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Date : 20130528

Dossier : A-446-11

Référence : 2013 CAF 138

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

WILLIAM JAMES LOUGHEED

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 mai 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 mai 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                                                                               LE JUGE WEBB

 



Date : 20130528

Dossier : A-446-11

Référence : 2013 CAF 138

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

WILLIAM JAMES LOUGHEED

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

 [1]                       Il s’agit d’un appel du rejet de la requête de l’appelant par laquelle il sollicite diverses réparations, dont une conclusion d’outrage au tribunal de la part de l’intimée relativement à la production de documents. Monsieur Lougheed sollicite également un jugement sommaire accueillant son appel.

 

 [2]                       Monsieur Lougheed a fait l’objet d’une cotisation relativement à sa responsabilité à titre d’administrateur d’Enterprise Expansion Corporation (EEC) de payer la TPS sur le fondement du par. 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, au montant de 297 431,59 $.

 

 [3]                       Une vérification a été effectuée avant que la cotisation ne soit établie contre EEC. Dans le cadre de cette vérification, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a reçu 24 boîtes de documents liés aux activités d’EEC de la part de M. Lougheed : voir D.A., p. 187. Le 13 janvier 2006, M. Lougheed a reconnu avoir reçu 26 boîtes de documents, y compris, semble‑t‑il, les 24 boîtes initialement remises à l’ARC : voir D.A., p. 189.

 

 [4]                       À la suite de la vérification, une cotisation a été établie à l’égard d’EEC. Cette dernière a ensuite fait l’objet d’une requête de mise en faillite. Un employé de l’ARC a été nommé inspecteur dans la faillite.

 

 [5]                       Monsieur Lougheed a déposé un avis d’opposition à la cotisation établie à son égard, mais la cotisation a été ratifiée, de sorte que, le 3 juillet 2006, M. Lougheed a déposé un avis d’appel contre la cotisation.

 

 [6]                       Par suite du dépôt de l’avis d’appel de M. Lougheed, il appert que diverses discussions ont été menées au fil du temps entre les fonctionnaires de l’ARC et M. Lougheed à l’égard de la communication et de la production de documents. Certaines de ces discussions concernaient des documents qui, selon M. Lougheed, étaient inclus dans les 24 boîtes de documents qui avaient été remises à l’ARC, mais qui ne lui ont pas été retournés avec les boîtes. D’autres discussions concernaient divers documents liés à la faillite d’EEC, soit des documents qui provenaient de l’ARC (p. ex. une preuve de réclamation dans la faillite), soit des documents qui auraient été en la possession de l’ARC en sa qualité de créancier ou d’inspecteur de l’actif de la faillite d’EEC.

 

 [7]                       Il semble que ces discussions n’ont pas porté fruit puisque M. Lougheed a présenté une requête devant la Cour de l’impôt sollicitant diverses réparations. Ni la requête originale ni l’affidavit à l’appui de cette requête n’ont été soumis à la Cour. En réponse à cette requête, monsieur le juge Favreau de la Cour canadienne de l’impôt a rendu l’ordonnance suivante (l’ordonnance du juge Favreau) :

 

[traduction]

                                    ORDONNANCE

 

Vu la requête présentée par l’appelant [M. Lougheed] en vue d’obtenir :

 

 [1]             Une ordonnance enjoignant à l’intimée [Sa Majesté la Reine] et à ses représentants de lui remettre tous les documents d’Entrepreneur Expansion Corporation (EEC) et de Global ATM Management Inc. qu’elle refuse actuellement de lui communiquer, y compris les vérifications fiscales de Thomas McBrayne d’Entrepreneur Expansion Corporation pour les années 1999, 2000 et 2001;

 

Subsidiairement, une ordonnance accueillant l’appel de l’appelant, rejetant la réponse de l’intimée et/ou effaçant la vérification de Gustyn pour les raisons mentionnées dans son affidavit du 29 janvier 2010 ou comme la Cour l’estime juste;

 

 [2]             Une ordonnance imposant le fardeau de produire les documents d’EEC à l’appui du présent appel à l’intimée;

 

 [3]             Une ordonnance prolongeant (ou créant) un échéancier en l’espèce, souhaitable par l’avocat et que la Cour estime juste;

 

 [4]             Les dépens découlant de la présente requête;

 

 [5]             Toute autre réparation souhaitable par l’avocat et que la Cour estime juste.

 

Ayant entendu les parties, la Cour accueille la requête et l’intimée a 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour remettre à l’appelant les documents indiqués au paragraphe 1 de la requête.

 

Les dépens sont adjugés à l’appelant.

 

 [8]                       À la suite de l’ordonnance, l’ARC a envoyé deux cartables de documents de trois pouces d’épaisseur à M. Lougheed. L’ARC était d’avis qu’elle s’est conformée à l’ordonnance du juge Favreau. Monsieur Lougheed maintient que ce n’est pas le cas.

 

 [9]                       En juin 2011, dans le cadre de la procédure relative à la gestion de l’instance de la Cour canadienne de l’impôt, M. Lougheed a comparu devant madame la juge Woods (la juge de la Cour de l’impôt, ou simplement la juge) pour une conférence sur la gestion de l’instance. À la conclusion de cette conférence, la juge de la Cour de l’impôt a rendu une ordonnance portant que la requête en vue d’obliger le respect de l’ordonnance de M. le juge Favreau serait instruite le 15 août 2011.

 

 [10]                   Monsieur Lougheed a ensuite déposé un avis de requête, présentable le 15 août 2011, dans lequel il sollicite la réparation suivante :

[traduction]

1- Une ordonnance déclarant l’intimée coupable d’outrage au tribunal relativement à l’ordonnance du juge Favreau datée du 5 mai 2010 et une autre ordonnance accueillant l’appel de l’appelant au motif que l’intimée ne s’est pas conformée à l’ordonnance du juge Favreau du 5 mai 2010.

 

Subsidiairement

 

Une ordonnance accueillant l’appel de l’appelant au motif qu’on a conclu qu’il a agi avec diligence, habileté et prudence raisonnables en l’espèce.

 

Subsidiairement

 

Une ordonnance déclarant l’intimée coupable d’outrage au tribunal relativement à l’ordonnance du juge Favreau datée du 5 mai 2010 et une ordonnance définitive enjoignant à l’intimée (et au syndic de faillite d’EEC) de se conformer à l’ordonnance du juge Favreau datée du 5 mai 2010.

 

2. Une ordonnance prolongeant (ou créant) un échéancier en l’espèce, souhaitable par l’avocat et que la Cour estime juste.

 

 [11]                   De plus, dans sa requête, l’appelant sollicite les dépens, les intérêts avant et après jugement, les dépens spéciaux, des dommages‑intérêts spéciaux et/ou des dommages‑intérêts punitifs.

 

 [12]                   Par hasard, madame la juge Woods est la juge qui a instruit la requête de M. Lougheed le 15 août 2011.

 

 [13]                   La juge de la Cour de l’impôt a d’abord rejeté d’emblée la requête de M. Lougheed dans laquelle il demandait que son appel soit accueilli sur le fondement du présumé défaut de l’ARC de se conformer à l’ordonnance du juge Favreau ou au motif qu’il avait agi avec diligence raisonnable en sa qualité d’administrateur. La juge a conclu que l’appel ne pouvait être accueilli qu’après un procès, ce qui constitue une conclusion raisonnable puisque la question de la diligence raisonnable est une question de fait, et la juge ne disposait d’aucune preuve à cet égard. S’agissant du défaut de l’intimée de se conformer à l’ordonnance du juge Favreau, la juge a conclu, comme nous le verrons, qu’elle ne disposait d’aucune preuve crédible de non‑conformité.

 

 [14]                   Sur le fond de la requête visant à obtenir une conclusion d’outrage au tribunal, madame la juge Woods, après avoir tenté d’amener M. Lougheed à identifier plus précisément les documents qui, selon lui, lui sont toujours refusés, a conclu que la preuve à l’égard des documents supposément manquants était trop vague et n’étaierait pas même une preuve prima facie d’outrage.

 

 [15]                   En particulier, la juge de la Cour de l’impôt a accepté, sur le fondement du contre‑interrogatoire de M. Lougheed relativement à son affidavit, que l’ARC lui a renvoyé les 24 boîtes de documents qu’il avait initialement fournies à l’ARC. Elle a également accepté le témoignage de vive voix d’une employée de l’ARC, qui a déclaré que son avocat lui avait demandé de fournir à M. Lougheed tous les documents en la possession de l’ARC et qu’elle avait mandaté le personnel de l’ARC de se conformer à cette demande.

 

 [16]                   Ces conclusions sont des conclusions de fait tirées par une juge de première instance qui a examiné la preuve par affidavit et qui a entendu M. Lougheed et le témoin appelé à la barre par l’avocat de l’ARC. Suivant l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002]  2 R.C.S. 235, une telle conclusion ne peut être infirmée à moins qu’elle ne soit viciée par une erreur manifeste et dominante. Aucune erreur de cette nature n’a été démontrée en l’espèce. Je ne modifierais pas la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt à cet égard.

 

 [17]                   Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que l’ordonnance du juge Favreau ne pouvait être appliquée par procédure d’outrage parce qu’elle était trop vague.

 

 [18]                   Avant qu’une personne ne puisse être déclarée coupable d’outrage au tribunal, il faut démontrer que [traduction] « l’ordonnance qui a été violée [indique] clairement et sans équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait » : voir Prescott-Russell Services for Children and Adults c. G. (N.) (2006), 82 O.R. (3d) 686 (C.A.), au paragraphe 27. La personne qui doit se conformer à l’ordonnance doit savoir exactement ce qu’elle doit faire pour s’y conformer. En l’espèce, l’ordonnance fait référence à la restitution de documents que l’intimée refuse de communiquer. De plus, puisque l’intimée a produit deux cartables de documents en réponse à l’ordonnance du juge Favreau, il est impossible de dire en fonction de l’ordonnance quels documents n’ont pas été communiqués. Par conséquent, l’ordonnance du juge n’est pas exécutoire par procédure d’outrage.

 

 [19]                   Devant la Cour, M. Lougheed a prétendu que l’audience devant la juge de la Cour de l’impôt n’était pas équitable. Ayant lu la transcription de l’audience, je suis d’avis que la juge de la Cour de l’impôt a accordé à M. Lougheed l’occasion de se faire entendre de la façon la plus avantageuse possible. Le fait qu’il n’a pas eu gain de cause devant la juge de la Cour de l’impôt n’est pas dû à un quelconque manque d’équité de sa part.

 

 [20]                   Monsieur Lougheed a signifié un avis de question constitutionnelle conjointement avec son avis d’appel. Dans son avis de question constitutionnelle, il affirme que, tant que l’intimée refuse de produire les documents qu’elle a, selon lui, toujours en sa possession, elle enfreint ses droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11. La jurisprudence de la Cour prévoit systématiquement qu’une contestation fondée sur la Charte ne peut être soulevée pour la première fois en appel : voir Re Harkat, 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635, au paragraphe 148, Coca-Cola Ltd. c. Pardhan (faisant affaire sous la raison sociale Universal Exporters), 2003 CAF 11, aux paragraphes 31-32. Cette thèse repose sur le fait que les contestations fondées sur la Charte exigent invariablement que le dossier factuel soit complet. Lorsqu’une contestation fondée sur la Charte est soulevée pour la première fois en appel, ce dossier est absent. De plus, la Couronne a le droit, dans tout litige fondé sur la Charte, de soumettre des éléments de preuve démontrant qu’un manquement est justifié au regard de l’article premier de la Charte. Lorsque l’affaire est soulevée pour la première fois devant la Cour d’appel fédérale, la Couronne est privée de ce droit. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte des arguments de M. Lougheed fondés sur la Charte.

 

 [21]                   Il est malheureux qu’une question à laquelle il existe une solution raisonnable et pratique dans les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (DORS/90‑688a) ait nécessité autant de temps et d’énergie. Cette solution se trouve aux règles 81 et 82, qui prévoient la préparation de listes de documents intégrales ou partielles par les parties. Si M. Lougheed avait lu les Règles et présenté une requête sollicitant la production d’une liste de documents conformément à la règle 82, la question de savoir quels documents sont ou ne sont pas en la possession de l’ARC aurait été réglée. Il aurait ensuite pu solliciter la production de l’un ou l’autre des documents figurant sur cette liste dont il avait besoin pour préparer son appel.

 

 [22]                   Compte tenu de la nature des allégations de M. Lougheed, l’intimée aurait mieux fait de préparer une telle liste sans attendre que M. Lougheed ne la demande.

 

 [23]                   J’ajouterais qu’il est devenu apparent au cours de l’audience du présent appel que M. Lougheed ne comprend pas tout à fait la nature des questions auxquelles il doit répondre dans son appel. En particulier, il devrait examiner la question des conséquences de la procédure de faillite sur la cotisation avec un avocat chevronné dans le domaine fiscal. La cotisation établie à l’égard de M. Lougheed vise une somme fort importante (et qui augmente quotidiennement) et, si elle est maintenue, elle pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur lui. Comme il affirme être le président de plusieurs entreprises et ne pas manquer de ressources financières, il ferait mieux de retenir les services d’un avocat.


 [24]                   Pour les motifs exposés ci-dessus, je rejetterais l’appel. Compte tenu du défaut des deux parties de se prévaloir de la solution qui leur était offerte aux problèmes liés à la production de documents, les dépens de l’appel devraient suivre l’issue de la cause.

 

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Gauthier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Wyman W. Webb, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-446-11

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MADAME LA JUGE JUDITH WOODS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉE DU 26 AOÛT 2011, NO DE DOSSIER 2006‑2031(IT)G

 

INTITULÉ :                                                                          WILLIAM JAMES LOUGHEED c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 22 mai 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LA JUGE GAUTHIER

                                                                                                LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 28 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

William James Lougheed

L’APPELANT, POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

Bobby J. Sood et Brent E. Cuddy

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William James Lougheed

St.Catharines (Ontario)

L’APPELANT, POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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