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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130606

Dossier : A‑421‑12

Référence : 2013 CAF 150

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

ENTRE :

OZCAN ILASLAN

demandeur

et

HOSPITALITY & SERVICE TRADES UNION, section LOCALe 261, Et société du centre NATIONAL des ARTS

défendeurs

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 4 juin 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 juin 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130606

Dossier : A‑421‑12

Référence : 2013 CAF 150

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

ENTRE :

OZCAN ILASLAN

demandeur

et

HOSPITALITY & SERVICE TRADES UNION, section LOCALe 261, Et société du centre NATIONAL des ARTS

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE GAUTHIER

[1]               Monsieur Ozcan Ilaslan (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire par laquelle le président du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a rejeté sa demande d'ordonnance enjoignant à son syndicat, le Hospitality & Service Trades Union, section locale 261 (le syndicat), et à son employeur, la Société du Centre national des Arts (le CNA) (collectivement, les défendeurs), de produire des documents qui, selon lui, sont en leur possession. Cette demande d'ordonnance de production de documents a été déposée dans le contexte d'une demande de réexamen d'une décision antérieure du Conseil rejetant la plainte de M. Ilaslan selon laquelle son syndicat avait manqué à son obligation de le représenter de façon équitable. La demande d'ordonnance de production de documents a été refusée parce que le Conseil a jugé qu'elle avait été présentée trop tard.

 

[2]               Dans son avis de demande et dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur allègue que la décision devrait être annulée parce qu'on ne lui a pas donné une véritable possibilité de formuler des observations au sujet du retard à présenter sa demande. À son avis, il s'agit d'un manquement du Conseil à son obligation d'agir de façon équitable. À cet égard, il invoque l'alinéa 16f.1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2, partie I (le Code), qui accorde au Conseil le pouvoir général d'obliger toute personne à fournir des renseignements ou à produire des documents qui peuvent être liés à une question dont le Conseil est saisi. Il est expressément prévu dans cette disposition que le pouvoir de contrainte ne doit être exercé qu'après que le Conseil a donné aux parties la possibilité de présenter des arguments.

 

[3]               Comme c'est toujours le cas lorsque ce genre d'allégations est formulé, le contexte est important. Pour les motifs présentés ci‑après, on ne m'a pas convaincue que le Conseil a agi de façon inéquitable. Quoi qu'il en soit, même si on avait réussi à m'en convaincre, je ne crois pas que cette violation aurait pu avoir quelque conséquence que ce soit étant donné que les documents dont la production était demandée : i) étaient déjà en la possession du demandeur, ii) n'existaient pas, ou iii) n'étaient pas pertinents eu égard aux questions dont le Conseil était saisi.

 

L'instance devant le Conseil

[4]               Le 1er février 2011, le demandeur a déposé une plainte devant le Conseil fondée sur l'article 37 du Code. Il alléguait que le syndicat avait manqué à son obligation de le représenter équitablement en omettant de soumettre à l'arbitrage son grief relatif au licenciement dont il avait fait l'objet. Cependant, étant donné que le grief était en fait en arbitrage, le Conseil a suspendu l'instance relative à la plainte jusqu'à ce que l'arbitre rende sa sentence.

 

[5]               Le 6 mars 2012, l'arbitre a rejeté le grief relatif au licenciement parce que le demandeur s'était absenté du travail sans motif valable les 26 et 27 juin et le 1er juillet 2009. Étant donné les mesures disciplinaires qui figuraient déjà au dossier du demandeur, l'arbitre a confirmé que le licenciement constituait une pénalité appropriée. Plus précisément, l'arbitre a estimé que le demandeur n'avait pas de raison légitime de supposer qu'il avait besoin de l'autorisation de la directrice des ressources humaines du CNA, Mme Robyn Bouchard, avant de retourner au travail (dossier du demandeur, page 34). Même si l'arbitre avait accepté la preuve du demandeur selon laquelle il avait laissé de nombreux messages restés sans réponse, dans les circonstances et vu les antécédents ainsi que les comportements antérieurs du demandeur, l'arbitre a conclu qu'il était déraisonnable que le demandeur n'envoie pas un courriel, ne téléphone pas à un autre gestionnaire ou, comme il l'avait déjà fait auparavant, ne se présente pas au travail pour rencontrer un gestionnaire avec qui il aurait pu s'entretenir.

 

[6]               Par suite de cette décision, le syndicat a demandé au Conseil de rejeter la plainte du demandeur. Cependant, l'avocat du demandeur a soutenu que la plainte ne devrait pas être rejetée étant donné que le syndicat n'avait pas représenté le demandeur de façon équitable au cours du processus d'arbitrage. Le demandeur a notamment fait valoir que le syndicat n'avait pas fait des efforts suffisants pour obtenir les éléments de preuve objectifs nécessaires qui auraient permis d'étayer son témoignage et que, pour cette raison, sa crédibilité avait été anéantie (voir le paragraphe 14 et l'alinéa 21b) des observations du 12 avril 2012 de l'avocat du demandeur au Conseil, dossier du demandeur, pages 109 à 111). À cet égard, il a soutenu que les relevés téléphoniques constituaient des éléments de preuve essentiels qui auraient dû sceller l'issue de sa cause.

 

[7]               Le 1er mai 2012, le demandeur a déposé une réponse aux observations du syndicat dans laquelle il affirmait expressément que le syndicat avait en sa possession les relevés des appels téléphoniques du CNA de même que ceux de M. Peter Freitas (le directeur des banquets du CNA et le superviseur immédiat du demandeur). Au paragraphe 5.6, il affirmait :

[TRADUCTION]

 

[...] en fait, les relevés téléphoniques du CNA indiquent essentiellement l'heure et la date des appels. Mais ces relevés confirment néanmoins les occasions où j'ai essayé de joindre le CNA de mon téléphone portable.

 

[8]               Le demandeur aborde aussi en détail ses communications avec Mme Martel, l'agent de santé et de sécurité au CNA, et le contenu de la déclaration de celle‑ci déposée devant l'arbitre et le Conseil.

 

[9]               Conformément à l'article 16.1 du Code, le Conseil a tranché la plainte sans tenir d'audience, étant donné qu'il estimait que la tenue d'une audience n'était pas nécessaire. Le 17 mai 2012, le Conseil a rejeté la plainte du demandeur selon laquelle son syndicat ne l'avait pas représenté de façon équitable lors du grief qu'il a déposé relativement à son licenciement. Même si le Conseil a souligné que les nouveaux relevés téléphoniques obtenus par le demandeur ne constituaient pas une preuve concluante en ce qui concerne les deux questions au sujet desquelles ils avaient été présentés (soit pour confirmer que le demandeur avait téléphoné à Mme Bouchard et qu'il avait laissé des messages), ce n'est pas pour ce motif qu'il a rejeté la plainte.

 

[10]           Le Conseil a rejeté la plainte essentiellement parce que le syndicat avait satisfait à son obligation de représenter équitablement le demandeur lorsqu'il a négocié un règlement relatif au grief sur le licenciement; selon ce règlement, le demandeur devait reprendre son emploi et toute mention de son congédiement devait être éliminée de son dossier (dossier du demandeur, page 42). Le Conseil a fait remarquer qu'en rejetant le règlement, le demandeur avait finalement été l'artisan de son propre malheur. Le Conseil a ajouté que son rôle, dans l'évaluation d'une plainte relative à la représentation équitable d'un syndiqué, ne consistait pas à examiner à la loupe la façon dont un syndicat défend les intérêts d'un membre devant un arbitre.

 

[11]           Le Conseil était convaincu que les questions soulevées par le demandeur n'auraient probablement pas amené l'arbitre à tirer une conclusion différente (dossier du demandeur, page 43, dernier paragraphe). Il a souligné que l'arbitre n'avait pas reconnu que le demandeur devait communiquer avec Mme Bouchard avant de se présenter au travail et, comme il a été mentionné précédemment, il n'était pas non plus convaincu que le demandeur avait fait suffisamment d'efforts pour communiquer avec la direction (dossier du demandeur, page 44).

 

[12]           Le demandeur n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Le 7 juin 2012, en vertu de l'article 18 du Code, le demandeur a plutôt déposé, par l'intermédiaire de son avocat, ce qui était présenté comme une demande de réexamen de la décision du 17 mai 2012 pour le motif suivant : [TRADUCTION] « De nouveaux faits seront bientôt connus, mais cela était impossible avant le délai prévu par la loi pour présenter une demande de réexamen. Les nouvelles données établiront que le demandeur avait en fait laissé des messages à son employeur en temps opportun et qu'il n'était pas en mesure de reprendre le travail sans d'abord avoir pu communiquer avec l'employeur » (dossier du demandeur, page 157).

 

[13]           Le 9 juillet 2012, le Conseil a informé le demandeur que sa demande de réexamen était incomplète. Cependant, il lui a accordé jusqu'au 4 septembre 2012 pour présenter les éléments manquants.

 

[14]           Le 29 août 2012, le demandeur a lui‑même déposé devant le Conseil une demande de prolongation supplémentaire du délai afin de compléter sa demande ainsi qu'une demande visant l'obtention d'une ordonnance enjoignant aux défendeurs de produire les documents suivants :

a.         Le relevé des appels du téléphone portable de M. Peter Freitas au cours du mois de juin 2009.

 

b.         Le relevé des appels reçus au poste de Robyn Bouchard au cours des mois de juin et de juillet 2009.

 

c.         Le contenu détaillé des messages laissés par le demandeur au répondeur de Robyn Bouchard, qui ont été enregistrés sur CD.

 

d.         La déclaration écrite de Mme Nathalie Martel qui a été consignée par George Rontoris, avocat de l'employeur, le 8 février 2012.

 

[15]           La demande était détaillée et contenait un certain nombre d'affirmations concernant les efforts que le demandeur et son avocat avaient faits depuis janvier 2012 pour obtenir des défendeurs les relevés. Elle comprenait un courriel envoyé à l'avocat du syndicat le 20 août 2012, qui semble être la seule mesure prise pour obtenir les relevés depuis mars ou avril 2012.

 

[16]           Le 30 août, l'avocat du syndicat a fourni les réponses suivantes :

i)          Le relevé des appels du téléphone portable de M. Freitas pour la période pertinente (du 24 juin au 1er juillet 2009) avait déjà été remis à l'avocat du demandeur le 12 avril 2012 (une nouvelle copie était aussi fournie).

 

ii)         Mme Martel n'avait fait aucune autre déclaration que celle qui avait déjà été remise au Conseil.

 

iii)        Le syndicat ne possédait pas de relevé des appels entrants au CNA et Mme Bouchard ne possédait aucune note ni aucun enregistrement des messages qui auraient été laissés à son répondeur pendant la période en cause.

 

[17]           Le demandeur n'a pas déposé de réponse et, le 4 septembre, le Conseil a rendu sa décision sur la foi des observations écrites reçues (conformément à l'article 16.1 du Code) et a rejeté la demande au motif qu'elle avait été présentée trop tard. Il a quand même accordé au demandeur dix jours supplémentaires pour compléter sa demande.

 

[18]           Le 19 septembre, n'ayant reçu aucune autre communication du demandeur, le Conseil a informé les parties que le dossier était clos.

 

La demande de contrôle judiciaire

[19]           Au cours de l'audience devant la Cour, le demandeur, qui agissait pour son propre compte, a expliqué que son objectif consistait à établir qu'il n'avait pas menti lorsqu'il a dit avoir laissé plusieurs messages téléphoniques à Mme Bouchard. Il voulait aussi démontrer que, dès le 16 juin 2009, son employeur avait eu en main son certificat médical. À son avis, ces éléments permettraient de rétablir sa réputation et, s'il en avait tenu compte, l'arbitre aurait rendu une décision différente.

 

[20]           Cependant, ces faits ne sont pas ceux qui sont en cause en l'espèce. La seule question dont la Cour est saisie est de savoir si le Conseil a omis d'accorder au demandeur la possibilité de fournir des observations avant de rendre sa décision le 4 septembre 2012. Ensuite, s'il y a vraiment eu violation de l'obligation d'agir de façon équitable, la Cour doit décider si, comme l'ont soutenu les défendeurs, l'issue de la cause était de toute façon inéluctable.

 

[21]           Il ne fait aucun doute que le Conseil avait le droit de trancher la demande du 29 août sans tenir d'audience (article 16.1 du Code). De plus, compte tenu du fait que la plainte initiale avait été tranchée sans audience, le demandeur ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce qu'une audience soit tenue pour trancher cette question interlocutoire.

 

[22]           En vertu de l'alinéa 16f.1) du Code, le Conseil ne peut rendre une ordonnance enjoignant à une personne de produire des documents ou de fournir des renseignements sans avoir donné aux parties la possibilité de présenter des arguments à cet égard. Étant donné qu'aucune ordonnance de production de documents n'a été rendue, l'alinéa 16f.1) n'est pas entré en jeu. Même s'il s'était appliqué, la tenue d'une audience n'aurait quand même pas été obligatoire. Quoi qu'il en soit, M. Ilaslan, en tant que partie touchée, a eu la possibilité de présenter des arguments écrits. Rien d'autre n'était exigé.

 

[23]           Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur a formulé des observations détaillées dans sa demande. Étant donné qu'il connaissait l'existence de tous les documents demandés en août 2012 bien avant l'instance qui a débouché sur la décision du 17 mai 2012, la question du retard à présenter sa demande se posait.

 

[24]           À l'audience, le demandeur a confirmé qu'il n'avait rien d'autre à ajouter relativement aux efforts qu'il avait faits en vue d'obtenir ces documents après le dépôt de sa demande de réexamen incomplète. Il n'a pu expliquer ce qu'il aurait pu ajouter d'autre en ce qui concerne le retard à présenter sa demande. En fait, sauf pour invoquer ce manquement à l'équité procédurale, le demandeur ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision du Conseil selon laquelle sa demande avait été présentée trop tard.

 

[25]           Dans ces circonstances, je ne peux tout simplement pas conclure que le Conseil a agi de façon inéquitable avant de rendre sa décision du 4 septembre 2012.

 

[26]           Quoi qu'il en soit, j'estime évident que la demande de production de documents du demandeur était vouée à l'échec. Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur avait déjà en sa possession les relevés des appels de M. Freitas pour la période du 24 juin au 1er juillet 2009. Il a déclaré que les relevés du CNA contenaient à peu près uniquement l'heure et le jour des appels téléphoniques. Il a aussi reconnu qu'aucun élément de preuve n'établissait que Mme Bouchard ou les défendeurs possédaient des notes ou des enregistrements de messages qu'il aurait laissés au répondeur de celle‑ci avant la date de son licenciement. Enfin, il a reconnu que le Conseil avait déjà en main la seule déclaration faite par Mme Martel.

 

[27]           Compte tenu du fondement de la décision rendue par le Conseil le 17 mai 2013, les faits survenus le 16 juin 2009 ayant trait au certificat médical ou après le licenciement ne sont pas pertinents.

 

[28]           Dans les circonstances, même en supposant l'existence d'une violation technique de l'équité procédurale, l'issue de l'affaire était inéluctable et la Cour devrait rejeter la demande (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228). Je propose donc que la demande soit rejetée avec dépens.

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

            Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            J. D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR d'appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    A‑421‑12

 

INTITULÉ :                                                  Ozcan Ilaslan c. Hospitality & Service Trades Union, section locale 261, et Société du Centre national des Arts

 

Lieu de l'audience :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE de l'audience :                         Le 4 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       La juge Gauthier

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   Le juge Noël et le juge Pelletier

 

DATE des motifs :                                 Le 6 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ozcan Ilaslan

 

Pour son propre compte

 

Danielle Leon Foun Lin

 

Pour le défendeur

Hospitality & Service Trades Union

 

George Rontiris

 

Pour la défenderesse

Société du Centre national des Arts

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ozcan Ilaslan

 

Pour son propre compte

 

Nelligan O'Brien Payne s.r.l.

 

Pour le défendeur

Hospitality & Service Trades Union

 

Emond Harnden s.r.l.

 

Pour la défenderesse

Société du Centre national des Arts

 

 

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