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Date : 20130829


Dossier : A-515-12

Référence : 2013 CAF 197

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

DUNCAN THOMPSON

appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 12 juin 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 août 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20130829


Dossier : A-515-12

Référence : 2013 CAF 197

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

DUNCAN THOMPSON

appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

Introduction

[1]                                    Le présent appel porte sur la confidentialité des communications entre client et avocat (ou le secret professionnel) invoqué par un avocat qui fait l’objet de procédures d’exécution en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

[2]               M. Thompson (ou l’appelant) a invoqué la confidentialité des communications entre l’avocat et son client à l’égard des renseignements de base concernant ses comptes clients, soutenant que les noms de ses clients et les montants dus sont protégés, et que le ministre du Revenu national (ministre ou intimé) ne peut en conséquence y avoir accès

Faits et procédures

[3]               Plus précisément, le présent appel est interjeté d’une ordonnance de la Cour fédérale (T‑1180-12) par laquelle le juge Russell (le juge) a fait droit à la demande du ministre pour une ordonnance en application du paragraphe 231.7(1) de la Loi.

[4]               Le juge a conclu que l’appelant ne s’était pas conformé à la demande péremptoire qu’il avait reçue de l’intimé en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi, dont voici le libellé :

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord général d’échange de renseignements fiscaux entre le Canada et un autre pays ou territoire qui est en vigueur et s’applique ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a comprehensive tax information exchange agreement between Canada and another country or jurisdiction that is in force and has effect or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as stipulated in the notice,

 

 

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou

tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional

information, including a return of income or a supplementary return; or

 

 

b) qu’elle produise des documents.

(b) any document.

[5]               Le juge a, en conséquence, rendu une ordonnance portant que [traduction] « [l’intimé] [devait] se conformer à la demande péremptoire délivrée par le ministre et fournir sans délai et, en tout état de cause, au plus tard trente jours après avoir reçu signification de la présente ordonnance, les renseignements et documents [demandés] » (ordonnance verbale, dossier d’appel, volume 1, page 30, au paragraphe 1). Cette ordonnance fait l’objet de l’appel devant nous, que j’ai l’intention d’accueillir en partie, mais pour des motifs totalement différents de ceux que l’appelant a invoqués.

[6]               Bien que je souscrive de façon générale aux observations juridiques que le juge a formulées dans son ordonnance verbale, j’estime que les objections de l’appelant appelaient l’intervention de la Cour fédérale pour veiller à ce que la question du secret professionnel visant les noms des clients qui sont des particuliers soit discutée avant que la communication des renseignements sur les comptes clients soit ordonnée.

[7]               Voici les renseignements et documents que l’Agence du revenu du Canada (ARC) cherchait à obtenir :

[traduction

1)   Un état de vos résultats ainsi que votre bilan au 30 janvier 2012 (formulaire joint). L’état des résultats ainsi que le bilan doivent faire mention de tout revenu, dépense et élément d’actif et de passif, qu’ils soient de nature individuelle ou conjointe.

 

2)   Une liste des comptes clients à court terme au 30 janvier 2012.

 

3)   Des copies de tous vos relevés bancaires, relevés de carte de crédit, factures de services publics, de gaz et d’électricité et relevés des prêts personnels et hypothécaires se rapportant aux comptes individuels et conjoints pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011.

 

(Affidavit de Maria Van Dyk, agente de recouvrement à l’Agence du revenu du Canada, pièce A, demande péremptoire datée du 6 février 2012, dossier d’appel, volume 1, page 41).

[8]               M. Thompson a répondu à la demande péremptoire en donnant des explications sous six rubriques : Revenu; Frais (personnels et professionnels); Actif au 30 janvier 2012; Passif (à l’exclusion de la dette due à l’Agence du revenu du Canada); Liste des comptes clients et Relevés (ibidem, pièce C, page 47).

[9]               Après avoir pris connaissance des renseignements de l’appelant, l’ARC a conclu que seuls ceux qui concernaient le revenu et les frais professionnels de l’appelant étaient suffisants. L’ARC a constaté qu’aucun détail n’avait été fourni au sujet de ses comptes clients, hormis le solde total dû.

[10]           Bien qu’il n’ait pas donné suite aux demandes formulées sous la plupart des rubriques de la demande péremptoire, M. Thompson a mis l’accent, tant devant nous que devant la Cour fédérale, sur la question du secret professionnel entre client et avocat pour s’y opposer. Outre cet argument, il a notamment invoqué l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) 1982, ch. 11 (la Charte), soutenant que la demande péremptoire était assimilable à une fouille, perquisition ou saisie abusive, et il a déposé un avis de question constitutionnelle sous le régime de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 :

[traduction] Le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu peut-il être interprété ou appliqué de manière à obliger l’avocat qui est lui-même visé par la procédure ou l’enquête du demandeur (et non ses clients) à communiquer des renseignements au sujet de clients non désignés nommément, lesquels renseignements sont couverts par le secret professionnel entre client et avocat reconnu par la Legal Professions Act, R.S.A. 2000 ch. L-8, les Rules of the Law Society of Alberta (les Règles), de la Law Society of Alberta Code of Conduct (le Code de déontologie), et les règles de common law en vigueur dans la province de l’Alberta, et d’ainsi amener cet avocat à enfreindre ce secret en question et à s’exposer de ce fait à de graves conséquences pénales et civiles? (dossier d’appel, volume 2, page 521).

La norme de contrôle

[11]           Avant d’examiner l’ordonnance verbale du juge et les thèses des parties, il convient d’énoncer la norme de contrôle applicable.

[12]           La norme de la décision correcte joue en matière de questions de droit, tandis que la norme de l’erreur manifeste et dominante joue en matière de questions de fait et de questions mélangées de fait et de droit : Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance-vie RBC, 2013 CAF 50, au paragraphe 11. L’interprétation de la Loi et le cadre juridique du secret professionnel entre client et avocat sont des questions de droit qui n’appellent aucune retenue judiciaire. La plupart des questions à trancher dans le présent appel sont des questions de droit.

[13]           Cela étant dit, je peux trancher immédiatement l’un des dix moyens d’appel que l’appelant a invoqués dans son mémoire aux paragraphes 66 et suivants (motif d’appel E) :

[traduction] Le juge a commis une erreur de droit en concluant, au regard de l’alinéa 231.7(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, que l’appelant n’avait pas fourni tous les renseignements et documents que le ministre avait demandés dans la demande péremptoire délivrée le 6 février 2012 et a permis à tort au ministre de modifier ou de préciser ladite demande ou d’en étendre la portée en ordonnant à l’appelant de « fournir les renseignements et documents supplémentaires demandés par le ministre et précisés dans l’affidavit de Maria Van Dyk » joint à la présente demande.

[14]           Je suis d’avis que le juge n’a pas étendu la portée de la demande péremptoire. Dans son ordonnance verbale, le juge s’exprime comme suit :

[traduction] Après examen des éléments de preuve, je conclus que l’appelant ne s’est pas entièrement conformé à la demande du ministre et je ne crois pas que son argument selon lequel le ministre n’a pas précisé ce qu’il voulait ou celui selon lequel le ministre possédait déjà les renseignements et documents résiste à un examen poussé ou soit confirmé par la preuve (ordonnance verbale du juge, dossier d’appel, volume 1, page 21, au paragraphe 2).

[15]           Il s’agit là d’une conclusion de fait et l’appelant ne m’a pas convaincue que le juge a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant comme il l’a fait.

[16]           L’appelant ne m’a pas convaincue non plus qu’il n’était pas loisible au juge de lui ordonner de fournir [traduction] « les renseignements et documents supplémentaires […] précisés dans l’affidavit de Maria Van Dyk » dans la mesure où ces renseignements n’étaient pas mentionnés dans la demande péremptoire (ibidem, page 29, au paragraphe 2).

[17]           À mon avis, il ressort de l’affidavit en question que le ministre demande simplement la communication complète des renseignements et documents sollicités dans la demande péremptoire. Les renseignements et documents « supplémentaires » correspondent, en réalité, aux documents se rapportant aux trois catégories de renseignements et documents qui sont définies dans la demande péremptoire (voir le paragraphe [7] des présents motifs) et que l’appelant n’a pas fournis en réponse à la demande en question.

[18]           La présente affaire est née d’une communication incomplète par l’appelant des renseignements demandés par le ministre. Dès lors qu’il a conclu, selon le paragraphe 231.7(1), que a) M. Thompson était tenu, en application de l’article 231.2, de produire des renseignements ou documents et qu’il ne l’avait pas fait et que b) les renseignements ou documents n’étaient pas visés par le secret professionnel entre client et avocat au sens du paragraphe 232(1), il était loisible au juge de rendre l’ordonnance qu’il a prononcée.

[19]           Les neuf autres moyens d’appel que l’appelant a soulevés concernent tous, d’une façon ou d’une autre, la question du secret professionnel entre client et avocat. Par souci de commodité, je les ai regroupés sous les trois questions suivantes :

1.      Quelle partie avait le fardeau d’établir que les renseignements en cause étaient visés par le secret professionnel?

2.      La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les renseignements demandés par l’intimé – les renseignements concernant les comptes commerciaux de l’appelant, y compris les noms de ses clients et les montants dus par ceux‑ci – étaient des relevés comptables qui n’étaient pas visés par le secret professionnel entre client et avocat?

3.      La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la décision ne portait pas atteinte aux droits à la vie privée garantis par l’article 8 de la Charte?

[20]           Je reviendrai sur ces questions après avoir examiné la partie pertinente de l’ordonnance verbale portée en appel, la portée générale du privilège des communications entre client et avocat, et le paragraphe 232(1) de la Loi, qui est ainsi libellé :

« privilège des communications entre client et avocat » Droit qu’une personne peut posséder, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle-ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle sauf que, pour l’application du présent article, un relevé comptable d’un avocat, y compris toute pièces (sic) justificative out (sic) tout chèque, ne peut être considéré comme une communication de cette nature

“solicitor-client privilege” means the right, if any, that a person has in a superior court in the province where the matter arises to refuse to disclose an oral or documentary communication on the ground that the communication is one passing between the person and the person’s lawyer in professional confidence, except that for the purposes of this section an accounting record of a lawyer, including any supporting voucher or cheque, shall be deemed not to be such a communication.

[21]           Je me prononcerai ensuite sur la question constitutionnelle.

L’ordonnance verbale du juge

[22]           Le juge a formulé sa conclusion comme suit :

[traduction] […] Je comprends fort bien la situation délicate dans laquelle M. Thompson se trouve : ses clients pourraient faire l’objet de procédures de saisie‑arrêt si leurs noms étaient communiqués, ce qui risque de les surprendre et d’embarrasser l’appelant, qui exerce le droit dans une petite ville […] Cependant, je ne crois pas que sa thèse est bien fondée en droit. Les renseignements et documents que le ministre demande sont simplement des documents financiers de l’appelant et, à mon avis, ils ne sont pas couverts par le secret professionnel […] (ibidem, dossier d’appel, volume 1, pages 21 et 22, aux paragraphes 3 et 4)

[23]           S’appuyant sur la jurisprudence Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209 [Lavallee], le juge a relevé que les noms des clients n’étaient pas dans tous les cas couverts. Il a également conclu qu’en réalité M. Thompson n’avait fourni aucun élément de preuve établissant que le nom d’un client donné devrait être protégé et que les documents financiers demandés par le ministre constituaient ou contenaient des renseignements ou documents visés par le secret professionnel entre client et avocat.

[24]           Le juge a également examiné le moyen de l’appelant fondé sur l’article 8 de la Charte et l’a rejeté. Soulignant que M. Thompson avait admis que l’article 8 protégeait les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée, le juge a observé que les attentes des contribuables en matière de protection de la vie privée étaient très faibles en ce qui a trait à leurs livres comptables utiles à la détermination de leur assujettissement à l’impôt et qu’il ne fallait pas confondre l’attente en matière de vie privée avec l’obligation de confidentialité.

[25]           De plus, le juge a relevé que les obligations de confidentialité découlant des directives d’organismes de réglementation comme la Law Society of Alberta ne peuvent justifier qu’une disposition de la Loi soit invalidée : Canadian Western Bank c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113. En tout état de cause, le Code de déontologie de la Law Society of Alberta prévoit une exception explicite à l’obligation de confidentialité lorsque la communication [traduction] « est exigée par la loi ou par le juge » : alinéa 2.03(1)b) du Code de déontologie qui concerne les renseignements confidentiels (ordonnance verbale du juge, dossier d’appel, volume 1, page 27, au paragraphe 22).

[26]           Enfin, s’appuyant sur la jurisprudence R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, le juge a affirmé que le paragraphe 231.2(1) de la Loi prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de ses dispositions. Par les motifs exposés ci-dessus et compte tenu des circonstances, le juge a conclu que tant la disposition susmentionnée de la Loi que la demande péremptoire respectaient les exigences de l’article 8 de la Charte (ibidem, aux paragraphes 25 à 28).

Les thèses des parties

[27]           La thèse de M. Thompson est simple. Il soutient que les noms, adresses et numéros de téléphone des clients et les montants qu’ils doivent à leurs avocats pour des services juridiques sont dans tous les cas couverts par le secret professionnel et ne peuvent faire partie des relevés comptables de l’avocat au sens du paragraphe 232(1) de la Loi.

[28]           Les factures ou états de compte constituent un élément essentiel de la relation entre les avocats et leurs clients et sont des documents couverts par le secret professionnel. Le ministre s’ingèrerait dans cette relation unique s’il était autorisé à exiger qu’il soit donné suite à sa demande péremptoire. L’appelant ne serait donc plus en mesure d’abaisser le montant de la dette d’un client ou de la radier en totalité une fois que ce dernier aurait reçu signification d’un bref de saisie-arrêt de la part du ministre.

[29]           En conséquence, l’appelant soutient que le juge a retenu une interprétation inexacte et restrictive du secret professionnel entre client et avocat et n’a pas donné pleinement effet aux principes de common law consacrés à cet égard par la jurisprudence Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574.

[30]           De plus, l’appelant fait grief au juge d’avoir commis une erreur en appliquant aux faits de la présente affaire la définition des mots « privilège des communications entre client et avocat » énoncée au paragraphe 232(1) de la Loi, reproduite plus haut au paragraphe 20. De l’avis de l’appelant, cette définition vise uniquement les affaires faisant jouer l’article 232 de la Loi (intitulé secret professionnel) et non l’examen de la question de savoir si une ordonnance doit être rendue en application de l’article 231.7 de la Loi.

[31]           En tout état de cause, l’appelant fait également grief au juge d’avoir commis une erreur en faisant primer la Loi plutôt que la Legal Profession Act, R.S.A. 2000 ch. L-8, les Règles et le Code de déontologie de la Law Society of Alberta, lesquels l’emportent à son avis sur la Loi parce qu’ils concernent des questions de propriété et de droits civils, qui sont de la compétence de la province.

[32]           Enfin, tel qu’il est mentionné plus haut, l’appelant se fonde sur l’article 8 de la Charte. Invoquant l’arrêt Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que l’article 231.3 de la Loi était inopérant et violait l’article 8, l’appelant soutient que le même raisonnement vaut pour le paragraphe 231.2(1) de la Loi. Il soutient que les articles 231 à 232 de la Loi constituent à l’instar du paragraphe 231(3) une entrave à l’administration de la justice :

[traduction] […] la tentative du ministre de porter atteinte aux droits et libertés des clients en ce qui concerne le privilège des communications entre client et avocat ne constitue pas une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, comme l’exige l’article premier de la [Charte] et ainsi que le prévoit l’article 8 de celle-ci (mémoire de l’appelant, page 26, motif d’appel J).

[33]           L’intimé appuie entièrement l’ordonnance de la Cour fédérale et soutient que le juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire, que ce soit en fait ou en droit.

Le secret professionnel entre client et avocat

[34]           Le secret professionnel entre client et avocat compte parmi les doctrines ayant un caractère sacré en common law; selon la Cour suprême du Canada, il constitue un des privilèges « les plus anciens et les plus puissants reconnus dans la jurisprudence ». Il est généralement considéré comme « une règle de droit fondamentale et substantielle » : R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, au paragraphe 39, citant l’arrêt R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445 [McClure], que le professeur Adam Dodek a commenté dans le document intitulé « Le privilège des communications entre l’avocat et son client – Défis pour le XXIe siècle » (document de travail préparé pour l’Association du Barreau canadien, février 2011).

[35]           Dans l’arrêt McClure, au paragraphe 35, le juge Major s’est exprimé comme suit :

[…]le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.

[36]           La Cour suprême du Canada a repris ce point de vue à l’occasion de l’affaire Lavallee, ajoutant :

Par conséquent, je suis d’avis que la Cour est tenue d’adopter des normes rigoureuses pour assurer sa protection (au paragraphe 36).

[37]           Plus récemment, la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes dans l’arrêt R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 26 [Cunningham] :

Point n’est besoin d’insister sur son importance fondamentale dans notre système juridique. La relation entre l’avocat et son client fait partie intégrante de l’administration de la justice. Le secret incite à la communication libre et entière des éléments nécessaires à la bonne représentation devant la justice.

[38]           Bien que la Cour suprême du Canada ait retenu une position ferme sur l’importance du secret professionnel, elle a aussi de façon constante reconnu que la protection qu’il confère n’est pas absolue. Comme il est signalé plus haut, le secret cède le pas dans certains cas bien définis. En l’espèce, il convient de rappeler certaines des restrictions auxquelles la protection découlant du secret professionnel entre client et avocat est assujettie.

[39]           En premier lieu, le secret appartient au client et non à l’avocat : Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, au paragraphe 46. Seul le client peut l’invoquer ou y renoncer, directement ou par consentement éclairé (Lavallee, au paragraphe 39). Le secret est important « tant pour la protection des intérêts essentiels [des] clients [de l’avocat] que pour le fonctionnement du système juridique du Canada… » : Foster Wheeler Power Co. c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) Inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456, au paragraphe 34 [Foster Wheeler] [non souligné dans l’original]

[40]           En deuxième lieu, le secret professionnel entre client et avocat joue uniquement en matière de communications entre l’avocat et son client qui sont de nature confidentielle et qui sont directement liées à la demande, à la formulation ou à la fourniture de conseils juridiques. En d’autres termes, le secret professionnel n’est pas reconnu à l’égard des communications au cours desquelles aucun avis juridique n’est sollicité ou offert ou qui ne sont pas destinées à être confidentielles. Le secret vise à garantir aux clients que les renseignements qu’ils ont donnés à titre confidentiel à leurs avocats ne seront pas divulgués plus tard et utilisés contre eux : Canada (Combines Investigation Act) (Re), [1975] C.F. 184, 55 D.L.R. (3d) 713, au paragraphe 12, approuvé et suivi par Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, à la page 834).

[41]           En troisième lieu, la jurisprudence enseigne que le privilège des communications entre client et avocat protège les noms des clients, mais seulement dans certains cas. À l’occasion de l’affaire R. c. Budd, 2002, [2002] O.T.C. 893, la Cour supérieure de l’Ontario a passé en revue la jurisprudence et la doctrine canadiennes sur la question du privilège concernant les noms des clients et a conclu que les noms des clients sont protégés lorsque l’identité de ceux-ci [traduction] « constitue le fondement du mandat de représentation en justice » ou [traduction] « l’objet essentiel de la consultation » (aux paragraphes 14 et 15). La Cour supérieure de l’Ontario a conclu qu’en règle générale les noms des clients ne sont pas en soi protégés en droit canadien.

[42]           Au cours de l’année pendant laquelle l’affaire Budd a été tranchée, la Cour suprême du Canada a tiré la conclusion identique dans l’arrêt Lavallee : « Le nom [du client] peut fort bien être protégé par le secret professionnel de l’avocat, bien que cela ne soit pas toujours le cas » : voir également Thorson c. John Jones (1973), 38 D.L.R. (3d) 312 (C.S.C.-B.), et R. D. Manes et M. P. Silver, Solicitor-Client Privilege in Canadian Law (Markham, Ont. : Butterworths, 1993), à la page 141, cité dans l’arrêt Lavallee.

[43]           Enfin, le secret professionnel est différent de l’obligation de confidentialité et plus restreint que celle-ci. L’appelant invoque l’obligation de confidentialité à laquelle il est tenu envers ses clients selon les Règles et le Code de déontologie de la Law Society of Alberta. Cependant, la jurisprudence et les barreaux reconnaissent la distinction entre l’obligation de confidentialité et le secret professionnel entre client et avocat. Les commentaires suivants concernant la confidentialité figurent à l’article 2.03 du Code de déontologie de la Law Society of Alberta :

[traduction] Cette règle doit être distinguée de la règle de preuve en matière de secret professionnel entre client et avocat, qui est aussi un droit protégé par la Constitution et qui couvre les communications verbales ou écrites échangées entre le client et l’avocat. La règle de déontologie est plus large et s’applique sans égard à la nature ou à la provenance des renseignements ou à la possibilité que des tiers en donnent communication.

[44]           La Cour suprême du Canada a de manière similaire opéré une distinction entre les deux concepts. Par l’arrêt Cunningham, elle a précisé que ses motifs, qui « portent sur l’application ou l’inapplication du secret professionnel de l’avocat », ne sauraient être interprétés de façon à modifier « l’obligation déontologique de l’avocat » (au paragraphe 31). Dans la même veine, par l’arrêt Foster Wheeler, la Cour suprême du Canada a opéré une distinction entre « la portée de l’obligation de confidentialité de l’avocat » (soit le devoir de confidentialité), d’une part, et « la mise en application de l’immunité de divulgation destinée à protéger cette confidentialité » (soit le privilège des communications entre client et avocat) (au paragraphe 29), d’autre part.

Le paragraphe 232(1) de la Loi

[45]           Comme il est signalé plus haut, le paragraphe 232(1) définit le « privilège des communications entre client et avocat » pour l’application de la Loi. Par souci de commodité, je reproduis à nouveau cette disposition :

« privilège des communications entre client et avocat » Droit qu’une personne peut posséder, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle-ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle sauf que, pour l’application du présent article, un relevé comptable d’un avocat, y compris toute pièces (sic) justificative out (sic) tout chèque, ne peut être considéré comme une communication de cette nature.

solicitor-client privilege” means the right, if any, that a person has in a superior court in the province where the matter arises to refuse to disclose an oral or documentary communication on the ground that the communication is one passing between the person and the person’s lawyer in professional confidence, except that for the purposes of this section an accounting record of a lawyer, including any supporting voucher or cheque, shall be deemed not to be such a communication.

[46]           Cette définition est conforme aux enseignements de la Cour suprême du Canada sur le privilège des communications entre client et avocat, qui protège de la divulgation les communications échangées entre le client et son avocat en confidence professionnelle, c’est-à-dire les communications dans le cadre desquelles des conseils juridiques sont demandés et fournis. Je ne vois pas en quoi cette définition vise les relevés comptables, les chèques et les pièces justificatives qui, de façon générale, constituent la preuve d’un acte ou d’une opération plutôt qu’une communication privilégiée : voir également Canada (Revenu national) c. Jakabfy, 2013 CF 706, au paragraphe 11 [Jakabfy]; Canada (Ministre du Revenu national) c. Singh Lyn Ragonetti Bindal LLP, 2005 CF 1538, au paragraphe 18; Canada (Revenu national) c. Reddy, 2006 CF 277; Canada (Revenu national) c. Cornfield, 2007 CF 436; Canada (Ministre du Revenu national) c. Currie, 2008 CF 237. Bien entendu, si, pour des raisons inhabituelles, les relevés comptables d’un avocat contiennent des communications privilégiées, ces communications demeurent susceptibles d’examen de la part du juge aux termes de la Loi, puisque les dispositions législatives régissant la production des documents doivent être interprétées de manière à ce que ne soient pas visées les communications protégées par le secret professionnel entre client et avocat : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, précité, au paragraphe [29] .

[47]           Je ne comprends pas non plus l’argument de l’appelant au sujet de l’inapplicabilité de la définition du privilège énoncée dans la Loi à son cas. La ministre a engagé des procédures sous le régime du paragraphe 231.7(1) parce que l’appelant ne s’est pas conformé à une demande péremptoire signifiée conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi. L’alinéa 231.7(1)b) renvoie explicitement à cette définition lorsqu’il définit la mission du juge saisi d’une demande sommaire d’ordonnance d’exécution.

[48]           Je discuterai maintenant les trois questions formulées précédemment au paragraphe [19] des présents motifs.

Le fardeau de la preuve

[49]           M. Thompson a invoqué le secret professionnel entre client et avocat. Il incombe à la partie qui invoque le secret d’établir le bien-fondé de sa thèse selon la prépondérance des probabilités.

[50]           M. Thompson ne l’a pas fait. Au contraire, le juge a conclu que [traduction] « au vu du dossier devant [lui], il n’y a aucune raison de penser que le nom de l’un ou l’autre client doit être protégé par le secret professionnel » (ordonnance verbale du juge, dossier d’appel, volume 1, page 22, au paragraphe 5). Cette conclusion est pleinement justifiée vu les éléments de preuve, plus particulièrement l’affidavit de M. Thompson, qui comporte uniquement des généralités au sujet de sa pratique du droit (affidavit de l’appelant, dossier d’appel, volume 2, aux pages 335 et suivantes).

[51]           La thèse de l’appelant selon laquelle les noms des clients sont dans tous les cas visés par le secret professionnel pose notamment problème parce qu’elle va à l’encontre des fondements du système fiscal canadien : l’autocotisation et l’autodéclaration. Selon cette thèse, l’ARC ne pourrait jamais demander et obtenir des renseignements d’un avocat au sujet du revenu généré par ses activités professionnelles ou autres afin de vérifier s’il s’est conformé ou non aux exigences de la Loi. L’appelant va même jusqu’à soutenir que le secret professionnel vise les institutions financières titulaires d’hypothèques enregistrées sur ses biens personnels parce qu’il assure des services juridiques à ces institutions où il détient également des comptes bancaires.

[52]           À mon avis, l’appelant ne pouvait avoir gain de cause simplement en invoquant le secret professionnel pour le compte de ses clients dont le ministre cherche à obtenir les noms et en se servant de ce secret comme paravent. L’appelant est un contribuable et le ministre a parfaitement le droit de vérifier s’il se conforme à la Loi. Si M. Thompson avait invoqué le secret professionnel entre client et avocat jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de consulter ses clients et de déterminer leurs droits, et s’il avait ensuite produit par un affidavit des précisions sur les raisons pour lesquelles certains des noms étaient susceptibles d’être visés par le privilège, il aurait été mieux placé pour convaincre le juge du bien-fondé de sa demande d’immunité.

[53]           D’ailleurs, la Cour fédérale a fait remarquer que rien n’indique, au vu du dossier, que l’appelant a informé ses clients qu’il invoquait le privilège en leur nom. Il semble plutôt qu’il cherche à éviter que ses clients soient mis au courant de toute l’affaire. Encore là, le juge a conclu que l’appelant [traduction] « n’a produit aucun élément de preuve dont il ressort que le nom d’un client donné doit être protégé en l’espèce » (ordonnance verbale du juge, dossier d’appel, volume 1, page 25, au paragraphe 14). Je ne suis pas convaincue que le juge a commis des erreurs susceptibles de contrôle judiciaire lorsqu’il a tiré ces conclusions.

Les renseignements demandés ne sont pas visés par le secret professionnel entre client et avocat

[54]           La jurisprudence offre l’exemple très récent d’un avocat dont les clients étaient exposés à une ordonnance fondée sur l’article 231.7 de la Loi. À l’occasion de l’affaire Jakabfy, la Cour fédérale a conclu que M. Jakabfy avait agi de manière appropriée dans ses rapports avec ses anciens clients (les Lavallée) et avec le ministre. Après avoir reçu la demande qui lui était adressée et qui visait à obtenir des renseignements sur la manière dont M. Lavallée avait distribué le produit de la vente d’un bien, M. Jakabfy avait écrit à ses clients afin de leur demander des directives précises à ce sujet. Il a ensuite avisé l’ARC, au moyen d’un affidavit, que ses clients refusaient de divulguer les renseignements pertinents. Le juge de la Cour fédérale a ordonné à M. Jakabfy de produire les renseignements au moyen, notamment, d’un état de compte en fiducie, d’un journal des chèques, d’un état des rajustements ou des déboursés et de copies de toutes les factures ou de tous les reçus de paiement. La Cour fédérale a conclu qu’aucun de ces documents n’était visé par le privilège.

[55]           Dans le cas de M. Thompson, le ministre demande des documents similaires, plus précisément la [traduction] « liste des comptes clients à court terme ». Dans son mémoire, l’appelant soutient que les noms des clients sont couverts par le secret professionnel au même titre que les états de compte. Il soutient que, contrairement à la conclusion que le juge a tirée, les noms des clients ne font pas partie des relevés comptables des avocats (aux paragraphes 35 à 37). Je rejette la thèse de l’appelant.

[56]           Les mots « livres de comptes et registres » sont définis de façon générale à l’article 230 de la Loi. Il s’agit des documents « renfermant les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payable en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues ». Le cas particulier des avocats est visé comme suit au paragraphe 230(2.1) :

(2.1) Il est entendu que les registres et les

livres de comptes qui doivent, en vertu du paragraphe (1), être tenus par une personne exploitant une entreprise consistant dans l’exercice de la profession d’avocat (au sens du paragraphe 232(1)) en société de personnes ou autrement comprennent tous les registres comptables de l’avocat, y compris les pièces justificatives et les chèques

(2.1) For greater certainty, the records and books of account required by subsection 230(1) to be kept by a person carrying on business as a lawyer (within the meaning assigned by subsection 232(1)) whether by means of a partnership or otherwise, include all accounting records of the lawyer, including supporting vouchers and cheques.

 

[57]           Les états de compte sont différents des relevés ou registres comptables de l’avocat, lesquels font essentiellement état de faits comme le nom du client, le montant facturé à l’égard des services professionnels, les paiements reçus et les montants encore dus. En revanche, les états de compte peuvent révéler l’historique du dossier et contenir des renseignements comme la nature de la consultation, un résumé des communications entre l’avocat et son client, et ainsi de suite, lesquels renseignements pourraient être visés par le secret professionnel entre client et avocat.

[58]           Dans la présente affaire, le ministre ne sollicite pas les renseignements contenus dans les états de compte. Il demande des renseignements de nature purement factuelle, soit les noms des clients et les montants que chacun d’eux doit.

[59]           À l’audition du présent appel, M. Thompson a admis qu’il pourrait engager contre le client qui ne collabore pas des poursuites judiciaires pour recouvrer ses honoraires. Compte tenu de la nature publique des procédures judiciaires, il serait tenu de révéler l’identité du client en question et les montants qu’il doit afin de recouvrer ces honoraires. Eu égard à cette seule réponse, il est difficile de retenir la thèse de l’appelant selon laquelle ces renseignements sont visés par le secret professionnel entre client et avocat. De plus, il importe de souligner que le Code de déontologie de la Law Society of Alberta prévoit les cas dans lesquels la communication de ce type de renseignements est possible. Le paragraphe 2.03(5) du Code de déontologie stipule :

[traduction] 2.03(5)            L’avocat peut divulguer des renseignements confidentiels pour établir ou recouvrer ses honoraires, mais ne doit pas divulguer plus que ce qui est exigé.

[60]           Comme dans le cas susmentionné, les renseignements demandés à M. Thompson se limitent aux renseignements qu’il aurait à produire dans une déclaration afin de révéler un moyen de droit ou de fait.

[61]           Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que les renseignements demandés dans la demande péremptoire n’étaient pas visés par le secret professionnel entre client et avocat.

Aucune atteinte aux droits à la vie privée aux termes de l’article 8 de la Charte

[62]           L’appelant soutient que la tentative du ministre de porter atteinte aux droits de ses clients mettant en jeu le secret professionnel entre client et avocat viole l’article 8 et que cette violation n’est pas légitimée par l’article premier de la Charte. Comme l’appelant n’a pas réussi à démontrer que la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant qu’aucun privilège générique ne visait les relevés comptables et les noms des clients demandés par le ministre, il n’y a aucune atteinte aux droits mettant en jeu le privilège et cet argument ne peut être retenu.

[63]           L’appelant invoque également la jurisprudence Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, par laquelle la Cour suprême du Canada a déclaré inopérant l’article 231.3 de la Loi, parce que cette disposition entravait le pouvoir discrétionnaire du juge quant à l’octroi ou au refus d’autoriser l’émission d’un mandat de perquisition pour accéder à un bâtiment, contenant ou endroit et y perquisitionner pour y rechercher des documents ou choses pouvant constituer des éléments de preuve de la perpétration d’une infraction à la Loi. Cependant, dans la présente affaire, l’appelant ne renvoie à aucun élément de preuve dont il ressort que le pouvoir décisionnel de la Cour est entravé par le libellé des dispositions législatives en cause.

[64]           De plus, l’analogie qu’opère l’appelant avec la saisie matérielle de documents dans le cadre de l’exécution d’un mandat ne saurait jouer dans les circonstances de l’espèce. Il n’est pas question qu’un représentant du fisc entre dans l’établissement de l’appelant. La demande péremptoire n’est qu’une demande de production de documents. Enfin, je relève une récente affaire à l’occasion de laquelle un juge de la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnels et inopérants les articles 231.2 et 231.7 ainsi que l’alinéa (5) du paragraphe 232(1) de la Loi en ce qui concerne les avocats et notaires du Québec : Chambre des notaires du Québec c. Canada (Procureur général), 2010 J.Q. n° 8868; [2010] QCCS 4215.

[65]           Cette jurisprudence ne me fait pas changer d’avis. D’abord, une décision de la Cour supérieure du Québec ne lie pas la Cour d’appel fédérale. Cette décision a été portée en appel et, jusqu’à maintenant, aucune décision n’a encore été rendue dans l’appel (appel déposé le 7 octobre 2010, 500-09-021073-101). En deuxième lieu, les faits de cette affaire sont différents, parce qu’ils concernent des demandes que l’ARC a envoyées à certains notaires du Québec afin d’obtenir des renseignements et documents concernant leurs clients. La Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q. ch. C-12, le Code de déontologie des notaires du Québec, R.R.Q., ch. N-3, r. 2, et le Code de déontologie des avocats, R.R.Q., ch. B‑1, r. 3, sont également invoqués, mais ne s’appliquent pas à l’appelant.

[66]           En conséquence, je conclus que l’appelant n’a relevé aucune erreur manifeste dans les motifs de l’ordonnance du juge au sujet des questions relatives à la Charte justifiant notre intervention.

L’avis de question constitutionnelle

[67]           La nécessité de donner un avis de question constitutionnelle est fonction de la nature de la mesure demandée par une partie : Canada (Ministre du Patrimoine) c. Mikisew Cree First Nation, 2004 CAF 66, [2004] 3 R.C.F. 436. L’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale ne peut être apprécié à moins qu’un avis n’ait été signifié. L’appelant ne demande pas à la Cour d’appel fédérale, que ce soit dans son avis d’appel ou dans la section de son mémoire portant sur l’ordonnance recherchée, de conclure que les dispositions de la Loi que le ministre a invoquées à l’appui de sa demande péremptoire sont invalides, inapplicables ou sans effet, comme l’exige l’article 57. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’examiner la question soulevée dans l’avis de question constitutionnelle.

Conclusion

[68]           Comme je l’ai signalé au début des présents motifs, j’ai l’intention d’accueillir en partie l’appel, bien que, à l’instar du juge, je rejette tous les arguments de M. Thompson. Toutefois, à mon humble avis, l’ordonnance du juge était prématurée en ce qui concerne les listes des comptes clients. Après avoir décidé que la position de l’appelant sur cette question ne pouvait être retenue, le juge devait prendre les mesures nécessaires pour savoir si le secret professionnel entre client et avocat visait l’un ou l’autre des clients de M. Thompson individuellement. Ayant plaidé sa cause sur une compréhension erronée de règles de droit applicables au secret professionnel entre client et avocat, l’appelant avait formulé une généralité portant que les noms des clients sont toujours couverts par le secret professionnel. Sur le fondement de la juste interprétation du secret professionnel ainsi que des dispositions législatives et des règles en jeu, il est possible que quelques-uns des noms des clients de l’appelant soient couverts par le secret professionnel entre client et avocat. Si tel est le cas, les clients en question doivent avoir la possibilité d’invoquer ce secret et M. Thompson doit avoir l’occasion d’établir les fondements de leur demande pour leur compte.

[69]           L’avocat n’est nullement tenu d’aviser son client lorsqu’il invoque un droit pour le compte de celui-ci, lorsque ce droit est en péril. Cela étant dit, les barreaux provinciaux imposent des obligations générales aux avocats ou leur présentent des recommandations dont il peut être inféré que l’appelant doit invoquer et faire valoir le secret professionnel entre client et avocat après avoir informé ses clients et obtenu leurs directives à cet égard.

[70]           À mon humble avis, à titre de gardien du droit, le juge aurait dû concevoir une mesure tenant compte de l’importante question du secret professionnel avant de prononcer son ordonnance. La Loi permet que les juges rendent des ordonnances de production tout en leur donnant suffisamment de latitude et de marge de manœuvre pour qu’ils demeurent les protecteurs des droits visés par le secret professionnel entre client et avocat.

[71]           Étant donné que le juge n’a pas conçu une mesure de cette nature, j’ai l’intention de renvoyer le dossier à la Cour fédérale pour qu’elle procède à une nouvelle audience sur la question de la liste des comptes clients. M. Thompson aura alors l’occasion d’obtenir des directives de ses clients et, sur le fondement des présents motifs, de produire de nouveaux affidavits faisant état des raisons pour lesquelles chacun des noms de ses clients est couvert par le secret professionnel, si tel est effectivement le cas. Je n’imposerai pas de délai à cette fin et je laisserai à la Cour fédérale le soin de fixer les dates d’échéance que les parties devront respecter en ce qui concerne l’échange d’affidavits ou de documents supplémentaires. Cependant, j’ajouterais que les clients au nom desquels l’appelant invoque le secret professionnel devront produire leurs propres affidavits comportant des explications sur l’historique de leurs comptes. Des copies de ces affidavits devront être signifiées à l’intimé, une fois les noms des clients supprimés.

[72]           Quant aux autres renseignements et documents manquants, qui sont énumérés dans l’affidavit de Mme Maria Van Dyk (dossier d’appel, volume 1, pages 35 et suivantes), l’ordonnance verbale du juge demeure en vigueur. La version non expurgée des renseignements et documents manquants doit être produite conformément à l’ordonnance dans les trente (30) jours suivant le jugement qui sera rendu en l’espèce. Par souci de clarté, les paragraphes pertinents de l’affidavit de Mme Van Dyk énonçant les renseignements et documents manquants sont reproduits à l’annexe jointe aux présents motifs.

Dépens

[73]           Comte tenu de l’issue du présent appel, j’ordonnerais à chaque partie de payer ses propres dépens.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d’accord. »

J.D. Denis Pelletier, j.c.a.

 

« Je suis d’accord. »

Robert M. Mainville, j.c.a.

 

 

Traduction


ANNEXE

(Affidavit de Mme Maria Van Dyk daté du 21 juin 2012)

[traduction]

 

8.         […]

 

            a)         S/O

 

            b)         S/O

 

            c)         Frais personnels : [l’appelant] a fourni des renseignements incomplets. Il a fourni une liste de différentes dépenses discrétionnaires concernant les éléments suivants : produits d’alimentation et d’épicerie, assurance-vie, réparations domestiques, vacances, dons de bienfaisance, vêtements, différents frais d’adhésion, loisirs, cadeaux aux membres de la famille, dépenses diverses, frais médicaux, et médicaments sur ordonnance. Il a précisé que ses dépenses relatives aux services publics, au satellite et à l’Internet étaient présentées en détail sur les états qu’il a fournis à l’ARC. Cependant, les renseignements en question sont des versions expurgées de nombreux documents bancaires et documents de fournisseurs de services publics, de sorte qu’il est impossible de déterminer les différents frais en question. Aucun renseignement n’a été fourni à l’égard des éléments suivants :

 

i.                     Paiements hypothécaires;

ii.                   Paiements des taxes foncières;

iii.                 Paiement des frais de téléphone (téléphone résidentiel et téléphone cellulaire personnel);

iv.                 Paiement des frais de câblodistribution;

v.                   Paiement des frais d’Internet

vi.                 Paiement des frais de services publics (eau/égout);

vii.               Paiement des frais de gaz et d’électricité;

viii.             Paiement des frais d’assurance habitation et d’assurance automobile

ix.                 Paiement des frais relatifs à l’achat ou à la location de véhicules;

x.                   Paiement de frais d’huile et d’essence (pour les véhicules);

xi.                 Paiements des frais d’entretien et de réparation des véhicules;

xii.               Paiements des cartes de crédit;

xiii.             Paiements des prêts bancaires;

xiv.             Paiements des autres prêts;

xv.               Autres frais qu’il paie et qu’il n’a pas déclarés dans sa réponse à la demande péremptoire;

 

d)                 Actif : [l’appelant] a fourni des renseignements incomplets au sujet de son actif :

 

i.                     [l’appelant] a déclaré qu’il possédait un intérêt conjoint dans une propriété de 80 acres, mais il n’a pas précisé l’emplacement de cette propriété. De plus, il n’a pas précisé si sa résidence personnelle se trouvait sur la propriété en question ni n’a indiqué l’endroit où elle pourrait se trouver par ailleurs;

ii.                   [l’appelant] a déclaré qu’il possédait six véhicules automobiles, mais il n’a pas établi la liste desdits véhicules ni n’a précisé le NIV et la valeur de chacun d’eux;

iii.                 [l’appelant] a déclaré qu’il possédait trois véhicules de plaisance, mais il n’a pas établi la liste desdits véhicules ni n’a précisé leurs caractéristiques d’identification;

iv.                 [l’appelant] a déclaré qu’il avait une somme de 1 100 $ dans un compte de la banque, mais il n’a pas précisé le nom de la banque où la somme se trouve. Les relevés bancaires fournis ont été expurgés. Les renseignements que [l’appelant] a supprimés comprennent les renseignements sur la banque, le numéro transitaire, le numéro de la banque, le numéro du compte et les détails relatifs aux opérations;

 

e)                  Passif : [l’appelant] a fourni des renseignements incomplets au sujet de son passif :

 

i.                     [l’appelant] a déclaré qu’il devait 33 000 $ sur ses cartes de crédit, mais il n’a pas précisé le nom des sociétés émettrices des cartes de crédit concernées. [L’appelant] a supprimé des relevés de cartes de crédit les renseignements pertinents comme le nom de l’émetteur de la carte de crédit, le numéro de compte et les détails relatifs aux opérations;

ii.                   [l’appelant] a indiqué que ses comptes créditeurs s’élevaient à 80 000 $, mais il n’a pas ventilé les comptes en question ni ne les as associés à des dettes personnelles ou des dettes professionnelles;

iii.                 [l’appelant] a fourni des soldes totaux au sujet des paiements hypothécaires ainsi qu’un relevé relatif à une dette résultant d’un jugement, mais il n’a fourni aucun détail ou document justificatif faisant état des montants affectés au paiement de la dette résultant du jugement ou aux paiements hypothécaires.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-515-12

 

INTITULÉ :

DUNCAN THOMPSON c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 août 2013

 

COMPARUTIONS :

Duncan Thompson

 

POUR LUI-MÊME

 

Margaret McCabe

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

 

Pour l'intimé

 

 

 

 

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