Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130708

Dossier : A-342-12

Référence : 2013 CAF 180

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON                      

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

CLEARWATER SEAFOODS HOLDINGS TRUST

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 25 juin 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Date : 20130708

Dossier : A-342-12

Référence : 2013 CAF 180

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON                      

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

CLEARWATER SEAFOODS HOLDINGS TRUST

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               En 2011, l’appelante, la société Clearwater Seafoods Holdings Trust (la fiducie contribuable) a interjeté appel d’une cotisation d’impôt sur le revenu devant la Cour canadienne de l’impôt. La fiducie a pris fin en 2012 lors de la disposition de tous ses biens. Afin d’obtenir des directives quant à la poursuite de l’appel en matière d’impôt sur le revenu, l’appelante a déposé une requête conformément à l’article 29 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688 (les Règles). La requête a été rejetée le 1er juin 2012. L’ordonnance rejetant la requête a fait l’objet d’un appel devant notre Cour, que j’accueillerais pour les motifs suivants.

[2]               Avant d’instruire l’appel, la Cour a demandé aux parties d’examiner certaines questions non abordées dans leurs observations écrites et de s’interroger sur l’opportunité de reporter l’audition de l’appel afin de permettre le dépôt d’une requête subsidiaire auprès de la Cour de l’impôt. Une requête en ajournement a été déposée au nom de la fiducie contribuable, et le ministère public s’y est opposé. La Cour a entendu les arguments relatifs à la requête et à l’appel et a mis les deux affaires en délibéré.

 

[3]               Pour les besoins du présent appel et de la requête fondée sur l’article 29 de Règles, les faits, qui ne sont pas contestés, peuvent se résumer comme suit. En 2012, dans le cadre d’une série d’opérations visant à parvenir à un résultat fiscal autorisé, tous les biens de la fiducie contribuable ont été transférés à une autre fiducie nommée Clearwater Seafoods Income Fund (le fonds), qui est ainsi devenue la détentrice de toutes les parts de la fiducie contribuable. Les mêmes biens ont été immédiatement transférés à une société nommée Clearwater Seafoods Incorporated (la société), qui est ainsi devenue la détentrice de toutes les parts du fonds.

 

[4]               Il n’est pas contesté que la fiducie contribuable a cessé d’exister lorsqu’elle a cessé de posséder des biens. Toutefois, les opérations susmentionnées n’ont pas mis fin automatiquement à l’appel en matière d’impôt de la fiducie contribuable. Pour faciliter la poursuite de cet appel en dépit de l’extinction de la fiducie contribuable, l’avocat de cette dernière a déposé auprès de la Cour de l’impôt une requête en vue d’obtenir des directives en vertu de l’article 29 des Règles, lequel est rédigé comme suit :

 

29. (1) Lorsque l’intérêt ou la responsabilité d’une partie à l’instance est transféré ou transmis à une autre personne en raison d’une cession, d’une faillite, d’un décès ou de toute autre cause, à tout moment de l’instance, nulle autre procédure ne peut être engagée avant que le greffier ne soit avisé du transfert ou de la transmission, ainsi que des modalités qui s’y rapportent.

 

29. (1) Where at any stage of a proceeding the interest or liability of a person who is a party to a proceeding in the Court is transferred or transmitted to another person by assignment, bankruptcy, death or other means, no other proceedings shall be instituted until the Registrar is notified of the transfer or transmission and the particulars of it.

(2) Sur réception de l’avis dont il est fait mention au paragraphe (1), le greffier consulte les parties concernant les circonstances dans lesquelles l’instance doit être continuée et fait rapport de ces consultations au juge en chef.

(2) On receipt of the notice and particulars referred to in subsection (1) the Registrar shall consult with the parties regarding the circumstances under which the proceeding shall continue and he shall report on these consultations to the Chief Justice.

 

(3) Le juge en chef ou un juge désigné par lui pour traiter de l’affaire peut donner une directive de continuer l’instance ou toute autre directive qui lui semble appropriée.

 

(3) The Chief Justice or a judge designated by him to deal with the matter may direct the continuation of the proceeding or give such other direction as is just.

 

[5]               La requête visait à permettre à la société d’être désignée à titre d’appelante à la place de la fiducie contribuable. On a fait valoir que, pour trois raisons, la société est la personne appropriée pour la poursuite de  l’instance :

 

(1)               La société est la partie à qui les biens de la fiducie contribuable ont été transférés lors de la série d’opérations décrite précédemment; en pratique, la société est donc la remplaçante en titre et en droit de la fiducie.

 

(2)               En tant que bénéficiaire du transfert des biens de la fiducie, la société risque de se voir imposer une cotisation en application du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour la dette fiscale de la fiducie contribuable, advenant le rejet de l’appel relatif à la cotisation d’impôt sur le revenu. À cet égard, l’avocat de la fiducie contribuable a admis devant notre Cour qu’exception faite de l’existence de la dette fiscale de la fiducie contribuable qui fait l’objet de l’appel devant la Cour de l’impôt, toutes les conditions énoncées au paragraphe 160(1) sont remplies.

 

(3)               La série d’opérations qui comprenait le transfert de la totalité des biens de la fiducie a été entreprise pour tirer parti des « règles de conversion des entités intermédiaires de placement déterminées-fiducies » de la Loi de l’impôt sur le revenu (article 88.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et dispositions connexes). Ces règles étaient destinées à permettre la conversion, avec report d’impôt, de certaines fiducies de revenus en sociétés canadiennes imposables. Pour se conformer à ces règles, il était essentiel d’exécuter la série d’opérations avant le 1er janvier 2013.

 

 

 

[6]               À la suite des directives données par notre Cour avant l’audience, l’avocat de la fiducie contribuable a aussi admis, à juste titre selon moi, que les fiduciaires de la fiducie contribuable risquaient de se voir imposer une cotisation en application du paragraphe 159(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour la dette fiscale de la fiducie contribuable.

 

[7]               La Couronne s’est opposée à la requête relative à l’article 29, principalement au motif que l’appel ne peut être poursuivi parce que le contribuable a cessé d’exister. Le ministère public est d’avis que le bien-fondé de l’appel en matière d’impôt sur le revenu de la fiducie contribuable ne devrait pas être décidé dans l’appel en matière fiscale actuellement en instance devant la Cour canadienne de l’impôt. Cet appel devrait plutôt être rejeté faute d’appelante. Ainsi, si le ministre établit une ou plusieurs cotisations en application du paragraphe 160(1) ou du paragraphe 159(3), il sera possible d’interjeter appel de ces cotisations. Il est maintenant bien établi que, dans un appel interjeté à l’encontre de ce genre de cotisations dérivées, le bien‑fondé et la validité de la cotisation fiscale sous‑jacente peuvent être contestées : Gaucher v. Canada (2000), 264 N.R. 369, 2000 D.T.C. 6678, [2001] 1 C.T.C. 125 (CAF).

 

[8]               Le juge a conclu que les circonstances de la présente affaire ne sont pas visées par le paragraphe 29(1) des Règles. Sur ce fondement, il a jugé que l’article 29 était inapplicable et a rejeté la requête. À mon sens, la décision du juge est fondée sur une interprétation erronée du paragraphe 29(1). Son interprétation est trop étroite et il n’a pas tenu compte du libellé et de l’objet de l’article.

 

[9]               Il importe de s’arrêter ici à l’objet du paragraphe 29(1) des Règles. Dans le cadre d’une instance judiciaire, les circonstances d’un plaideur peuvent changer de telle sorte que l’instance ne peut se poursuivre sans arrangement spécial sur le plan procédural. De tels changements circonstanciels peuvent découler de la faillite du plaideur, de son incapacité en raison d’une maladie ou d’une blessure, de son décès, s’il s’agit d’une personne physique, ou de la dissolution du plaideur, s’il s’agit d’une société, si la dissolution ne peut être inversée avec effets rétroactifs. Une situation analogue pour un plaideur qui est une fiducie (ou plus précisément le fiduciaire ou les fiduciaires d’une fiducie) est la cessation de la fiducie, conséquence juridique de la disposition par la fiducie de tous ses biens. L’article 29 a pour objet de traiter de telles situations, dans la mesure où elles sont visées par le paragraphe 29(1).

 

[10]           J’ai déjà reproduit le paragraphe 29(1) des Règles. Je le ferai à nouveau ici en retenant seulement les mots qui me semblent pertinents en l’espèce et en insérant dans le texte le nom approprié :

 

29. (1) Lorsque l’intérêt … [de Clearwater Seafoods Holdings Trust] est … transmis à une autre personne en raison d’une cession, d’une faillite, d’un décès ou de toute autre cause …

29. (1) Where at any stage of a proceeding the … liability of [Clearwater Seafoods Holdings Trust] is … transmitted to another person by assignment, bankruptcy, death or other means …

 

 

[11]           Il ressort clairement des faits non contestés que la disposition de tous les biens de la fiducie contribuable a eu des conséquences juridiques importantes, dont le fait que la fiducie contribuable a cessé d’exister. Une autre conséquence est que certaines personnes sont devenues responsables en tout ou en partie de l’impôt sur le revenu fédéral de la fiducie contribuable. L’une de ces personnes est la société, en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les autres sont les personnes qui étaient les fiduciaires de la fiducie contribuable lorsque les biens ont été transférés, en vertu du paragraphe 159(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[12]           La responsabilité d’une personne aux termes du paragraphe 160(1) ou du paragraphe 159(3) est solidaire à l’égard de l’auteur du transfert des biens. En l’espèce, l’auteur du transfert – la fiducie contribuable – a cessé d’exister à la suite du transfert. En pratique, seules la société et les fiduciaires peuvent être tenus de payer la dette fiscale fédérale de la fiducie contribuable advenant le rejet de leur appel en matière d’impôt sur le revenu. Le transfert des biens de la fiducie a eu pour effet de rendre la société et les fiduciaires responsables de la dette fiscale. Certes, la société et les fiduciaires ne seront tenus d’assumer la dette que si le ministre choisit d’établir une cotisation et de la recouvrer, mais la responsabilité existe néanmoins.

 

[13]           À mon avis, il y a eu dans la présente affaire un transfert de la responsabilité de la fiducie contribuable à une autre personne et ce transfert est attribuable à une « autre cause » – expression qui comprend, selon moi, la fin de l’existence du contribuable. La disposition des biens de la fiducie contribuable a automatiquement entraîné la fin de la fiducie contribuable et le transfert de sa dette fiscale fédérale à une ou plusieurs autres personnes. Il y a là un fondement suffisant pour conclure que les circonstances tombent sous le coup du libellé et de l’objet du paragraphe 29(1).

[14]           Une fois qu’un avis est donné en vertu de l’article 29 et qu’il est établi que les circonstances tombent sous le coup du paragraphe 29(1) des Règles, le juge en chef ou un juge désigné par lui doit donner les directives prescrites au paragraphe 29(3). Le contenu de ces directives relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et peut très bien varier d’une affaire à l’autre. Par conséquent, j’estime approprié de renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt afin que la requête déposée au nom de la fiducie contribuable fasse l’objet d’une nouvelle décision en vue d’assurer la poursuite de l’instance.

 

[15]           Pour ces motifs, je rejetterais la requête en ajournement, sans frais. J’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt datée du 1er juin 2012 et je renverrais l’affaire au juge ou à un autre juge désigné par le juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt, pour qu’il effectue un nouvel examen conformément aux directives suivantes :

 

(1)          La poursuite de l’appel devant la Cour de l’impôt doit être autorisée s’il existe une personne ou un groupe de personnes qui peut être dûment désigné à titre d’appelant à la place de la fiducie contribuable.

 

(2)          Pour décider si une personne ou un groupe de personnes peut être dûment désigné à titre d’appelant à la place de la fiducie contribuable, le juge doit notamment tenir compte de tous les facteurs suivants :

 

                                              a)                        la personne ou le groupe de personnes a la capacité juridique et financière de retenir les services d’un avocat pour s’occuper de l’appel, et s’est engagé à le faire;

                                              b)                        la personne ou le groupe de personnes a la capacité de mener à terme les enquêtes préalables conformément aux règles de la Cour de l’impôt, et s’est engagé à le faire;

 

                                              c)                        la personne ou le groupe de personnes a les ressources financières pour payer les dépens de l’appel devant la Cour de l’impôt advenant le rejet de l’appel, et s’est engagé à le faire.

 

(3)          Lors du nouvel examen, les deux parties devraient être autorisées à présenter de nouveaux éléments de preuve concernant les facteurs susmentionnés ainsi qu’à tout autre facteur qu’elles estiment pertinent pour l’application de l’article 29 des Règles.

 

(4)          Il appartiendra au juge qui réexaminera la requête d’adjuger, le cas échéant, les dépens relativement à la requête et au nouvel examen.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

         Eleanor R. Dawson, j.c.a. »


« Je suis d’accord.

         David Stratas, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-342-12

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE STEVEN K. D’ARCY, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, DATÉE DU 1ER JUIN 2012, NUMÉRO DE DOSSIER 2011-2015(IT)G)

 

INTITULÉ :                                                                          CLEARWATER SEAFOODS HOLDINGS TRUST c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 25 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           (LES JUGES DAWSON ET STRATAS)

 

DATE DU JUGEMENT :                                                   Le 8 juillet 2013

 

 

COMPARUTIONS

 

Bruce S. Russell, c.r.

POUR L’APPELANTE

 

John P. Bodurtha

Catherine M. G. McIntyre

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR L'APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.