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Date : 20130724

Dossier : A-7-12

Référence : 2013 CAF 186

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

 

ENTRE :

 

SANOFI-AVENTIS et

BRISTOL-MYERS SQUIBB SANOFI

PHARMACEUTICALS HOLDING PARTNERSHIP

 

appelantes

 

et

 

APOTEX INC.

APOTEX PHARMACHEM INC. et

SIGNA SA de CV

 

intimées

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 janvier 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER

Y A SOUSCRIT :                                                                                                  LE JUGE NOËL

MOTIFS CONCORDANTS :                                                                     LA JUGE GAUTHIER

 



Date : 20130724

Dossier : A-7-12

Référence : 2013 CAF 186

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

 

 

ENTRE :

 

SANOFI-AVENTIS et

BRISTOL-MYERS SQUIBB SANOFI

PHARMACEUTICALS HOLDING PARTNERSHIP

 

appelantes

 

et

 

APOTEX INC.

APOTEX PHARMACHEM INC. et

SIGNA SA de CV

 

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               Plavix est un anticoagulant très efficace qui a été mis au point, breveté et commercialisé par l’appelante, Sanofi-Aventis (Sanofi). Apotex Inc. (Apotex), fabricant et distributeur de médicaments génériques bien connu, a essayé de créer et de commercialiser sa propre version de l’ingrédient actif contenu dans Plavix, soit le bisulfate de clopidogrel (clopidogrel). Apotex a donc présenté au ministère de la Santé une demande d’avis de conformité par laquelle elle soutenait que sa version du clopidogrel ne contrevenait pas au brevet de Sanofi, qu’elle croyait invalide pour un certain nombre de raisons, notamment pour cause d’évidence. Sanofi a répliqué en demandant à la Cour fédérale de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Apotex l’avis de conformité. Sa demande fut accueillie, Sanofi a donc continué à jouir d’un monopole relatif à la fabrication et à la vente de Plavix : Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 390, [2005] A.C.F. no 482 (QL). Les appels interjetés devant la Cour d’appel fédérale, Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 421, [2006] A.C.F. no 1945 (QL), et la Cour suprême du Canada, Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Plavix), furent rejetés.

 

[2]               Apotex a ensuite sollicité devant la Cour fédérale un jugement déclaratoire portant que le brevet de Sanofi, soit le brevet canadien no 1,336,777 (le brevet 777), était invalide. Sanofi a intenté en retour sa propre action, alléguant qu’Apotex avait contrefait son brevet en important du clopidogrel du Mexique au Canada puis en l’exportant du Canada pour le vendre dans d’autres pays, notamment les États-Unis. Les deux actions ont été jointes et instruites par le juge Boivin (le juge de première instance ou, tout simplement, le juge). À l’issue d’un procès de 26 jours, le juge a conclu que le brevet 777 était invalide pour absence d’utilité, car la promesse qu’il contenait n’avait été ni démontrée ni valablement prédite. Le juge a en outre conclu que l’invention décrite dans le brevet était évidente. Bien que le juge de première instance ait également conclu qu’Apotex avait contrefait le brevet 777, sa conclusion concernant l’invalidité du brevet l’a emporté. La décision du juge est répertoriée sous Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486, [2011] A.C.F. no 1813 (QL) (les motifs).

 

[3]               La Cour est saisie de l’appel de cette décision. Il soulève diverses questions touchant notamment la promesse du brevet, l’évidence et le délai de prescription applicable à certains actes de contrefaçon en matière de brevet.

 

CONTEXTE

 

[4]               Le rappel des faits suivant servira de mise en contexte à l’analyse qui suit.

 

[5]               Le brevet 777 est un brevet de sélection, ce qui signifie qu’il revendique une sous-catégorie de composés déjà visés par un autre brevet, soit le brevet canadien no 1,194,875 (le brevet 875). Pour expliquer le rapport entre les brevets et les composés en cause, je ne puis faire mieux que de reproduire les paragraphes 3 à 6 de l’arrêt Plavix de la Cour suprême :

 

3     Les parties reconnaissent que l’intimée (« Sanofi ») est titulaire du brevet 1,194,875 (« brevet 875 »), qui divulgue un genre ou une catégorie de composés inhibant l’agrégation des plaquettes dans le sang, ce qui joue un rôle important dans le traitement des coronaropathies, des artériopathies périphériques et des maladies vasculaires cérébrales. Ce brevet de genre divulgue plus de 250 000 composés possibles ayant cet effet antiplaquettaire, dont le racémate alpha-5 (4,5,6,7‑tétrahydro (3,2-c)thiénopyridyl)(2-chlorophényl)-acétate de méthyle (« racémate »).

 

4     Un racémate est une substance constituée à parts égales de deux composés aux structures différentes appelés énantiomères ou isomères optiques. Les deux isomères, le dextrogyre et le lévogyre, sont l’image l’un de l’autre dans un miroir et font dévier le plan de la lumière polarisée dans des directions opposées.

 

5     Les parties reconnaissent que Sanofi est aussi titulaire du brevet canadien 1,336,777 (« brevet 777 ») — l’objet du litige — délivré subséquemment. Le brevet divulgue et revendique le bisulfate de clopidogrel, qui est commercialisé sous l’appellation Plavix comme anticoagulant inhibiteur de l’agrégation plaquettaire.

 

6     Le bisulfate de clopidogrel, soit l’isomère dextrogyre du racémate, est visé par les revendications du brevet 875 et présente des avantages par rapport au racémate et à l’isomère lévogyre. Non seulement l’isomère dextrogyre inhibe l’agrégation plaquettaire, mais il est aussi moins toxique et mieux toléré que l’isomère lévogyre et le racémate. Comme le bisulfate de clopidogrel, ses sels sont associés à un meilleur indice thérapeutique que les sels du mélange racémique. En fait, l’isomère lévogyre n’inhibe presque pas l’agrégation des plaquettes et il est nettement plus toxique que l’isomère dextrogyre.

 

[6]               Malgré certaines différences entre les éléments de preuve dont disposait la Cour suprême dans l’instance relative à l’avis de conformité (ayant abouti à l’arrêt Plavix) et celle qui a été présentée en l’espèce, aucune d’entre elles ne modifie l’exactitude de ce qu’observait la Cour suprême à propos de la structure des composés en cause et de leur relation.

 

Le brevet 777

 

[7]               Il faut, pour répondre aux questions soulevées par le présent appel, comprendre la nature du brevet 777.

 

[8]               Le brevet commence par la description de son objet :

[traduction]

La présente invention vise l’énantiomère dextrogyre de l’alpha-5 (4,5,6,7-tétrahydro (3,2-C) thiénopyridyl) (2-chlorophényl)-acétate de méthyle, un procédé de fabrication de cet énantiomère et les compositions pharmaceutiques qui le renferment.

 

[9]               Après une présentation de la formule de l’invention, le brevet en énumère les avantages :

[traduction]

Contre toute attente, seul l’énantiomère dextrogyre Id présente une activité inhibitrice de l’agrégation des plaquettes, l’énantiomère lévogyre Il étant inactif à cet égard. Or, l’énantiomère lévogyre Il inactif est celui des deux énantiomères qui est le moins bien toléré.

 

L’invention vise aussi les sels d’addition des composés de formule (Id) obtenus avec des acides minéraux ou organiques pharmaceutiquement acceptables.

 

[10]           Le brevet expose ensuite les procédés nécessaires à la réalisation de l’invention, et énonce les instructions détaillées permettant de séparer l’énantiomère de son racémate et d’obtenir un sel convenable.

 

[11]           La section suivante du brevet s’intitule [traduction] « Activité pharmacologique ». On y trouve une comparaison entre le composé du brevet 777 et le mélange racémique dont il provient pour ce qui est des propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire et de la toxicité. D’après des études sur l’agrégation plaquettaire menées sur des rats, l’isomère lévogyre est inactif et l’isomère dextrogyre est au moins aussi actif que le racémate. Un essai relatif à l’activité antithrombotique a montré que l’isomère lévogyre n’avait aucun effet antithrombotique, contrairement au racémate et à l’isomère dextrogyre. Les études sur la toxicité effectuées sur des rats ont révélé que la toxicité du mélange racémique était comparable à celle de l’isomère lévogyre, et que l’isomère dextrogyre était sensiblement moins toxique.

 

[12]           Cette section se termine ainsi :

[traduction]

L’étude pharmacologique qui vient d’être présentée démontre les propriétés intéressantes d’inhibition de l’agrégation plaquettaire du composé Id, et l’absence de toute activité de son isomère I1.

 

Le médicament de l’invention peut s’administrer par voie orale sous forme de comprimés, de comprimés enrobés de sucre, de capsules, de gouttes, de granules ou de sirop. Il peut aussi se présenter sous forme de suppositoires, ou de solution injectable en vue d’une administration parentérale.

 

[…]

 

Comme il présente des propriétés inhibitrices intéressantes relativement à l’agrégation plaquettaire et qu’il altère le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux, le médicament de l’invention peut être utile dans le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des complications de l’athérome.

 

[13]           Le brevet s’achève par onze revendications qui peuvent être résumées ainsi :

- la revendication 1 porte sur l’isomère dextrogyre de l’alpha-5 (4,5,6,7-tétrahydro (3,2-C) thiénopyridyl) (2-chlorophényl) acétate de méthyle;

 

- les revendications 2 à 5 portent sur les sels du composé de la revendication 1;

 

- les revendications 6 à 9 portent sur les procédés de fabrication du composé décrit dans la revendication 1;

 

- la revendication 10 porte sur une composition pharmaceutique comprenant une quantité efficace du composé de la revendication 1 mélangée à un transporteur pharmaceutiquement acceptable;

 

- la revendication 11 porte sur une composition conforme à la revendication 10 à l’intérieur d’un éventail de doses donné.

 

LA DÉCISION FRAPPÉE D’APPEL

 

[14]           Après avoir réglé un certain nombre de questions préliminaires qui ne sont pas en litige dans le présent appel, le juge de première instance a abordé l’interprétation du brevet. Il a d’abord décrit l’« idée originale » du brevet, en citant l’extrait suivant de l’arrêt Plavix de la Cour suprême:

78        En l’espèce, il est clair que l’idée originale à la base des revendications du brevet 777 est un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet 875, et les méthodes permettant de l’obtenir.

 

Plavix, au paragraphe 78.

 

[15]           Le juge de première instance a ensuite examiné le rapport entre l’idée originale de l’invention et l’invention elle-même. Après une analyse succincte quant aux brevets de sélection, il a décrit en ces termes l’invention du brevet 777 :

[…] un composé, lequel est utile pour l’inhibition de l’agrégation plaquettaire, produit un effet thérapeutique plus élevé et une toxicité moindre que les autres composés du brevet 875 et présente les avantages des sels (facilité de cristallisation, non hygroscopique et suffisamment hydrosoluble) ainsi que les méthodes permettant d’obtenir ce composé.

 

Motifs, au paragraphe 140

 

[16]           Vient ensuite l’analyse de la promesse du brevet. Le juge de première instance a expliqué le rapport entre l’utilité et la promesse du brevet :

Il convient aussi de rappeler le rôle de la promesse du brevet au regard de l’utilité. Au nom de la Cour d’appel fédérale, la juge Laydon-Stevenson écrivait ce qui suit, au paragraphe 76 de l’arrêt Ely Lilly Canada Inc, précité (l’arrêt Olanzapine) :

 

[76]      Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est requis; la « moindre parcelle » d’utilité suffira. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse : Consolboard, Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) et Ranbaxy Laboratories Inc., [2009] 1 R.C.F. 253, 2008 CAF 108 (Ranbaxy). La question est de savoir si l’invention fait ce que le brevet promet qu’elle fera.

 

Motifs, au paragraphe 143 [non souligné dans l’original].

 

[17]           Après avoir examiné le témoignage d’expert, le juge de première instance a estimé que la question en litige était de savoir si le brevet 777 promet un usage réel ou simplement potentiel chez l’humain. Il a considéré ensuite le libellé du brevet 777, notamment les références au [traduction] « médicament de l’invention » et aux [traduction] « compositions pharmaceutiques », ainsi que son rapport avec le brevet 875 qui fait explicitement référence à une utilisation chez l’humain et les applications thérapeutiques en médecine vétérinaire. À l’issue de cette analyse, le juge de première instance a conclu ce qui suit :

En résumé, la Cour arrive à la conclusion que la personne moyennement versée dans l’art dirait que la promesse concernant l’utilisation de l’invention du brevet 777 serait une utilisation chez l’humain.

 

Motifs, au paragraphe 175

 

[18]           Étant parvenu à cette conclusion, le juge a recherché si l’utilité de l’invention avait été démontrée. Son analyse en la matière reposait sur une étude, désignée sous le nom P‑1062, un essai comparatif à double insu et à répartition aléatoire concernant l’administration de clopidogrel ou d’un placebo à dix humains en bonne santé. Le juge a conclu que cette étude, qui n’est pas citée dans le brevet, n’était pas concluante quant à l’efficacité du clopidogrel chez les humains. Il a ensuite recherché si l’un des inventeurs du clopidogrel, le Dr Daniel Fréhel, connaissait l’effet du médicament sur les humains avant la date de dépôt. Il s’agissait ici de savoir si le Dr Fréhel avait assisté à la réunion du 28 janvier 1988 durant laquelle il avait été question de l’effet thérapeutique du clopidogrel chez les humains. Le juge de première instance a conclu encore une fois que la preuve sur ce point n’était pas concluante. Il en a conclu que l’utilité du clopidogrel chez les humains n’avait pas été démontrée à la date de la demande de brevet.

 

[19]           Le juge s’est ensuite penché sur la question de savoir si les inventeurs pouvaient, à la date du dépôt, prédire de manière valable que l’invention serait utile chez l’humain. Il a cité l’arrêt de la Cour suprême Apotex Inc. et al c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153 (AZT), au paragraphe 70, où sont énoncés les éléments requis pour établir l’existence d’une prédiction valable : (i) un fondement factuel, (ii) un raisonnement valable, et (iii) la divulgation des deux premiers éléments.

 

[20]           Après une revue approfondie des évènements ayant mené au dépôt de la demande, y compris les travaux antérieurs consacrés au brevet 875, à d’autres composés abandonnés et au racémate (désigné sous le nom PCR 4099), et les circonstances ayant motivé la décision d’essayer de séparer les énantiomères du racémate, le juge de première instance a conclu qu’il existait à la fois un fondement factuel (paragraphes 404 à 488 des motifs) et un raisonnement valable à l’appui de la prédiction valable (paragraphes 489 à 583 des motifs).

 

[21]           Le juge a ensuite recherché si ces deux éléments avaient été suffisamment divulgués dans le mémoire descriptif du brevet. Il a conclu que tel n’était pas le cas, car « [le brevet 777] ne dit pas à la personne moyennement versée dans l’art qu’il y avait un fondement factuel et un raisonnement pour la prédiction selon lequel les études animales menées sur des rats pouvaient déboucher sur la prédiction selon laquelle le composé – le clopidogrel – avait une utilisation chez l’humain » : voir les motifs, au paragraphe 570. En particulier, le juge a conclu que les « antécédents » des inventeurs dans la mise au point du clopidogrel étaient essentiels pour permettre à la personne moyennement versée dans l’art « de faire le saut et prédire une utilisation du composé chez l’humain », mais qu’ils n’avaient pas été divulgués : voir les motifs, au paragraphe 573. Il a donc conclu que le brevet 777 était « invalide pour absence de prédiction valable » : voir les motifs, au paragraphe 585. Pour être plus précis, le brevet a été jugé invalide, car l’utilité de l’invention n’avait ni été démontrée ni fait l’objet d’une prédiction valable à la date du dépôt de la demande de brevet.

 

[22]           Ayant conclu que le brevet était invalide pour absence d’utilité, le juge de première instance a néanmoins examiné la question de l’évidence, l’autre motif d’invalidité invoqué par Apotex. Il a commencé par rappeler les quatre étapes de l’analyse de l’évidence énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Plavix :

 

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

Plavix, précité, au paragraphe 67, cité dans les motifs au paragraphe 589.

 

[23]           Le juge a rappelé l’enseignement de la Cour suprême selon lequel l’essai « allant de soi » pouvait être pertinent à la quatrième étape de l’analyse, particulièrement dans les domaines où les avancées procèdent d’expérimentations.

 

[24]           Le juge de première instance a défini les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art puis reformulé l’idée originale du brevet. Il a conclu que le brevet 777 en divulguait davantage que les connaissances générales courantes : motifs, au paragraphe 656. Cette conclusion l’a amené à la dernière étape de l’analyse : l’invention était-elle simplement le résultat d’étapes « allant de soi »?

 

[25]           Comme l’invention revendiquée portait sur l’isomère dextrogyre d’un mélange racémique, la question que le juge a soulevée était celle de savoir s’il était évident de séparer le mélange racémique et d’isoler ainsi l’isomère visé par le brevet 777. Il y a répondu par l’affirmative.

 

[26]           La conclusion du juge concernait surtout le mélange racémique désigné dans les documents de laboratoire de Sanofi sous le nom PCR 4099. Il s’agit de l’un des 250 000 composés visés par le brevet 875. Le brevet lui-même énumère 21 exemples spécifiques de composés qu’il revendique, dont le PCR 4099. Le juge a conclu qu’il existait, à la période applicable, deux méthodes connues et pertinentes de séparation des mélanges racémiques du type de ceux que décrit le brevet 875, notamment le PCR 4099, même s’il n’était pas évident que l’une d’entre elles « [aurait été] fructueu[se] ». De plus, il a conclu qu’il existait une méthode connue et établie pour obtenir les sels de composés issus d’une telle séparation, y compris les isomères du PCR 4099.

 

[27]           Le juge a ensuite recherché si l’art antérieur incitait à tenter de résoudre les composés visés par le brevet 875 en leurs isomères optiques. Il a identifié les facteurs connus avant la date de l’invention qui pouvaient motiver une personne versée dans l’art à séparer les énantiomères du PCR 4099. Ces facteurs étaient les suivants :

a- le « désastre de la thalidomide », qui avait sensibilisé les organismes de réglementation aux effets divers des isomères contenus dans un mélange racémique;

 

b- les lignes directrices données par les instances de réglementation japonaises qui « priaient les auteurs des demandes portant sur des médicaments racémiques de séparer et de caractériser les énantiomères » : motifs, paragraphe 727;

 

c- un discours prononcé par un haut fonctionnaire de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis lors de l’assemblée annuelle de 1986 de l’Association pharmaceutique américaine, selon lequel les auteurs de demandes portant sur les médicaments racémiques devaient enquêter sur les propriétés des énantiomères de ces mélanges racémiques;

 

d- l’adoption par la FDA en 1987 de lignes directrices concernant les demandes relatives aux médicaments racémiques et la création d’un comité sur les stéréo-isomères par la FDA en 1989;

 

e- le fait que des chimistes de renom dans le domaine de la découverte des médicaments savaient avant 1989 que les instances de réglementation faisaient déjà pression pour que les mélanges racémiques soient séparés.

 

[28]           En résumé, le juge de première instance a conclu que le composé PCR 4099, mais non ses propriétés, faisait partie, à l’époque pertinente, des connaissances générales courantes, qu’il était présenté dans le brevet 875, et que la personne moyennement versée dans l’art aurait été au fait de la méthode existante de résolution du PCR 4099 en ses énantiomères, que la méthode de sélection des sels était bien connue à l’époque et qu’il existait un motif pour séparer les énantiomères du PCR 4099. Il a donc conclu, selon la prépondérance des preuves, que « l’invention décrite dans le brevet 777 résultait d’un “essai allant de soi” », et que le brevet était invalide pour cause d’évidence : voir les motifs, au paragraphe 784.

 

[29]           Au procès, la question de la contrefaçon a été vivement débattue, tout comme certains moyens de défense invoqués à ce chapitre par Apotex. Ces considérations ont été éclipsées par les conclusions du juge de première instance quant à la validité du brevet 777. Par commodité, je me pencherai sur l’analyse des questions liées à la validité avant de passer à celles qui ont trait à la contrefaçon.

 

ANALYSE DE LA VALIDITÉ DU BREVET

Les questions en litige

 

[30]           À mon avis, la question essentielle quant à l’utilité concerne l’interprétation du brevet 777 retenue par le juge de première instance. A-t-il commis une erreur en concluant que le brevet promettait explicitement que l’invention avait un usage chez l’humain?

 

[31]           Pour ce qui est de l’évidence, la question est celle de savoir si le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’invention était évidente parce que la résolution du racémate PCR 4099 constituait un « essai allant de soi »?

 

La norme de contrôle

 

[32]           La Cour est saisie d’un appel de la décision prononcée par le juge de première instance après un procès de 26 jours. La norme applicable est donc celle qui est consacrée par la jurisprudence Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen). Les conclusions de fait doivent être examinées suivant la norme de l’erreur manifeste et dominante : Housen, précité, au paragraphe 10. Les conclusions du juge de première instance sur les questions de droit sont susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision correcte : Housen, précité, au paragraphe 6. Les questions de fait et de droit requièrent également la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de droit isolée, auquel cas c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

 

[33]           L’interprétation des brevets est une question de droit : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067 (Whirlpool), au paragraphe 76. Le juge de première instance doit interpréter le brevet comme le comprendrait la personne versée dans le domaine auquel il se rapporte. Pour ce faire, il doit tenir compte des éléments de preuve concernant la manière dont les personnes versées dans l’art entendraient certains termes ou expressions utilisés dans le brevet, mais il ne lui revient pas de décider du sens du brevet : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504 (Consolboard), aux pages 521 à 525.

 

Utilité et promesse du brevet

 

[34]           Au Canada, le droit des brevets découle entièrement de la loi : Plavix, aux paragraphes 12 et 13; Commissaire des brevets c. Fabwerks Hoechst Aktiengeselschaft Vormals Meister Lucius and Bruning (1963), [1964] R.C.S. 49. Les tribunaux ont certes étoffé cette spécialité du droit au Canada, mais la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi), dans sa version en vigueur à l’époque pertinente, demeure le point de départ de toute analyse. Comme la demande relative au brevet 777 a été déposée au Canada le 2 février 1988, le présent contentieux relève de la Loi dans sa version en vigueur avant le 1er octobre 1989 (l’ancienne Loi).

 

[35]           Les deux dispositions suivantes de l’ancienne Loi sont pertinentes pour l’utilité. La première définit le terme « invention » :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

(Non souligné dans l’original.)

“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

(my emphasis)

 

 

[36]           La seconde disposition législative pertinente est le paragraphe 34(1) [aujourd’hui le paragraphe 27(3)], qui disposait à l’époque pertinente :

34. (1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur :

 

a) décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur;

 

b) expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;

 

c) s’il s’agit d’une machine, en explique le principe et la meilleure manière dont il a conçu l’application de ce principe;

 

d) s’il s’agit d’un procédé, explique la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention d’autres inventions,

 

e) indique particulièrement et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention.

 

(2) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif.

 

34(1) An applicant shall in the specification of his invention

 

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it appertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

 

 

 

(c) in the case of a machine, explain the principle thereof and the best mode in which he has contemplated the application of that principle;

 

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other invention; and.

 

 

(e) particularly indicate and distinctly claim the part, improvement or combination that he claims as his invention

 

(2) The specification referred to in (1) shall end with a claim or claims stating distinctly and in explicit terms the things or combinations that the applicant regards as new and in which he claims an exclusive privilege or property is claimed.

 

 

[37]           Ces dispositions sont importantes parce qu’elles concernent la teneur de ce qui doit être divulgué dans le brevet lui-même, ce qui revêt une certaine pertinence quant à l’interprétation de la promesse du brevet.

 

[38]           Comme l’invention doit être nouvelle et utile, le brevet lui-même doit-il en faire la démonstration?

 

[39]           La Cour suprême s’est penchée sur cette question précise à l’occasion de l’affaire Consolboard, et elle a décidé qu’il n’était pas nécessaire que les inventeurs expliquent l’utilité de leur invention dans le brevet.

Avec tous égards, je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale a aussi commis une erreur en jugeant que le par. 36(1) exige une indication distincte de l’utilité réelle de l’invention en cause.

 

[…]

 

Même si (i) le par. 36(1) exige que l’inventeur indique et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention et si (ii) pour être brevetable une invention doit consister en quelque chose de nouveau et d’utile (art. 2) qui n’était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que l’inventeur l’ait faite (al. 28(1)a)), je ne donne pas aux derniers mots du par. 36(1) une interprétation qui oblige l’inventeur à décrire, dans sa divulgation ou ses revendications, en quoi l’invention est nouvelle et de quelle manière elle est utile. Il doit dire ce qu’il revendique avoir inventé. Il n’est pas obligé de vanter l’effet ou l’avantage de sa découverte s’il décrit son invention de manière à le produire.

 

Consolboard, précité, aux pages 525 et 526 [non souligné dans l’original]

 

[40]           La Cour suprême du Canada a systématiquement suivi ce raisonnement : voir, p. ex., Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 18; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 52 (Whirlpool); Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, à la page 1636, et plus récemment, Teva Canada Ltd. c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] A.C.S. no 60, aux paragraphes 49 à 52.

 

[41]           Les brevets de sélection sont-ils régis par les mêmes règles? La nature de ces brevets a été expliquée dans l’arrêt Plavix, précité, lequel contient de nombreux renvois à l’arrêt anglais In re I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.) (I.G. Farbenindustrie) :

[…] où le juge Maugham [le juge de première instance dans I.G. Farbenindustrie] explique à la p. 321 que les brevets portant sur des produits chimiques (dont bien sûr les composés pharmaceutiques) se divisent souvent en deux [traduction] « catégories nettement distinctes ». La première, celle des brevets d’origine, formée des brevets protégeant une invention source, à savoir la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé. La seconde catégorie, celle des brevets visant une sélection des composés décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine. Le juge Maugham précise que les composés sélectionnés ne doivent pas avoir été réalisés auparavant, sinon le brevet de sélection [traduction] « ne satisfait pas à l’exigence de nouveauté ». Cependant, le composé sélectionné qui est « nouveau » et qui « possède une propriété particulière imprévue » remplit l’exigence de l’étape inventive. Le juge Maugham ajoute à la p. 322 que le brevet de sélection [traduction] « ne diffère pas en soi de tout autre brevet ».

 

Plavix, précité, au paragraphe 9 [non souligné dans l’original].

 

[42]           Le juge Maugham a précisé que la [traduction] « propriété imprévue » consiste en [traduction] « l’utilisation des éléments sélectionnés [qui] permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important » : voir I.G. Farbenindustrie, précité, aux pages 322 et 323.

 

[43]           Les mêmes concepts sont repris dans l’arrêt E. I. Du Pont de Nemours & Co. (Witsiepe’s) Application, [1982] F.S.R. 303 (H.L.); où lord Wilberforce y déclare en page 311 :

[traduction]

C’est l’absence de découverte des avantages particuliers, ainsi que la non-réalisation, qui permettent à ces personnes de faire une invention liée à un élément de la catégorie.

 

[44]           Par l’arrêt Plavix, précité, la Cour enseigne, au paragraphe 11, que les brevets de sélection sont comme tous les autres brevets. Ils doivent donc satisfaire aux exigences de la Loi, notamment en ce qui a trait à la nouveauté et à l’utilité de l’invention. La nouveauté est établie si les composés sélectionnés n’ont jamais été fabriqués auparavant. L’utilité se démontre généralement par la présence d’une propriété spéciale et inattendue, qui consiste en l’avantage obtenu ou l’inconvénient évité par l’effet de la sélection, et qui est au cœur des étapes inventives (Plavix, précité, aux paragraphes 9 et 10). Autrement, aucune sélection ne remplirait le critère de la brevetabilité prévu par la Loi.

 

[45]           Le brevet de sélection doit également répondre aux exigences en matière de divulgation énoncées à l’article 34 de l’ancienne Loi. Il faut pour cela que le mémoire descriptif du brevet définisse « clairement la nature de la caractéristique du composé sélectionné pour lequel le breveté revendique un monopole » : voir Plavix, au paragraphe 114. Voir également Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd, 2010 CAF 197, [2012] 1 R.C.F. 349 (Olanzapine), au paragraphe 78.

 

[46]           Le titulaire dont le brevet est contesté pour absence d’utilité doit pouvoir établir qu’au moment où la demande de brevet a été présentée, l’utilité de l’invention pouvait être démontrée ou valablement prédite : voir AZT, au paragraphe 46. La difficulté, en l’espèce comme dans d’autres, est de déterminer ce qui doit être démontré ou valablement prédit. C’est là qu’entre en jeu la notion de « promesse » du brevet.

 

[47]           La promesse du brevet est la norme qui permet de mesurer l’utilité de l’invention décrite dans le brevet. Ce concept trouve sa source dans la jurisprudence Consolboard de la Cour suprême du Canada :

Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ».

 

Consolboard, précité, à la page 525.

 

[48]           Il n’est pas nécessaire que l’inventeur explique l’utilité de son invention dans le brevet, mais s’il le fait, il est tenu de respecter sa promesse, comme l’enseigne l’arrêt Olanzapine, précité, au par. 76 :

Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est requis; la « moindre parcelle » d’utilité suffira. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse : Consolboard, Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) et Ranbaxy Laboratories Inc., [2009] 1 R.C.F. 253, 2008 CAF 108 (Ranbaxy). La question est de savoir si l’invention fait ce que le brevet promet qu’elle fera. (Non souligné dans l’original.)

 

[49]           Si l’inventeur ne promet pas explicitement de résultats spécifiques, le critère relatif à l’utilité est celui de la « moindre parcelle » d’utilité. Par contre, s’il promet explicitement un résultat spécifique, l’utilité sera évaluée suivant les termes de cette promesse explicite.

 

[50]           En affirmant au paragraphe 80 de l’arrêt Olanzapine, précité, que la promesse du brevet devait être définie, la Cour n’a pas tenu pour acquis que tous les brevets promettaient explicitement un résultat spécifique puisque, sous réserve de ce que nous dirons ci-après au sujet des brevets de sélection, rien n’oblige l’inventeur à divulguer l’utilité de son invention dans le brevet. À l’occasion de l’affaire Olanzapine, la Cour signalait simplement que la première étape de l’évaluation de l’utilité consistait à définir la norme en fonction de laquelle elle sera mesurée. Cela oblige la Cour à interpréter le brevet de manière à rechercher si la personne versée dans l’art conclurait qu’il promet explicitement que l’invention produira un résultat spécifique. Si tel est le cas, l’inventeur aura tenu sa promesse. Si aucun résultat spécifique n’est explicitement promis, la moindre parcelle d’utilité suffira.

 

[51]           Comme nous l’avons vu, dans le cas des brevets de sélection, la nouveauté de la sélection et ses avantages (qui comprennent les inconvénients à éviter) représentent l’invention et doivent être décrits dans le brevet. Le juge de première instance a décrit l’invention en énonçant ses avantages par rapport au brevet de genre, comme l’a fait la Cour suprême pour la même invention à l’occasion de l’affaire Plavix, précité, au paragraphe 78. Par souci de commodité, je reproduis ici sa description de l’invention (motifs, au paragraphe 140) :

… une invention, qui peut être décrite comme un composé, lequel est utile pour l’inhibition de l’agrégation plaquettaire, produit un effet thérapeutique plus élevé et une toxicité moindre que les autres composés du brevet 875 et présente les avantages des sels (facilité de cristallisation, non hygroscopique et suffisamment hydrosoluble) ainsi que les méthodes permettant d’obtenir ce composé.

 

[52]           Le juge de première instance a voulu savoir si l’invention du brevet 777 fonctionnait conformément à cette description. Il a examiné les essais toxicologiques menés sur des rats, souris et babouins, ainsi que des études sur l’activité de base, et a conclu que ceux-ci démontraient l’existence des avantages dont les inventeurs avaient tenu compte aux fins de la sélection :

 

392      Quant à la preuve convaincante produite sur cet aspect, la Cour relève qu’une étude de Sanofi (D-136, onglet 122 – SA361) a démontré un différentiel LD50 et LD10 et que des convulsions ont posé un problème en ce qui concerne le PCR 4099 et l’énantiomère lévogyre, mais pas en ce qui concerne le clopidogrel. Sur ce fondement, il est possible de conclure à une toxicité différentielle, ainsi qu’à la meilleure tolérabilité du clopidogrel.

 

[…]

 

395      Se fondant sur cette preuve [les essais décrits au paragraphe 394], la Cour estime que Sanofi a démontré la toxicité différentielle, de même que la meilleure tolérabilité du clopidogrel.

 

[…]

 

399      Au vu de la preuve ci-dessus, la Cour estime donc que Sanofi a démontré le différentiel d’activité du clopidogrel.

 

Motifs, aux paragraphes 392, 395 et 399.

 

[53]           Si l’analyse s’était arrêtée là, le juge de première instance aurait conclu que le composé du brevet 777 présentait des avantages par rapport à ceux du brevet 875, puisque ceux-ci avaient été décrits dans le brevet et démontrés au moment du dépôt de la demande de brevet. Dans cette mesure, la promesse du brevet avait été remplie.

 

[54]           L’inventeur dont l’invention est décrite dans un brevet qui serait par ailleurs valide, peut néanmoins promettre plus que ce qu’exige la Loi, et rendre ainsi son brevet invalide. En pareil cas, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même : voir Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 51. Cependant, nul juge ne devrait s’évertuer à trouver des moyens de mettre en échec des brevets par ailleurs valides. Comme le déclarait la Cour suprême par l’arrêt Consolboard, précité, et comme elle le réitérait quelque vingt ans plus tard dans Whirlpool, précité, au paragraphe 49g) :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation, [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». (Non souligné dans l’original.)

 

[55]           Bien qu’il revienne au juge de première instance d’interpréter le brevet, il doit le lire et le comprendre comme le ferait la personne versée dans l’art. Il dispose pour cela du témoignage des experts concernant la manière dont la personne versée dans l’art comprendrait le brevet. En l’espèce, seul l’expert d’Apotex, le Dr Hirsh, un hématologue, a vu dans le brevet la promesse que l’invention serait efficace chez l’humain. Le Dr Hirsh fonde cette conclusion sur les inférences qu’il a tirées à partir d’expressions particulières employées dans le brevet.

 

[56]           Le Dr Hirsh a d’abord souligné que certaines des maladies et affections mentionnées dans le brevet sont distinctement humaines (rapport d’expert du Dr Hirsh (confidentiel), dossier d’appel, onglet 20, aux paragraphes 25 et 68; transcription du procès, volume 2, dossier d’appel, page 386, lignes 4, 5, 24 à 26; page 387, lignes 1 à 5).

 

[57]           Il a ensuite signalé que la posologie quotidienne maximale employée pour donner effet à l’agrégation plaquettaire reposait sur une dose de 10 mg/kg, soit l’unité nécessaire pour un humain de poids moyen, soit environ 50 kg (rapport d’expert du Dr Hirsh (confidentiel), dossier d’appel, onglet 20, au paragraphe 69).

 

[58]           Troisièmement, l’invention est décrite comme des « médicaments et des “agents médicinaux actifs” pour des besoins thérapeutiques ». D’après le Dr Hirsh, tout hématologue déduirait de ce langage qu’il s’agit d’un médicament qui peut être utilisé chez l’humain (rapport d’expert du Dr Hirsh (confidentiel), dossier d’appel, onglet 20, au paragraphe 68).

 

[59]           Les experts de Sanofi ont reconnu pour leur part que le brevet invite la personne versée dans l’art à comprendre que l’invention peut être utilisée chez l’humain, tout en soutenant que cette personne versée dans l’art saisirait aussi qu’aucune promesse de résultats spécifiques n’était faite à cet égard.

 

[60]           Le Dr Byrn, un chimiste, a déclaré:

un spécialiste en chimie pharmaceutique interpréterait le brevet 777 comme un brevet faisant savoir au monde que des résultats très intéressants avaient été obtenus et que l’on pouvait donc compter que des résultats semblables seraient obtenus chez les humains, mais qu’il n’était pas absolument garanti que de tels résultats seraient obtenus chez les humains.

 

Motifs, au paragraphe 150.

 

[61]           Le Dr Rodricks, toxicologue, a affirmé ce qui suit durant son témoignage :

la combinaison d’une activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire et d’une toxicité réduite […] donnerait à penser que l’énantiomère dextrogyre est prometteur comme médicament destiné à l’usage humain. […] [L]e brevet 777 ne garantit pas que l’énantiomère serait un médicament satisfaisant pour usage humain.

 

Motifs, au paragraphe 151.

 

[62]           Enfin, le Dr Shebuski, pharmacologue spécialisé dans le domaine cardiovasculaire, a exprimé l’opinion suivante :

… [une personne versée dans l’art] […] serait encline à croire que le clopidogrel offrait la possibilité d’être utilisé comme médicament antithrombotique. […] une personne versée dans l’art n’aurait pas l’impression que les enseignements du brevet 777 promettent un résultat spécifique chez les humains.

 

Motifs, au paragraphe 152.

 

[63]           Le juge de première instance n’a pas été convaincu par les témoignages des Drs Byrn, Rodricks et Shebuski. S’appuyant sur le témoignage d’expert du Dr Hirsh, il a conclu que le libellé du brevet renfermait « une promesse explicite » d’utilisation chez l’humain (motifs, au paragraphe 163).

 

[64]           Dans ce contexte, le juge de première instance devait expliquer clairement pourquoi il voyait une « promesse explicite » d’utilisation chez l’humain, alors que le Dr Hirsh n’avait rien relevé de tel. Il semble que, d’après le Dr Hirsh, la personne versée dans l’art déduirait de la posologie élevée indiquée dans le brevet, des maladies et affections dont il est fait mention et de l’expression « médicaments et “agents médicinaux actifs” pour des besoins thérapeutiques », que l’invention promet un usage humain. Toutes ces inférences sont équivoques. Les doses s’expriment souvent en unités de médicament par unité de poids. Les animaux, comme les humains, présentent des poids très variés. De même, les vétérinaires ont des « patients » à qui ils administrent des « médicaments » à des « fins thérapeutiques ».

 

[65]           En plus d’avoir souscrit aux conclusions que le Dr Hirsh a tirées, ou pour reprendre ses termes, aux « indices » d’une promesse d’usage humain dans le brevet, le juge de première instance a tiré lui-même d’autres inférences : motifs, au paragraphe 163. Il a d’abord déduit qu’un usage humain était envisagé du fait que le clopidogrel devait être administré par voie orale, rectale ou parentérale. L’usage du terme « patient » et la phrase [traduction] « le brevet […] indique que la dose dépen[d] de l’âge du patient et de la gravité de la pathologie à traiter » l’ont conforté dans cette conclusion. Le juge de première instance a également tenu compte du fait que l’ingrédient actif se présentait « sous des formes pharmaceutiques (comprimés, capsules et autres) qui facilitent l’administration ». Cette démarche interprétative d’un document, aussi familier puisse-t-il être pour les avocats, n’est pas un outil fiable pour la personne versée dans l’art qui doit interpréter ce document.

 

[66]           Bien que ces « indices » concordent avec un usage humain, ils ne sont pas incompatibles avec d’autres utilisations. Il est vrai que le Dr Hirsh était en droit de fonder son opinion sur l’inférence qu’il a tirée, mais le juge de première instance devait respecter une norme plus stricte. Il a commis une erreur de droit en dégageant du brevet 777 une promesse d’utilisation chez l’humain sur la base d’inférences, en l’absence d’un libellé au moins aussi clair et précis que celui qui a été employé pour établir les avantages de la sélection par rapport aux composés du brevet de genre.

 

[67]           La faiblesse de la conclusion du juge de première instance est encore plus évidente si l’on tient compte de la distinction jurisprudentielle entre l’usage potentiel d’une invention et la promesse explicite d’un résultat spécifique. Comme l’a déclaré le Dr Byrn, l’étape inventive avait trait au différentiel d’activité et de tolérabilité du clopidogrel démontré chez le rat. L’intérêt de l’industrie pharmaceutique pour l’invention concerne évidemment l’usage potentiel chez l’humain qu’elle laisse entrevoir. La personne versée dans l’art comprendrait qu’en faisant allusion à cette possibilité, les inventeurs ne promettaient pas que ce résultat avait été ou allait être obtenu. Ainsi que l’a conclu la Cour fédérale par l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, au paragraphe 61 : 

J’accepte l’argument d’AstraZeneca suivant lequel ce ne sont pas toutes les déclarations que l’on trouve dans un brevet au sujet des avantages qui peuvent être considérées comme une promesse. Un objectif n’est pas nécessairement une promesse. Le troisième paragraphe du brevet 420 parle d’un objectif à long terme, d’un avantage que l’on espère que l’invention comportera. [Non souligné dans l’original.]

 

AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, [2011] A.C.F. no 1262 (Q.L.), au paragraphe 139. Pour d’autres exemples de cette distinction, voir Pfizer Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2012 CAF 103, [2012] A.C.F. no 386, au paragraphe 61, Mylan Pharmaceuticals ULC c. Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 109, [2012] A.C.F. no 422, aux paragraphes 32 et 33.

 

[68]           Le juge de première instance a justifié sa conclusion en invoquant un autre motif. Selon son raisonnement, comme le brevet de genre (le brevet 875) fait référence à un usage humain, le brevet 777 serait mis en échec comme brevet de sélection à moins que l’on en dégage aussi une promesse explicite d’utilisation chez l’humain (motifs, aux paragraphes 169 à 171). Pour reprendre les observations du juge, « le brevet de sélection 777 ne saurait promettre moins que le brevet de genre 875 » (motifs, au paragraphe 172).

 

[69]           Ce raisonnement pose problème pour au moins deux raisons. D’abord et avant tout, il est incorrect d’interpréter un brevet en ayant égard à sa validité (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 49a) (Whirlpool); Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751, au paragraphe 26 (C.A.); Allergan Inc. c. Apotex Inc., 2012 CAF 308, [2012] A.C.F. no 1467 (QL), au paragraphe 65; American Cyanamid Co. c. Berk Pharmaceuticals Ltd., [1976] R.P.C. 231, à la page 234 (Ch. D.); Xerox of Canada Ltd. et al. c. IBM Canada Ltd., (1977), 33 C.P.R. (2d) 234, (C.F. 1re inst.), à la page 43). Le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a dégagé du brevet une promesse d’utilisation chez l’humain de manière à le valider comme brevet de sélection, et qu’il a ensuite invoqué cette promesse pour l’invalider pour absence d’utilité.

 

[70]           Deuxièmement, le juge de première instance a conclu que le brevet 777 décrivait les avantages du composé revendiqué par rapport à ceux du brevet 875, et que l’inventeur était en mesure d’en démontrer l’existence à la date du dépôt de la demande de brevet. C’est sur cette base que le brevet 777 est considéré comme un brevet de sélection valide au regard du brevet de genre, le brevet 875, qu’il renferme ou non une promesse d’usage humain. Un brevet de sélection décrit un composé qui présente un avantage inattendu par rapport à ceux du brevet de genre. Il n’est pas nécessaire que cet avantage inattendu soit une amélioration de chaque aspect de l’invention décrite dans le brevet de genre, quoique tel puisse être le cas. Il suffit qu’il s’agisse d’une amélioration nouvelle et utile à l’égard de certains aspects de cette invention.

 

[71]           Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis que le juge de première instance a commis une erreur de droit dans son interprétation de la promesse du brevet. Le brevet 777 décrivait un composé présentant des avantages (incluant l’absence d’inconvénients) par rapport à ceux que visait le brevet 875, et que divulguait clairement le mémoire descriptif. Le juge de première instance a conclu que ces avantages étaient démontrés à la date de la demande de brevet. Il a commis une erreur en concluant que le brevet promettait explicitement un résultat en cas d’utilisation de l’invention chez l’humain, puis en évaluant l’utilité du brevet à l’aune de cette promesse explicite. Interprété comme il se doit, le brevet 777 ne contient aucune promesse de ce genre. L’allégation selon laquelle le brevet était invalide pour absence d’utilité aurait donc dû être rejetée.

 

Évidence

 

[72]           L’analyse du juge de première instance ayant trait à l’évidence était axée sur le critère de l’« essai allant de soi » consacré par la Cour suprême par la jurisprudence Plavix. Il faut rappeler que, à l’occasion de cette affaire, l’argument de l’évidence a été invoqué et rejeté. Le raisonnement de la Cour suprême reposait sur quelques faits essentiels :

1- « … cinq méthodes bien connues permettaient d’isoler les isomères du racémate » : Plavix, précité, au paragraphe 65;

 

2- « … la personne versée dans l’art [n’]aurait [pas] connu l’avantage relatif de l’isomère dextrogyre » : Plavix, ibidem;

 

3- « Rien ne distingue le racémate visé en l’espèce des autres composés divulgués ou analysés quant à leur effet thérapeutique ou à leur toxicité » : Plavix, précité, au paragraphe 79.

 

[73]           La Cour suprême a expliqué, en tenant compte de ces faits, en quoi la séparation du racémate ne constituait pas un essai allant de soi. Concluant que le fait que les méthodes de séparation soient connues ne signifiait pas nécessairement que la personne versée dans l’art les appliquerait, la Cour suprême a donné les explications suivantes :

Il est vrai que, selon la preuve, à l’époque considérée, une personne versée dans l’art aurait su que les avantages d’un racémate pouvaient différer de ceux de ses isomères. Toutefois, la possibilité de découvrir l’invention ne suffit pas. Pour satisfaire au critère de l’« essai allant de soi », l’invention doit être évidente au regard de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, ce que la preuve n’établit pas en l’espèce.

 

Plavix, précité, au paragraphe 85

 

[Le brevet antérieur] n’établissait cependant pas de distinction entre les composés quant à leur efficacité et à leur toxicité, ce qui donne à penser que ce qu’il y avait lieu de retenir ou d’omettre n’était alors pas évident pour la personne versée dans l’art.

 

Plavix, précité, au paragraphe 90

 

[74]           Il ressort de cet examen de l’arrêt Plavix, précité, de la Cour suprême que l’élément essentiel de l’analyse relative à l’« essai allant de soi » est l’ignorance des propriétés associées aux énantiomères des composés du brevet 875, y compris le racémate dont le clopidogrel est issu. À défaut de les connaître, il n’allait pas de soi de tenter de résoudre le racémate, ou tout autre composé, afin d’obtenir l’énantiomère possédant ces attributs avantageux.

 

[75]           Dans son analyse concernant l’évidence, le juge de première instance a exclusivement rechercé s’il allait de soi de résoudre le PCR 4099 : motifs, aux paragraphes 663, 668, 672, 675, 679, 681, 692, 712, 724, 730 et 750. Il a conclu que l’existence de ce composé, mais non ses propriétés, faisait partie des connaissances générales courantes à l’époque pertinente : motifs, aux paragraphes 614 et 647. Il a également conclu que les méthodes possibles de séparation en faisaient partie : motifs, au paragraphe 665. Le juge a conclu qu’il existait un motif pour résoudre le PCR 4099 : motifs, au paragraphe 750.

 

[76]           Tous ces facteurs ont convaincu le juge de première instance que la résolution du PCR 4099 constituait un essai allant de soi. Apotex défend cette conclusion en invoquant des éléments de preuve dont disposait, d’après elle, le juge de première instance, mais non la Cour suprême dans l’affaire Plavix, précitée, notamment le fait que le PCR 4099 était le médicament [traduction] « principal » du brevet 875 et le plus puissant des composés dont les résultats en essais étaient présentés dans le brevet. Ces distinctions ne s’appuient pas sur la preuve et, même si elles l’étaient, elles ne changent rien au fait essentiel que les propriétés des énantiomères du PCR 4099 n’étaient pas connues.

 

[77]           Le juge de première instance a conclu que « le brevet 875 n’annonce pas, directement ou indirectement, le PCR 4099 ni le clopidogrel » : motifs, au paragraphe 612 (non souligné dans l’original). Comme nous l’avons vu plus haut, il a également souligné que « le composé PCR 4099 (et non ses propriétés) […] ferait partie des connaissances générales courantes qu’une personne moyennement versée dans l’art pourrait trouver en faisant une recherche raisonnablement diligente dans les demandes de brevet » : motifs, au paragraphe 614. Par ailleurs, les propriétés du PCR 4099 n’auraient pas été découvertes au moyen d’une recherche raisonnablement diligente parmi les brevets : motifs, aux paragraphes 645 à 647.

 

[78]           Le juge de première instance s’est donc trouvé exactement dans la même position que la Cour suprême dans l’affaire Plavix précitée. Dans celle-ci, l’analyse de l’évidence ne portait pas sur la difficulté de séparer les racémates visés par le brevet de genre 875 – lesquels incluaient le PCR 4099 –, mais sur les propriétés inconnues des énantiomères résultants :

Les moyens de parvenir à l’objet du brevet 777 faisaient partie des connaissances générales courantes. On peut supposer qu’il existait un motif de chercher un produit efficace et non toxique inhibant l’agrégation des plaquettes dans le sang. Cependant, ni le brevet 875 ni les connaissances générales courantes ne rendaient éviden[tes] les propriétés […], de sorte qu’il n’était pas évident que l’essai serait fructueux.

Plavix, précité, au paragraphe 92

 

[79]           Les motifs du juge de première instance montrent bien qu’il n’était pas possible, comme dans l’affaire Plavix, de prédire les propriétés des énantiomères séparés : motifs, aux paragraphes 673 et 676. C’est précisément l’ignorance de ces propriétés qui a amené la Cour suprême à conclure dans l’affaire Plavix qu’il n’était pas évident que l’essai serait fructueux (Plavix, au paragraphe 92, précité). En somme, la personne versée dans l’art n’aurait pas pensé à séparer le PCR 4099 et à analyser ses énantiomères de manière à tirer profit de leurs propriétés quand leur existence et leur nature n’étaient pas connues.

 

[80]           Il s’ensuit que même si la résolution du PCR 4099 faisait partie des connaissances générales courantes, cela ne prête pas à conséquence, car c’est à cause des propriétés inconnues des énantiomères que l’invention n’était pas évidente.

 

[81]           Comme le juge de première instance a suivi le critère de l’évidence consacré par la jurisprudence Plavix, et qu’il l’a appliqué aux mêmes faits importants présentés devant la Cour suprême, il aurait dû parvenir à la même conclusion. Son erreur vient de ce qu’il n’a pas reconnu que les propriétés inconnues des énantiomères du PCR 4099, ou des autres composés du brevet 875, faisaient échouer l’analyse de l’« essai allant de soi ». En d’autres termes, l’écart entre les connaissances générales courantes et l’idée originale du brevet 777 ne pouvait être comblé par des expériences de routine puisque les résultats à venir étaient incertains. Le fait que les inventeurs, dont les connaissances étaient supérieures à celles de la personne moyennement versée dans l’art, aient tenté de résoudre un certain nombre d’autres composés avant de s’attaquer au PCR 4099, le confirme d’ailleurs: voir les motifs, aux paragraphes 752 à 759.

 

[82]           Le juge de première instance a donc commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’invention du brevet 777 était évidente.

 

Conclusion relative à l’invalidité

 

[83]           Par les motifs qui précèdent, j’estime que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le brevet 777 était invalide pour absence d’utilité, puisque cette conclusion reposait sur une interprétation érronée du brevet. Il a eu tort de déduire que le brevet 777 promettait explicitement que l’invention revendiquée pouvait avoir des effets bénéfiques en cas d’usage humain.

 

[84]           J’estime également, par les motifs énoncés plus haut, que la conclusion de la Cour selon laquelle l’invention du brevet 777 fût évidente est erronée.

 

CONTREFAÇON

Faits et décision rendue en première instance

 

[85]           Sanofi allègue qu’Apotex a enfreint le brevet 777 en ayant importé, mis en vente, vendu, fabriqué, gardé en sa possession à des fins commerciales, utilisé et exporté des comprimés de clopidogrel, et en la privant ainsi du monopole que lui conférait le brevet 777 et la Loi. Voici les exemples précis de contrefaçon :

 

- mesures prises pour fabriquer le clopidogrel en vrac au Mexique et l’importer au Canada;

 

- mis en comprimés au Canada du clopidogrel en vrac, ensuite exporté aux États-Unis et dans d’autres pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Hong Kong, la Malaisie, Singapour, la Hongrie, les Philippines, Malte et l’Iran;

 

- possession pour des besoins commerciaux de quantités importantes de clopidogrel en vrac au Canada, dont une partie aurait été réexportée vers le Mexique.

 

Motifs, aux paragraphes 207, 208 et 210

 

[86]           Le juge de première instance a conclu qu’Apotex s’était entendue avec Apotex Pharmachem Inc. (Pharmachem), l’une de ses filiales, pour que celle-ci mette au point [traduction] « le produit Apotex et le procédé de fabrication » : voir les motifs, au paragraphe 198. Pharmachem a ensuite conclu un contrat de transfert de technologie et de fabrication sur commande par laquelle elle transférait à Signa S.A. de CV, une entreprise mexicaine, les renseignements liés au procédé et à la fabrication mis au point par elle. Signa fabriquait le clopidogrel selon les spécifications de Pharmachem et le vendait en vrac à Apotex, qu’elle avait accepté d’approvisionner en exclusivité (à l’égard des marchés canadiens et américains). De son côté, Apotex consentait à ne se procurer le médicament que chez Signa. À la date du procès, Apotex s’était fait livrer près de 80 000 kilogrammes de clopidogrel par Signa.

 

[87]           Signa expédiait, par Air Canada, le clopidogrel à Apotex à l’Aéroport international Pearson de Toronto, normalement avec un bordereau d’expédition aérienne délivré à Montréal. Apotex était désignée comme l’entreprise importatrice sur tous les documents de douane. Une fois le clopidogrel en vrac dédouané, il était transporté par camion à l’usine de fabrication d’Apotex, où il était mis en comprimés pour être revendu. Apotex exportait ensuite ces comprimés vers différents marchés selon les accords passés avec ses filiales.

 

[88]           Apotex n’attaque pas en l’espèce la conclusion du juge de première instance selon laquelle elle a contrefait les revendications 1, 3, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 du brevet 777 : voir le paragraphe 112 du mémoire des faits et du droit d’Apotex. Elle soulève plutôt un certain nombre de points qui, s’ils étaient retenus, excluraient l’octroi à Sanofi des dommages-intérêts pour contrefaçon. Ces points concernent le délai de prescription applicable, la possession du clopidogrel à des fins expérimentales et réglementaires, et la question du règlement et de la préclusion sur la foi d’ententes de règlement de litige conclues entre les parties aux États-Unis.

 

[89]           Sanofi ne conteste pas le droit d’Apotex d’invoquer l’exemption relative à l’usage expérimental et réglementaire, mais remet en question son application en l’espèce. Le juge de première instance a estimé qu’Apotex n’avait pas produit à la Cour des éléments de preuve portant sur la destination finale du médicament qui aurait été fabriqué à des fins réglementaires. Il était manifestement d’avis que l’exception prévue au paragraphe 55.2(1) de la Loi ne s’appliquait pas si les échantillons étaient vendus après avoir servi à des fins réglementaires. Comme Apotex n’a pas été en mesure de prouver par des documents que les lots contestés de clopidogrel avaient été détruits, le juge de première instance a conclu qu’elle n’avait pas réussi à démontrer que ceux-ci étaient visés par l’exception concernant l’usage expérimental et réglementaire.

 

[90]           La thèse d’Apotex ayant trait aux délais de prescription est fondée sur l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 :

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

 (2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

 

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

 (2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

 

 

[91]           Le juge de première instance a recherché où le fait générateur avait pris naissance pour Sanofi, de manière à déterminer si le paragraphe (1) ou (2) de l’article 39 s’appliquait aux faits de l’espèce. S’appuyant sur la décision Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc, 2004 CF 190, [2004] A.C.F. no 230 (Q.L.) (Apotex c. Pfizer), et sur la jurisprudence citée dans cette affaire, il a estimé que « [l]es dommages subis et le fait à l’origine du dommage » devaient nécessairement s’être produits dans la même province pour que le paragraphe 39(1) s’applique: voir les motifs, paragraphe 250.

 

[92]           Le juge de première instance a conclu que le fait d’avoir importé du Mexique et exporté ensuite le médicament vers d’autres pays suffisait pour établir que le fait générateur (la contrefaçon) ne se limitait pas à une seule province. Il s’est également appuyé sur certains autres facteurs (comme le fait qu’Apotex exerce des activités commerciales dans de nombreuses provinces, qu’elle accepte que des entités étrangères commandent ses produits, et qu’elle ait retenu les services d’un fabricant indien pour l’aider à vendre son clopidogrel en Inde), pour conclure que les dommages subis du fait de la contrefaçon d’Apotex ne se limitaient pas à une seule province. Il a donc conclu que le paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’appliquait, et que le délai de prescription applicable était de six ans. La réclamation de Sanofi n’était donc prescrite à aucun égard.

 

[93]           Apotex a également fait valoir devant le juge de première instance que Sanofi ne pouvait pas réclamer des dommages-intérêts pour contrefaçon parce qu’elles avaient conclu une transaction dans le cadre de la poursuite intentée par Sanofi pour contrefaçon liée à son brevet américain (le brevet 265) sur le clopidogrel. Deux transactions ont été conclues, car cet arrangement nécessitait une approbation réglementaire. Aux fins du présent appel, les dispositions pertinentes sont celles qui prendraient effet si l’entente de règlement n’était pas approuvée par les autorités américaines.

 

[94]           Voici comment le juge de première instance a résumé la situation :

Cependant, durant les négociations, Sanofi-BMS a informé Apotex qu’elle était sous le coup de jugements d’expédient avec la Commission fédérale du commerce (la FTC) et les procureurs généraux de certains États des États-Unis, jugements qui empêchaient Sanofi-BMS de conclure des accords de règlement en matière de brevet sans approbation préalable. Apotex a donc exigé des concessions, et Sanofi-BMS les lui a consenties, dans le cas où l’accord de règlement serait soumis aux instances réglementaires, mais ne serait pas approuvé par elles. Les concessions étaient, d’abord, que, en cas de refus des instances réglementaires, Apotex disposerait d’un délai pour vendre son inventaire (c’est-à-dire sans être exposée à la perspective d’une requête en injonction interlocutoire) et, ensuite, que, dans le cas où l’action suivrait son cours après qu’Apotex aurait fait un lancement à risque, Apotex aurait la garantie d’un profit résultant de ces ventes en consentant à un niveau fixe de dommages-intérêts qui serait inférieur à ses bénéfices.

 

Motifs, au paragraphe 267 (non souligné dans l’original).

 

[95]           La première entente de règlement n’ayant pas été approuvée par les autorités américaines, Apotex et Sanofi ont donc dû renégocier cet accord pour le faire entériner. Au même moment, les clauses qui devaient entrer en vigueur si l’entente n’était pas approuvée ont également été modifiées afin de réduire le montant prévu dans la disposition concernant l’étendue de la responsabilité (le niveau fixe de dommages-intérêts mentionné plus haut) de 70 p. 100 à 50 p. 100 des ventes nettes La deuxième entente, datée du 26 mai 2006, n’a pas reçu non plus l’approbation réglementaire. Le contentieux a donc suivi son cours aux États-Unis. La validité du brevet 265 a été confirmée et il a été conclu qu’Apotex avait contrefait le brevet. Cependant, conformément à la disposition concernant l’étendue de la responsabilité, l’obligation d’Apotex à l’égard des dommages-intérêts se limitait à 50 p. 100 des ventes nettes américaines, soit 442 209 362 $ US.

 

[96]           Apotex a soutenu devant le juge de première instance que, vu la disposition concernant l’étendue de la responsabilité, qui limitait l’obligation d’Apotex à l’égard des dommages-intérêts (et donc le droit de Sanofi à obtenir réparation), Sanofi ne pouvait prétendre aux dommages-intérêts à l’égard de ventes américaines puisqu’elle avait déjà accepté de limiter ses réclamations dans le cadre de l’entente conclue le 26 mai 2006. Bien que le juge de première instance ne le précise pas explicitement, on peut supposer à partir des arguments d’Apotex que tout le clopidogrel vendu aux États-Unis provenait du Canada.

 

[97]           Après avoir examiné l’entente du 26 mai 2006, le juge de première instance a conclu qu’elle ne concernait que le contentieux aux États-Unis se rapportant au brevet 265. Les mots « brevet 777 » ou « Canada » ne figuraient pas dans l’entente, laquelle se limitait expressément au « … contentieux entre elles découlant du brevet américain n° 4, 847, 265.02CV-2255 et 05CV-3965 » : voir les motifs, au paragraphe 280. Le juge de première instance en a donc conclu que l’entente du 26 mai 2006 n’empêchait pas Sanofi d’obtenir des dommages-intérêts pour la violation du brevet 777.

 

[98]           Apotex a ensuite soutenu que Sanofi ne pouvait présenter une deuxième demande d’indemnisation à l’égard des mêmes actes de fabrication et de vente de clopidogrel importé du Mexique et exporté aux États-Unis. Apotex prétendait avoir agi conformément à l’entente du 26 mai, et que Sanofi ne pouvait réclamer des dommages-intérêts à l’égard des ventes aux États-Unis. Le juge de première instance a conclu que cet argument ne jouait pas puisque le contentieux aux États-Unis et l’entente du 26 mai 2006 « ne traitaient pas de la contrefaçon ou de la validité du brevet 777 ». La question soulevée dans cette procédure n’était donc pas la même qu’en l’espèce, de sorte que la préclusion n’était pas justifiée.

 

[99]           Apotex a également fait valoir que la réclamation en dommages-intérêts de Sanofi à l’égard des ventes aux États-Unis constituait un abus de procédures, argument que le juge de première instance a rejeté d’emblée.

 

[100]       Le juge de première instance a donc conclu que le brevet 777 avait été contrefait et que le droit de Sanofi de réclamer des dommages-intérêts ne devait pas être restreint.

 

ANALYSE RELATIVE À LA CONTREFAÇON

 

[101]       Comme nous l’avons observé, Apotex ne demande pas à faire annuler la conclusion du juge de première instance selon laquelle le brevet 777 a été contrefait. Toute sa thèse en appel reposait sur le fait que la défense relative à la prescription, l’entente de règlement du 26 mai 2006 et l’exception liée à l’usage expérimental et réglementaire limitaient le droit de Sanofi à des dédommagements.

 

[102]       À mon avis, la conclusion du juge de première instance était bonne, quoique fondée sur des motifs erronés pour ce qui est de l’argument de la prescription.

 

[103]       Apotex soutient que le juge de première instance a commis une erreur en ne l’autorisant pas à se prévaloir de l’exception liée à l’usage expérimental et réglementaire aux termes du paragraphe 55.2(1) de la Loi. Rappelons que le juge de première instance s’y opposait parce qu’elle n’avait pas démontré que le clopidogrel avait été détruit après avoir été employé à des fins réglementaires. Il vrai qu’Apotex pouvait se prévaloir du paragraphe 55.2(1) à l’égard du clopidogrel pour autant que le médicament fût utilisé aux fins autorisées par cette disposition. Le clopidogrel est toutefois un produit précieux et extrêmement lucratif. Dans la mesure où Apotex n’a pas su expliquer ce qu’il était advenu du clopidogrel après avoir été utilisé à des fins réglementaires, il était raisonnable d’inférer que le produit avait été mis en vente, usage qui échappait à la protection du paragraphe 55.2(1). Je ne vois aucune raison de revenir sur la conclusion du juge de première instance à cet égard.

 

[104]       Avant d’aborder la question de la prescription, je relève qu’il est improbable qu’elle se pose très souvent sous la même forme qu’en l’espèce, puisque la Loi prévoit désormais un délai de prescription de six ans pour toutes les demandes déposées et les brevets délivrés après le 1er octobre 1989 : voir l’article 55.1.

 

[105]       Cela dit, pour que le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales joue, tous les éléments du fait générateur doivent être survenus dans la même province : voir Canada c. Maritime Group Inc., [1995] 3 C.F. 124 (Maritime Group), au paragraphe 9.

 

[106]       Dans l’affaire Apotex c. Pfizer, précitée, la Cour fédérale a conclu que le lieu où le dommage est subi doit entrer en compte au moment de rechercher si le fait générateur a pris naissance dans une province particulière. Il est donc implicitement enseigné que les dommages sont un élément du fait générateur dans les cas de contrefaçon de brevet, ce qui me paraît faux. Les décisions citées dans Apotex c. Pfizer sont soit des affaires où les dommages en étaient bien un élément (un délit, dans le cas de Maritime Group, précitée, au paragraphe 7), soit des cas où la jurisprudence Maritime Group a été mal appliquée (Kirkbi A.G. c. Ritvik Holdings Inc, 2002 CFPI 585, [2002] F.C.J. no 793 (Q.L.), au paragraphe 161).

 

[107]       Dans Precision Metalsmiths Inc. v. Cercast Inc., [1967] 1 Ex.C.R. 214, le président Jackett a dû tenir compte des éléments du fait générateur en contrefaçon de brevet. Voici ce qu’il a conclu :

 

[traduction
10        Dans une action en contrefaçon de brevet intentée en vertu de la Loi sur les brevets, la déclaration doit donc comporter les allégations suivantes :

 

a) des allégations de fait dont il s’ensuit en droit que le demandeur a, en vertu de la Loi sur les brevets, le droit exclusif de faire certaines choses précises; et

 

b) des allégations portant que le défendeur a fait au moins l’une des choses spécifiques à l’égard desquelles le demandeur jouit d’un droit exclusif.

 

[108]       Cela découle de l’article 42 de la Loi (article 46 de l’ancienne Loi) qui accorde au titulaire du brevet « le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres […] » : Beloit Canada Ltée c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497, [1997] A.C.F. no 48, au paragraphe 31. Les dommages, recouvrements ou injonctions sont les mesures que la Cour peut accorder une fois que la contrefaçon a été établie, mais le titulaire du brevet n’a pas à prouver qu’il a subi la moindre perte pour avoir gain de cause dans une action en contrefaçon de brevet. Par conséquent, dans la mesure où le juge a appuyé sa conclusion sur le lieu où le fait générateur est survenu ou sur celui où les dommages ont été subis, le juge de première instance a commis une erreur.

 

[109]       Cela dit, le juge de première instance a conclu que les actes de contrefaçon consistaient à avoir importé du clopidogrel du Mexique au Canada puis à l’avoir exporté aux États-Unis. Apotex soutient que, comme les points d’entrée et de sortie se trouvent en Ontario, la cause d’action est survenue dans cette province.

 

[110]       À mon avis, l’aspect essentiel de l’importation et de l’exportation est la circulation de marchandises à l’intérieur et à l’extérieur du Canada. Comme le brevet confère des droits de monopole dans tout le Canada, le transport de marchandises franchissant les frontières provinciales ne constitue pas une contrefaçon du brevet. Le point à partir duquel les marchandises quittent le pays ou y pénètrent ne détermine pas le lieu où le fait générateur a pris naissance, puisque c’est le transport des marchandises à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada qui constitue la contrefaçon.

 

[111]       Dans cette mesure, le cas d’espèce se rapproche des faits de l’affaire Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94, où la controverse concernait le lieu où la dette fiscale avait pris naissance. On avançait que la dette était née dans la province du débiteur. La Cour suprême a conclu comme suit au paragraphe 39 de l’arrêt :

 

39        Les dettes fiscales contractées en vertu de la LIR découlent d’une loi fédérale et créent des droits et des obligations entre l’État fédéral et les résidants du Canada ou les personnes qui ont gagné un revenu au Canada. La dette peut découler d’un revenu gagné dans plusieurs provinces ou dans un autre pays. Il s’agit d’une dette envers le gouvernement fédéral, qui n’est situé dans aucune province et qui ne prend pas de province particulière comme point de repère pour l’établissement de ses cotisations. En conséquence, selon le sens clair de l’art. 32, le fait générateur en l’espèce est survenu « ailleurs que dans une province ». (Non souligné dans l’original.)

 

[112]       De même, le Canada est indivisible sous l’angle de l’importation et de l’exportation de marchandises contrefaites. Elles sont exportées ou importées lorsqu’elles quittent le Canada ou y entrent, peu importe le point d’entrée ou de sortie. C’est dans cette mesure que les actes de contrefaçon consistant à importer et exporter du clopidogrel ont eu lieu ailleurs que dans une province, ce qui appelle l’application du paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Aucune des demandes de Sanofi n’est donc prescrite.

 

[113]       La dernière question concerne l’effet de l’entente conclue aux États-Unis. Apotex soutient, comme elle l’a fait devant le juge de première instance, qu’elle devait régler toutes les réclamations, actuelles ou éventuelles, qu’une partie pouvait intenter contre l’autre relativement au clopidogrel. Le juge de première instance a estimé, compte tenu des références explicites au règlement du litige portant sur le brevet 265, que la thèse d’Apotex n’était pas crédible. Si elles avaient voulu régler toutes les réclamations éventuelles entourant le clopidogrel, ces parties averties et conseillées par les meilleurs avocats n’auraient eu aucun mal à le préciser dans leur entente de règlement. Or, elles ne l’ont pas fait. Je ne vois aucune raison de revenir sur cette conclusion.

 

[114]       En faisant valoir des arguments fondés sur l’entente de mai 2006, Apotex cherche à se soustraire aux réclamations de Sanofi en dommages-intérêts ou pour perte de profits découlant de sa contrefaçon du brevet 777. Selon Apotex, comme l’objet de l’entente de mai 2006 et de la disposition sur l’étendue de la responsabilité portait sur le risque auquel elle s’exposait en vendant le clopidogrel importé des États-Unis au Canada, ces clauses contractuelles doivent être interprétées de manière à inclure le risque lié à l’exportation du même produit à l’extérieur du Canada. Apotex soutient, en substance, que Sanofi tente de se faire dédommager deux fois de la même perte.

 

[115]       Je conviens que, vu la règle en equity contre le double recouvrement, Sanofi ne saurait être dédommagée deux fois de la même perte. Dans la mesure où la vente du clopidogrel aux États-Unis en violation du brevet 265 correspond à la perte qu’a subie Sanofi lorsqu’Apotex a exporté le médicament aux États-Unis aux fins de vente, elle ne peut être dédommagée qu’une seule fois de cette perte. Je ferais toutefois remarquer qu’il n’a pas encore été établi que la contrefaçon des brevets 265 et 777 du fait de l’exportation de clopidogrel aux États-Unis représente, en fait et en droit, la même perte. Comme l’affaire doit être renvoyée au juge de première instance pour qu’il réexamine la question des mesures, je n’en dirai pas plus sur le sujet.

 

[116]       Cependant, même si les pertes relatives à la contrefaçon des brevets 265 et 777 étaient les mêmes, il ne s’ensuit pas que la clause concernant l’étendue de la responsabilité empêche Sanofi de récupérer l’autre moitié de cette perte découlant de la contrefaçon du brevet 777. Ma conclusion ne découle pas d’une interprétation de l’entente de mai 2006 et de ladite clause dans le contexte factuel où ces dispositions ont été négociées, quoique je ne rejette pas celle que le juge de première instance a donnée de ces documents. J’arrive à cette conclusion, car même si la disposition sur l’étendue de la responsabilité avait par ailleurs l’effet proposé par Apotex, celle-ci a perdu la possibilité de s’en prévaloir en décidant d’attaquer le brevet canadien de Sanofi.

 

[117]       Il est inconcevable qu’Apotex puisse échapper aux conséquences de la contrefaçon du brevet 777 tout en cherchant à le faire déclarer invalide. S’il fallait interpréter la disposition concernant l’étendue de la responsabilité de manière à lui donner un effet commercial, on devrait certainement déduire que les parties s’estimaient liées par la décision du tribunal américain même en ce qui concerne leurs relations commerciales au Canada. Apotex conservait 50 p. 100 de ses ventes nettes effectuées aux États-Unis, quoiqu’elle ait enfreint le brevet 265, à condition de respecter le monopole canadien de Sanofi. Lorsqu’elle a intenté une procédure en jugement déclaratoire portant que le brevet 777 était invalide, Apotex a violé cette condition implicite et perdu l’avantage dont elle aurait pu se prévaloir au titre de la clause portant sur l’étendue de la responsabilité.

 

[118]       En conséquence, je rejetterais la thèse d’Apotex fondée sur l’entente de mai 2006 et la disposition concernant l’étendue de la responsabilité. Comme ses thèses concernant la préclusion et la chose jugée se rapportent simplement à la question du double recouvrement, il n’est pas nécessaire que je m’étende davantage là-dessus.

 

[119]       Je conclus donc qu’aucun des motifs subsidiaires avancés par Apotex pour appuyer les conclusions du juge de première instance n’est fondé.

 

CONCLUSION

 

[120]       Par les motifs qui précèdent, j’infirmerais le jugement de la Cour fédérale et, rendant le jugement qui aurait dû rendu, j’accueillerais l’action de Sanofi-Aventis en contrefaçon du brevet canadien no 1,366,777 et déclarerais qu’Apotex a contrefait les revendications 1, 3, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 du brevet. Je rejetterais l’action d’Apotex visant à obtenir un jugement déclarant invalide le brevet canadien no 1,366,777. Je renverrais l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle examine la question de la réparation et adjugerais à Sanofi ses dépens devant la Cour et la Cour fédérale, dont le montant reste à déterminer.

 

[121]       Comme le juge de première instance n’a tiré aucune conclusion quant à la contrefaçon à l’endroit d’Apotex Pharmachem Inc. et de Signa SA de CV, je rejetterais les demandes présentées par Sanofi à leur encontre. Comme ces entités étaient représentées par les avocats d’Apotex Inc. et qu’elles n’ont pas encouru de coûts supplémentaires pour leur défense, je n’adjugerai aucuns dépens en leur faveur.

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a. »

Traduction


LA JUGE GAUTHIER (motifs concordants)

 

[122]       Je conviens que le présent appel doit être accueilli par les motifs fournis par mon collègue, le juge Pelletier.

 

[123]       Bien que cela ne soit pas nécessaire pour trancher le présent appel, j’aimerais ajouter quelques brèves observations sur certaines questions soulevées en l’espèce pour ce qui est de l’utilité et de l’évidence.

 

[124]       Premièrement, comme l’a signalé le juge Pelletier, tous les brevets ne promettent pas un résultat spécifique au sens de la jurisprudence Consolboard, précitée. Cependant, on peut se demander pourquoi un inventeur ferait des observations concernant une éventuelle application pratique de l’invention alors que le droit canadien ne l’exige pas.

 

[125]       Bien que de telles déclarations puissent figurer dans la divulgation, par exemple pour étayer un résultat spécifique mentionné dans les revendications ou un avantage que doit posséder l’invention décrite dans la demande, dans d’autres cas, les raisons de le faire ont peu à voir avec l’intention de promettre un résultat au sens de la jurisprudence Consolboard. Par exemple, lorsque des demandes canadiennes sont déposées sur la base de l’existence de demandes européennes (date de priorité), il est bon de savoir que le droit des brevets dans l’Union européenne requiert que les inventions aient une application industrielle, ce qui est un concept très large. C’est pour cette raison que les demandes européennes comportent souvent une déclaration à cet effet. Dans ce contexte, et comme aucune exigence semblable n’existe dans notre droit, il convient de ne pas voir dans chaque renvoi à une application pratique une promesse de résultats spécifiques au sens de la jurisprudence Consolboard.

 

[126]       De plus, à mon avis, les déclarations ou les mentions concernant un résultat spécifique contenues dans une demande (comme celle portant sur un nouvel emploi/nouvelle utilité (voir l’arrêt AZT, précité)), qui font partie du mémoire descriptif comme l’a expressément souligné la Cour suprême par l’arrêt Consolboard, de même que celles qui concernent un nouveau procédé revendiqué permettant d’obtenir un résultat spécifique à partir d’un produit existant (voir, par exemple, Re Alsop’s Patent (1907), 24 R.P.C. 733), doivent être distinguées des déclarations, comportant expressément des réserves, faites au sujet des applications pratiques susceptibles d’être obtenues grâce aux propriétés et avantages démontrés d’un nouveau produit (comme le nouveau composé en l’espèce).

 

[127]       Ainsi, même en supposant que le juge de première instance a eu raison de conclure que la dernière partie de la longue phrase de la page 21 du brevet 777 se rapportait à un usage humain (« … le médicament de l’invention peut être utile lorsqu’il est administré pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome [non souligné dans l’original] », je ne peux interpréter cette déclaration de manière à ce qu’elle constitue une promesse d’un résultat spécifique au sens de la jurisprudence Consolboard.

 

[128]       D’après ce que je comprends, le juge de première instance a conclu que la personne versée dans l’art saurait, à la date pertinente, que l’on ne peut raisonnablement prédire tout usage utile du clopidogrel chez l’humain à partir des propriétés et des avantages démontrés dans le brevet (voir, par exemple, les paragraphes 572, 573 et 580 des motifs). La personne versée dans l’art reconnaîtrait ainsi que le mécanisme et les propriétés spécifiquement indiquées dans la première partie de l’énoncé figurant en page 21 du brevet 777 (« Comme il a d’intéressantes propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire et altère le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux… ») ne permettent pas de conclure que l’invention aura effectivement une application pratique chez l’humain.

 

[129]       Dans ce contexte, il me semble difficile, voire impossible, d’interpréter l’énoncé de la fin de la phrase en page 21 du brevet 777 comme la promesse (c.-à-d. effective, garantie) de l’obtention d’un résultat spécifique chez l’humain. Le terme « peut » doit signifier que le clopidogrel possède, comme pro-médicament, les propriétés inhibitrices requises avant l’ingestion (c.-à-d. la puissance) pour avoir une application pratique chez l’humain; il [traduction] « peut potentiellement » avoir cette application (voir The Oxford Canadian Dictionary, 2e éd., s.v. « can »).

 

[130]       Comme les divulgations de brevet s’adressent aux personnes versées dans l’art, les brevetés doivent pouvoir supposer que les limites spécifiques de leur énoncé seront correctement interprétées. Ceci me paraît tout à fait conforme à l’approche en matière d’interprétation imposée par la jurisprudence Consolboard qu’évoquent les motifs du juge Pelletier au paragraphe 54.

 

[131]       Les observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Consolboard quant à la promesse d’un résultat spécifique ont été formulées dans une affaire soulevant des questions d’utilité démontrée. Je pense qu’il faut être particulièrement prudent avant d’appliquer l’enseignement de l’arrêt Consolboard à des énoncés reposant clairement sur des expectatives. En fait, même en adoptant l’interprétation du juge de première instance, la promesse me paraît avoir été remplie puisque le clopidogrel est bel et bien utile chez l’humain.

 

[132]       Si tel n’est pas le cas, la présente affaire démontre que certaines des critiques contenues dans l’article du professeur Norman Siebrasse intitulé « Must the Factual Basis for Sound Prediction be Disclosed in the Patent? » [Le fondement factuel de la prédiction valable doit-il être divulgué dans le brevet?] (2012) 28 C.I.P.R. 39, doivent être prises au sérieux. Le professeur Siebrasse faisait valoir que l’observation succincte du juge Binnie au par. 70 de l’arrêt AZT ne justifie pas le degré accru de divulgation exigé par la jurisprudence récente, en particulier dans les demandes qui ne mentionnent aucun usage ou résultat spécifique lorsque l’inventeur définit l’invention à l’égard de laquelle il réclame un monopole, ou qu’un avantage/une utilité spécifique doit être établi pour justifier le droit de revendiquer une invention particulière (sélection).

 

[133]       Il est évident que le juge de première instance a conclu que la demande de brevet n’a pas été déposée sur la foi de simples hypothèses. Le breveté avait de solides antécédents fondés sur un programme de recherche de grande envergure et son raisonnement était plutôt sensé. Nul ne conteste en l’occurence que l’invention est bel et bien utile et abondamment employée. Ainsi, ni la description de l’invention (suivant l’article 34 de la Loi) ni les raisons de politiques énoncées dans l’arrêt AZT, au paragraphe 69, ne sont en cause.

 

[134]       Contrairement à l’affaire AZT, où l’invention revendiquée concernait un nouvel usage/une nouvelle utilité, et où le monopole était accordé en échange d’une divulgation complète de cette utilité, le public a bénéficié en l’espèce de tous les renseignements nécessaires à la fabrication et à l’emploi du clopidogrel, l’invention revendiquée dans le brevet 777. Le juge de première instance a conclu, et ceci n’est plus controversé, que les avantages qu’il était nécessaire de prouver pour rendre la sélection inventive et donc justifier l’octroi d’un monopole sur le clopidogrel, étaient parfaitement décrits et démontrés dans le brevet.

 

[135]       Dans un tel cas, le niveau de divulgation requis par la loi devrait être inférieur. En supposant encore une fois que l’interprétation du juge de première instance était exacte, le fait que l’énoncé à la page 21 du brevet 777 indique clairement que l’utilisation chez l’humain était prédite plutôt que démontrée devrait suffire, en droit, à remplir le critère de la prédiction valable. Cela suffit en effet pour informer le public que cette application pratique n’a pas été démontrée au moment du dépôt de la demande de brevet. Le public pouvait donc contester le monopole en cherchant à établir s’il reposait sur de simples hypothèses, et si l’inventeur avait étayé cet énoncé par un fondement factuel et un raisonnement sensé à la date pertinente.

 

[136]       Quant à l’évidence, j’ajouterai aux motifs de mon collègue, le juge Pelletier, que l’analyse du juge de première instance me semble incomplète parce qu’elle ne se concentre que sur la résolution du PCR 4099.

 

[137]       Le juge de première instance a estimé que les éléments de preuve dont il disposait au sujet de la séparation des énantiomères étaient très différentes de ceux qui avait été présentés à la Cour suprême du Canada dans l’affaire Plavix, car : (i) d’après lui, une limite avait été tracée au moment du dépôt de la demande, et les commanditaires de médicaments racémiques auraient été motivés, dans le cadre du processus de mise au point, à séparer les énantiomères pour en tirer des données et déjouer de nouvelles exigences réglementaires (voir les motifs, aux paragraphes 748 et 749); (ii) à son avis, la séparation en elle-même ne soulevait pas de difficultés importantes et relevait de la routine. Cependant, le juge Rothstein a bien indiqué dans l’arrêt Plavix que la question de savoir si la séparation ou la résolution des énantiomères était un exercice de routine ou un travail difficile n’aurait que peu de poids en l’occurrence si l’on considère tout l’arrière-plan de la décision de séparer ces énantiomères (voir l’arrêt Plavix, au par. 89).

 

[138]       Il me semble que le juge de première instance n’a pas réellement évalué l’étendue et la nature des efforts requis pour parvenir à la décision de mettre effectivement au point le PCR 4099, par opposition à tout autre composé racémique visé par le brevet 875, avant de rendre cette séparation pertinente. Comme le juge Pelletier l’a observé au paragraphe 73, le juge Rothstein a estimé dans l’affaire Plavix que le brevet 875 n’opérait pas de distinction entre l’efficacité et la toxicité des composés qui y étaient revendiqués. Le juge de première instance, pour l’essentiel, a reconnu cela et a conclu que le brevet 875 ne désignait ni directement ni indirectement le PCR 4099, même s’il figurait parmi les 21 composés cités dans les exemples du brevet 875.

 

[139]       Le juge de première instance n’a pas conclu qu’il était évident que la personne versée dans l’art se lancerait dans un projet de fabrication fondé sur le PCR 4099 du brevet 875 à l’exclusion de tout autre composé, y compris les 21 autres expressément cités dans les exemples. À vrai dire, la ligne d’action réellement adoptée par Sanofi est incompatible avec cette conclusion.

 

[140]       Par conséquent, par les motifs de mon collègue, le juge Pelletier, et compte tenu des observations additionnelles ci-dessus, je conviens que la conclusion relative à l’évidence ne peut être maintenue.

 

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

Traduction



 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-7-12

 

INTITULÉ :                                                                          SANOFI-AVENTIS et APOTEX

                                                                                                SANOFI-AVENTIS et

                                                                                                BRISTOL-MYERS SQUIBB SANOFI PARMACEUTICALS HOLDINGS PARTNERSHIP

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Les 28 et 29 janvier

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE NOËL

MOTIFS CONCORDANTS :                                             LA JUGE GAUTHIER

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 24 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony G. Creber / Cristin A. Wagner /

Marc Richard

 

Pour les appelantes

 

Harry Radomski / Benjamin Hackett /

Richard Naiberg / Sandon Shogilev

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowing Lafleur Henderson, s.r.l., Ottawa

Pour les appelantes :

 

GOODMANS, s.r.l., Toronto

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

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