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Date : 20130430

Dossier : A‑392‑12

Référence : 2013 CAF 119

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

REYNOLDS PRESTO PRODUCTS INC.

appelante

et

P.R.S. MEDITERRANEAN LTD.

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 avril 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 avril 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                         LA JUGE DAWSON

 


Date : 20130430

Dossier : A‑392‑12

Référence : 2013 CAF 119

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

REYNOLDS PRESTO PRODUCTS INC.

appelante

et

P.R.S. MEDITERRANEAN LTD.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               Il est interjeté appel de la décision de la Cour fédérale (2012 CF 824), rendue par le juge Harrington (le juge), de rejeter la demande déposée par Reynolds Consumer Products, Inc. (maintenant Reynolds Presto Products Inc.) (Presto) en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi). Presto demandait à la Cour fédérale la radiation de l’inscription NEOWEB figurant au registre des marques de commerce. Le propriétaire inscrit de la marque NEOWEB est P.R.S. Mediterranean Ltd. (P.R.S.). À l’appui de sa demande, Presto soutenait que la marque NEOWEB employée par P.R.S. relativement à des systèmes de confinement cellulaire créait de la confusion avec la marque GEOWEB employée par Presto en liaison avec ses systèmes de confinement cellulaire. Si cette thèse est saine, la marque de commerce NEOWEB ne saurait être enregistrée par P.R.S. relativement à des systèmes de confinement cellulaire.

 

Les faits

[2]               Presto a enregistré la marque de commerce GEOWEB au Canada en 2001 en liaison avec ses systèmes de confinement cellulaire. Ces systèmes sont des rangées de poches ou de cellules que l’on obtient en soudant ensemble des bandes perforées de polyéthylène (ou un autre matériau) de manière à former une structure de type alvéolaire. Les cellules sont alors remplies de sable, de gravier, de béton, de terre ou d’un autre matériau. Les systèmes servent à lutter contre l’érosion ou à stabiliser le sol. Presto a déclaré avoir employé la marque GEOWEB au Canada en liaison avec ces marchandises depuis au moins août 1993.

 

[3]               En 1996 (l’année où P.R.S. fut constituée en société), Presto a, par licence, autorisé P.R.S. à utiliser la marque GEOWEB en liaison avec la fabrication et la vente de systèmes de confinement cellulaire. P.R.S. a distribué ces systèmes dans environ 20 pays (qui n’ont pas été précisés). Ainsi que l’a signalé le juge, on ne sait pas vraiment si P.R.S. était autorisée à vendre des produits GEOWEB au Canada. Comme le président de P.R.S. a déclaré en contre‑interrogatoire que P.R.S. n’avait jamais vendu de produits GEOWEB au Canada, cela signifie soit que P.R.S. n’avait pas réussi à distribuer les produits en question au Canada, soit que le Canada n’était pas l’un des pays non précisés où P.R.S. était autorisée à vendre des produits GEOWEB.

 

[4]               Le contrat de licence (qui devait expirer en 2001) a été prolongé jusqu’en 2006. Il a pris fin en 2006 ou n’a pas alors été renouvelé. P.R.S. s’est alors mise à faire concurrence à Presto. Au départ, il n’y avait aucune différence notable entre les systèmes de confinement cellulaire vendus par P.R.S. sous la marque de commerce NEOWEB et les systèmes de confinement cellulaire vendus par Presto sous la marque de commerce GEOWEB. P.R.S. a prétendu avoir depuis apporté quelques améliorations aux systèmes qu’elle vend.

 

[5]               En août 2007, P.R.S. a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce NEOWEB pour emploi en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire, et cette marque a finalement été enregistrée en 2010. La liste des marchandises portant la marque de commerce NEOWEB est plus longue que celle des marchandises portant la marque de commerce GEOWEB, mais le juge a conclu, au paragraphe 6 de ses motifs, qu’« elle revient réellement à la même chose : des toiles polymériques tridimensionnelles destinées à la stabilisation du sol et de la terre et servant de systèmes de confinement cellulaire ». Cette conclusion n’a pas été attaquée.

 

Les dispositions législatives applicables

[6]               Presto avait demandé, la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce NEOWEB. Le paragraphe 57(1) de la Loi dispose :

 

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

 

 

[7]               Comme nous l’avons vu, Presto fondait sa demande sur le fait que, selon elle, la marque de commerce NEOWEB employée en liaison avec les marchandises décrites par P.R.S. créait de la confusion avec la marque de commerce GEOWEB employée en liaison avec les marchandises décrites par Presto.

 

[8]               L’article 6 de la Loi dispose, en partie :

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[…]

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

6. (1) For the purposes of this Act, a trade‑mark or trade‑name is confusing with another trade‑mark or trade‑name if the use of the first mentioned trade‑mark or trade‑name would cause confusion with the last mentioned trade‑mark or trade‑name in the manner and circumstances described in this section.

 

 

 

 

(2) The use of a trade‑mark causes confusion with another trade‑mark if the use of both trade‑marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade‑marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

(5) In determining whether trade‑marks or trade‑names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade‑marks or trade‑names and the extent to which they have become known;

 

(b) the length of time the trade‑marks or trade‑names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade‑marks or trade‑names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

La décision du juge

[9]               Après avoir cité le paragraphe 6(5) de la Loi et reproduit certains passages des motifs du juge Rothstein dans l’arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Life‑styles Inc., 2011 CSC 27 (l’arrêt Masterpiece), le juge a observé :

21        En ce qui concerne le paragraphe 6(5) de la Loi, on peut éliminer sans risque, à mon avis, les alinéas b), c) et d) en l’espèce.

22        Outre la revendication contenue dans la demande relative à GEOWEB considérée à première vue, il n’y a aucune preuve d’emploi au Canada. Le président de P.R.S., M. Erez, a déclaré dans son témoignage que la société n’avait jamais vendu un seul produit GEOWEB au Canada. Toutefois, comme il a été indiqué précédemment, il n’est pas clair qu’elle était autorisée par une licence à vendre des produits GEOWEB au Canada, ou si elle l’était, si elle était une simple distributrice de ces produits. Certains éléments de preuve établissent par contre l’emploi de la marque NEOWEB. Il y a eu une expédition de produits NEOWEB, cette marque était présente lors de salons professionnels et d’autres activités de ce genre. NEOWEB a tout au plus un léger avantage.

23        Les marchandises, l’entreprise et le commerce des deux sociétés sont similaires. P.R.S. prétend que la dernière version de son produit est meilleure, mais la preuve n’indique pas que ce produit est destiné à des consommateurs différents et mieux informés, ou qu’il coûte plus cher.

24        À mon avis, le test en matière de confusion se limite dans la présente affaire aux circonstances de l’espèce, y compris les alinéas 6(5)a) et e). Mon examen ne porte, en ce qui concerne l’alinéa 6(5)a), que sur « le caractère distinctif inhérent des marques de commerce », car je ne suis pas convaincu qu’il a été établi que GEOWEB ou NEOWEB était mieux connue que l’autre.

 

 

[10]           Puis le juge s’est penché sur le caractère distinctif inhérent des deux marques de commerce, au degré de ressemblance entre les deux marques et aux autres circonstances de l’espèce énumérées au paragraphe 31 de ses motifs, à savoir :

a.    pratiques commerciales trompeuses de la part de P.R.S.

b.   confusion réelle;

c.    traitement des marques de commerce dans d’autres administrations;

d.   famille de marques;

e.    avis de l’examinateur de marques de commerce.

 

[11]           Il a alors conclu, au paragraphe 46 :

46        Ayant examiné la preuve ainsi que les prétentions orales et écrites des parties, j’estime que l’emploi des marques de commerce GEOWEB et NEOWEB au Canada ne serait pas susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques ont été fabriquées ou vendues par la même personne.

 

 

La norme de contrôle

[12]           Par l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte. Les conclusions de fait (y compris les inférences de fait) ne sont pas remises en cause, à moins qu’il ne soit établi que le juge a commis une erreur manifeste et dominante. Quant aux questions mélangées de fait et de droit, la norme de la décision correcte joue pour toute question de droit qui est isolable, sinon c’est la norme de l’erreur manifeste et dominante qui joue. Une erreur est manifeste si elle est facilement décelable, et elle est dominante si elle a pour effet de changer l’issue de la cause.

 

Analyse

[13]           Comme le dispose le paragraphe 6(5) de la Loi, pour rechercher si NEOWEB crée de la confusion avec GEOWEB, il faut tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris les circonstances énumérées aux alinéas 6(5)a) à e) – à savoir le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, le genre de marchandises, la nature du commerce et, enfin, le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles évoquent.

 

[14]           Presto soutient que le juge a ignoré les trois facteurs qui sont énoncés aux alinéas 6(5)b), c) et d) de la Loi lorsqu’il a recherché si les deux marques créaient de la confusion. Si le juge a passé outre à ces trois facteurs qu’il était tenu de considérer, il a commis une erreur de droit (Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc. [1997] 1 R.C.S. 748, aux paragraphes 39 et 41).

 

[15]           P.R.S., quant à elle, soutient que ces facteurs ont été pris en compte et que la mention, au paragraphe 21 des motifs du juge, de la possibilité pour lui d’« éliminer » les facteurs en question signifie tout simplement, eu égard aux observations qu’il a formulées aux paragraphes 22 à 24, qu’il n’accordait aucun poids auxdits facteurs. Il faudrait en conclure que les facteurs en question étaient, en l’espèce, sans importance car ils ne lui permettaient pas de dire si les deux marques de commerce créaient de la confusion. Si le juge a effectivement eu tort de s’interroger sur l’utilité de ces facteurs pour conclure que les deux marques de commerce ne créaient pas de confusion, cette erreur ne pourra donner lieu à l’intervention de la Cour que s’il s’agit d’une erreur manifeste et dominante et si elle a eu pour effet de changer l’issue de la cause (ITV Technologies, Inc. c. WIC Television Ltd., 2005 CAF 96 (paragraphe 36)). P.R.S. soutient que le juge n’a commis aucune erreur manifeste et dominante.

 

[16]           Bien que les choses ne soient pas tout à fait claires (étant donné que le juge a indiqué, au paragraphe 21 de ses motifs, qu’il éliminait « les alinéas b), c) et d) »), il me semble que la bonne manière d’interpréter ses motifs est de dire que, selon lui, ces facteurs ne lui permettaient pas de décider si les deux marques de commerce créaient ou non de la confusion, et il n’a de ce fait accordé aucun poids aux facteurs en question. Cette conclusion ne peut donc être réformée que s’il y a eu erreur manifeste et dominante.

 

[17]           À mon humble avis, le genre de marchandises et la nature du commerce sont utiles pour rechercher si ces deux marques de commerce créent ou non de la confusion. Après avoir conclu que « les marchandises, l’entreprise et le commerce des deux sociétés sont similaires » (paragraphe 23 de ses motifs), le juge aurait dû rechercher en quoi ce constat pouvait influer sur la question de savoir si l’emploi de la marque de commerce NEOWEB en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire créait ou non de la confusion avec l’emploi de la marque de commerce GEOWEB en liaison également avec des systèmes de confinement cellulaire. Si cette analyse avait été faite, le résultat aurait été différent.

 

[18]           Puisque l’analyse des deux facteurs susmentionnés n’a pas été faite par le juge, la présente Cour peut soit renvoyer l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle procède à cette analyse, soit procéder elle‑même à l’analyse. Les témoignages des personnes concernées ayant tous été produits au moyen d’affidavits, il semblerait opportun ici, selon moi, que notre Cour procède elle‑même à l’analyse requise, tout en faisant preuve de déférence envers les conclusions de fait du juge qui ne sont entachées d’aucune erreur manifeste et dominante.

 

[19]           Avant d’entreprendre l’analyse qui permettra de dire si les deux marques de commerce créent de la confusion, il est utile de rappeler d’abord les observations générales faites dans l’arrêt Masterpiece par le juge Rothstein, qui a rédigé l’arrêt unanime de la Cour suprême :

40        Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, paragraphe 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

 

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

 

Le juge Binnie renvoie avec approbation aux propos tenus par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, page 202, pour faire ressortir ce qu’il ne faut pas faire, à savoir un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte.

 

67        La Cour a affirmé que les consommateurs qui sont à la recherche de biens onéreux sont moins susceptibles de confondre des marques de commerce, mais le critère demeure celui de la « première impression ». Dans ses motifs, le juge s’est fondé sur l’importance et le coût des biens et des services onéreux pour modifier le critère relatif à la probabilité de confusion. Selon lui, le critère applicable n’était pas celui de la première impression que laisse dans l’esprit des consommateurs la vue d’une marque de commerce, mais plutôt le « peu [de probabilité que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression ». Cette démarche n’est pas compatible avec le critère en matière de confusion énoncé au par. 6(5) de la Loi, qui a été constamment repris par la Cour, tout récemment d’ailleurs dans Veuve Clicquot.

70        Cette question porte principalement sur l’attitude du consommateur qui s’apprête à faire un achat. Or, l’examen convenable de la nature des marchandises, des services ou de l’entreprise en cause doit tenir compte du fait que la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion peut être moins grande lorsque le consommateur est à la recherche de marchandises ou de services importants ou onéreux. Il n’en demeure pas moins que cette probabilité moins grande est toujours fondée sur la première impression du consommateur lorsqu’il voit les marques en question. Le consommateur à la recherche de marchandises ou de services onéreux pourra n’avoir qu’un vague souvenir d’une marque de commerce qu’il a déjà vue, et il portera probablement un peu plus attention à la marque de commerce qui identifie les marchandises ou services qu’il est en train d’examiner, notamment quant aux similitudes ou différences entre cette marque et celle déjà vue. Comme l’a affirmé le juge Binnie dans Mattel, les marques de commerce sont des raccourcis offerts aux consommateurs. Cette affirmation s’applique peu importe que les consommateurs soient à la recherche de marchandises ou de services plus ou moins onéreux.

71        Il est sans importance que, comme l’a conclu le juge de première instance, « il [soit] peu probable [que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression » ou que, « [e]n règle générale, ils consacrent un temps appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher » (par. 43). En effet, tant les recherches ultérieures que l’achat qui s’ensuit ont lieu après que le consommateur a vu une marque.

72        Cette distinction est importante car, malgré ce degré d’attention accru, il peut tout de même subsister la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion chez le consommateur à la recherche de biens et de services onéreux. Cela dit, une telle confusion peut se dissiper après mûre réflexion au terme de recherches approfondies. Toutefois, cela ne veut pas dire que le consommateur de biens onéreux ne peut bénéficier de la protection du régime des marques de commerce parce qu’il fait preuve de prudence et de méfiance. Ce qui compte, c’est la confusion qui naît dans son esprit lorsqu’il voit les marques de commerce. Il ne faut pas déduire de la dissipation ultérieure de la confusion au terme de recherches approfondies qu’elle n’a jamais existé ou qu’elle cessera de subsister dans l’esprit du consommateur qui n’a pas fait de telles recherches.

73        D’ailleurs, avant qu’elle ne soit dissipée, une telle confusion peut amener le consommateur à rechercher, considérer ou acheter les marchandises ou les services d’une source dont il ignorait jusque‑là l’existence ou à laquelle il ne s’était pas auparavant intéressé, et, partant, diminuer la valeur de l’achalandage rattaché à la marque de commerce et à l’entreprise à laquelle le consommateur croyait initialement avoir affaire en voyant la marque de commerce. Induire ainsi le consommateur en erreur est l’un des maux que la législation sur les marques de commerce vise à enrayer. Les consommateurs de marchandises ou de services onéreux et les propriétaires des marques de commerce qui y sont associées ont autant droit de bénéficier du régime des marques de commerce, notamment en matière de protection, que ceux qui achètent ou vendent des marchandises ou des services peu coûteux.

 

[20]           Le test en matière de confusion doit être appliqué quand le consommateur voit une marque de commerce. Il s’agit de rechercher si le consommateur qui voit une marque de commerce donnée et qui a un vague souvenir d’une autre marque de commerce présumera à tort que les marchandises ou services liés à la première marque de commerce se rattachent à l’autre marque de commerce. Puisqu’il s’agit ici d’une affaire civile, c’est à Presto qu’il incombe d’établir qu’il est vraisemblable que le consommateur, voyant la marque de commerce NEOWEB employée en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire (quand ce consommateur a un vague souvenir de la marque de commerce GEOWEB employée en liaison avec les mêmes marchandises ou sensiblement les mêmes marchandises), serait sous l’effet d’une confusion et présumerait à tort que les systèmes de confinement cellulaire NEOWEB étaient vendus par Presto. Quand bien même les systèmes de confinement cellulaire seraient considérés comme des articles coûteux ne s’adressant qu’à un marché restreint, « le critère demeure celui de la première impression ».

 

[21]           Pour savoir si les deux marques de commerce créent de la confusion, on doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris de celles qui sont explicitement énumérées aux alinéas 6(5)a) à e) de la Loi. Comme l’écrit le juge au paragraphe 31 de ses motifs, certaines circonstances ont été invoquées comme circonstances pertinentes, en plus de celles qui sont explicitement énumérées aux alinéas 6(5)a) à e) de la Loi.

 

Alinéa 6(5)a) – Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[22]           L’alinéa 6(5)a) de la Loi dispose qu’il doit être tenu compte du caractère distinctif inhérent des marques de commerce ainsi que de la mesure dans laquelle elles sont devenues connues. Ces facteurs déterminent la force de la marque considérée (Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534, au paragraphe 23). Si une marque de commerce ne présente pas de caractère distinctif inhérent (et n’a pas acquis de caractère distinctif par suite d’un emploi constant sur le marché), elle n’est pas considérée comme une marque solidement établie et elle bénéficie d’une protection moindre.

 

[23]           Le juge a conclu (au paragraphe 24 de ses motifs) qu’il n’avait pas été établi que l’une des marques de commerce était davantage connue que l’autre et il a donc limité son analyse au caractère distinctif inhérent des marques. Au paragraphe 28 de ses motifs, il a estimé qu’aucune des deux marques de commerce ne présentait un caractère distinctif inhérent. Comme il l’a noté, les deux marques de commerce sont formées d’un préfixe grec de trois lettres (geo et neo) et d’un suffixe commun – web. À mon avis, ce sont là des conclusions qu’il n’y a pas lieu d’invalider. Puisque la marque de commerce GEOWEB ne présente pas de caractère distinctif inhérent, elle bénéficie d’une protection moindre que si elle présente un caractère distinctif inhérent. Cependant, une protection moindre ne signifie pas absence totale de protection.

 

[24]           La marque de commerce GEOWEB n’est pas une marque forte, mais la question demeure de savoir s’il est vraisemblable que le consommateur, voyant la marque de commerce NEOWEB employée en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire, se demanderait s’il s’agit là des marchandises GEOWEB de Presto.

 

Alinéa b) ‑ La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[25]           Aux paragraphes 14 et 22 de ses motifs, le juge a signalé que l’emploi de l’une ou l’autre des deux marques au Canada n’était pas vraiment attesté et que « NEOWEB a tout au plus un léger avantage ». Il n’y a pas lieu d’invalider cette conclusion.

 

Alinéas c), d), et e) – Le genre de marchandises, la nature du commerce et le degré de ressemblance entre les deux marques de commerce

[26]           En l’espèce, les marchandises étaient les mêmes (ou sensiblement les mêmes), tout comme la nature du commerce, ainsi que l’écrit le juge au paragraphe 23 de ses motifs.

 

[27]           Dans l’arrêt Pink Panther Beauty Corp., le juge Linden, s’exprimant au nom de notre Cour, a observé ce qui suit :

26        Il est évident que, lorsque des marques de commerce sont similaires, le degré de similitude entre les marchandises ou les services qui portent ces marques constituera un facteur important pour déterminer s’il en résultera vraisemblablement une confusion.

 

[28]           Dans la décision Precision Door & Gate Service Ltd. c. Precision Holdings of Brevard, Inc., 2012 CF 496, le juge O’Reilly s’exprimait ainsi :

34        Les deux parties offrent principalement des services relatifs à des portes de garage. Le genre de leurs marchandises et services est fondamentalement identique, ce qui permet de croire que le risque de confusion est élevé.

 

[29]           Dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, la Cour suprême du Canada, commentant l’arrêt Pink Panther rendu par notre Cour, a écrit au paragraphe 71 qu’une différence entre des marchandises ne constituera pas toujours un facteur dominant et qu’il ne fallait pas suivre les remarques du juge Linden dans la mesure où on les interprèterait comme exigeant une ressemblance entre les marchandises avant que l’on puisse dire que des marques de commerce créent de la confusion. Cependant, la Cour suprême a ajouté, dans le même paragraphe, que, s’il y a une différence entre des marchandises, « il s’agira en général d’une considération importante ». Il n’y a pas de différence notable entre les marchandises vendues par P.R.S. sous la marque de commerce NEOWEB et celles vendues par Presto sous la marque de commerce GEOWEB, et, en l’espèce, il s’agit d’une considération importante.

 

[30]           Il y a une probabilité plus élevée de confusion si deux marques de commerce qui se ressemblent sont employées en liaison avec les mêmes produits (ou sensiblement les mêmes produits) sur les mêmes marchés. En conséquence, le degré de ressemblance entre les deux marques de commerce ne devrait pas être considéré isolément, mais plutôt conjointement avec le genre des marchandises et la nature du commerce.

 

[31]           Pour juger du degré de ressemblance entre GEOWEB et NEOWEB, il vaut mieux ne pas analyser ces deux marques de commerce syllabe par syllabe, mais plutôt les analyser dans leur globalité, afin de savoir si la marque de commerce NEOWEB, employée en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire, ressemble à ce point à la marque de commerce GEOWEB, employée également en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire, sur le même marché, qu’elle créerait de la confusion dans l’esprit du consommateur ayant un vague souvenir de la marque de commerce GEOWEB (arrêt Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd, [1991] A.C.F. no 546).

 

[32]           Si l’on compare la marque de commerce tout entière NEOWEB avec GEOWEB, il convient de relever que seule la première lettre est différente et que, finalement, chacune est formée d’un préfixe grec auquel s’ajoute le même suffixe. Les deux marques présentent la même sonorité (elles riment l’une avec l’autre) et l’emploi de « neo » comme préfixe pourrait donner à penser que NEOWEB est tout simplement une version plus récente de GEOWEB. Il me semble que, en définitive, NEOWEB serait vraisemblablement source de confusion dans l’esprit de consommateurs ayant un vague souvenir de la marque GEOWEB. Puisque les marchandises liées à chacune des deux marques sont les mêmes (ou sensiblement les mêmes) et que les marchés auxquels elles sont destinées sont les mêmes, la probabilité de confusion est d’autant plus grande et, à mon avis, elle atteint le seuil où il est vraisemblable que le consommateur ayant un vague souvenir de la marque GEOWEB employée en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire serait déconcerté et se demanderait si les systèmes de confinement cellulaire NEOWEB sont fabriqués par Presto.

 

Autres circonstances – Pratiques commerciales de P.R.S.

[33]           Comme il est indiqué précédemment, les parties ont invoqué d’autres circonstances dans la présente affaire. L’une d’elles concernait les pratiques commerciales de P.R.S. ou de ses distributeurs, qui faisaient passer NEOWEB pour l’ancien GEOWEB. La question qui se pose en l’occurrence est de savoir si, sur la base d’une première impression, le consommateur qui voit la marque NEOWEB (sans les mots additionnels du matériel publicitaire) et qui a un vague souvenir de la marque GEOWEB serait déconcerté et présumerait à tort que les systèmes NEOWEB sont fabriqués par Presto. On détermine le niveau de confusion d’après la marque de commerce, et non d’après les mots additionnels figurant dans le matériel publicitaire. Les pratiques commerciales de P.R.S. ne permettent donc pas de dire si les deux marques de commerce créent ou non de la confusion.

 

Autres circonstances – Confusion réelle

[34]           Presto a fait état d’un courriel qu’elle avait reçu d’un client non identifié, habitant un pays non identifié, courriel qui témoignait de la perplexité de son auteur. Cependant, comme l’observe le juge, puisque rien ne donnait à penser que le client en question se trouvait au Canada, le courriel ne permet pas de décider si les deux marques créent de la confusion aux fins de la Loi.

 

Autres facteurs – Le traitement des marques de commerce dans d’autres pays

[35]           P.R.S. a produit une preuve dont il ressort que, sur les 31 pays où a été menée une recherche de marques de commerce, les deux marques sont enregistrées dans trois d’entre eux – l’Australie, le Japon et la Corée du Sud. Cependant, il n’a été produit nul élément de preuve concernant le droit des marques de commerce en vigueur dans chacun de ces trois pays. Presto a produit une décision de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (Marques, dessins et modèles) ‑ division de l’opposition, opposition no B 1 302 530, datée du 27 février 2012. Comme le relevait le juge, « [i]l s’agissait d’une opposition fondée sur l’enregistrement de GEOWEB dans les pays du Benelux, en République tchèque, en Grèce, en Hongrie, en Irlande, en Italie, en Pologne, en Slovaquie, au Danemark, en France, en Allemagne, en Espagne et au Royaume‑Uni ». Le juge observait aussi que ladite décision « traite des termes employés dans différentes administrations [et a conclu] que l’opposition était bien fondée en partie » au vu de la marque GEOWEB de Presto (paragraphe 38). Il a ajouté que « cette décision [est] actuellement en appel » (paragraphe 40). Aucune des parties n’a précisé l’état actuel de l’appel en question.

 

[36]           Il y a aussi plusieurs autres pays où une recherche a été effectuée pour les deux enregistrements. Cependant, on n’a pas précisé si P.R.S. avait tenté de faire enregistrer sa marque de commerce NEOWEB dans les autres pays en question ou si cet enregistrement y avait été refusé.

 

[37]           Il me semble que, même si l’on ne doit pas lui accorder un grand poids, ce constat favorise GEOWEB puisque, parmi les 31 pays où une recherche a été menée, l’enregistrement des deux marques de commerce a été autorisé dans trois d’entre eux, une opposition à tel enregistrement a été admise dans 13 autres pays et aucune explication de la suite des choses n’a été donnée pour les 15 pays restants.

 

Autres facteurs – Famille de marques

[38]           Le juge a observé que AGRIWEB est une marque de commerce enregistrée de Presto et que NEOLOY est une marque de commerce enregistrée de P.R.S. Aucune des parties ne prétend avoir une famille de marques susceptible d’influer sur l’analyse relative à la confusion.

 

Autres facteurs – L’avis de l’examinateur de marques de commerce

[39]           La seule autre circonstance qui, selon le juge, favorisait l’une ou l’autre des parties était la décision de l’examinateur de marques de commerce. Le 6 février 2008, un examinateur principal de marques de commerce avait écrit à P.R.S. pour lui signifier que la marque de commerce NEOWEB créait de la confusion avec la marque de commerce GEOWEB déjà enregistrée. À la suite d’observations présentées par P.R.S., l’enregistrement de la marque de commerce NEOWEB fut autorisé. Comme l’a signalé le juge, cette circonstance favorise P.R.S. Cependant, à mon avis, elle ne favorise pas P.R.S. au point que l’on puisse conclure, après avoir tenu compte de l’ensemble des circonstances, que les deux marques de commerce ne créent pas de confusion.

 

Conclusion

[40]           Si l’on tient compte de toutes les circonstances de l’espèce (y compris de celles expressément énumérées aux alinéas 6(5)a) à e), et de celles relevées par le juge au paragraphe 31 de ses motifs), il m’apparaît vraisemblable que le consommateur dont le souvenir est imparfait et qui voit la marque NEOWEB employée par P.R.S. en liaison avec des systèmes de confinement cellulaire pourrait se dire que les systèmes NEOWEB étaient fabriqués par Presto. Les deux marques de commerce sont évidemment similaires (une seule lettre est différente, chacune arborant son propre préfixe grec de trois lettres où une seule lettre est différente). Les deux marques de commerce riment aussi l’une avec l’autre, et l’emploi de « neo » peut donner à penser que NEOWEB est une version récente de GEOWEB. Les marchandises liées à chacune des marques de commerce sont les mêmes ou sensiblement les mêmes, et les marchés dans lesquels elles sont vendues sont également les mêmes.

 

[41]           En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale, et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’ordonnerais la radiation de l’enregistrement portant le numéro LMC 780,538 relatif à la marque de commerce NEOWEB.

 

 

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑392‑12

 

INTITULÉ :                                                  REYNOLDS PRESTO PRODUCTS INC. c.
P.R.S. MEDITERRANEAN LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 8 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE WEBB

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 30 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Prenol

Tariq Remtulla

 

Pour l’appelante

 

Stephen P. Shoshan

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Piasetzki Nenniger Kvas LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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