Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20130506

Dossiers : A‑4‑12

A‑5‑12

A‑331‑12

 

Référence : 2013 CAF 122

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

 

 

Dossier : A‑4‑12

 

ENTRE :

 

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

appelante

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

Dossier : A‑5‑12

 

ET ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

 

et

 

 

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

intimée

 

Dossier : A‑331‑12

 

ET ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

 

et

 

 

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 novembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 mai 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE EVANS

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Date : 20130506

Dossiers : A‑4‑12

A‑5‑12

A‑331‑12

Référence : 2013 CAF 122

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

Dossier : A‑4‑12

 

ENTRE :

 

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

appelante

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

Dossier : A‑5‑12

 

ET ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

 

et

 

 

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

intimée

Dossier : A‑331‑12

 

ET ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

 

et

 

 

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                    Pour calculer l’obligation fiscale du contribuable sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), peut‑il être parfois nécessaire d’apprécier la moralité de sa conduite? En principe, il faudrait répondre par la négative à cette question. La Loi de l’impôt sur le revenu a pour objet de procurer des recettes au gouvernement fédéral. Elle contient  également des dispositions visant à faciliter la répartition d’avantages sociaux suivant des principes définis par le législateur et à encourager ou à dissuader certaines industries ou certaines pratiques commerciales dans l’intérêt public, tel que le législateur le conçoit. Mais rien dans la Loi de l’impôt sur le revenu ne permet ou n’oblige expressément le ministre du Revenu national ou les tribunaux à moduler l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu selon le caractère moral ou immoral de la conduite du contribuable.

 

[2]                    D’ailleurs, il est reconnu depuis longtemps au Canada que le contribuable qui exploite une entreprise illégale ou qui dirige une entreprise de manière illicite est imposable sur les profits qu’il tire de cette entreprise, et ce, suivant les mêmes principes que ceux qui visent toute autre entreprise, sauf dans la mesure où une disposition précise de la Loi de l’impôt sur le revenu appelle une solution différente. De même, la jurisprudence a constamment écarté l’idée que la Loi de l’impôt sur le revenu devait être interprétée ou appliquée plus généreusement pour le contribuable qui se conduit selon des normes morales suffisamment élevées.

 

[3]                    En l’espèce, Sa Majesté soutient que, pour rechercher si une disposition législative particulière – en l’occurrence l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu – s’applique de manière à permettre le refus de la déduction d’une dépense particulière lors du calcul du revenu tiré d’une entreprise aux fins de l’impôt sur le revenu, le ministre – et, par conséquent, le juge – doit d’abord rechercher si la dépense a été engagée en raison de la conduite flagrante ou répugnante du contribuable. Il en est ainsi, suivant Sa Majesté, parce que, si la réponse est affirmative, l’alinéa 18(1)a) joue et permet de refuser la déduction. La thèse de Sa Majesté repose sur une remarque incidente tirée d’un arrêt de la Cour suprême du Canada. Vu les motifs qui suivent, je conclus que Sa Majesté a mal interprété cette remarque incidente et a tiré une conclusion erronée en droit.

 

Introduction

[4]                    La présente affaire porte sur trois appels de deux ordonnances interlocutoires rendues par le juge en chef adjoint Rossiter de la Cour canadienne de l’impôt (2011 CCI 568 et 2012 CCI 237). Ces ordonnances furent rendues à la suite d’appels interjetés de nouvelles cotisations établies relativement à la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la CIBC) sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.). Les deux parties ont interjeté appel de la première ordonnance, qui avait fait droit, en partie, à la requête de la CIBC en radiation de la réponse de Sa Majesté (dossiers A‑4‑12 et A‑5‑12). Sa Majesté interjette appel de la seconde ordonnance, qui porte sur l’ébauche de la réponse soumise par Sa Majesté en vue de se conformer à la première ordonnance (A‑331‑12).

 

Norme de contrôle

[5]                    La décision du juge d’accorder ou de refuser une requête en radiation est de nature discrétionnaire. Lorsqu’elle est saisie d’un appel d’une telle décision, notre Cour doit faire montre de retenue envers cette décision en l’absence d’une erreur de droit, d’une mauvaise appréciation des faits, d’une omission d’accorder l’importance qu’il convenait à tous les facteurs pertinents ou d’une injustice flagrante (Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en Conseil), 2007 CAF 374, Collins c. Canada, 2011 CAF 140).

 

Cadre législatif applicable aux requêtes

[6]                    La requête en radiation de la CIBC est fondée sur l’article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), DORS/90‑688a, qui dispose :

53. La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document :

 

53. The Court may strike out or expunge all or part of a pleading or other document, with or without leave to amend, on the ground that the pleading or other document,

a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel;

 

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

c) constitue un recours abusif à la Cour.

(a) may prejudice or delay the fair hearing of the action,

 

(b) is scandalous, frivolous or vexatious, or

 

(c) is an abuse of the process of the Court.

[7]                    Il n’y a aucune controverse quant au critère général en matière de radiation d’actes de procédure. Il a été récemment réaffirmé dans l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée., 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, au paragraphe 17 : s’agissant d’une requête en radiation de la réponse de Sa Majesté dans le cadre d’un appel en matière fiscale, la requête n’est accueillie que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués dans la réponse sont avérés, que la réponse ne permet pas de conclure de façon raisonnable que la nouvelle cotisation frappée d’appel est correcte.

 

Faits et procédures

[8]                    À l’origine des présents appels, il y a quatre instances introduites devant la Cour de l’impôt. Il s’agit dans tous les cas d’appels interjetés par la CIBC de nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu se rapportant chacune à une année d’imposition différente de la CIBC (2002, 2003, 2005 et 2006) relativement aux mêmes opérations. La CIBC soulève les mêmes questions dans chaque appel. La réponse de Sa Majesté est la même dans chaque cas, tout comme les requêtes en radiation de la CIBC visant les réponses de Sa Majesté.

 

[9]                    Devant la Cour de l’impôt, le débat sur les requêtes était axé sur la réponse donnée par Sa Majesté au sujet de l’année d’imposition 2002, étant entendu que la même solution serait retenue pour les trois autres années. Suivant la même logique, les appels maintenant déférés à notre Cour ne portent que sur la réponse donnée par Sa Majesté au sujet de l’année d’imposition 2002, mais les parties ont convenu que la solution qui sera donnée au présent appel vaudra pour les trois autres années.

[10]                La principale question en litige dans les quatre appels en matière d’impôt sur le revenu concerne la déductibilité d’environ trois milliards de dollars lors du calcul des revenus d’entreprise de la CIBC. La plus grande partie de ce montant est constituée de paiements effectués par la CIBC pour régler un litige qui est né après la faillite de la société Enron. Le reste du montant est constitué d’intérêts et des frais juridiques se rapportant à des paiements effectués à titre de règlement. Aux fins du présent appel, il n’est nécessaire d’examiner que les paiements qui ont été effectués à titre de règlement.

 

[11]                Le contentieux qui a donné lieu aux paiements effectués à titre de règlement fait suite à certaines opérations mettant en présence Enron et la CIBC et ses sociétés affiliées que, pour des raisons qui deviendront évidentes, la CIBC appelle les opérations « CIBC FAS 125/140 ». Dans les présents motifs, il est plus commode de les appeler « les opérations ».

 

[12]                Les FAS 125 et FAS 140 sont les normes comptables en vigueur aux  États‑Unis. Il semble qu’à ce stade-ci de l’instance, il n’y a aucune controverse entre les parties s’entendent sur trois points en ce qui concerne les FAS 125 et les FAS 140. Premièrement, les FAS 125 et les FAS 140 précisent les conditions à réunir avant qu’une opération puisse être considérée comme une vente d’actifs dans des rapports financiers publiés. Deuxièmement, Enron était obligée de suivre les FAS 125 et les FAS 140 lors de la publication de son information financière. Troisièmement, Enron a produit ses rapports financiers en partant du principe que les opérations en cause étaient des ventes d’actifs qui satisfaisaient aux exigences des FAS 125 et des FAS 140.

 

[13]                La question de savoir si les opérations satisfaisaient effectivement aux exigences des FAS 125 et des FAS 140 est devenue matière à controverse, laquelle a donné lieu à des actions judiciaires contre Enron aux États‑Unis. Deux de ces procédures, la procédure Newby et la procédure MegaClaim, étaient fondées sur l’allégation qu’Enron avait mal qualifié les opérations de ventes d’actifs dans ses rapports financiers, contrairement aux exigences des FAS 125 et FAS 140. Il était allégué qu’en raison de cette erreur de qualification, les dettes d’Enron étaient sous‑estimées et que les rapports financiers faisaient état de renseignements trompeurs sur des points importants, ce qui avait fait subir aux plaignants des pertes dont Enron était responsable.

 

[14]                La CIBC était désignée codéfenderesse dans les deux procédures. Les plaignants alléguaient que la CIBC ou des sociétés affiliées de la CIBC avaient financé des opérations dans l’intention d’obtenir des frais et de se faire reconnaître par Enron comme sources de financement. Les plaignants soutenaient également que la CIBC ou ses sociétés affiliées avaient pris part aux opérations en connaissant suffisamment les affaires d’Enron pour se rendre solidairement responsables avec elle et les autres défendeurs des pertes subies par les plaignants par suite des rapports financiers trompeurs d’Enron.

 

[15]                Aux termes des ententes en vertu desquelles les paiements effectués à titre de transaction ont été faits, les réclamations formulées contre la CIBC et ses sociétés affiliées ont été réglées sans aveu de faute ou de responsabilité. La CIBC allègue que les paiements effectués à titre de règlement lui permettaient d’éviter la responsabilité solidaire avec de nombreux autres défendeurs dans la procédure ainsi que les conséquences néfastes associées à une longue procédure (avis d’appel de la CIBC, paragraphe 3). La CIBC allègue également qu’elle considérait un règlement comme la solution prudente sur le plan juridique et commercial (avis d’appel de la CIBC, aux paragraphes 16 et 21).

 

[16]                Les paiements effectués à titre de règlement ont été déduits des bénéfices de la CIBC lors de la production de sa déclaration de revenus et de la publication de ses états financiers. La CIBC soutient que cette déduction était conforme aux principes comptables généralement reconnus (PCGR) au Canada et qu’elle était également conforme aux articles 3 et 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu (avis d’appel de la CIBC, aux paragraphes 4, 23 et 32).

 

[17]                Le ministre a procédé à une nouvelle cotisation par laquelle il a refusé la déduction des paiements effectués à titre de transaction. La CIBC s’est opposée, sans succès, à la nouvelle cotisation. Le ministre a confirmé les nouvelles cotisations en invoquant les alinéas 18(1)a), 18(1)b) et 18(1)e) de la Loi de l’impôt sur le revenu (avis d’appel de la CIBC, paragraphe 26). CIBC a interjeté appel à la Cour de l’impôt en soutenant que la déduction était conforme aux articles 3 et 9 et qu’elle n’était pas interdite par les alinéas 18(1)a), b) ou e) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[18]                La requête en radiation de la CIBC porte sur la réponse modifiée de Sa Majesté déposée le 30 septembre 2010. Par cette réponse, Sa Majesté défend la justesse de la nouvelle cotisation en avançant plusieurs moyens subsidiaires.

 

[19]                La plupart des moyens avancés par Sa Majesté dans sa réponse ne sont pas controversés dans le présent appel. Par conséquent, indépendamment de l’issue du présent appel, il semble, à ce stade de la procédure, que Sa Majesté a le droit de plaider que la déduction des paiements effectués à titre de transaction a été à bon droit refusée en tout ou en partie pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

a) les paiements effectués à titre de transaction n’ont pas été faits par la CIBC en vue de tirer un revenu de son entreprise (alinéa 18(1)a) – paragraphe 133 de la réponse);

 

b) les paiements effectués à titre de transaction ont été faits par la CIBC au nom d’un ou de plusieurs de ses sociétés affiliées (paragraphe 135 de la réponse);

 

c) les paiements effectués à titre de transaction étaient des dépenses ou des paiements à titre de capital (alinéa 18(1)b) – paragraphe 136 de la réponse);

 

d) les modalités conclues ou imposées relativement à l’obtention de renonciations au nom des sociétés affiliées de la CIBC différaient de celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance de sorte que 93 p. 100 des paiements effectués à titre de transaction ne sont pas déductibles (paragraphe 247(2) – paragraphe 137 de la réponse);

 

e) les paiements effectués à titre de transaction étaient des obligations éventuelles au cours des années pour lesquelles les déductions ont été réclamées (alinéa 18(1)e) – paragraphe 138 de la réponse);

 

f) les paiements effectués à titre de transaction n’étaient pas des dépenses raisonnables dans les circonstances (article 67 – paragraphe 139 de la réponse).

 

[20]                La requête en radiation de la CIBC se rapporte principalement au paragraphe 134 de la réponse, par lequel Sa Majesté invoque l’alinéa 18(1)a) de la Loi. Voici le texte du paragraphe 134 :

[traduction

134. L’inconduite [de la CIBC et de ses sociétés affiliées] était si flagrante ou répugnante que tout paiement effectué à titre de règlement en découlant […] ne saurait être considéré comme ayant été engagé en vue de tirer ou de produire un revenu d’une entreprise ou d’un bien au sens de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les [sociétés affiliées de la CIBC] ont sciemment aidé et encouragé Enron à violer les lois fédérales américaines sur les valeurs mobilières et à falsifier ses états financiers. L’inconduite des [sociétés affiliées de la CIBC] qui a permis à Enron de commettre de telles fraudes au vu et au su [de la CIBC] et l’inconduite [de la CIBC] elle‑même étaient si extrêmes et les conséquences étaient si graves qu’elles ne pouvaient s’inscrire dans le cadre des activités normales d’une banque.

 

 

 

[21]                La CIBC soutient que le paragraphe 134 de la réponse n’énonce aucun motif raisonnable permettant de conclure que la nouvelle cotisation frappée d’appel est correcte. Voici comment je résumerais le raisonnement suivi par la CIBC. Sa Majesté a le droit de défendre la nouvelle cotisation frappée d’appel sur le fondement de l’alinéa 18(1)a) en alléguant des faits à l’appui de sa thèse suivant laquelle la CIBC n’a pas procédé aux paiements effectués à titre de transaction en vue de tirer un revenu de son entreprise. Toutefois, en droit, l’interprétation et l’application de l’alinéa 18(1)a) ne peuvent dépendre de l’appréciation morale de la conduite de la CIBC comme les demanderesses le soutiennent par les actes de procédure qu’elles ont déposés dans les procès Newby et MegaClaim. Il s’ensuit que, même si les agissements de la CIBC sont exposé avec exactitude dans les allégations non prouvées formulées dans les procédures en question – allégations que le ministre a reprises en tant qu’hypothèses de fait et qui ont été plaidées séparément en tant qu’allégations de fait –, le fait pour Sa Majesté de qualifier ses actes de « flagrants et répugnants » est sans intérêt lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer correctement l’alinéa 18(1)a). Par conséquent, le paragraphe 134 de la réponse ainsi que toutes les allégations de fait contenues dans la réponse qui qualifient la présumée conduite de la CIBC de flagrante ou de répugnante satisfont à l’un ou à plusieurs des critères de l’article 53 des Règles concernant la radiation des actes de procédure, et ils doivent être radiés.

 

[22]                Sa Majesté soutient que le paragraphe 134 de sa réponse exprime un principe juridique que l’on trouve au paragraphe 69 de l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 (que nous appellerons « l’affaire des œufs », parce que le contribuable était un producteur d’œufs). Je discuterai cette jurisprudence plus loin dans les présents motifs.

 

Première décision de la Cour de l’impôt – requête en radiation accueillie en partie (21 décembre 2011)

 

[23]                Le juge a conclu qu’il n’était pas manifeste et évident que la thèse de Sa Majesté énoncée au paragraphe 134 de sa réponse était mal fondée. Il a, pour cette raison, rejeté la partie de la requête en radiation de la CIBC portant sur cette question. La CIBC a interjeté appel devant notre Cour pour attaquer cette conclusion (A‑4‑12). Le juge a également conclu que la réponse était entachée d’autres irrégularités, notamment en ce qui concerne les hypothèses formulées par le ministre. Sa Majesté attaque certaines de ces conclusions par son appel (A‑5‑12). J’examine les deux appels séparément dans la discussion qui suit.

 

Appel interjeté par la CIBC de la première décision (A‑4‑12)

[24]                La CIBC soutient que le juge a commis une erreur de droit en concluant que le paragraphe 134 de la réponse énonçait un motif raisonnable permettant de défendre les nouvelles cotisations. Le paragraphe 134 a déjà été cité mais je le répète ici par souci de commodité :

[traduction

134. L’inconduite [de la CIBC et de ses sociétés affiliées] était si flagrante ou répugnante que tout paiement effectué à titre de règlement en découlant […] ne saurait être considéré comme ayant été engagé en vue de tirer ou de produire un revenu d’une entreprise ou d’un bien au sens de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les [sociétés affiliées de la CIBC] ont sciemment aidé et encouragé Enron à violer les lois fédérales américaines sur les valeurs mobilières et à falsifier ses états financiers. L’inconduite [des sociétés affiliées de la CIBC] qui a permis à Enron de commettre de telles fraudes au vu et au su [de la CIBC] et l’inconduite [de la CIBC] elle‑même étaient si extrêmes et les conséquences étaient si graves qu’elles ne pouvaient s’inscrire dans le cadre des activités normales d’une banque.

 

 

 

[25]                Comme nous l’avons déjà vu, la CIBC allègue par son avis d’appel que la déduction des paiements effectués à titre de règlement est conforme aux PCGR ainsi qu’aux articles 3 et 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Voici les passages pertinents de ces dispositions :

 Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

3. The income of a taxpayer for a taxation year for the purposes of this Part is the taxpayer’s income for the year determined by the following rules:

 

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année […] dont la source […] sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque […] entreprise […].

 

(a) determine the total of all amounts each of which is the taxpayer’s income for the year […] from a source […] including, without restricting the generality of the foregoing, the taxpayer’s income for the year from each […] business […].

 

[…]

 

9. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise […] pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

9. (1) Subject to this Part, a taxpayer’s income for a taxation year from a business […] is the taxpayer’s profit from that business […] for the year.

 

 

 

[26]                L’article 3 prévoit la formule de calcul du revenu du contribuable pour l’année aux fins de l’impôt sur le revenu. Aux termes de l’alinéa 3a), parmi les éléments à prendre en compte pour le calcul du revenu du contribuable, il y a le revenu qu’il tire d’une entreprise.

 

[27]                Aux termes du paragraphe 9(1), le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise pour l’année est le bénéfice qu’il en tire pour cette année. En principe, le montant qui est déductible lors du calcul du bénéfice selon les principes commerciaux reconnus (lesquels comprennent les « principes comptables généralement reconnus » ou « PCGR » acceptés par la profession comptable au Canada) est déductible lors du calcul des revenus tirés d’une entreprise aux fins de l’impôt sur le revenu (Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au paragraphe 53).

 

[28]                Toutefois, la portée de ce principe général est atténuée par les mots « sous réserve des autres dispositions de la présente partie » qui se trouvent au début du paragraphe 9(1). Ces mots visent la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui interdit notamment de nombreuses déductions. La plupart de ces interdictions se trouvent aux articles 18 et 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[29]                Le paragraphe 134 de la réponse cite l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu en tant que disposition législative permettant de refuser la déduction des paiements effectués à titre de règlement. Le ministre a tenu pour acquis que les agissements de la CIBC qui étaient à l’origine des procédures Newby et MegaClaim étaient relatés avec exactitude dans les actes de procédure des demanderesses dans ces affaires. La thèse de Sa Majesté porte que la présumée conduite de la CIBC était « flagrante ou répugnante », ce qui est une raison suffisante pour faire jouer l’alinéa 18(1)a) de manière à refuser la déduction de toute dépense engagée par la CIBC en vue de régler le procès. L’alinéa 18(1)a) a été paraphrasé ci‑dessus, mais je tiens à le reproduire ici :

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise […], les éléments suivants ne sont pas déductibles :

18. (1) In computing the income of a taxpayer from a business […] no deduction shall be made in respect of

 

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise […] ;

 

 

(a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business […];

 

 

[30]                À l’appui de sa thèse exposée au paragraphe 134 de sa réponse, Sa Majesté invoque l’opinion incidente suivante tirée du paragraphe 69 des motifs du juge Iacobucci, qui a rédigé les motifs de la majorité dans l’affaire des œufs :

Il est envisageable qu’une infraction [à la loi] puisse être à ce point flagrante ou répugnante que l’amende imposée par la suite ne puisse se justifier comme ayant été encourue en vue de tirer un revenu.

 

 

 

[31]                L’affaire des œufs était importante au moment où elle a été jugée en 1999, parce qu’elle tranchait une controverse qui découlait de deux thèses opposées sur l’application du critère légal de la production de revenu dans le cas des amendes et des pénalités. Habituellement, Sa Majesté soutenait que le fait de permettre la déduction d’une amende ou d’une pénalité à titre de dépense d’entreprise allait à l’encontre des objectifs d’ordre public visés par l’imposition de l’amende ou de la pénalité et que, pour cette raison, leur déduction devait être refusée par application de l’alinéa 18(1)a). La thèse opposée, qui était habituellement défendue par le contribuable, voulait qu’en matière de droit fiscal, c’était au législateur et non aux juges de prendre les décisions relatives à l’ordre public. Dans l’affaire des œufs, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada a retenu la thèse du contribuable et a écarté celle de Sa Majesté.

 

[32]                En 2005, le législateur s’est penché sur la question d’ordre public de la déduction des amendes et des pénalités en édictant l’article 16 de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2004, L.C. 2005, ch. 19. Cette disposition a eu pour effet de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu de sorte que fut interdite la déduction des amendes et des pénalités imposées après le 22 mars 2004. Cette interdiction se retrouve maintenant à l’article 67.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est ainsi libellé :

67.6 Aucune déduction ne peut être faite dans le calcul du revenu au titre de toute amende ou pénalité (sauf celles visées par règlement) imposée sous le régime des lois d’un pays, ou d’une de ses subdivisions politiques – notamment un État, une province ou un territoire – par toute personne ou tout organisme public qui est autorisé à imposer pareille amende ou pénalité.

 

67.6 In computing income, no deduction shall be made in respect of any amount that is a fine or penalty (other than a prescribed fine or penalty) imposed under a law of a country or of a political subdivision of a country (including a state, province or territory) by any person or public body that has authority to impose the fine or penalty.

 

 

[33]                Il ne s’agit pas du seul exemple d’une disposition législative interdisant la déduction de certains paiements pour des raisons d’ordre public. La Loi de l’impôt sur le revenu a déjà été modifiée par l’insertion du paragraphe 67.5(1), qui interdit la déduction de toute dépense engagée ou effectuée en vue d’accomplir quoi que ce soit qui constitue une infraction réprimée par l’article 3 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch. 34, ou par l’un des articles 119 à 121, 123 à 125, 393 et 426 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, ou par l’article 465 du Code criminel qui porte sur les infractions visées à l’un de ces articles.

 

[34]                Depuis l’adoption de l’article 67.6, ce n’est plus l’enseignement de l’affaire des œufs qui régit la déductibilité d’amendes et de pénalités. Cette jurisprudence demeure toutefois importante parce qu’elle indique l’interprétation et l’application qu’il convient de donner à l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et est donc susceptible de s’appliquer à la déduction des dépenses autres que les amendes et les pénalités. Par exemple, dans l’affaire McNeill c. Canada, [2000] 4 C.F. 132 (C.A.F.), il a été jugé (au paragraphe 14), que le raisonnement suivi dans l’affaire des œufs s’appliquait lorsqu’une question se pose quant à la déductibilité des dommages‑intérêts relatifs à l’inexécution d’un contrat (nous reviendrons plus loin sur l’affaire McNeill).

 

[35]                Pour bien comprendre l’affaire des œufs, il est utile de comprendre la jurisprudence qui l’a précédée. Le point de départ de mon examen de cette jurisprudence est l’arrêt Commissioners of Inland Revenue c. Alexander von Glehn & Co., Ltd., [1920] 2 K.B. 553 (C.A.). Sa Majesté a cité cette jurisprudence à de nombreuses reprises à l’appui du principe, formulé de diverses manières, suivant lequel, pour rechercher la déductibilité d’une dépense engagée en raison d’un acte illégal ou illicite du contribuable, il est utile de tenir compte de questions d’ordre public qui ne sont pas nécessairement évoquées par le libellé de l’alinéa 18(1)a) (ou par l’une des nombreuses dispositions qui l’ont précédé).

[36]                La question en litige dans l’affaire von Glehn était la déductibilité d’une pénalité imposée à un exportateur pour ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pendant la guerre pour s’assurer que ses exportations ne se retrouvent pas sur le territoire d’un pays ennemi. La pénalité a été jugée non déductible par application d’un critère énoncé dans une disposition législative qui ressemblait quelque peu à l’alinéa 18(1)a) – mais dont la portée était un peu plus étroite – au motif que la pénalité n’aurait pas pu servir un but lucratif. Toutefois, les juges ont formulé les observations incidentes suivantes :

[traduction]

Le maître des rôles, lord Sterndale : Cette entreprise pouvait fort bien poursuivre ses activités sans enfreindre la loi […] Il est peut‑être un peu difficile d’établir une distinction expresse, mais il me semble qu’une perte commerciale subie en cours de négoce diffère d’une pénalité imposée à une personne ou à une entreprise pour une infraction à la loi commise dans l’exercice de ce négoce.

 

Le lord juge Warrington : Or, on ne peut pas dire qu’en l’espèce, la dépense est faite pour servir les fins du commerce ou en vue de gagner des profits commerciaux, mais, comme je l’ai déjà dit – et la même remarque s’applique à cette Règle quant aux autres – parce que la personne qui dirige le commerce a, non pas par manque de droiture morale, mais a quand même malheureusement commis une infraction à la loi.

 

Le lord juge Scrutton : Je suis enclin à penser, quoique je ne veuille pas me prononcer de façon définitive, que les lois de l’impôt sur le revenu doivent se limiter aux affaires légales et aux affaires menées de façon légale.

 

 

 

[37]                Comme la discussion suivante le fera ressortir, l’autorité de l’arrêt von Glehn s’est trouvée affaiblie en 1927 à la suite de l’arrêt rendu par le Comité judiciaire du Conseil privé à l’occasion de l’affaire Minister of Finance c. Smith, [1927] A.C. 193, subnom. Reference re Income War Tax Act, 1917 (Can.). L’arrêt rendu en 1999 dans l’affaire des œufs a quant à lui rendu caduc la jurisprudence von Glehn.

 

[38]                L’affaire Smith était un renvoi au Comité judiciaire au sujet de la Loi de l’Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, qui a précédé la Loi de l’impôt sur le revenu. Il s’agissait de rechercher s’il était légal pour le Canada d’imposer une taxe sur les bénéfices d’une entreprise faisant le commerce d’alcool en contravention de la loi ontarienne interdisant la vente d’alcool. Le Comité judiciaire a répondu par l’affirmative. S’exprimant au nom du Comité judiciaire, lord Haldane a observé (à la page 197, non souligné dans l’original) :

[traduction]

Si l’on interprète la loi fédérale littéralement, les bénéfices en question entrent dans les prévisions des dispositions en cause, même s’ils sont illicites suivant les lois de la province […] Rien dans la Loi n’indique l’intention du législateur de restreindre la définition légale du revenu et il ne paraît pas opportun dans une affaire comme celle‑ci de tenir pour acquis qu’une norme morale ou éthique commande une interprétation littérale des termes employés. Comme le législateur fédéral avait le pouvoir de lever des impôts s’il le jugeait à propos, Leurs Seigneuries sont d’avis que le législateur fédéral a levé cet impôt sans tenir compte de la question du caractère répréhensible de ces bénéfices du point de vue provincial.

 

 

 

[39]                L’arrêt Smith décide que les bénéfices provenant d’une entreprise illicite sont imposables exactement de la même manière que les bénéfices provenant d’une entreprise licite; cet enseignement est toujours d’actualité. Pour se prononcer en ce sens, le Comité judiciaire a examiné la jurisprudence von Glehn. Sans remettre en question la solution retenue par la Cour dans cette affaire quant au critère de la production de revenu alors applicable, le Comité judiciaire a rejeté l’idée du lord juge Scrutton suivant laquelle les lois fiscales ne visaient que entreprises licites ou aux entreprises exploitées de façon licite.

 

[40]                Dans la foulée de la jurisprudence Smith, de nombreuses affaires ont porté sur la déductibilité d’une dépense engagée en raison de la conduite illégale du contribuable. Habituellement, la déduction était demandée au titre d’une amende ou d’une pénalité ou de frais juridiques engagés pour contester l’imposition d’une amende ou d’une pénalité. Les exemples les plus fréquemment cités sont résumés ci‑après.

 

[41]                Par l’arrêt Rolland Paper Co. c. Canada (Minister of National Revenue), [1960] R.C. de l’Éch. 334, le juge Fournier a conclu qu’une papetière avait le droit de déduire les frais juridiques qu’elle avait engagés dans le cadre d’un appel dont elle avait été déboutée après avoir été reconnue coupable de pratiques commerciales illégales, qui constituaient alors une infraction criminelle. Dans le cadre de son analyse, le juge Fournier a recherché si, vu le fait que l’entreprise avait été exploitée de façon illégale, cela était un facteur dont il fallait tenir compte pour appliquer le critère légal de la production de revenu que l’on trouvait dans la disposition qui a précédé l’alinéa 18(1)a). Après avoir cité les arrêts von Glehn et Smith, le juge a conclu que cette illégalité n’était pas pertinente. Voici comment il explique sa conclusion aux pages 338 à 340 :

[traduction]

Ainsi, le juge de première instance qui a reconnu l’appelante coupable estimait qu’il ne devait pas la considérer coupable de turpitude morale ou d’intention malveillante. Il y avait eu violation d’une loi et l’appelante est responsable des actes illégaux qu’elle a commis. Dans ces conditions, il devient nécessaire de rechercher si les actes illégaux commis pour tirer un revenu de l’exploitation d’une entreprise ou du commerce doivent entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu d’un contribuable. La Loi dispose clairement que le revenu du contribuable est son revenu de toutes provenances. Cette disposition est absolue et positive et il est de jurisprudence constante que l’impôt sur le revenu est un impôt sur la personne qui se mesure en fonction du revenu et que la provenance du revenu ne doit pas entrer en ligne de compte lorsqu’on calcule le revenu imposable du contribuable.

 

[…]

 

[…] Il semblerait que les dispositions en matière d’impôt sur le revenu s’appliquent aux contribuables qui exploitent une entreprise en recourant à des pratiques illégales […] à moins d’une interdiction expressément prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu. S’il en était autrement, il serait très difficile de faire tomber sous le coup de la loi fiscale les contribuables responsables de ces pratiques illicites. En l’espèce, l’appelante a été accusée puis reconnue coupable des pratiques commerciales illicites susmentionnées, mais a déclaré dans ses déclarations de revenus pour son année d’imposition les revenus qu’elle avait tirés de cette entreprise au cours de l’année en question conformément à l’alinéa 3a) de la Loi. Toutefois, en déclarant ses revenus, pour établir le montant de ses revenus imposables (par. 2(3)), elle a tenté de déduire les frais juridiques engagés et payés pour défendre ses pratiques commerciales. La seule modification effectuée par l’intimée à la déclaration de revenus de l’appelante a été son refus d’autoriser la déduction susmentionnée. Aucun doute n’a jamais été soulevé au sujet du droit de l’intimée d’imposer et de lever un impôt sur le revenu imposable de l’appelante tiré de son entreprise, que ce revenu découle ou non de pratiques illégales. Mais l’impôt devant être levé n’est pas calculé sur les revenus du contribuable, mais bien sur ses revenus moins les déductions autorisées par la Loi […]

 

 

 

[42]                Ce passage fait ressortir le problème essentiel posé par l’interdiction de déduire une dépense au seul motif qu’elle a été engagée en raison de la conduite illégale du contribuable. Interdire la déduction d’un tel montant s’il a effectivement été engagé dans un but lucratif contredirait le principe fondamental suivant lequel le profit tiré d’une entreprise correspond au revenu tiré de cette entreprise duquel on soustrait les dépenses engagées pour gagner ce revenu.

 

[43]                Toutefois, étant donné que le juge Fournier a fait observer dans la décision Rolland Paper (à la page 338) que le contribuable n’était pas [traduction] « coupable de turpitude morale ou d’intention malveillante », certaines décisions rendues à la suite de cette décision semblent enseigner qu’il pouvait exister des circonstances dans lesquelles une dépense pouvait être jugée non déductible même si la conduite du contribuable ne respectait pas une certaine norme morale, et ce, même si elle avait été engagée dans un but lucratif.

 

[44]                Dans l’affaire Canada (Minister of National Revenue) c. E.H. Pooler and Co., [1963] R.C. de l’Éch. 16, la question en litige était de savoir si une maison de courtage de valeurs avait le droit de déduire une amende imposée par le Comité des gouverneurs de la Bourse de Toronto. Un employé du cabinet avait incité d’autres maisons de courtage à ouvrir des comptes pour certaines personnes qui s’étaient livrées à des achats sur marge irréguliers. Après enquête, le Comité a conclu que les agissements de l’employé avaient porté préjudice à la Bourse. Suivant les règles de celle-ci les agissements de l’employé avaient été imputés au cabinet de courtage. Le juge Thurlow a conclu que, pour deux raisons, l’amende n’était pas une dépense qui satisfaisait au critère légal de la production de revenu prévu dans la disposition applicable qui a précédé l’alinéa 18(1)a). En premier lieu, le cabinet avait l’obligation de payer l’amende, qu’il continue ou non à exploiter une entreprise de courtage. En second lieu, la conduite de l’employé qui avait donné lieu à l’imposition de l’amende ne faisait pas partie des activités du cabinet et ne pouvait donc produire de bénéfice pour le cabinet. En ce qui concerne cette seconde raison, le juge Thurlow a observé (à la page 22) qu’il pouvait ou non exister un [traduction] « principe plus large » qui pouvait justifier le refus d’autoriser la déduction. Il n’a toutefois pas précisé davantage sa pensée.

 

[45]                L’arrêt Minister of National Revenue c. Eldridge, [1965] 1 R.C. de l’Éch. 758, est le premier  portant sur les incidences fiscales d’une entreprise illégale par lequel un tribunal n’a formulé aucune observation au sujet de la moralité de la conduite du contribuable ou de la nécessité de tenir compte de raisons d’ordre public pour justifier les règles de droit visant les entreprises. Le juge Cattanach a conclu que l’exploitant d’une entreprise illégale d’escortes avait le droit de déduire les dépenses engagées pour tirer un revenu de cette entreprise. Les seules dépenses pour lesquelles aucune déduction n’était permise étaient celles qui ne pouvaient être justifiées par des pièces justificatives (y compris les montants que la contribuable prétendait avoir payés pour obtenir la protection de la police) ainsi que les coûts du cautionnement en matière pénale pour la contribuable elle‑même. Parmi les dépenses permises, signalons les dépenses engagées pour obtenir des cautionnements en matière pénale pour les employées de la contribuable, les dépenses juridiques engagées pour défendre ses employées contre des accusations criminelles, les frais engagés pour embaucher des personnes pour protéger physiquement ses employées et le loyer payé pour les locaux utilisés par ses employées.

 

[46]                L’affaire Day & Ross Limited c. Sa Majesté la Reine, [1977] 1 C.F. 780 (C.F. 1re inst.), portait sur plusieurs questions mais, aux fins du présent appel, la seule qui nous intéresse est celle de savoir si une entreprise de camionnage avait le droit de déduire des amendes imposées pour avoir excédé les restrictions de charges fixées par les lois provinciales. Sa Majesté faisait valoir que les amendes n’étaient pas déductibles en raison du « principe plus général » signalé par la jurisprudence Pooler qui, selon Sa Majesté, correspondait au principe de la common law suivant lequel « les délinquants ne doivent pas profiter de leurs délits » (page 793). Cet argument paraphrasait vraisemblablement la maxime parfois exprimée comme suit « ex turpi causa non oritur actio », qui signifie que nul ne peut fonder un recours sur une cause immorale ou illégale. La contribuable soutenait que « la légalité ou l’illégalité des affaires auxquelles les dépenses se rattachent n’a rien à voir quant à l’interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu » (page 793).

 

[47]                Le juge Dubé n’a ni retenu ni écarté l’un ou l’autre argument de principe. Il a toutefois observé que la thèse de Sa Majesté n’était pas dénuée de tout fondement en évoquant ce qui semble être (à la page 791) un critère à deux volets concernant la déductibilité d’une amende :

Il faut d’abord déterminer si leur paiement constituait ou non pour la demanderesse une somme déboursée en vue de produire un revenu, afin de voir si elle peut se prévaloir de l’exception à l’interdiction visée à [l’alinéa 18(1)a)]. Si la réponse est affirmative, alors il faut répondre à l’argument de l’intérêt public.

 

 

 

[48]                Le juge Dubé a conclu que les amendes étaient déductibles parce qu’elles découlaient de l’exploitation quotidienne de l’entreprise de transport du contribuable et qu’elles avaient été engagées en tant que dépenses nécessaires pour cette entreprise. Il a expliqué comme suit sa conclusion à la page 794 :

La demanderesse ne contrôlant pas constamment le poids des marchandises transportées dans ses remorques (et il ressort du témoignage non contesté qu’un contrôle étroit est peu pratique, sinon impossible, dans une industrie de transports routiers aussi hautement compétitive), les infractions involontaires aux restrictions de poids semblent inévitables. La méthode comptable de la demanderesse, qui consiste à entrer les amendes payées comme dépenses et les amendes remboursées par les clients comme recettes, indique aussi que le paiement d’amendes est monnaie courante dans son entreprise. Le fait que les permis d’excédents de poids soient accordés à la demande d’un expéditeur tend également à montrer qu’il est facile de surmonter les restrictions de poids et que les infractions, de toute évidence, ne violent pas outrageusement l’intérêt public.

 

 

 

[49]                Dans l’affaire TNT Canada Inc. c. Canada, (1988), 20 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), était également en cause la déductibilité de pénalités imposées à une société de transport par camion, à cette exception près que les pénalités avaient été imposées en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, et de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.), pour avoir effectué des travaux de réparation aux États‑Unis sans avoir payé les taxes de vente et les taxes d’accise applicables et pour avoir effectué un trop grand nombre d’arrêts au Canada pour un transporteur étranger. Le juge Cullen a expliqué que la jurisprudence von Glehn faisait autorité en ce qui concerne le principe général de non-déductibilité des amendes et des pénalités, mais a ajouté qu’en raison du critère à deux volets consacré par la jurisprudence Day & Ross, il y avait une exception dans le cas des amendes et des pénalités découlant de l’exploitation quotidienne de l’entreprise d’un contribuable qui étaient considérées comme des dépenses nécessaires. Le juge Cullen a conclu que la déduction des pénalités dans l’affaire dont il était saisi ne devait pas être refusée pour des raisons d’ordre public étant donné que le nombre d’infractions était peu élevé en comparaison des 80 000 expéditions qui avaient eu lieu au cours de l’année en question. La déduction a toutefois été refusée pour une autre raison (la déduction avait été demandée en 1980, mais les pénalités avaient été imposées en 1979 et payées en 1981).

 

[50]                Dans l’affaire Amway du Canada, Ltée c. Canada (1996), 193 N.R. 381 (C.A.F.), notre Cour a suivi l’approche consacrée par les jurisprudences Day & Ross et TNT au regard de faits différents. Par l’arrêt Amway, la Cour a avait conclu que la contribuable avait falsifié la valeur de marchandises importées au Canada au cours des années 1974 à 1980 en vue d’éluder le paiement des droits de douane et de la taxe d’accise. Les marchandises avaient été sous‑évaluées d’environ 84 millions de dollars et le montant total des taxes que la contribuable avait tenté d’éluder se chiffrait à une trentaine de millions de dollars. La contribuable a fait l’objet d’une cotisation pour les taxes en question ainsi que pour des pénalités civiles. Sa Majesté a tenté de recouvrer les taxes et les pénalités civiles en introduisant des actions devant la Cour fédérale. Toutes les actions ont finalement fait l’objet d’une transaction pour un montant global de 45 millions de dollars, dont 37,1 millions représentaient le montant payé pour régler la réclamation de Sa Majesté relativement aux pénalités civiles. La question était de savoir si le paiement des 37,1 millions de dollars était déductible.

 

[51]                En principe, le paiement relatif à une transaction mettant fin à une action civile est déductible si l’action vise un montant qui aurait été déductible s’il avait été payé. Suivant ce principe, les 37,1 millions versés pour régler les pénalités réclamées sont déductibles si les pénalités elles‑mêmes étaient déductibles. Par conséquent, la controverse portait sur la déductibilité des pénalités. Le juge Strayer, qui s’exprimait au nom de la Cour, a cité et approuvé le raisonnement suivi dans les décisions von Glehn, Day & Ross et TNT et conclu qu’une pénalité est déductible à titre de dépenses d’entreprise si elle était inévitable en ce sens qu’elle constituait un risque normal et ordinaire inhérent à l’exploitation d’une entreprise. Il a conclu que ce critère n’avait pas été respecté dans le cas des pénalités en cause dans l’affaire Amway parce que celles‑ci avaient été engagées dans le cadre d’un stratagème « délibéré et cynique [visant à] tromper les autorités douanières canadiennes quant à la valeur des marchandises » (au paragraphe 31).

 

[52]                Le juge Strayer a également donné une autre raison à l’appui de sa conclusion portant que les pénalités n’étaient pas déductibles. Voici comment il s’explique au paragraphe 32 de ses motifs :

32. […] De plus, à mon avis, il est contraire à l’intérêt public de permettre la déduction d’une amende ou d’une pénalité à titre de dépense d’entreprise lorsque cette amende ou cette pénalité est infligée en vertu de la loi aux fins de punir et de dissuader les personnes qui, volontairement ou parce qu’elles n’ont pas pris des mesures raisonnables, enfreignent les lois. Dans un cas comme l’espèce, les pénalités sont fixées par la loi […] Ce serait aller à l’encontre de l’objectif pour lequel le législateur inflige des pénalités si, après avoir payé les pénalités exigibles en vertu de la loi, un contribuable pouvait ensuite partager le coût de ces pénalités – et plus son taux marginal d’impôt serait élevé, plus la fraction qu’il pourrait partager serait élevée – avec d’autres contribuables au Canada en traitant ces pénalités comme des dépenses déductibles et en réduisant ainsi son revenu imposable. Je crois qu’un tel résultat serait clairement

contraire à l’intérêt public.

 

 

 

[53]                Amway était l’arrêt de principe sur la déductibilité des amendes et des pénalités jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada rende son arrêt dans l’affaire des œufs, que j’examinerai maintenant.

 

[54]                Comme je l’ai déjà signalé, Sa Majesté se fonde en l’espèce sur l’extrait suivant du paragraphe 69 de l’affaire des œufs pour justifier la thèse juridique avancée au paragraphe 134 de sa réponse :

Il est envisageable qu’une infraction [à la loi] puisse être à ce point flagrante ou répugnante que l’amende imposée par la suite ne puisse se justifier comme ayant été encourue en vue de tirer un revenu.

 

 

 

[55]                Dans l’affaire des œufs, la contribuable exploitait une entreprise avicole. Pendant une période d’environ cinq ans, elle a délibérément produit une plus grande quantité d’œufs que ce que lui permettait son quota d’œufs, et ce, afin de conserver son principal client, qui prenait alors de l’expansion dans la région, en attendant d’être en mesure d’acheter des quotas supplémentaires à un prix qu’elle jugerait abordable. Après avoir été informé de la production excédentaire d’œufs de la contribuable, l’Office de commercialisation des œufs lui a imposé une taxe sur dépassement de quota d’environ 270 000 $. Lors de la production de ses déclarations de revenus, la contribuable a inclus dans son revenu le bénéfice tiré de sa production excédentaire et déduit la taxe sur dépassement de quota à titre de dépenses d’entreprise ainsi que certains frais connexes.

 

[56]                Le ministre a refusé la déduction de la taxe sur dépassement de quota au motif qu’il s’agissait d’une amende ou d’une pénalité qui aurait pu être évitée et qui ne respectait donc pas le critère de la production de revenu de l’alinéa 18(1)a). La Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel de la contribuable. Notre Cour a infirmé la décision de la Cour de l’impôt en se fondant sur la jurisprudence Amway. La contribuable a formé un pourvoi devant la Cour suprême du Canada, qui a conclu que la taxe sur dépassement de quota était déductible et a rétabli le jugement de la Cour de l’impôt.

 

[57]                Le juge Iacobucci a rédigé les motifs des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada. Sa conclusion principale, qui porte sur l’interprétation et l’application de l’alinéa 18(1)a), se trouve au paragraphe 39 de ses motifs (passages non soulignés dans l’original) :

[39] La question centrale dans le présent pourvoi est de savoir si une redevance imposée pour dépassement de quota peut être déduite du revenu d’entreprise du contribuable à titre de dépenses d’entreprise […] Si la dépense est faite en vue de tirer un revenu de l’entreprise, elle est déductible. Le paragraphe 9(1) de la Loi dispose que le revenu d’entreprise d’un contribuable pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il tire de cette entreprise. Il est bien établi que la notion de bénéfice visée au par. 9(1) autorise la déduction de dépenses d’entreprise, puisque le bénéfice est en soi un résultat net, et que de telles déductions sont autorisées en vertu du par. 9(1) dans la mesure où elles sont conformes aux « principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable) » ou aux « principes bien reconnus des affaires commerciales » : Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la p. 723. La déduction de ces dépenses peut néanmoins être interdite par les dispositions limitatives du par. 18(1), même si bon nombre de ces dispositions correspondent elles aussi aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires. Le présent pourvoi porte sur le libellé de l’al. 18(1)a), qui prévoit que, dans le calcul du revenu d’entreprise imposable, ne sont pas déductibles

 

les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien.

 

Dans l’arrêt Symes, précité, à la p. 736, la majorité dit :

 

. . . on n’a proposé aucun critère qui améliorerait ou modifierait sensiblement un critère reposant directement sur le libellé de l’al. 18(1)a). L’analyse nous ramène à la source, et je peux simplement me poser la question suivante : l’appelante a‑t‑elle engagé [les frais en cause] en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou de faire produire un revenu à l’entreprise?

 

Reformulée dans le contexte de la présente espèce, la question à se poser est la suivante : l’appelante a‑t‑elle encouru la taxe sur dépassement de quota en vue de tirer un revenu de son entreprise?

 

 

 

[58]                Au paragraphe 40, le juge Iacobucci répond à la question qu’il pose. Il conclut que la taxe sur dépassement de quota est déductible parce que, vu les faits constants, la décision de produire au‑delà des quotas était une décision commerciale prise dans le but de tirer un revenu, et que les coûts afférents à cette production excédentaire, y compris ceux relatifs à la taxe pour dépassement de quotas, avaient été engagés dans le cadre des activités commerciales quotidiennes de la contribuable. Le juge Bastarache, qui s’exprimait au nom de la minorité, a souscrit à l’issue de la cause. Il a toutefois proposé une distinction entre les amendes et les pénalités imposées à titre de sanction ou pour dissuader certains comportements, lesquelles n’étaient pas déductibles, et les paiements prévus par la loi qui sont essentiellement compensatoires (y compris les taxes sur dépassement de quota) qui seraient déductibles, en supposant que tous les autres critères prévus par la loi soient respectés.

 

[59]                À mon avis, l’importance de l’affaire des œufs réside dans son rejet du raisonnement qui a amené notre Cour à conclure que la taxe sur dépassement de quota n’était pas déductible. Essentiellement, dans l’affaire des œufs, la Cour a rejeté le raisonnement qui avait été suivi à l’occasion de l’affaire Amway, de sorte que la solution retenue par l’arrêt Amway ne pouvait plus être considérée comme faisant autorité, dans la mesure l’on refusait la déduction d’une pénalité au motif que celle‑ci était évitable ou que le fait de l’autoriser irait à l’encontre de l’ordre public.

 

[60]                On ne peut pas non plus soutenir, à la suite de l’affaire des œufs, que l’arrêt von Glehn et les décisions qui ont été rendues dans sa foulée nous donnent des pistes quant à l’interprétation de l’alinéa 18(1)a) (voir les paragraphes 41 à 43 de l’affaire des œufs). Cette situation tient au fait que l’arrêt rendu dans l’affaire des œufs enseigne qu’il n’est pas loisible au juge d’élargir la portée de l’interdiction énoncée à l’alinéa 18(1)a) pour donner effet à des considérations d’ordre public qui ne sont prévues par aucune loi. Le paragraphe 66 des motifs prononcés par le juge Iacobucci au nom de la majorité résume ses conclusions sur ce point. Les voici (passages non soulignés dans l’original) :

[66] Je ne puis donc retenir l’argument selon lequel la déduction d’amendes et de pénalités devrait être refusée parce qu’elle serait contraire à l’ordre public. Tout d’abord et surtout, les amendes et les pénalités peuvent, à première vue, relever du libellé large et clair de l’al. 18(1)a). S’ils intervenaient au nom de l’ordre public, les tribunaux ne feraient que créer de l’incertitude quant à savoir quels principes suivre, ou s’il y a lieu de qualifier de dissuasive une amende ou une pénalité, ou encore si l’intention de l’organisme imposant l’amende était de la rendre déductible. De plus, la déduction d’amendes et de pénalités est compatible avec les objectifs de neutralité et d’équité de la politique fiscale. Même s’il est possible de dire que la déduction des amendes et des pénalités « dilue » l’impact de la sanction, selon moi cette conséquence ne crée pas une dissonance telle que notre Cour doive ignorer le sens ordinaire de l’al. 18(1)a) lorsque ce sens ordinaire s’harmonise avec le régime et l’objet de la Loi. Lorsque le Parlement a décidé d’interdire la déduction de dépenses qui seraient par ailleurs déductibles pour des motifs d’ordre public, il l’a fait de façon explicite.

[61]                Sa Majesté ne se fonde pas sur la jurisprudence des œufs au paragraphe 134 de sa réponse pour justifier les conclusions auxquelles les juges majoritaires sont arrivés dans cette affaire ou pour expliquer les raisons pour lesquelles le juge Iacobucci a tiré la conclusion en question. Sa Majesté se fonde plutôt sur l’opinion incidente formulée par le juge Iacobucci au paragraphe 69 de ses motifs.

 

[62]                Le paragraphe 69 est la réponse du juge Iacobucci à l’argument suivant exposé au paragraphe 17 des motifs dissidents du juge Bastarache (souligné dans l’original) :

[17] Je partage l’avis de mon collègue le juge Iacobucci selon lequel il vaudrait mieux laisser au législateur le soin de prendre les décisions relatives à l’ordre public. Cependant, je ne dis pas que la déduction des amendes pénales devrait être refusée pour des motifs d’ordre public mais plutôt que leur déduction, qui n’est pas spécifiquement autorisée par la Loi, serait contraire à l’intention du Parlement exprimée dans d’autres lois, si nous décidions qu’elles relèvent de l’al. 18(1)a) de la Loi. À mon avis, les amendes pénales ne sont pas des dépenses engagées aux fins de tirer un revenu, au sens juridique de l’expression. Mes préoccupations ne relèvent pas tant d’une question d’ordre public, de moralité ou de légitimité, que d’une compréhension réaliste du concept d’accumulation de la richesse et de l’obligation de la cour de préserver l’intégrité du système juridique dans son interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme l’a expliqué le juge McLachlin dans Hall c. Hebert, [1993] 2 R.C.S. 159, à la p. 169, avant de conclure qu’un tribunal pourrait refuser l’indemnisation en matière délictuelle en raison de la conduite immorale ou illégale des demandeurs :

 

Selon moi, ce pouvoir est fondé sur le devoir qu’ont les tribunaux de préserver l’intégrité du système juridique, et il ne peut être exercé que lorsque cette préoccupation est en cause. Elle est en cause lorsque l’attribution de dommages‑intérêts dans une poursuite civile aurait pour effet de permettre à une personne de tirer profit de sa conduite illégale ou fautive, ou de faire en sorte qu’elle échappe à une sanction pénale ou qu’elle bénéficie d’une réduction de cette sanction. Le principe commun à tous ces cas est que le droit refuse de donner d’une main ce qu’il retire de l’autre.

 

 

 

[63]                Au paragraphe 69, le juge Iacobucci répond au juge Bastarache. Sa réponse se résume à ceci : si le législateur conclut que la déduction des amendes ou pénalités payées en vue de tirer un revenu va à l’encontre de l’objet des lois en vertu desquelles ces amendes ou pénalités sont imposées, il revient au législateur d’exercer son pouvoir et de résoudre lui‑même le problème clairement et directement (comme nous l’avons déjà mentionné, c’est précisément ce que le législateur a fait en 2005 en adoptant l’article 67.6, en l’occurrence, qui interdit la déduction de toutes les amendes et pénalités imposées par la loi).

 

[64]                Je reproduis ici le texte intégral du paragraphe 69 des motifs du juge Iacobucci (je souligne le passage sur lequel se fonde Sa Majesté) :

[69] Finalement, au par. 17, mon collègue fait observer que les amendes pénales ne sont pas, au sens juridique du terme, engagées en vue de tirer un revenu. Il est vrai que l’al. 18(1)a) permet expressément la déduction de dépenses engagées en vue de tirer un revenu de l’entreprise. Cependant, il est tout aussi vrai que si le contribuable ne peut démontrer que l’amende a en fait été encourue en vue de tirer un revenu, l’amende ou la pénalité ne peut alors être déduite et l’analyse s’arrête là. Il est envisageable qu’une infraction puisse être à ce point flagrante ou répugnante que l’amende imposée par la suite ne puisse se justifier comme ayant été encourue en vue de tirer un revenu. Cependant, une telle situation ne surviendrait que rarement et n’a pas besoin d’être examinée plus en détail dans le contexte du présent pourvoi, compte tenu plus particulièrement du fait que le Parlement pourrait lui‑même choisir de délimiter ce type d’amendes ou pénalités comme il l’a fait pour les amendes prévues à la Loi de l’impôt sur le revenu. Une fois de plus, le Parlement pourrait fort bien vouloir réagir promptement et de façon générale afin d’interdire clairement et directement la déduction de toutes ces amendes et pénalités s’il le désirait.

 

 

 

[65]                Sa Majesté soutient que l’observation incidente soulignée dans le passage qui précède lui permet de conclure que la déduction de la dépense engagée en raison d’une conduite « flagrante ou répugnante » peut être interdite par l’alinéa 18(1)a). À mon avis, l’argument de Sa Majesté repose sur une mauvaise interprétation de l’observation incidente en question et le juge a commis une erreur de droit en la retenant. Je ne puis retenir l’idée qu’après avoir écarté le principe que le juge peut assortir l’alinéa 18(1)a) d’un critère d’ordre public non prévu par la loi, le juge Iacobucci retiendrait dans la même affaire l’idée que le juge peut néanmoins assortir l’alinéa 18(1)a) d’une exigence non prévue par la loi suivant laquelle la conduite du contribuable ne doit pas être « flagrante ou répugnante ».

 

[66]                Si j’ai bien compris son observation incidente, le juge Iacobucci s’exprimait au sujet de la déductibilité d’une dépense particulière engagée par suite de la conduite du contribuable lorsqu’il est nécessaire de rechercher en quoi cette conduite se rattache à l’entreprise ou aux activités commerciales de ce contribuable. Le juge Iacobucci reconnaît essentiellement que certains comportements peuvent, en raison de leur caractère flagrant ou répugnant, être à ce point dissociés sur le plan factuel de l’entreprise qu’exploite effectivement le contribuable – ou de toute entreprise – pour que la dépense engagée par le contribuable en raison de ce comportement ne puisse satisfaire au critère de la production de revenu. Le juge ne disait pas, explicitement ou implicitement, qu’un acte effectivement accompli par un contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise puisse être dissocié de cette entreprise sur le plan fiscal uniquement parce que cet acte est flagrant ou répugnant. Il ne disait non plus, explicitement ou implicitement, que le caractère flagrant ou répugnant d’un acte déterminé modifie en soi la donne quand il faut rechercher si l’alinéa 18(1)a) interdit la déduction d’une dépense engagée par suite de l’acte ainsi accompli.

 

[67]                Je n’ai pas fait abstraction des quatre décisions citées par Sa Majesté à l’appui de son interprétation de l’observation incidence du juge Iacobucci. Deux de ces décisions ne sont pas instructives parce que, bien que l’observation incidente du juge Iacobucci y soit signalée, le critère de la conduite « flagrante ou répugnante » a été jugé inapplicable aux faits de l’espèce (Douthwright c. Canada, 2007 CCI 560; Ferguson‑Neudorf Glass Inc. c. Canada, 2008 CCI 684).

 

[68]                La troisième affaire est Bains c. Canada, 2003 CCI 2011, à l’occasion de laquelle le juge Rip (maintenant juge en chef) a conclu que le contribuable, M. Bains, n’avait pas droit à la déduction des dommages‑intérêts auxquels il avait été condamné pour avoir soutiré de l’argent à un tiers, M. Bhandar, par la tromperie. Il semble que M. Bhandar avait été amené à croire que ses fonds seraient investis dans un projet particulier. Le juge Rip a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve que les efforts de M. Bains en vue d’obtenir les fonds de M. Bhandar par la tromperie s’inscrivaient dans le cadre d’une entreprise qu’il exploitait alors ou d’une entreprise à caractère commercial. Le juge Rip a ajouté que, même si sa conclusion à cet égard était erronée, « les actions de M. Bains en soutirant de l’argent à M. Bhandar relèvent du genre d’infraction flagrante ou répugnante dont le juge Iacobucci dit que la sanction qu’elle entraîne ne pourrait se justifier comme ayant été encourue en vue de gagner un revenu » (paragraphe 29 des motifs). On ne sait pas avec certitude si le sens de l’obiter dictum du juge Iacobucci a été débattu devant le juge Rip. On ne saurait dire non plus avec certitude si le juge Rip a interprété les observations en question dans le sens proposé maintenant par Sa Majesté. Mais, même si tel est le sens qu’il leur a donné, je ne partage malheureusement pas son opinion.

 

[69]                La quatrième affaire citée par Sa Majesté est McNeill, précitée, qui est la seule décision par laquelle notre Cour a analysé à fond l’affaire des œufs. Comme nous l’avons déjà expliqué, par l’arrêt McNeill, la Cour a conclu que le raisonnement suivi dans l’affaire des œufs vaut non seulement pour rechercher si des amendes et des pénalités sont déductibles, mais également pour se prononcer sur la déductibilité des dommages‑intérêts. Sa Majesté se fonde toutefois sur la jurisprudence McNeill pour soutenir que la Cour a alors retenu son interprétation de l’observation incidente du juge Iacobucci dans l’affaire des œufs. Pour apprécier la thèse de Sa Majesté, il faut comprendre la jurisprudence McNeill, ce qui appelle la compréhension d’une jurisprudence antérieure portant sur la déductibilité des dommages‑intérêts, Poulin c. Canada (1996), 204 N.R. 376 (C.A.F.).

 

[70]                Il fut un temps où l’arrêt Poulin était un arrêt de principe en ce qui concerne la question de la déductibilité des dommages‑intérêts. Les faits de cette affaire présentent une certaine similitude avec ceux qui sont allégués en l’espèce sauf que, dans l’affaire Poulin, le juge avait déjà condamné le contribuable à des dommages‑intérêts, tandis qu’en l’occurence la CIBC cherche à déduire un versement effectué pour régler une réclamation avant que les allégations ne soient jugées. Toutefois, comme nous le verrons, depuis le prononcé de la jurisprudence McNeill, l’autorité de l’arrêt Poulin est douteuse.

 

[71]                Dans l’affaire Poulin, le contribuable était agent immobilier. Un client pour lequel M. Poulin avait négocié un achat avait poursuivi le vendeur et M. Poulin pour fraude et fausses déclarations. Le client en question s’était vu accorder les dommages‑intérêts, les dépens et les frais juridiques, pour un total se chiffrant à près de 400 000 $, que M. Poulin avait payés. La déduction qu’il réclamait pour ce paiement avait été refusée. La Cour de l’impôt a accueilli l’appel de M. Poulin, principalement au motif que sa responsabilité pour les dommages‑intérêts se rattachait à l’exploitation de sa firme de courtage immobilière.

 

[72]                Notre Cour a accueilli l’appel interjeté par Sa Majesté et a jugé que les dommages‑intérêts n’étaient pas déductibles. Comme les motifs ont été rendus en français en fonction du droit civil, je cite la version originale française ainsi que sa traduction officielle anglaise. La Cour a expliqué qu’il y avait lieu d’opérer une distinction entre, d’une part, les dommages‑intérêts découlant du risque normal et inévitable lié à une faute involontaire commise dans l’accomplissement d’un acte inhérent à l’exercice d’un métier ou d’une profession, lesquels sont déductibles et, d’autre part, les dommages‑intérêts payables à la suite de la perpétration d’un acte répréhensible commis volontairement (un délit) dans le but de causer un dommage, qui n’est pas nécessaire pour l’exploitation de l’entreprise, lesquels ne constituent pas une dépense déductible. Le juge Marceau, qui s’exprimait au nom de la Cour, a précisé comme suit sa pensée aux paragraphes 10 et 12 des motifs (non souligné dans l’original) :

[10] Mais s’il faut admettre que la commission d’une faute involontaire dans l’accomplissement d’un acte qu’implique l’exercice d’un métier ou d’une profession est inévitable et que, partant, l’obligation d’indemniser est un risque qui est inhérent à cet exercice, on ne peut étendre l’idée à la commission d’un délit au sens du droit civil, à la commission d’un acte répréhensible fait volontairement dans le but de causer un dommage. L’acte délictuel ne peut plus alors être considéré comme impliqué par l’exercice du métier ou de la profession. Il a été commis à l’occasion de l’exercice, mais en est complètement étranger. Il n’y a aucun moyen alors de prétendre que, dans ce cas, le paiement d’une condamnation en dommage satisfait à l’exigence de l’alinéa 18(1)a) de la Loi.

[10] However, while it must be admitted that the commission of an involuntary fault in performing an act that is necessary for carrying on a trade or profession is inevitable, and accordingly that the obligation to pay compensation is a risk inherent in that activity, we cannot extend the idea to the commission of a delict in the civil law sense, to the commission of a reprehensible act committed deliberately with the aim of causing damage. The delictual act cannot in that case be considered as being necessary for carrying on the trade or profession. It was committed while carrying on the trade or profession, but it is completely foreign to it. There is therefore no ground for arguing that, in this case, the payment of an award of damages meets the requirement in paragraph 18(1)(a) of the Act.

 

[…]

[12] Il s’agit donc, en l’espèce, d’un paiement en satisfaction d’un jugement de condamnation en raison d’un délit, d’un fait illicite intentionnel, d’un acte volontaire commis en vue de causer un dommage. Je suis d’avis, pour les motifs que j’ai tenté d’expliquer, qu’un tel paiement ne satisfait pas à la condition de l’alinéa 18(1)a) pour que l’intimé puisse le déduire de son revenu en tant que dépense rattachée à l’exercice par lui de la profession de courtier en immeuble parce qu’il ne correspond pas à un risque qu’il était tenu d’assumer pour exercer comme courtier en immeuble.

 

[12] Accordingly, what we have in this case is payment in satisfaction of a judgment awarding damages for a delict, an intentional unlawful act, a deliberate act committed with the aim of causing damage. For the reasons which I have attempted to explain, I am of the opinion that such a payment does not meet the condition in paragraph 18(1)(a) in order for the intimée to be able to deduct it from his income as an expense associated with carrying on his profession as a real estate broker, because it does not correspond to a risk that it was necessary for him to assume in order to carry on business as a real estate broker.

 

 

[73]                En 1998, avant que l’affaire des œufs ne soit jugée par la Cour suprême du Canada, la Cour de l’impôt a entendu l’affaire McNeill c. Canada (1998), [1999] 1 C.T.C. 2197, 99 D.T.C. 280. La Cour de l’impôt a suivi la jurisprudence Poulin et a refusé la déduction de dommages‑intérêts qui ont été considérés être le résultat d’une conduite « répréhensible » du contribuable. En 2000, après l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire des œufs, notre Cour a infirmé la décision de la Cour de l’impôt en raison de l’enseignement de l’affaire des œufs.

 

[74]                M. McNeill avait vendu son cabinet d’expertise comptable et avait par la suite enfreint une clause restrictive de son contrat de vente en assurant des services comptables professionnels à ses anciens clients. Les anciens clients l’avaient poursuivi et avaient obtenu des dommages‑intérêts. M. McNeill avait payé les dommages‑intérêts auxquels il avait été condamné et avait demandé une déduction, que le ministre avait rejetée, tout comme la Cour de l’impôt, mais que notre Cour avait autorisée. Le juge Rothstein, qui s’exprimait au nom de la Cour a, dans une décision rendue verbalement, écarté le principe portant que le caractère répréhensible du comportement du contribuable pouvait justifier le refus de la déduction des dommages‑intérêts si le critère de la production de revenu de l’alinéa 18(1)a) était respecté. Son analyse de la question se trouve aux paragraphes 14 à 16 de ses motifs (non souligné dans l’original) :

[14] Dans le présent appel, le débat ne porte pas sur la déductibilité d’amendes ou de pénalités, mais bien sur la déduction des dommages‑intérêts auxquels le contribuable a été condamné par suite de l’inexécution d’un contrat. Bien qu’elle n’ait pas cité la décision Poulin dans [l’affaire des œufs], la Cour suprême du Canada y a rejeté les motifs acceptés dans Poulin comme justifiant le refus de la déduction de dommages‑intérêts comme dépenses, soit l’évitabilité et l’ordre public. À notre avis, le raisonnement suivi par le juge Iacobucci dans [l’affaire des œufs] s’applique directement au jugement par lequel un tribunal accorde des dommages‑intérêts pour violation de contrat. L’avocat de l’intimée affirme que, bien qu’une amende ou une pénalité puisse être déductible parce qu’elle est payable au gouvernement, le jugement par lequel un contribuable est condamné à payer des dommages‑intérêts à une personne physique ou à une personne morale entre dans une catégorie différente. Cet argument est mal fondé. Si une amende ou une pénalité infligée à la suite de la violation d’une loi est déductible parce que rien à l’alinéa 18(1)a) ne l’empêche, il s’ensuit que les dommages‑intérêts auxquels un tribunal condamne un contribuable par suite d’une inexécution de contrat devraient également être déductibles. L’analyse effectuée par le juge Iacobucci au sujet de la neutralité et de l’équité fiscales et de la possibilité pour le législateur fédéral, s’il choisit de le faire, de refuser la déduction de certaines catégories déterminées de dépenses, s’applique de la même façon aux dommages‑intérêts accordés par un tribunal qu’aux amendes et aux pénalités.

[15] Il est concevable que, dans le cas d’une condamnation civile à des dommages‑intérêts, l’acte fautif soit à ce point flagrant ou répugnant que les dommages‑intérêts auxquels le contribuable a été condamné ne puissent se justifier comme dépenses engagées en vue de tirer un revenu. Dans ces rares cas, c’est à juste titre que leur déduction serait refusée. Bien qu’en l’espèce, le juge de la Cour de l’impôt ait qualifié les agissements de l’appelant de répréhensibles, il a également conclu qu’ils visaient à conserver ses clients et son chiffre d’affaires. Nous sommes convaincus que les dommages‑intérêts payés l’ont été en vue de tirer un revenu.

[16] En conséquence, nous estimons que la conclusion tirée par la Cour suprême du Canada dans [l’affaire des œufs] a pour effet de trancher le présent appel. Ce faisant, nous reconnaissons qu’il peut exister des motifs d’ordre public qui militent contre la déduction de dommages‑intérêts comme dépenses lorsque ces dommages‑intérêts découlent des agissements « répréhensibles » du contribuable. Quoi qu’il en soit, suivant [l’affaire des œufs], c’est au Parlement qu’il appartient de se prononcer sur ces questions d’ordre public. S’il le désire, le Parlement peut légiférer de manière à interdire la déduction des dommages‑intérêts en pareil cas.

 

 

[75]                Bien que, de toute évidence, le juge Rothstein avait à l’esprit les observations incidentes sur lesquelles Sa Majesté se fonde (puisqu’il les paraphrase), il a formulé deux observations qui ne sont pas conciliables avec l’interprétation que Sa Majesté fait de ces observations incidentes. La première est que si le critère de la production de revenu de l’alinéa 18(1)a) est respecté, une appréciation morale défavorable de la conduite (« répréhensible ») du contribuable ne suffit pas pour refuser la déduction. La seconde est que c’est au législateur et non au juge qu’il appartient de refuser la déduction d’une catégorie particulière de dépenses. À mon avis, la jurisprudence McNeill ne va pas dans le sens de la thèse de Sa Majesté en l’espèce.

 

[76]                Je conclus de l’observation du juge Iacobucci dans la dernière phrase du paragraphe 39 de l’arrêt de l’affaire des œufs, reproduit plus haut, que la seule question qui se pose pour décider si l’alinéa 18(1)a) interdit une déduction donnée est la suivante : le contribuable a‑t‑il engagé la dépense en vue de tirer un revenu? Comme il s’agit de la seule question pertinente, il s’ensuit que, même si la CIBC s’est comportée comme l’affirment les demandeurs dans les procédures Newby et MegaClaim, et même si les agissements qu’on lui reproche sont flagrants et répugnants, la qualification de la moralité de la conduite de la CIBC n’est pas juridiquement pertinente lorsqu’il s’agit d’appliquer l’alinéa 18(1)a). Par conséquent, j’aborde dans le sens de la CIBC et conclus que le paragraphe 134 de la réponse doit être radié. Il en va de même pour les hypothèses ou allégations factuelles qui se trouvent ailleurs dans la réponse qui contiennent un jugement moral au sujet de la conduite de la CIBC.

 

[77]                À l’audience, Sa Majesté a soutenu que, si l’appel de la CIBC devait être accueilli en ce qui concerne l’argument qu’elle tire de l’alinéa 18(1)a) de la Loi au paragraphe 134 de sa réponse, Sa Majesté doit néanmoins pouvoir se fonder sur le paragraphe 9(1) pour plaider que la conduite de la CIBC est scandaleuse au point d’être considérée comme débordant le cadre des activités d’une banque, de sorte que les paiements effectués à titre de transaction ne sont pas déductibles suivant les principes commerciaux reconnus ou les principes comptables généralement reconnus lors du calcul des bénéfices tirés par la CIBC de ses activités bancaires. Je n’ai pu trouver aucune jurisprudence enseignant, expressément ou implicitement, qu’il est nécessaire d’apprécier la moralité de la conduite du contribuable avant de pouvoir rechercher si les bénéfices qu’il a tirés de son entreprise ont été correctement établis pour l’application du paragraphe 9(1). L’argument de Sa Majesté ne concorde pas non plus avec l’idée bien établie suivant laquelle les principes à appliquer pour établir les bénéfices tirés par une entreprise dépendent de la légalité de celle-ci (voir, par exemple, les décisions Smith et Eldridge, précitées, ainsi que l’affaire des œufs).

 

[78]                À mon avis, on ne trouve pas au paragraphe 9(1) un critère implicite de moralité qui nous permettrait de refuser la déduction d’une dépense d’entreprise qui est déductible selon les principes commerciaux reconnus et qui satisfait par ailleurs à tous les critères précis de déductibilité légaux. Si l’on conclut, au final, en l’espèce, que la déduction des paiements effectués à titre de règlement est conforme aux principes commerciaux reconnus, que la CIBC a procédé à ces paiements en vue de tirer un revenu d’une entreprise, que ces paiements n’étaient pas des dépenses en capital, qu’ils n’étaient pas des obligations éventuelles au moment où ils ont été faits, et que leur montant était raisonnable dans les circonstances, il n’y a aucune disposition implicite au paragraphe 9(1) qui pourrait justifier le refus de déduire les paiements effectués à titre de transaction sur le fondement de l’affirmation de Sa Majesté que la conduite de la CIBC était flagrante ou répugnante.

 

[79]                Il est vrai que pour rechercher si un montant donné est déductible lors du calcul du revenu d’une entreprise aux fins de l’impôt, il peut être nécessaire de rechercher s’il existe un lien factuel suffisant entre le montant en litige et l’entreprise à l’égard de laquelle la déduction est réclamée. Une telle exigence est implicite dans le mot « bénéfice » au paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, parce que, par « bénéfice », on entend normalement la différence entre les revenus tirés d’une entreprise et les dépenses engagées pour produire ce revenu, de sorte que la détermination du « bénéfice » implique nécessairement l’application des principes commerciaux reconnus pour calculer les déductions permises. Dans l’affaire Symes (citée au paragraphe 39 de l’affaire des œufs, reproduit plus haut), la possibilité d’invoquer cet argument a été évoquée.

 

[80]                En l’espèce, il est loisible à Sa Majesté de soutenir, outre que les considérations d’ordre moral sont non pertinentes, que les opérations débordent le cadre des opérations bancaires de la CIBC et que, pour cette raison, la déduction des paiements effectués à titre de transaction lors du calcul des bénéfices tirés par la CIBC de son entreprise bancaire n’est pas acceptable suivant les principes commerciaux reconnus – bien que j’ouvre ici une parenthèse pour observer que la CIBC peut poursuivre un but lucratif même pour une opération qui déborde le cadre de ses activités bancaires. Sa Majesté a toutefois réfuté, au paragraphe 18 de sa réponse, l’allégation de la CIBC suivant laquelle sa déduction des paiements effectués à titre de règlement est conforme aux principes comptables généralement reconnus (paragraphe 23 de son avis d’appel). Il n’est pas nécessaire, dans le cadre du présent appel, de se prononcer sur la question de savoir si la réponse doit être modifiée de nouveau pour y ajouter des allégations plus précises au sujet de la portée des activités bancaires de la CIBC.

 

[81]                Par ces motifs, je conclus que l’appel interjeté par la CIBC du premier jugement (A‑4‑12) doit être accueilli.

 

Appel interjeté par Sa Majesté de la première décision (A‑5‑12)

[82]                La réponse de Sa Majesté est d’une longueur inusitée : 83 pages, auxquelles s’ajoutent deux annexes en petits caractères contenues dans 11 pages. Elle commence par un aperçu général (neuf paragraphes), se poursuit par des réponses précises à l’avis d’appel (13 paragraphes) et par un historique des procédures (cinq paragraphes). Les pages 6 à 41 forment un seul paragraphe (le paragraphe 28) et 22 alinéas et d’innombrables sous‑alinéas dans lesquels le ministre énonce ses hypothèses factuelles. D’autres faits sont allégués aux paragraphes 29 à 123. L’exposé des questions en litige, des dispositions législatives invoquées et des moyens invoqués est admirablement succinct puisqu’il se résume à cinq pages.

[83]                Un acte de procédure n’est pas nécessairement critiquable en raison de sa longueur. En l’espèce, le juge a toutefois observé à juste titre que la réponse contenait des détails inutiles et répétitifs et qu’elle reprenait de larges extraits de la preuve.

 

[84]                Après avoir analysé point par point la réponse, le juge a précisé quelles modifications devaient être apportées pour supprimer des éléments de preuve des actes de procédure (y compris les deux annexes), pour condenser les passages trop longs afin de s’en tenir aux faits pertinents et pour éliminer toute répétition inutile.

 

[85]                Le juge a estimé que bon nombre des affirmations présentées comme des hypothèses de fait au sujet des opérations et des procédures Newby et MegaClaim étaient en fait des conclusions de droit ou des conclusions mélangées de fait et de droit. Il a également conclu que bon nombre des énoncés étaient scandaleux, préjudiciables ou constituaient un recours abusif ou étaient une combinaison des trois parce qu’elles visaient à [traduction] « manipuler le juge de première instance » (paragraphe 38 des motifs). Il a ordonné à Sa Majesté de radier de sa réponse certains mots et certaines expressions tels que les mots [traduction] « fraude » et [traduction] « fausses déclarations » et toutes leurs variantes ainsi que les expressions [traduction] « but frauduleux », [traduction] « conduite frauduleuse », [traduction] « a aidé et encouragé », [traduction] « a sciemment aidé et encouragé », [traduction] « a manipulé ses résultats financiers », [traduction] « a violé les lois américaines fédérales sur les valeurs mobilières » et [traduction] « conduite criminelle ». Il a également ordonné que l’expression [traduction] « prêt déguisé » ne soit pas utilisée pour qualifier les opérations.

 

[86]                Sa Majesté soutient que le juge a commis une erreur de droit en estimant que certaines parties de sa réponse étaient scandaleuses, préjudiciables ou constituaient un recours abusif ou contenaient des conclusions mélangées de fait et de droit et en ordonnant la radiation de certaines parties de ces réponses reposant sur des motifs qui n’avaient pas été plaidés par les parties. À mon avis, le juge n’a pas commis d’erreur appelant l’intervention de notre Cour en ordonnant à Sa Majesté de radier de sa réponse les mots et expressions susmentionnés et en lui ordonnant de procéder à d’autres changements.

 

[87]                Je suis d’accord avec Sa Majesté pour dire que le fait de se contenter de lui ordonner de supprimer les mots et expressions en question ne constituait pas une réponse adaptée aux problèmes que soulevait la réponse de Sa Majesté, parce qu’on se retrouvait ainsi avec plusieurs phrases incomplètes ou incohérentes. Toutefois, après avoir examiné la réponse, je suis d’accord avec le juge pour dire que les mots et expressions en question ont été employés non pas uniquement pour exposer les faits présumés par le ministre ou ceux que Sa Majesté souhaitaient alléguer, mais pour les déformer de manière à inviter le juge chargé d’instruire l’appel à se prononcer sur la justesse de la conduite des employés de la CIBC et de ses affiliés. Autrement dit, les mots et expressions en question sont employés de diverses façons pour exprimer de façon inacceptable la réprobation, par Sa Majesté, de la conduite de la CIBC.

 

[88]                L’attaque, par Sa Majesté, de la décision du juge d’ordonner la radiation des mots et expressions en question ainsi que la plupart des autres questions soulevées dans l’appel interjeté par Sa Majesté reposent sur la prémisse erronée que, pour se prononcer sur la déductibilité des paiements effectués en vue de régler des poursuites civiles, l’on peut tenir compte du fait que la conduite de la CIBC qui est à l’origine des poursuites est flagrante ou répugnante (ou, comme Sa Majesté l’affirmerait, serait illégale suivant les lois des États‑Unis même s’il n’y a eu aucune déclaration de culpabilité). Sa Majesté soutient qu’il n’est pas nécessairement inacceptable d’alléguer dans ses actes de procédure que, par exemple, un certain acte était frauduleux, parce qu’il peut s’agir d’un énoncé d’un fait pertinent.

 

[89]                Par les motifs qui ont été exposés en détail dans le contexte de l’appel interjeté par la CIBC dans la présente affaire, je rappelle qu’il n’est pas pertinent d’apprécier la moralité de la conduite de la CIBC pour se prononcer sur la déductibilité des paiements effectués à titre de règlement. Il en va de même pour l’appréciation de la légalité de cette même conduite en droit américain. Formuler de telles allégations dans les actes de procédure en l’espèce, que ce soit dans les hypothèses ou dans le reste de la réponse entraîne inévitablement une multiplication des ressources consacrées à l’enquête préalable, le tout sans le moindre espoir de produire quoi que ce soit d’utile pour trancher les questions en litige dans le présent appel. À tout le moins, de telles allégations risquent de retarder le déroulement des appels de la CIBC en matière fiscale et je suis par ailleurs d’accord avec le juge pour dire que ces allégations sont préjudiciables et vexatoires.

 

[90]                Je comprends que Sa Majesté soutienne qu’Enron a fait des déclarations inexactes au sujet des opérations dans ses rapports financiers et que la CIBC était au courant de ces fausses déclarations au moment des faits. Je suis consciente que le ministre a pu tenir pour acquis, et que Sa Majesté souhaite alléguer, que les opérations auraient dû être déclarées aux investisseurs d’Enron comme des prêts et non comme des ventes. Mais Sa Majesté ne fait pas valoir son point de vue en qualifiant les opérations de « prêt déguisé » ou en alléguant qu’une mauvaise désignation des opérations dans les états financiers d’Enron constitue une infraction aux lois des États‑Unis ou en alléguant que la CIBC était partie à cette infraction. Ces allégations appellent une controverse stérile parce qu’elle n’est pas pertinente. La CIBC ne doit pas avoir à consacrer inutilement des ressources pour réfuter des hypothèses ou des allégations de fraude ou de conduite criminelle qui ne contribueront en rien à aider la Cour de l’impôt à se prononcer sur la déductibilité des paiements effectués à titre de transaction

 

[91]                Sa Majesté soutient également que le juge l’a obligée à supprimer un trop grand nombre de passages de son énoncé d’hypothèses, étant donné son obligation d’énoncer ses hypothèses de façon complète, précise, exacte et honnête et franche afin que le contribuable sache bien clairement ce qu’il doit prouver (Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd, [2008] 1 R.C.F. 839 (C.A.F.), au paragraphe 29; Anchor Pointe Energy Ltd. c. Canada, 2003 CAF 294, au paragraphe 23).

 

[92]                Il est bien établi que les conclusions de droit n’ont pas leur place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre (Anchor Pointe (2003), au paragraphe 25), et que lorsque la cotisation faisant l’objet de l’appel est fondée sur une conclusion mélangée de fait et de droit, le ministre doit extraire les éléments de fait présumés et les énoncer en tant qu’hypothèses de fait (Anchor Pointe (2003) au paragraphe 26). Sa Majesté n’a pas respecté ces principes à de nombreux endroits de l’énoncé de ses hypothèses, et le juge n’a pas commis d’erreur en exigeant que les hypothèses soient révisées en conséquence.

 

[93]                Voici un exemple qui illustre ce point. Le paragraphe 28.22.7 de la réponse est ainsi libellé : [traduction] « les paiements effectués à titre de règlement n’étaient pas des dépenses engagées par l’appelante en vue de tirer un revenu de l’entreprise qu’elle exploitait ». Il ne s’agit de rien de plus qu’une paraphrase de l’alinéa 18(1)a) qui ne nous apprend absolument rien. Cet énoncé aurait sa place dans la partie de la réponse dans laquelle Sa Majesté expose ses moyens de droit. Il n’a pas sa place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre. Malgré la difficulté dont Sa Majesté se plaint lorsqu’il s’agit d’établir la différence entre les faits et le droit, il me semble que le paragraphe 28.22.7 de la réponse pourrait être révisé sans difficulté pour en extirper les faits et pour les énoncer en tant qu’hypothèses de fait. Il existe potentiellement plusieurs éléments factuels – l’objet des paiements, l’entreprise exploitée par la CIBC, le rapport factuel ou l’absence de rapport factuel entre les deux – qui auraient fort bien pu faire l’objet des hypothèses de fait formulées par le ministre pour arriver à sa conclusion que le critère de la production de revenu de l’alinéa 18(1)a) n’avait pas été respecté. Si le ministre n’a formulé aucune hypothèse de fait pour arriver à cette conclusion, aucune hypothèse de fait ne peut être formulée, mais la conclusion peut néanmoins être plaidée ailleurs dans la réponse.

 

[94]                Je n’ai pas fait abstraction de la jurisprudence citée par Sa Majesté par laquelle la Cour de l’impôt a permis que des affirmations semblables à celles que l’on trouve au paragraphe 28.22.7 restent dans l’énoncé des hypothèses du ministre. Il se peut fort bien que, dans certains cas, il soit raisonnable de laisser en l’état un acte de procédure qui présente certaines lacunes si, par exemple, les faits sont relativement simples, qu’il y ait peu ou pas de controverse au sujet des principes juridiques applicables, ou s’il y a peu de risques que la partie adverse subisse un préjudice ou soit obligée de consacrer à l’affaire inutilement des ressources. Tel n’est toutefois manifestement pas le cas en l’espèce.

 

[95]                Sa Majesté soutient également que, pour rendre son ordonnance, le juge s’est fondé sur des moyens qui n’avaient pas été plaidés par la CIBC, en particulier sur des éléments de preuve considérés comme des faits. Cela est peut‑être vrai et traduit un certain manque de rigueur dans la démarche suivie par le juge pour statuer sur la requête. Il aurait peut‑être été préférable que le juge s’en tienne aux points soulevés par la CIBC dans sa requête. Toutefois, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’intervenir sur ce fondement. Pour tirer cette conclusion, j’ai tenu compte de trois facteurs. Premièrement, il est évident que la réponse comporte une somme considérable d’éléments de preuve, ce qui a contribué à sa longueur et à sa complexité inhabituelles. Deuxièmement, il ne serait d’aucune utilité de chercher à repérer les passages de la réponse qui ont été jugés déficients du seul fait qu’ils sont fondés sur des éléments de preuve dans le seul but d’obliger Sa Majesté à procéder à d’autres modifications pour le cas où la CIBC demanderait la radiation des demandes au motif qu’on y plaide des éléments de preuve. Troisièmement, l’ordonnance frappée d’appel a été prononcée dans le contexte d’une gestion de l’instance, qui est toujours en cours. Si, après le prononcé du présent jugement, la réponse présente encore un problème qui est attribuable à la façon dont le juge a traité la requête présentée par la CIBC, ce problème peut être réglé lors d’une prochaine séance de gestion de l’instance.

 

[96]                Par ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel interjeté par la Couronne du premier jugement (A‑5‑12).

 

Seconde décision de la Cour de l’impôt – Objections à la réponse modifiée proposée

[97]                Alors que les deux appels de l’ordonnance prononcée le 21 décembre 2011 par le juge étaient en instance devant notre Cour (A‑4‑12 et A‑5‑12), l’instance introduite devant la Cour de l’impôt suivait son cours. Sa Majesté a présenté une réponse modifiée le 20 février 2012 censée être conforme à l’ordonnance du 21 décembre 2011. La réponse modifiée supprimait notamment certaines hypothèses de la première réponse et les remplaçait par [traduction] « une seule série de précisions relatives aux hypothèses de fait concernant la conduite, les actes et les ententes, leur but et leur effet sans mention de leur source et sans répétition ».

 

[98]                Après avoir examiné la réponse modifiée et les arguments des parties, le juge a conclu que la réponse modifiée ne respectait pas à certains égards son ordonnance du 21 décembre 2011. Il a jugé que certaines des modifications ne faisaient que remplacer certains mots et certaines expressions dont il avait ordonné la suppression par des quasi‑synonymes qui posaient également problème et que d’autres passages n’étaient que de nouveaux énoncés mixtes de fait et de droit ou étaient des déclarations préjudiciables et injustes. Aux termes d’une ordonnance datée du 5 juillet 2012, le juge a ordonné la correction des passages qu’il estimait non conformes à son ordonnance précédente. Sa Majesté a interjeté appel de l’ordonnance du 5 juillet 2012.

 

Appel interjeté par Sa Majesté de la seconde décision (A‑331‑12)

[99]                L’appel interjeté par Sa Majesté de l’ordonnance du 5 juillet 2012 vise les modifications ordonnées par le juge au paragraphe 28 de la réponse qui, comme nous l’avons déjà mentionné, contient l’énoncé des hypothèses factuelles du ministre.

[100]            Sa Majesté attaque la partie de l’ordonnance du 5 juillet 2012 par laquelle le juge a ordonné la suppression de divers mots et expressions que l’on retrouve un peu partout à divers endroits du paragraphe 28 de la réponse ([traduction] « savait », « sachant », « a sciemment participé à », « savait ou a ignoré par insouciance », « savait qu’il ne remplirait pas les conditions », « savait qu’Enron falsifierait », « faux », « faussement », « faux et trompeurs », « fausses déclarations », « garanties secrètes de remboursement », « ne pouvait pas être divulgué, en manipulant et en faisant sciemment de fausses déclarations », « pour faciliter la perpétration de délits d’initié », « ont été délibérément écartés », « a permis la fabrication de », « conduite malhonnête »).

 

[101]            Si j’ai bien compris, le juge a essentiellement déclaré dans son ordonnance que la modification proposée souffrait de deux lacunes. En premier lieu, certaines des révisions étaient des conclusions mélangées de fait et de droit. En second lieu, certains des mots dont il avait ordonné la suppression parce qu’ils étaient préjudiciables et injustes avaient été tout simplement remplacés par des quasi‑synonymes.

 

[102]            J’ai déjà indiqué qu’on agissait irrégulièrement en intégrant dans l’exposé des hypothèses du ministre des affirmations qui constituaient en fait des déclarations mélangées de fait et de droit. Je ne reprendrai pas ici cette discussion. Je me contenterai d’observer que je ne suis pas convaincue que le juge a mal interprété les passages de la réponse modifiée qu’il a qualifiés d’énoncés mélangés de fait et de droit.

 

[103]            Je ne suis pas non plus convaincue qu’il existe une raison justifiant une intervention pour modifier l’ordonnance du juge visant la suppression des mots en question. La question est à mon avis la même que celle qui avait été soulevée dans le premier appel de Sa Majesté et la réponse est également la même. Les mots en question visaient à dénaturer les faits de manière à amener le juge qui instruirait l’affaire à évaluer la moralité ou la légalité de la conduite de la CIBC, ce qui n’est pas pertinent sur le plan légal et qui, dans le contexte de la présente affaire, constitue une perte de temps et un acte préjudiciable et vexatoire.

 

[104]            Sa Majesté soutient également que le juge a rendu cette ordonnance parce qu’il souhaitait empêcher la CIBC d’avoir à assumer la charge d’établir les hypothèses du ministre au sujet de l’élément de la « connaissance » de ce que Sa Majesté affirme être la violation par la CIBC des lois des États‑Unis. À mon avis, cet argument repose sur une mauvaise interprétation des motifs du juge. Le juge a dit que les mots et les expressions dont il a ordonné la radiation imposeraient un fardeau injuste à la CIBC si on les laissait dans la réponse. J’interprète cette observation comme une allusion à l’injustice que représenterait le fait d’obliger l’appelant dans un appel en matière d’impôt sur le revenu à devoir répondre à des hypothèses du ministre qui ne sont pas pertinentes quant aux questions à trancher. Il s’agit d’une question que j’ai également examinée dans l’appel précédent. Il n’est donc pas nécessaire que je reprenne cette discussion ici.

 

[105]            Par ces motifs, je rejetterais le second appel de Sa Majesté (A‑331‑12).

 

Conclusion

[106]            L’appel interjeté par la CIBC dans le dossier A‑4‑12 doit être accueilli avec dépens, et les appels interjetés par Sa Majesté dans les dossiers A‑5‑12 et A‑331‑12 doivent être rejetés avec dépens. La présente affaire doit être renvoyée au juge en chef adjoint Rossiter ou à un autre juge de la Cour de l’impôt pour qu’il décide des modifications qui doivent, le cas échéant, être faites à la réponse pour donner effet à la décision rendue au sujet des trois appels en question.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            John M. Evans, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑4‑12

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 21 DÉCEMBRE 2011 PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT ROSSITER (DOSSIERS : 2010‑1413(IT)G, 2010‑1414(IT)GM, 2010‑1640(IT)G et 2010‑2864(IT)G))

 

INTITULÉ :                                                  BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 21 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EVANS

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph Steiner

Al Meghji

 

POUR L’APPELANTE

 

Michael Ezri

Eric Noble

Patricia Lee

Craig Maw

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑5‑12

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 21 DÉCEMBRE 2011 PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT ROSSITER (DOSSIERS : 2010‑1413(IT)G, 2010‑1414(IT)GM, 2010‑1640(IT)G et 2010‑2864(IT)G))

 

INTITULÉ :                                                  SA MAJESTÉ LA REINE c.
BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 21 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EVANS

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Ezri

Eric Noble

Patricia Lee

Craig Maw

 

POUR L’APPELANTE

 

Joseph Steiner

Al Meghji

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑331‑12

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 21 DÉCEMBRE 2011 PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT ROSSITER (DOSSIERS : 2010‑1413(IT)G, 2010‑1414(IT)GM, 2010‑1640(IT)G et 2010‑2864(IT)G))

 

INTITULÉ :                                                  SA MAJESTÉ LA REINE c.
BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 21 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EVANS

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Ezri

Eric Noble

Patricia Lee

Craig Maw

 

POUR L’APPELANTE

 

Joseph Steiner

Al Meghji

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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