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Date : 20130704

Dossier : A-437-12

Référence : 2013 CAF 175

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SUZANNE LAFRENIÈRE

défenderesse

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 30 mai 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 



Date : 20130704

Dossier : A-437-12

Référence : 2013 CAF 175

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SUZANNE LAFRENIÈRE

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

 

Contexte et décisions antérieures

 

[1]               Le Procureur général du Canada, au nom de la Commission de l’assurance-emploi (la Commission), a intenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision d’un juge-arbitre (CUB 79630) lequel maintenait la décision d’un conseil arbitral ayant pour effet d’accorder des prestations d’assurance-chômage à la défenderesse.

[2]               La Commission soutient que la défenderesse est enseignante dans une école secondaire et qu’à ce titre elle est exclue du bénéfice des prestations pendant sa période de congé estival, soit du 4 juillet au 23 août 2011. La Commission fonde sa décision sur l’article 33 du Règlement sur l’assurance-emploi (DORS/96-332) (Règlement), lequel limite l’admissibilité aux prestations de certaines catégories de travailleurs, dont certains enseignants qui sont en arrêt de travail à cause de périodes de congé qui surviennent annuellement, incluant la période de congé estival. La Commission s’appuie plus particulièrement sur la définition du mot « enseignement » [“teaching”] retrouvée au Règlement.

 

[3]               Au contraire, le conseil arbitral et le juge-arbitre ont été d’avis que la Commission avait eu tort de conclure que la défenderesse était une enseignante au sens de l’article 33 du Règlement. Ils ont préféré la version de celle-ci selon laquelle elle offrait des services de « formation aux adultes afin de les aider dans leurs insertions sociales et professionnelles » et que ces tâches ne faisaient pas d’elle une enseignante au sens du Règlement précité.

 

Législation pertinente

 

[4]               L’article 33 du Règlement se lit, en partie, comme suit :

 

Modalités supplémentaires pour les enseignants

 

*                               33. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« enseignement »

« enseignement » La profession d’enseignant dans une école maternelle, primaire, intermédiaire ou secondaire, y compris une école de formation technique ou professionnelle. (teaching)

« période de congé »

« période de congé » La période qui survient annuellement, à des intervalles réguliers ou irréguliers, durant laquelle aucun travail n’est exécuté par un nombre important de personnes exerçant un emploi dans l’enseignement. (non-teaching period)

 

*                               (2) Le prestataire qui exerçait un emploi dans l’enseignement pendant une partie de sa période de référence n’est pas admissible au bénéfice des prestations — sauf celles prévues aux articles 22, 23 ou 23.1 de la Loi — pour les semaines de chômage comprises dans toute période de congé de celui-ci, sauf si, selon le cas :

*                                

*                      a) son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin;

 

 

*                      b) son emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance;

*                       

*                      c) il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l’égard d’un emploi dans une profession autre que l’enseignement.

 

 

[Mon soulignement.]

Additional Conditions and Terms in Relation to Teachers

 

*                               33. (1) The definitions in this subsection apply in this section.

 

“non-teaching period”

“non-teaching period” means the period that occurs annually at regular or irregular intervals during which no work is performed by a significant number of people employed in teaching. (période de congé)

“teaching”

teaching” means the occupation of teaching in a pre-elementary, an elementary or a secondary school, including a technical or vocational school. (enseignement)

 

 

*                               (2) A claimant who was employed in teaching for any part of the claimant's qualifying period is not entitled to receive benefits, other than those payable under section 22, 23 or 23.1 of the Act, for any week of unemployment that falls in any non-teaching period of the claimant unless

 

*                      (a) the claimant's contract of employment for teaching has terminated;

*                       

*                      (b) the claimant's employment in teaching was on a casual or substitute basis; or

*                       

*                      (c) the claimant qualifies to receive benefits in respect of employment in an occupation other than teaching.

 

[…]

 

[My emphasis.]

 

 

 

 

Question en litige

 

[5]               La question en litige est donc celle de savoir si l’article 33 du Règlement est applicable en l’instance : « pendant sa période de référence, la défenderesse exerçait-elle un emploi dans l’enseignement dans une école maternelle, primaire, intermédiaire ou secondaire, y compris une école de formation technique ou professionnelle »?

 

Analyse

 

[6]               À mon avis, une analyse des faits de l’espèce à la lumière des textes législatifs pertinents commande que l’on réponde à cette question par la négative. Peu importe la norme de contrôle sous laquelle on l’examine, la décision de la Commission selon laquelle la défenderesse est exclue du bénéfice des prestations parce que visée par l’article 33 du Règlement est erronée et ne saurait être maintenue.

 

[7]               Ma conclusion a pour effet que la défenderesse a droit au bénéfice des prestations, comme ce fut le cas, d’ailleurs, pour les 23 dernières années. Bien que ce résultat soit le même que celui auquel ont mené les décisions du conseil arbitral et du juge-arbitre, là s’arrête la comparaison puisque mon raisonnement emprunte un tout autre chemin.

 

[8]               En effet, le conseil arbitral et le juge-arbitre se sont arrêtés à la question de savoir si la défenderesse était une enseignante ignorant par le fait même le reste de la définition du mot « enseignement ». À leur décharge, il faut dire que les parties avaient jeté l’emphase sur cette question sans considérer qu’aux fins du Règlement, l’enseignant exerce son emploi « dans une école maternelle, primaire, intermédiaire ou secondaire, y compris une école de formation technique ou professionnelle ». Le conseil arbitral et le juge-arbitre ont donc eu tort de ne pas se demander si la défenderesse exerçait un emploi dans l’enseignement dans l’une des institutions mentionnées dans le Règlement. Cette erreur n’affecte par ailleurs pas le résultat.

 

[9]               Pour ma part, contrairement à ce qu’ils ont décidé, je conclus que la défenderesse était une enseignante pendant sa période de référence. Cependant, je suis d’avis qu’elle n’était pas une enseignante au sens de l’article 33 du Règlement puisqu’elle n’enseignait pas dans l’une des institutions scolaires mentionnées à l’article 33 du Règlement. Elle n’y était donc pas assujettie.

 

1.         La défenderesse est une enseignante

 

[10]           C’était donc pour se soustraire des effets de l’article 33 du Règlement que la défenderesse a plaidé qu’elle n’était pas une enseignante. Si la défenderesse avait plaidé cet argument en prenant appui sur la définition complète du mot « enseignement », j’aurais été d’accord. Mais il apparaît clairement du dossier que celle-ci, de même que le conseil arbitral et le juge-arbitre se sont limités à définir la profession de la défenderesse sans considérer le libellé complet de la définition retrouvée au paragraphe 33(1) du Règlement. En effet, le conseil arbitral a conclu que la défenderesse « ne détient pas de diplôme dans l’enseignement et ne possède aucune certification dans le domaine de l’enseignement académique. Elle n’a pas reçu la formation requise et elle ne possède pas les qualités nécessaires lui permettant de prétendre qu’elle est enseignante » (décision du conseil arbitral, dossier du demandeur, page 71). La conclusion du conseil arbitral et du juge-arbitre fondée sur ces considérations est erronée. 

 

[11]           Au-delà des conditions requises pour exercer un emploi dans l’enseignement au sens de l’article 33 du Règlement, je ne vois pas comment on peut soutenir que la défenderesse n’est pas une enseignante.

 

[12]           Pendant sa période de référence, la défenderesse était à l’emploi de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, la deuxième plus importante commission scolaire au Québec. À son relevé de fin d’emploi, l’employeur la décrit comme enseignante (dossier du demandeur, page 40). Elle-même réfère au Régime pédagogique de la formation générale des adultes, R.R.Q. c. I-13.3, r.9 [RPFGA], adopté en vertu de l’article 448 de la Loi sur l’instruction publique, L.R.Q. c. I-13.3 [LIP], pour décrire la nature des services qu’elle dispense dans le cadre de son travail.

 

[13]           Le RPFGA traite de la nature et de l’objectif des services éducatifs offerts aux adultes qui comprennent des services de formation, des services d’éducation populaire et des services complémentaires. Les services de formation comprennent des services d’enseignement et des services d’aide à la demande de formation. L’article 3 du RPFGA prévoit que les services d’enseignement comprennent, entre autres, les premier et second cycles du secondaire, de même que l’intégration sociale et socioprofessionnelle. Ces services d’intégration sont spécifiquement définis au RPFGA aux articles 9 et 10. Ces définitions correspondent aux services d’enseignement décrits par la défenderesse et retenus par le conseil arbitral pour expliquer la nature du travail de celle-là.

[14]           Les articles 9 et 10 se lisent comme suit :

 

9.  L'intégration sociale a pour but de permettre à l'adulte qui éprouve des difficultés d'adaptation sur les plans psychique, intellectuel, social ou physique l'accès à un cheminement personnel favorisant l'acquisition de compétences de base dans l'exercice de ses activités et rôles sociaux et, le cas échéant, la poursuite d'études subséquentes.

 

10.  L'intégration socioprofessionnelle a pour but de permettre à l'adulte d'acquérir les compétences requises pour faciliter son accès au marché du travail et s'y maintenir, ou, le cas échéant, de poursuivre ses études.

 

 

[15]           Le conseil arbitral a déterminé que la défenderesse « aide un groupe d’adultes en offrant des services de formation [visant] à faciliter l’insertion sociale et professionnelle afin que le groupe d’adultes puisse acquérir une formation » (décision du conseil arbitral, dossier du demandeur, pages 68, 70 et 71). Il ne faut que donner aux mots leur sens ordinaire pour conclure, à la lumière du RPFGA, que la défenderesse offre des services d’enseignement et qu’elle transmet aux adultes inscrits au programme de formation le contenu d’un programme pédagogique faisant d’elle une enseignante (voir Syndicat des enseignantes et enseignants de la banlieue de Québec c. Commission scolaire des Chutes de la Chaudière, [1998] J.Q. no 3056 (CA)).

 

[16]           Le fait que la défenderesse ne soit pas titulaire d’une autorisation d’enseigner au sens de l’article 23 de la LIP, ou membre d’un syndicat d’enseignants, pas plus que l’absence de remise d’un diplôme ou d’évaluation formelle des adultes inscrits au programme de formation ne sont des considérations pertinentes à la détermination de la profession de la défenderesse.

 

[17]           Je note tout d’abord que l’article 23 de la LIP, dans sa portion pertinente, édicte que :

 

23. Pour dispenser le service de l'éducation préscolaire ou pour enseigner au primaire ou au secondaire, une personne doit être titulaire d'une autorisation d'enseigner déterminée par règlement du ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport et délivrée par ce dernier.

 

Est dispensé de cette obligation:

 

 

 

 1° l'enseignant à la leçon ou à taux horaire;

 

 

[Mon soulignement.]

23. To provide preschool education services or to teach at the elementary or secondary level, a teacher must hold a teaching licence determined by regulation of the Minister of Education, Recreation and Sports. Teaching licences shall be issued by the Minister of Education, Recreation and Sports.

 

The following persons shall be exempt from the obligation set out in the first paragraph:

 

 (1) a teacher hired by the lesson or by the hour;

 

[…]

 

[My emphasis.]

 

 

[18]           Cette dispense s’applique à la défenderesse puisqu’elle est rémunérée selon un tarif horaire (dossier du demandeur, page 42).

 

[19]           De plus, le RPFGA prévoit différentes façons de sanctionner les études selon les services d’enseignement qui sont dispensés. À l’article 30, on prévoit la remise de diplômes aux finissants d’études secondaires ou professionnelles. À l’article 32, on prévoit, sous certaines conditions, la remise d’un certificat de formation en insertion socioprofessionnelle des adultes. De manière générale, on prévoit aussi, à l’article 26, la remise aux étudiants d’un relevé d’apprentissage. Pour certains services d’enseignement, aucune sanction particulière des études n’est prévue.

 

[20]           Je ne retiens donc pas les arguments de la défenderesse et je conclus qu’elle est une enseignante au sens de la LIP et du RPFGA mais cette seule conclusion ne résout pas le litige. La Commission prétend que la défenderesse est assujettie à l’article 33 du Règlement. Mais, pour ce faire l’enseignant doit exercer son emploi dans l’une des institutions scolaires y mentionnées.

 

2.         La défenderesse n’enseigne pas dans une école secondaire

 

[21]           Personne n’a remis en question le fait que la défenderesse, pendant sa période de référence, enseignait dans un centre d’éducation aux adultes établi par la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (édifice Filion) (dossier du demandeur, page 42). À l’édifice Filion, la Commission scolaire offre aux adultes une formation à l’intégration sociale. Les centres de formation aux adultes sont absents du libellé du paragraphe 33(1)  du Règlement au contraire des écoles de formation technique ou professionnelle qui sont assimilées, par inclusion, à une école secondaire.

 

[22]           Accepter que l’édifice Filion soit une école secondaire parce qu’on y dispense, entre autres, de la formation de niveau secondaire requiert d’ajouter à la définition ci-dessus reproduite. Suivant l’argument du demandeur, un collège d’enseignement général et professionnel serait aussi, à l’occasion, une école secondaire puisqu’en vertu du Règlement sur le régime des études collégiales, R.R.Q. c. C-29, r.4, la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport peut rendre obligatoires des activités de mise à niveau lorsque le titulaire d’un diplôme d’études secondaires n’a pas accumulé le nombre de crédits requis dans certaines matières de 4º et 5º secondaire. Avec respect, l’argument de la Commission ne tient pas la route.

 

[23]           Il y a d’autres raisons pour lesquelles, selon moi, un centre de formation aux adultes n’est pas une école secondaire.

 

[24]           Premièrement, il y a des différences fondamentales importantes entre les deux autant au niveau de la clientèle visée qu’au niveau du calendrier scolaire. En effet, en vertu de la LIP qui régit au Québec les services d’enseignement primaire et secondaire, l’école secondaire, de manière générale, est accessible aux personnes de 18 ans et moins (21 ans dans le cas d’une personne handicapée), lesquelles, jusqu’à 16 ans, sont assujetties à l’obligation de fréquentation scolaire (voir les articles 1 et 2 de la LIP). Les mois de juillet et août constituent une période de congé.

 

[25]           Par comparaison, l’éducation aux adultes s’adresse aux personnes de 16 ans et plus.  Celles-ci ne sont pas assujetties à l’obligation de fréquentation scolaire (article 14 de la LIP). Le calendrier scolaire est différent et n’inclut pas nécessairement une période d’arrêt pendant l’été. De plus, les samedis et dimanches ne figurent pas à la liste des jours de congé pour l’adulte (article 23 du RPFGA).

 

[26]           Ces règles sont similaires dans les autres provinces. L’enseignement relève généralement de la compétence des provinces et les mots « école secondaire » se retrouvent dans plusieurs lois provinciales qui n’ont pu échapper à l’attention de la Commission lorsqu’elle a pris le Règlement qui nous occupe. Il n’est donc pas inapproprié de s’y référer pour dégager le sens de ces mots (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, LexisNexis Canada, 2008 à la p. 419). La consultation de certaines de ces lois portant sur l’enseignement, incluant celle du Québec déjà mentionnée, confirme ma conclusion selon laquelle une école secondaire et un centre de formation aux adultes sont différents l’un de l’autre.

 

[27]           Le calendrier scolaire des étudiants qui sont inscrits dans une école primaire ou secondaire compte environ 200 jours de fréquentation scolaire. Au Québec, le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, R.R.Q., c. I-13-3, r.8) prévoit que l’année scolaire est composée d’une période d’enseignement courant de septembre à juin (interrompue par le congé des fêtes, la semaine de relâche d’hiver et près de 20 journées pédagogiques) et d’une période principale de congé pendant les mois de juillet et août.

 

[28]           Il en est de même, par exemple, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, en Ontario et en Nouvelle-Écosse (voir School Calendar Regulations, B.C. Reg. 114/2002; Loi de 1995 sur l’éducation, L.S. 1995, c. E-0.2, para. 163(6); Calendrier scolaire, journées pédagogiques, R.R.O. 1990, Règl. 304; Education Act, S.N.S. 1995-96, c. 1., s. 2.).

 

[29]           Cela n’est pas nécessairement le cas pour les centres de formation aux adultes (voir par exemple le RPFGA et, pour le Manitoba, la Loi sur les centres d’apprentissage pour adultes, C.P.L.M. c. A5) où les horaires sont flexibles et fixés en tenant compte de la clientèle particulière à qui cette formation s’adresse. Les faits de l’espèce démontrent que la défenderesse jouit d’un horaire semblable à celui de ses collègues qui enseignent à l’école secondaire, mais cela n’est pas le résultat d’une règle imposée par voie législative. Son cas particulier ne change en rien les caractéristiques fondamentales qui distinguent le centre de formation aux adultes de l’école secondaire.

[30]           De même, les diverses dispositions législatives adoptées par les provinces et portant sur l’enseignement dispensé dans les écoles secondaires sont généralement plus complexes, plus rigides et plus élaborées que celles s’intéressant à la formation offerte aux adultes. Cela ne surprend pas tenant compte que les études secondaires mènent, pour la majorité des étudiants, à des études postsecondaires puis universitaires requérant un profil académique bien défini.

 

[31]           Deuxièmement, au paragraphe 33(1) du Règlement, il est prévu qu’une école secondaire inclut « une école de formation technique ou professionnelle (technical or vocational school) ». Aucune mention n’est faite d’un centre de formation aux adultes. Si la Commission avait souhaité, en prenant ce Règlement, donner aux mots « école secondaire » une signification allant au-delà de leur sens commun, il me semble qu’elle l’aurait fait explicitement, comme ce fut le cas lorsqu’elle a choisi d’y inclure les écoles « de formation technique ou professionnelle ». Au RPFGA, la notion d’éducation aux adultes n’est pas confondue avec la formation technique ou professionnelle.  D’ailleurs, un régime particulier régit la formation professionnelle (voir Régime pédagogique de la formation professionnelle, R.R.Q., c. I-13.3, r.10).

 

[32]           Ces différences, et plus particulièrement celle concernant l’horaire des activités d’enseignement sont importantes lorsque vient le temps d’examiner le contexte général du Règlement et le mal auquel il devait remédier.

 

[33]           Le régime d’assurance-chômage est un programme public d’assurance fondé sur la notion de risque social visant à préserver la sécurité économique des travailleurs et leur rattachement au marché du travail par le versement d’indemnités temporaire de remplacement du revenu en cas de fin d’emploi (voir Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, 2005 CSC 56, [2005] 2 R.C.S. 669, paragraphe 48).

 

[34]           C’est en vertu de l’alinéa 54(j) de la Loi que le Règlement en cause a été adopté. Cet alinéa stipule que

 

[l]a Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements :

 

 

*       j) interdisant le paiement de prestations, en tout ou en partie, et restreignant le montant des prestations payables pour les personnes, les groupes ou les catégories de personnes qui travaillent ou ont travaillé pendant une fraction quelconque d’une année dans le cadre d’une industrie ou d’une occupation dans laquelle, de l’avis de la Commission, il y a une période qui survient annuellement à des intervalles réguliers ou irréguliers durant laquelle aucun travail n’est exécuté, par un nombre important de personnes, à l’égard d’une semaine quelconque ou de toutes les semaines comprises dans cette période

 

[Mon soulignement.]

[t]he Commission may, with the approval of the Governor in Council, make regulations

 

[…]

 

*       (j) prohibiting the payment of benefits, in whole or in part, and restricting the amount of benefits payable, in relation to persons or to groups or classes of persons who work or have worked for any part of a year in an industry or occupation in which, in the opinion of the Commission, there is a period that occurs annually, at regular or irregular intervals, during which no work is performed by a significant number of persons engaged in that industry or occupation, for any or all weeks in that period

 

 

 

[…]

 

[My emphasis.]

 

 

[35]           L’intention du Parlement est de verser des prestations aux personnes qui se retrouvent en chômage sans que l’on puisse leur en attribuer la faute et qui consacrent de sérieux efforts à se trouver un emploi. Aux termes de l’article 33 du Règlement, les enseignants visés ne sont pas considérés comme des chômeurs pendant les périodes annuelles de congé et sont, par conséquent, exclus du bénéfice des prestations à moins de satisfaire à l’un des trois critères prévus au paragraphe 33(2) du Règlement (Oliver c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 98, paragraphe 16 [Oliver].

 

[36]           Des considérations de principe importantes sous-tendent donc l’article 33 du Règlement et le choix des groupes de prestataires auxquels il impose une règle limitant l’admissibilité aux prestations. Encore une fois, il faut noter que les centres de formation aux adultes sont absents de la liste des institutions scolaires mentionnées à la définition du mot « enseignement ». Ce n’est pas à notre Cour de spéculer quant aux motifs pour lesquels il en est ainsi, pas plus que d’ajouter au texte du Règlement en ajoutant les centres de formation aux adultes à la liste des institutions scolaires mentionnées à l’article 33 du Règlement.

 

[37]           Je ne peux cependant m’empêcher de noter que l’objectif de l’article 33 du Règlement (anciennement l’article 46.1 du Règlement sur l’assurance-chômage pris sous l’alinéa 58b.1) de la Loi alors en vigueur) est d’éviter le « cumul de prestations et de traitement ». Tel que l’écrivait la juge Desjardins dans Canada (Procureur général) c.  St-Coeur, [1996] A.C.F.  no 514 (C.A.F.)

 

[8] L’objectif de l’article 46.1 du Règlement consiste à empêcher les enseignants, dont le salaire est réparti sur une période de douze mois mais qui ne fournissent pas de services chaque jour, de recevoir des sommes provenant de deux sources différentes mais remplissant le même rôle.

 

 

[38]           Ce principe fut par la suite repris dans Oliver, au paragraphe 27 et dans Stone c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 27 aux paragraphes 33 et 34.].

 

[39]           En l’espèce, on se rappellera que la défenderesse est rémunérée selon un tarif horaire.  Aucune preuve au dossier ne montre que lorsqu’elle reçoit des prestations de chômage pendant l’été, elle touche un revenu provenant « de deux sources différentes mais remplissant le même rôle ».

 

Conclusion

 

[40]           Ainsi, la défenderesse a droit au bénéfice des prestations durant la période de son congé courant du 4 juillet au 23 août 2011. Ce résultat ne va pas à l’encontre de l’objectif de la Loi ou du Règlement.

 

[41]           Je propose donc de rejeter la demande de contrôle judiciaire sans frais puisque la défenderesse n’en a pas demandés.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

« Je suis d'accord.

           Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

           Robert M. Mainville j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-437-12

 

INTITULÉ :                                                                          Le Procureur général du Canada c. Suzanne Lafrenière

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 30 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 4 juillet 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Liliane Bruneau

POUR LE DEMANDEUR

 

Hans Marotte

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Hans Marotte

Montréal, Québec

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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