cour fédérale. Cette demande a été examinée par le juge Russell, dont le jugement fait l’objet des appels en instance devant notre Cour. Le juge Russell a conclu qu’il n’était pas lié par la décision du juge Harrington, et a plutôt conclu, au paragraphe 87 de ses motifs, que « la décision que prend le comité d’appel en matière d’élections en vertu de l’article 17.7 [de la Loi électorale] lorsqu’il conclut qu’une nouvelle élection doit avoir lieu lie le gouvernement tribal, qui doit y donner suite sans délai et procéder à la tenue d’une élection ».

 

[6]               L’intimé a par la suite saisi la Cour fédérale d’une requête fondée sur l’article 431 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dans laquelle il lui demandait d’ordonner l’exécution forcée de la décision du juge Russell. Cette requête a été rejetée par la juge Strickland le 11 avril 2013 au motif que le jugement du juge Russell était purement déclaratoire et que son exécution forcée ne pouvait donc être ordonnée en vertu de l’article 431 des Règles.

 

[7]               Les appelants cherchent maintenant à surseoir au jugement du juge Russell en attendant l’issue des appels dont ils ont saisi notre Cour.

 

QUESTIONS PROCÉDURALES

[8]               Avant l’examen des présentes requêtes en sursis, l’appelant David Meeches a tenté de verser à son dossier de requête un affidavit supplémentaire dans lequel il mentionnait d’autres documents. À l’ouverture de l’audience, après avoir entendu les observations des parties, j’ai refusé d’accepter le dépôt de cet affidavit supplémentaire pour les motifs suivants : a) premièrement, bon nombre des documents mentionnés dans l’affidavit faisaient déjà partie du dossier, étant donné que l’intimé Dennis Meeches en avait déjà versé certains dans son propre dossier de requête; b) deuxièmement, les autres documents mentionnés dans l’affidavit supplémentaire ne portaient pas sur de nouvelles questions et ils étaient à la disposition de l’appelant David Meeches au moment où il a déposé son dossier de requête; c) troisièmement, compte tenu des délais, l’intimé ne s’est pas vu accorder une possibilité suffisante de répondre à l’affidavit supplémentaire et aux documents supplémentaires qui y sont mentionnés.

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE : EST‑IL POSSIBLE DE SURSEOIR À L’EXÉCUTION DU JUGEMENT DÉCLARATOIRE?

[9]               Étant donné que la juge Strickland a conclu que l’on ne pouvait obtenir l’exécution forcée du jugement déclaratoire du juge Russell en vertu de l’article 431 des Règles des Cours fédérales, l’intimé Dennis Meeches s’interroge sur la question de savoir s’il est approprié de surseoir à l’exécution de ce jugement. Il se fonde à cet égard sur l’arrêt Janssen‑Ortho Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 250, 392 N.R. 308.

 

[10]           L’affaire Janssen‑Ortho Inc. c. Apotex Inc. portait sur une requête en sursis à l’exécution d’une ordonnance par laquelle un protonotaire avait rejeté sommairement une demande d’interdiction présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133. Comme l’ordonnance du protonotaire visait simplement à empêcher le ministre de la Santé de faire ce que la loi lui demandait de faire pour s’acquitter du mandat que la loi lui conférait, la juge Sharlow a conclu que l’ordonnance n’était pas susceptible de sursis dans ces conditions. En toute déférence, cette décision n’a rien à voir avec la question en litige en l’espèce.

 

[11]           En l’espèce, le juge Russell déclare dans son jugement « que le comité d’appel en matière d’élections a rendu une décision définitive et obligatoire qui oblige la tenue de nouvelles élections pour pourvoir aux postes de chef et de conseillers de la Première Nation de Long Plain » et « que toutes les personnes concernées sont liées par cette décision et doivent s’y conformer, y compris le gouvernement tribal actuel ».

 

[12]           Ce jugement déclaratoire est juridiquement contraignant. Un jugement déclaratoire se distingue des autres ordonnances judiciaires en ce qu’il dit le droit sans ordonner l’accomplissement d’un acte précis et sans infliger de sanction à quelqu’un. Habituellement, les jugements déclaratoires ne sont pas exécutoires par les voies habituelles. Toutefois, comme les questions qui sont tranchées au moyen d’un jugement déclaratoire ont force de chose jugée entre les parties, on s’attend néanmoins à ce que les parties s’y conforment, et le respect de ce genre de décision est exigé dans certaines circonstances.

 

[13]           Le jugement déclaratoire est particulièrement utile lorsqu’il vise un organisme public ou un fonctionnaire ayant des responsabilités publiques, parce qu’on peut supposer qu’ils respecteront le droit tel qu’il a été déclaré par les tribunaux, et ce, sans coercition. On ne doit donc pas considérer que les ordonnances déclaratoires rendues contre des organismes publics ou des fonctionnaires sont insuffisantes en raison de l’inaptitude, sans plus, du jugement déclaratoire à prévoir un processus d’exécution.

 

[14]           Comme le juge MacGuigan l’a fait observer avec justesse dans l’arrêt LeBar c. Canada (C.A.F.), [1989] 1 C.F. 603, 90 N.R. 5, le principe selon lequel les organismes publics et leurs fonctionnaires doivent se conformer à la loi est un aspect fondamental du principe de la primauté du droit qui est maintenant inscrit dans la Constitution du Canada, au préambule de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, l’organisme public ou le fonctionnaire visé par une ordonnance déclaratoire est lié par cette ordonnance et a l’obligation de s’y conformer. Si l’organisme public ou le fonctionnaire entretient des doutes au sujet de l’ordonnance, le principe de la primauté du droit exige qu’il s’adresse aux tribunaux. Le principe de la primauté du droit ne laisse entendre rien de moins.

 

[15]           De plus, comme on l’a également fait observer dans l’arrêt Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, (Doucet‑Boudreau), au paragraphe 62, on tient pour acquis, lorsqu’on choisit de demander une ordonnance déclaratoire comme réparation, que le gouvernement et les organismes publics visés par cette ordonnance s’y conformeront rapidement et entièrement. Toutefois, advenant le cas contraire, la Cour suprême du Canada a dissipé tout doute au sujet de la possibilité d’intenter des poursuites pour outrage en cas de non‑respect de l’ordonnance par l’organisme public ou des fonctionnaires. Les juges Iacobucci et Arbour ont ainsi déclaré ceci, au paragraphe 67 de l’arrêt Doucet‑Boudreau : « Nos collègues, les juges LeBel et Deschamps, sont d’avis qu’une ordonnance enjoignant de rendre compte n’était pas nécessaire puisque toute violation d’un simple jugement déclaratoire par l’État pouvait donner lieu à des poursuites pour outrage. Nous ne doutons pas que des poursuites pour outrage peuvent convenir dans certains cas » (non souligné dans l’original).

 

[16]            De plus, dans l’arrêt de principe RJR‑MacDonald c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada a sursis à l’exécution d’un jugement par lequel la Cour d’appel du Québec avait déclaré valides certaines dispositions d’une loi réglementant la commercialisation et la vente de produits du tabac. Après ce jugement, les règlements pris en application de cette loi auraient, s’ils avaient été mis à exécution, imposé des obligations coûteuses à toute personne voulant contester la constitutionnalité de cette loi. Dans ces conditions, la Cour suprême du Canada s’est dite compétente pour suspendre l’effet du jugement de la Cour d’appel du Québec. Le juge Rothstein a rappelé ce principe dans l’arrêt Baier c. Alberta, 2006 CSC 38, [2006] 2 R.C.S. 311 (Baier), aux paragraphes 12 à 14.

 

[17]           Les conséquences du jugement déclaratoire du juge Russell sont on ne peut plus claires : de nouvelles élections doivent avoir lieu sans délai. De plus, en tant que titulaires d’une charge publique et parties à l’instance, le chef et les conseillers de la Première Nation sont liés par ce jugement et sont tenus de le mettre en œuvre. De plus, dans le cas qui nous occupe, l’intimé a indiqué son intention d’exercer énergiquement tous les recours en justice qui lui sont ouverts pour faire exécuter le jugement du juge Russell si la requête en sursis ne devait pas être accueillie (transcription du contre‑interrogatoire de Dennis Meeches effectuée le vendredi 19 avril 2013, aux pages 45 à 47). L’intimé a déjà demandé sans succès une ordonnance en vertu de l’article 431 des Règles. Dans ces conditions, il est loisible à la Cour de se prononcer sur l’opportunité de suspendre l’effet du jugement déclaratoire du juge Russell.

 

ANALYSE

[18]           Le critère applicable pour l’examen de la possibilité de surseoir à l’exécution d’une ordonnance en attendant l’issue d’un appel est le critère bien connu énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald c. Canada (P.G.), précité. J’ai résumé comme suit ce critère dans l’arrêt Tervita Corp. c. Canada (Commissaire à la concurrence), 2012 CAF 223, 434 N.R. 159, au paragraphe 9 :

a.       Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Le critère ici est peu exigeant. Il suffit que l’appel ne soit pas frivole ni vexatoire. Par conséquent, un long examen du bien‑fondé de l’appel n’est ni nécessaire ni souhaitable, sauf circonstances exceptionnelles – comme lorsqu’une suspension équivaudrait, à toute fin pratique, une disposition définitive de l’appel, ou lorsqu’une suspension causerait de telles difficultés à une partie qu’il n’y aurait ensuite plus aucun intérêt à instruire l’appel – ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

b.      Deuxièmement, il faut rechercher si la partie qui demande la suspension subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Il suffit de rechercher, à ce stade, si le refus d’accorder la suspension pourrait être si défavorable à l’intérêt des appelants qu’il ne pourrait pas être remédié au préjudice en résultant si l’appel est accueilli. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice et non à son étendue. Il s’agit du préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou du préjudice auquel il ne peut être remédié, habituellement parce qu’une partie ne peut pas être dédommagée par l’autre.

 

c.       Troisièmement, il faut rechercher laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que la suspension est accordée ou refusée dans l’attente d’une décision sur le fond de l’appel. Les facteurs qui peuvent être pris en compte lors de l’examen de ce critère de la « prépondérance des inconvénients » sont nombreux, et ils varient d’une espèce à l’autre. Des considérations liées à l’intérêt public peuvent être prises en compte dans le cadre de cette pondération.

 

 

Question sérieuse à juger

[19]           Bien que les appelants soulèvent de nombreuses questions dans leurs avis d’appel respectifs, il suffit, pour les besoins de la présente requête en sursis, que je sois convaincu qu’au moins une de ces questions satisfait aux conditions peu exigeantes du premier volet du critère.

 

[20]           Dans le cas qui nous occupe, le juge Harrington a conclu que le comité d’appel en matière d’élections avait formulé une recommandation non contraignante en ce qui concerne la tenue de nouvelles élections, tandis que le juge Russell a conclu que la décision du comité était contraignante et obligeait tous les intéressés à tenir sans délai de nouvelles élections. Ces conclusions apparemment contradictoires soulèvent de nombreuses questions qui méritent d’être examinées en appel, notamment la question de l’effet contraignant ou non de la décision du comité d’appel en matière d’élections. Il s’agit là d’une question sérieuse à juger.

 

[21]           Je m’abstiens cependant d’exprimer quelque opinion que ce soit à cet égard ou sur toute autre question soulevée dans les appels. Je conclus seulement que les appelants ont soulevé dans leurs appels au moins une question qui satisfait au critère de la question sérieuse à juger pour ce qui est de leurs requêtes en sursis.

 

Préjudice irréparable

[22]           Dans l’hypothèse où le sursis ne serait pas accordé, les appelants seraient tenus, vu le jugement du juge Russell et le principe de la primauté du droit, de suivre la recommandation du comité d’appel en matière d’élections et d’organiser de nouvelles élections pour pourvoir aux postes de chef et de conseillers de la Première Nation. Nul ne peut prédire l’issue de ce nouveau scrutin. En conséquence, si le sursis était refusé, les appelants risqueraient de perdre le poste électif qu’ils occupent avant l’expiration normale du mandat pour lequel ils ont été élus. Advenant le cas où ils ne seraient pas réélus, ils ne pourraient plus bénéficier des avantages matériels associés à leur charge et seraient privés du prestige et de l’autorité que cette charge leur confère.

 

[23]           La perte d’une charge élective avant l’expiration du mandat normal est généralement considérée comme un préjudice irréparable, compte tenu du caractère non indemnisable de la perte subie (arrêt Baier, précité, au paragraphe 16; Gabriel c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, 2002 CFPI 483 (Gabriel), aux paragraphes 26 à 30; Martselos c. Première Nation no 195 de Salt River, 2007 CF 613, au paragraphe 15; Prince c. Première Nation de Sucker Creek, 2008 CF 479, aux paragraphes 30 à 32; Bande indienne de Lower Nicola c. Joe, 2011 CF 147, aux paragraphes 18 à 20; York c. Le Conseil, 2012 CF 103, au paragraphe 35).

 

[24]           Bien que, dans certaines de ces décisions, il a été jugé que la perte d’un poste électif n’entraînait pas de préjudice irréparable, il est facile d’établir une distinction entre ces affaires et la présente espèce. Ainsi, dans Weekusk Sr. c. Tribunal d’appel de la Première nation Thunderchild, 2007 CF 202, 309 F.T.R. 314, la juge Tremblay‑Lamer a établi une distinction (aux paragraphes 12 à 20) avec les conclusions qu’elle avait antérieurement tirées dans la décision Gabriel, précitée, au sujet du préjudice irréparable au motif que, dans l’affaire sur laquelle elle devait statuer, les conseillers élus de la bande n’avaient été élus que récemment; toutefois, une lecture attentive de cette décision montre que l’affaire avait en fait été tranchée en fonction de la prépondérance des inconvénients plutôt que sur le fondement du préjudice irréparable. Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Première nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, 422 N.R. 191, le juge Stratas a conclu, au paragraphe 40, que la destitution des conseillers de la bande n’avait entraîné aucun préjudice irréparable; toutefois, dans cette affaire, le mandat des conseillers en question était déjà expiré et les conseillers concernés tentaient unilatéralement de proroger leur mandat sans convoquer d’élections.

 

[25]           Dans la présente affaire, les appelants occupent leur poste élu depuis un an par suite de la décision par laquelle le juge Harrington a conclu que le comité d’appel en matière d’élections avait simplement formulé une recommandation non contraignante. De plus, le mandat des appelants n’a pas encore expiré. Dans ces conditions, j’estime que les appelants subiront un préjudice irréparable si de nouvelles élections ont lieu par suite du jugement du juge Russell.

 

Prépondérance des inconvénients

[26]           Les appelants ont le droit d’interjeter appel devant notre Cour et ce droit deviendrait en grande partie théorique si des élections devaient avoir lieu par suite du refus de surseoir au jugement du juge Russell.

 

[27]           L’intimé affirme néanmoins que notre Cour devrait refuser d’accorder le sursis demandé et qu’elle devrait plutôt fixer la date d’instruction des appels de manière à ce qu’ils puissent être tranchés de façon définitive après la date de convocation des élections, mais avant le jour du scrutin. Cette option n’est pas pratique. Une fois les élections déclenchées, il est tout simplement irréaliste de penser qu’elles puissent être annulées sans causer des perturbations et de la confusion parmi les électeurs de la Première Nation. Qui plus est, la tenue d’élections entraînera des frais pour la Première Nation et pour chacun des candidats.

 

[28]           L’intimé affirme en outre que, si le sursis est accordé, il se peut fort bien que les appels ne soient pas tranchés de façon définitive avant la fin de 2013 ou le début de 2014. Si notre Cour confirme alors la décision du juge Russell et si l’on tient compte du temps minimum requis pour organiser et tenir l’élection, les appelants auront alors occupé illégalement leurs postes élus pendant la plus grande partie de leur mandat de trois ans au moment de la tenue du scrutin. Cette préoccupation est certainement valable et je dois en tenir compte pour apprécier la prépondérance des inconvénients et pour arrêter la solution appropriée.

 

[29]           Dans le cas qui nous occupe, un autre facteur important dont il convient de tenir compte dans l’analyse de la prépondérance des inconvénients est l’intérêt public de la Première Nation. Bien qu’en l’espèce les appels ne soulèvent pas de questions constitutionnelles comme c’était le cas dans l’affaire RJR‑MacDonald c. Canada (P.G.), précitée, ils soulèvent néanmoins des questions d’intérêt public dont il faut tenir compte pour apprécier la prépondérance des inconvénients et appliquer le critère en matière d’octroi d’un sursis (Gopher c. Première nation de Saulteaux, 2005 CF 481, au paragraphe 28).

 

[30]           Jusqu’à récemment, les appelants et les électeurs de la Première Nation pouvaient raisonnablement conclure de la décision du juge Harrington que le chef et les conseillers élus occupaient légitimement leurs postes. La décision du juge Russell remet toutefois en question cette légitimité. Par conséquent, la gestion des affaires de la Première Nation est maintenant plongée dans l’incertitude. Cette incertitude va à l’encontre de l’intérêt supérieur de la Première Nation et perdurera tant que la question ne sera pas tranchée de façon définitive, soit à la suite d’une décision de notre Cour, soit à l’issue d’un nouveau scrutin.

 

[31]           À mon avis, le fait de convoquer de nouvelles élections maintenant ne ferait que créer encore plus d’incertitude et de confusion au sujet des affaires de la Première Nation, surtout si notre Cour infirme la décision du juge Russell soit pendant le déroulement des élections, soit après que les résultats des élections seront rendus publics. En revanche, pour les motifs que j’ai exposés, la situation actuelle ne peut se prolonger indéfiniment.

 

CONCLUSIONS

[32]           Par conséquent, je vais surseoir à l’exécution du jugement du juge Russell, mais sans frais en ce qui concerne les requêtes en sursis. Je vais également abréger considérablement les délais prévus par les Règles des Cours fédérales pour accélérer le déroulement des appels, ainsi que toutes les parties me l’ont demandé lors de l’audition des présentes requêtes en sursis. Qui plus est, en vertu du paragraphe 53(1) et de l’article 55 des Règles des Cours fédérales, je vais modifier la procédure en appel pour m’assurer que l’échéancier abrégé des présents appels réunis soit respecté. Je vais également fixer le lieu et la date d’audition des deux appels réunis au mardi 25 juin 2013 à 9 h 30 à Winnipeg pour une durée maximale de trois heures. L’ordonnance de sursis sera assujettie au paragraphe 398(3) des Règles des Cours fédérales.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                                  A‑102‑13

                                                                        A‑101‑13

 

REQUÊTES EN SURSIS DU JUGEMENT RENDU LE 26 FÉVRIER 2013 PAR MONSIEUR LE JUGE RUSSELL DE LA COUR FÉDÉRALE

 

INTITULÉ :                                                  MEECHES ET AUTRES c. MEECHES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 avril 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Alfred Thiessen

 

POUR L’APPELANT, DAVID MEECHES

 

Anthony Lafontaine Guerra

 

POUR LES APPELANTS, GEORGE ASSINIBOINE, MARVIN DANIELS et RUTH ROULETTE

 

Harley Schachter

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tapper Cuddy LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR L’APPELANT, DAVID MEECHES

 

Myers Weinberg LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES APPELANTS, GEORGE ASSINIBOINE, MARVIN DANIELS et RUTH ROULETTE

 

Duboff Edwards Haight & Schachter Law Corporation

Winnipeg (Manitoba)

POUR L’INTIMÉ

 

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