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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130523

Dossier : A‑314‑12

Référence : 2013 CAF 134

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

ENTRE :

RACHEL EXETER

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 mai 2013

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 mai 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

LA JUGE DAWSON

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130523

Dossier : A‑314‑12

Référence : 2013 CAF 134

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

ENTRE :

RACHEL EXETER

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               Il s'agit d'un appel interjeté par Rachel Exeter à l'encontre de la décision du 21 juin 2012 par laquelle le juge Scott (le juge) de la Cour fédérale a fait droit à deux requêtes présentées par le procureur général, avec [TRADUCTION] « dépens à suivre », et a rejeté la requête incidente de Mme Exeter.

 

[2]               Les requêtes se rapportent à la demande de contrôle judiciaire que Mme Exeter avait présentée à l'encontre de la décision du président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) (2012 CRTFP 24) selon laquelle la Commission n'avait pas le pouvoir de dessaisir l'arbitre saisi de son grief. Mme Exeter avait demandé ce dessaisissement en invoquant la partialité de l'arbitre. Elle soutient que, parce qu'il a pris part à la médiation visant à résoudre ses griefs, il ne peut se prononcer impartialement sur son allégation selon laquelle elle a été forcée d'accepter le règlement.

 

[3]               Dans les motifs de sa décision, le président a également déclaré (au paragraphe 15) que, même si la Commission avait le pouvoir de dessaisir l'arbitre des griefs de Mme Exeter, il était inapproprié qu'elle l'exerce. Il lui semblait plus indiqué que l'arbitre statue sur cette demande de dessaisissement. Mme Exeter est actuellement partie à une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (numéro du dossier de la Cour T‑943‑12) visant la décision de l'arbitre de ne pas se dessaisir.

 

La requête concernant l'intitulé de la cause

[4]               Dans sa première requête, le procureur général demandait que l'intitulé de la présente instance soit modifié de manière à ce qu'il soit le seul défendeur. Mme Exeter l'avait désigné en tant que tel, en ajoutant la Commission entre parenthèses. Mme Exeter faisait valoir dans sa requête incidente que le président de la Commission devrait être le seul défendeur, car c'est sa décision qu'elle cherche à faire infirmer au moyen de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Je conviens avec le juge que l'alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, prévoit expressément que le décideur visé par une demande de contrôle judiciaire ne doit pas être désigné comme défendeur. Ainsi, que le décideur dont la décision est contrôlée soit la Commission ou le président, comme le prétend Mme Exeter, le procureur général figure à juste titre comme le seul défendeur dans l'intitulé.

 

La requête de transfert

[6]               Le juge a également fait droit à la requête du procureur général pour que la demande de contrôle judiciaire de Mme Exeter soit transférée de la Cour fédérale à notre Cour en vertu de l'article 49 des Règles des Cours fédérales, puisque la décision avait été rendue par la Commission. L'alinéa 28(1)i) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, prévoit que les demandes intéressant la Commission doivent être présentées devant la Cour d'appel fédérale.

 

[7]               Je suis d'accord avec le juge. Mme Exeter a demandé à la Commission de dessaisir l'arbitre en vertu des pouvoirs que la loi lui confère; le président a examiné sa demande en tenant compte des pouvoirs de la Commission, et l'ordonnance par laquelle il a rejeté la requête de Mme Exeter est désignée comme une ordonnance de la Commission. Il ne s'agit pas d'une décision que le président a prise à titre de « gestionnaire principal ».

 

[8]               Je rejette par ailleurs l'argument de Mme Exeter selon lequel la décision du juge est erronée parce qu'elle [TRADUCTION] « infirmait » indûment celle du 7 mai 2012 par laquelle le juge Harrington de la Cour fédérale avait fait droit à sa requête en prorogation du délai prévu pour le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Après avoir considéré une partie de l'historique procédural de l'affaire, y compris son transfert de la Cour fédérale à notre Cour en vertu de l'article 49 des Règles, le juge Harrington a ordonné que la demande de Mme Exeter soit [TRADUCTION] « acceptée aux fins de dépôt » devant la Cour fédérale [TRADUCTION] « dans l'intérêt de la justice ». Cette décision du juge Harrington ne signifiait pas pour autant que la Cour fédérale était compétente à l'égard de la demande de Mme Exeter.

 

Les dépens

[9]               Madame Exeter soutient que le juge a commis une erreur en adjugeant des [TRADUCTION] « dépens à suivre » à son détriment dans les deux requêtes, puisque le procureur général n'en avait pas réclamés. L'avocat de ce dernier prétend avoir demandé les dépens de la requête relative à l'intitulé, mais pas de celle qui concernait le transfert. Il soutient toutefois que cette omission est sans conséquence puisque la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d'adjuger les dépens de son propre chef. Il s'appuie sur l'arrêt Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1989), 103 N.R. 237 (C.A.F.) (Lubrizol), dans lequel la Cour a infirmé l'adjudication des dépens relativement à une requête en injonction interlocutoire parce que l'avocat ne les avait pas réclamés, et ordonné à la place que les dépens suivent l'issue de la cause.

 

[10]           Je présume que, par l'expression [TRADUCTION] « dépens à suivre », le juge entendait que la partie qui aurait gain de cause dans la demande de contrôle judiciaire aurait droit aux dépens des requêtes. En d'autres mots, il a ordonné que les dépens suivent l'issue de la cause.

 

[11]           Comme il l'a lui‑même reconnu à l'audition du présent appel, aucune preuve au dossier n'indique à la Cour que le procureur général ait réclamé les dépens de l'une ou l'autre des requêtes présentées à la Cour fédérale. La question est donc de savoir si le procureur général a raison de prétendre qu'un juge statuant sur une requête interlocutoire peut ordonner que les dépens suivent l'issue de la cause même si on ne l'a pas réclamé.

 

[12]           En principe, une cour de justice ne peut pas adjuger les dépens s'ils n'ont pas été demandés : voir, par exemple, Balogun c. La Reine, 2005 CAF 350. Accorder des dépens dans de telles circonstances porterait atteinte au devoir d'équité, puisque la partie perdante se verrait imposer une responsabilité sans en avoir été avisée ni avoir pu répondre : voir, par exemple, Nova Scotia (Minister of Community Services) c. Elliott (Guardian ad litem of) (1995), 141 N.S.R. (2d) 346 (C.S. N.‑É.), au paragraphe 5.

 

[13]           À mon avis, ce principe ne se limite pas aux dépens définitifs, mais s'applique également à une adjudication de dépens suivant l'issue de la cause, puisque cela revient à imposer une responsabilité financière, quoique dépendante de l'issue de l'instance sous‑jacente.

 

[14]           La décision d'un juge d'accorder ou non les dépens d'une requête ne peut être modifiée ensuite par le juge appelé à statuer sur l'action ou la demande sous‑jacente : Apotex Inc. c. Merck & Co., Inc., 2006 CAF 324, au paragraphe 15, Polish National Union of Canada Inc.‑Mutual Benefit Society c. Palais Royale Ltd., 1998 CanLII 7132, 163 D.L.R. (4th) 56 (C.A. Ont.). À cette fin, l'ordonnance relative à une requête interlocutoire qui ne fait aucune mention des dépens passe pour ne pas en avoir accordés : Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1333, au paragraphe 13, Delrina Corp. (c.o.b. Carolian Systems) c. Triolet Systems Inc., 2002 CanLII 45083, 22 C.P.R. (4th) 332 (C.A. Ont.), au paragraphe 36.

 

[15]           L'avocat du procureur général cite l'extrait suivant de l'arrêt Lubrizol à l'appui de la thèse voulant qu'une cour de justice puisse ordonner que les dépens suivent l'issue de la cause, même s'ils n'ont pas été demandés :

Il est évident toutefois que le juge des requêtes a commis une erreur sur un point secondaire. Dans son ordonnance, elle a accordé les dépens de la requête aux demanderesses. Ces dépens n'avaient pas été demandés par écrit dans la requête ni verbalement à l'audience, et il n'en est pas fait mention dans les motifs prononcés par le juge des requêtes. Le fait d'accorder dans ce cas les dépens autrement que selon l'issue de la cause ne constitue pas un exercice adéquat de la discrétion du juge. [Non souligné dans l'original.]

 

[16]           Même s'il appert de ce passage que la partie visée n'avait pas demandé les dépens de la requête, il demeure qu'on ne sait pas si l'on avait demandé que les dépens suivent l'issue de la cause. En l'espèce, cependant, rien n'indique que le procureur général ait même demandé que les dépens suivent l'issue de la cause. Il m'apparaît improbable que la Cour dans l'arrêt Lubrizol se soit écartée d'un principe élémentaire d'équité en ordonnant que les dépens suivent l'issue de la cause alors qu'ils n'avaient pas été demandés. Par conséquent, je ne pense pas que Lubrizol appuie la thèse voulant qu'une cour de justice puisse ordonner que les dépens suivent l'issue de la cause lorsque ceux‑ci n'ont pas été demandés.

 

[17]           Comme la preuve au dossier n'indique en rien que le procureur général ait demandé des dépens, le juge n'aurait pas dû les adjuger en l'espèce, malgré le large pouvoir discrétionnaire dont il jouit maintenant à cet égard en vertu de l'article 400 des Règles des Cours fédérales. La responsabilité éventuelle qu'impose l'ordonnance voulant que les dépens suivent l'issue de la cause suffit à faire entrer en jeu le devoir d'équité procédurale. Par conséquent, le juge a contrevenu à ce devoir en ordonnant que les dépens suivent l'issue de la cause, étant donné que Mme Exeter, une partie qui comparaît en personne, n'avait pas été adéquatement avisée qu'elle pourrait avoir à les débourser, et qu'il ne lui a pas été permis de se défendre.

 

Conclusion

[18]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel formé par Mme Exeter à l'encontre de la décision d'accueillir les requêtes du procureur général et de rejeter sa requête incidente, mais j'annulerais l'ordonnance touchant les dépens des requêtes du procureur général.

 

[19]           Je n'accorderais pas de dépens devant la juridiction inférieure ni dans l'appel puisque le résultat est partagé et que les confusions procédurales liées aux instances ne sont pas principalement attribuables à Mme Exeter.

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

APPEL D'UNE ORDONNANCE RENDUE LE 21 JUIN 2012 PAR LE JUGE SCOTT DE LA COUR FÉDÉRALE, DOSSIER NO T‑944‑12

 

DOSSIER :                                                    A‑314‑12

 

INTITULÉ :                                                  Rachel Exeter c. Procureur général du Canada

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         Le 22 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       Le juge Evans

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   Les juges Sharlow et Dawson

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 23 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rachel Exeter

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Adrian Bieniasiewicz

 

POUR L'INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L'INTIMÉ

 

 

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