Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190424


Dossier : A-31-18

Référence : 2019 CAF 96

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC.

et RAPID COMPLETIONS LLC

appelantes

et

ESSENTIAL ENERGY SERVICES LTD., TRYTON TOOL SERVICES LIMITED PARTNERSHIP, BAKER HUGHES CANADA COMPANY, WEATHERFORD INTERNATIONAL PLC, WEATHERFORD CANADA LTD., WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP, HARVEST OPERATIONS CORP., RESOURCE WELL COMPLETION TECHNOLOGIES INC. et RESOURCE COMPLETION SYSTEMS INC.

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 6 février 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 avril 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20190424


Dossier : A-31-18

Référence : 2019 CAF 96

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC.

et RAPID COMPLETIONS LLC

appelantes

et

ESSENTIAL ENERGY SERVICES LTD., TRYTON TOOL SERVICES LIMITED PARTNERSHIP, BAKER HUGHES CANADA COMPANY, WEATHERFORD INTERNATIONAL PLC, WEATHERFORD CANADA LTD., WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP, HARVEST OPERATIONS CORP., RESOURCE WELL COMPLETION TECHNOLOGIES INC. et RESOURCE COMPLETION SYSTEMS INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Nous sommes saisis de l'appel de la décision de la Cour fédérale Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Ltd., 2017 CF 1111 (le juge O'Reilly), rejetant la prétention de l'appelante Packers Plus Energy Services Inc. (Packers), qui soutenait que les intimées Essential Energy Services Ltd. et Tryton Tool Services Ltd. avaient contrefait le brevet canadien 2 412 072 (le brevet 072), et accueillant la demande reconventionnelle des intimées en invalidité du brevet 072 pour cause d'antériorité et d'évidence.

[2]  En l'espèce, les appelantes contestent les conclusions de la Cour fédérale au sujet de la contrefaçon, de l'antériorité et de l'évidence. Pour faire annuler la décision de la Cour fédérale, les deux appelantes doivent avoir gain de cause quant aux deux motifs d'invalidité et Packers doit obtenir gain de cause quant à la contrefaçon.

[3]  Pour les motifs suivants, je ne suis pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse de l'évidence, et je rejetterais l'appel avec dépens. Étant donné cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner les observations quant à l'antériorité et la contrefaçon, si ce n'est que pour préciser que les présents motifs ne signifient pas que je souscris aux conclusions ou aux motifs de la Cour fédérale à l'égard de ces questions.

I.  Le brevet 072

[4]  Il est utile de commencer par l'examen du contexte et des passages pertinents du brevet 072.

[5]  Le brevet 072 est intitulé « Méthode et appareil pour le traitement de fluides de forage », a été déposé le 19 novembre 2002, a été mis à la disposition du public le 19 mai 2003, et a enfin été délivré le 19 juin 2012. Il expose une méthode et un appareil utilisés dans la fracturation hydraulique pour envoyer certains fluides à des parties précises d'un puits de forage au moyen d'une colonne de production (soit un tube ou un tuyau qui passe par le puits) qui comprend une série de garnitures d'étanchéité (situées à l'extérieur de la colonne de production et qui la maintiennent en place) et d'orifices, et munie de tubes coulissants. Comme le mentionne la Cour fédérale au paragraphe 8 de ses motifs : « Chaque orifice de sortie est ouvert à l'aide d'un tampon ou d'une boule qui est envoyée le long du tube et qui ouvre l'orifice de sortie une fois arrivée au branchement d'un tube escamotable. » Les parties ont appelé cela la [TRADUCTION] « méthode par chute de billes » (méthode par « renvoi d’une boule » ou « libération de boules » dans la décision de la Cour fédérale). Selon le brevet 072, la méthode et l'appareil revendiqués peuvent être utilisés dans différents types de colonnes de production, notamment les puits en découvert, les puits tubés, les puits verticaux, les puits horizontaux et les puits déviés.

[6]  Les revendications en cause, soit les revendications 96 à 111, portent sur une méthode. La revendication principale est celle numéro 96, tandis que les revendications 97 à 111 sont des revendications dépendantes. La Cour fédérale a décrit la revendication 96 du brevet 072 dans les termes suivants au paragraphe 13 de ses motifs :

Elle revendique [...] un moyen de fracturer les formations qui contiennent des hydrocarbures dans un trou non tubé en utilisant une série de tubes essentiellement composés d'une série de garnitures d'étanchéité, d'orifices de sortie et de tubes escamotables. La revendication fournit davantage de détails des diverses composantes et des actions qui composent la méthode de l'invention, y compris :

  un premier tube de sortie qui crée une ouverture dans la paroi de la série de tubes;

  un deuxième tube de sortie un peu plus en dessous du premier qui crée également une ouverture dans la paroi de la garniture un peu plus bas dans le trou;

  un premier tube escamotable d'un certain diamètre qui, lorsque le premier tube de sortie est fermé, permet au fluide de descendre dans la série de tubes et, quand le premier tube de sortie est ouvert, permet au fluide de passer par le tube de sortie dans le trou de forage;

  un deuxième tube escamotable d'un diamètre plus petit que le premier, qui fonctionne de la même manière que le premier;

  une première garniture d'étanchéité solide installée par-dessus la série de tubes de sortie escamotables et qui peut sceller les tubes et le trou de forage;

  une deuxième garniture d'étanchéité solide installée par‑dessus la série de tubes entre le premier et le deuxième tube de sortie et qui peut également sceller la série de tubes et le trou de forage;

  une troisième garniture d'étanchéité solide installée sur la série de tubes à l'opposé du deuxième tube de sortie et de la deuxième garniture d'étanchéité;

  une série de tubes et les garnitures d'étanchéité descendent dans le trou de forage dans une position non fixée;

  les trois garnitures d'étanchéité procèdent à l'exclusion contre la paroi du trou de forage non tubé pour le sceller, fixant la série de tubes en place. Les garnitures d'étanchéité créent des espaces annulaires entre le tubage et la paroi du trou de forage et empêchent les fluides de se déplacer entre les espaces annulaires, mais permettent aux fluides de communiquer avec la formation à l'intérieur de ces espaces annulaires;

  un appareil de cachetage descend dans le tubage par voie des fluides, passe par le premier tube escamotable et atterri dans le deuxième tube escamotable, poussant le deuxième tube de sortie à la position ouverte et permettant aux fluides de fracturation de couler par cette sortie dans l'espace annulaire défini par les garnitures d'étanchéité.

[7]  Les parties s'entendent que l'appareil utilisé dans la méthode décrite dans les revendications était connu auparavant et avait été utilisé dans des puits tubés; le tubage de puits était maintenu en place à l'aide d'une substance adhésive, par exemple du ciment. Toutefois, l'appareil n'avait pas été utilisé auparavant à l'intérieur d'un puits en découvert (c.‑à‑d. un puits dépourvu de tubage) avant que les inventeurs du brevet 072 l'essaient avec succès.

II.  Les motifs de la Cour fédérale sur l'évidence

[8]  En gardant ce contexte à l’esprit, je résumerai les passages pertinents des motifs de la Cour fédérale.

[9]  La Cour commence son analyse de l'évidence au paragraphe 124 en indiquant qu'elle adoptait la démarche établie dans l'arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Sanofi). La Cour suprême a établi, au paragraphe 67 de Sanofi, une démarche en quatre volets pour évaluer l'évidence : 1) identifier la « personne versée dans l'art » visée par le brevet et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne; 2) définir l'idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d'interprétation; 3) recenser les différences, s'il en est, entre ce qui ferait partie de « l'état de la technique » et l'idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation; 4) déterminer si, abstraction faite de toute connaissance de l'invention revendiquée, ces différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l'art ou si elles dénotent quelque inventivité. La Cour suprême poursuit, au paragraphe 68, en expliquant que dans les domaines, comme le domaine pharmaceutique, « où les progrès sont souvent le fruit de l'expérimentation », le recours à la notion d'« essai allant de soi » pourrait être indiqué pour juger l'évidence. Dans ce cas, il faut tenir compte de plusieurs facteurs, par exemple s'il est plus ou moins évident que l'essai sera fructueux.

[10]  En suivant la démarche énoncée dans Sanofi, la Cour fédérale a d'abord confirmé la conclusion à laquelle elle en était déjà parvenue dans ses motifs voulant que la personne versée dans l'art soit « un ingénieur pétrolier ou un ingénieur mécanicien qui aurait de deux à cinq ans d'expérience sur le terrain » (au paragraphe 127).

[11]  La Cour fédérale a ensuite examiné les témoignages contradictoires des experts quant aux connaissances générales courantes qu'une telle personne aurait eues le 19 novembre 2001, soit la date pertinente pour évaluer l'évidence (au paragraphe 126). La Cour fédérale n'est alors arrivée à aucune conclusion précise quant aux connaissances générales courantes; toutefois, comme je le décrirai ci‑dessous, elle est ensuite parvenue à des conclusions précises quant à ces connaissances sur les questions précises en litige.

[12]  Après avoir présenté la preuve des experts quant aux connaissances générales courantes, la Cour fédérale a examiné la preuve quant à l'idée originale pour finalement souscrire au point de vue de Packers voulant que l'idée originale du brevet 072 était l'utilisation de la méthode par chute de billes dans un puits de forage en découvert (au paragraphe 147). Les appelantes n'ont pas contesté cette conclusion lors de l'appel.

[13]  La Cour fédérale a ensuite examiné l'état de la technique et a retenu les témoignages des experts voulant que l'état était exposé dans six publications et dans un brevet que la personne versée dans l'art aurait trouvés lors d'une recherche raisonnablement diligente (aux paragraphes 151, 154 à 158, 170, 172 à 177 et 184).

[14]  La Cour fédérale a ensuite comparé l'état de la technique et l'idée originale et a conclu que ni la méthode par chute de billes ni son utilisation dans un puits de forage en découvert n'étaient inventives. Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que la méthode par chute de billes était exposée dans l'article de M. Thomson, l'une des six publications qui, selon la Cour fédérale, faisaient partie de l'état de la technique, et que son utilisation dans un puits en découvert aurait été évidente pour une personne versée dans l'art (aux paragraphes 186 à 189, 191 et 192). Quant à ce dernier élément, la Cour fédérale a souligné que les appelantes ont reconnu que l'état de la technique comprenait tous les éléments suivants : la méthode par chute de billes, les types de garnitures d'étanchéité pouvant résister à la pression de la fracturation dans un puits en découvert et les avantages d'utiliser un puits en découvert plutôt qu'un puits tubé lors de la fracturation. La Cour fédérale a également affirmé que la personne versée dans l'art aurait su quelles étaient les garnitures d'étanchéité adaptées à la fracturation en puits en découvert (aux paragraphes 186 et 187). La Cour a poursuivi en soulignant l'effort relativement faible des inventeurs pour concevoir la méthode par chute de billes revendiquée dans le brevet 072.

[15]  La Cour fédérale a ensuite déclaré ce qui suit aux paragraphes 191 et 192 de ses motifs :

191.  [...] Les garnitures d'étanchéité à la disposition des personnes versées dans l'art et connues à l'époque permettaient de sceller sous de hautes pressions des environnements de trous de forage non tubé. Si la formation n'était pas assez compétente, la personne versée dans l'art aurait déterminé que le trou devrait possiblement être tubé et cimenté et elle aurait choisi les outils appropriés pour y arriver. Encore une fois, cette personne aurait été au courant des éléments de la formation dans laquelle la fracturation s'effectuerait et aurait choisi les outils appropriés; le brevet ne fournit aucune direction à cet égard.

192.  [La demanderesse] compte lourdement sur les problèmes que la personne versée dans l'art [aurait prévu] en ce qui a trait à l'utilisation d'un système par envoi d'une boule dans un trou de forage non tubé pour suggérer que l'invention n'était pas évidente. […] cela comprend la création de fractures longitudinales, la fracturation au point de contact entre la garniture d'étanchéité et le trou de forage, l'incapacité de fracturer un endroit précis et la fracturation autour de la garniture d'étanchéité, occasionnant la perte de l'isolement de la zone. Ces problèmes potentiels pourraient être abordés par une personne versée dans l'art de différentes manières — en choisissant la garniture d'étanchéité appropriée, en l'installant à la bonne pression et en perforant possiblement le trou de forage. [...] La probabilité de succès était un facteur de la formation [géologique], non de la méthodologie.

[16]  La Cour fédérale a ensuite tenu compte du fait que la réalisation de l'invention revendiquée n'a pas mené à un succès commercial immédiat, ce qui peut servir d'indicateur secondaire du caractère inventif. La Cour a conclu que le succès découlait plutôt de la formation de schiste dans laquelle la méthode a été utilisée et de l'augmentation des prix, ce qui a augmenté la fréquence de la fracturation en formation de schiste (aux paragraphes 193 et 194).

[17]  En raison de ce qui précède, la Cour fédérale a conclu que l'idée originale des revendications pertinentes du brevet 072 ne constituait pas une avancée par rapport à l'état de la technique au moment pertinent, et donc que l'invention revendiquée était évidente.

[18]  La Cour fédérale a ensuite analysé le critère de l'« essai allant de soi » de l'arrêt Sanofi, en exprimant des doutes quant à son application aux industries pétrolière et gazière, puisqu'elle estimait qu'il était peu probable que les avancées dans ces industries puissent être le fruit de l'expérimentation (au paragraphe 196). En tenant compte de cette réserve, la Cour fédérale a néanmoins analysé ce facteur et a conclu que chaque volet étayait la conclusion voulant que l'invention était évidente (aux paragraphes 198 à 200).

[19]  La Cour fédérale a ainsi conclu que les revendications en cause étaient non valides pour cause d'évidence.

III.  Les observations des appelantes

[20]  En ce qui a trait à l'évidence, les appelantes ont fait les observations suivantes.

[21]  Premièrement, elles soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en omettant d'établir les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art, ce qui est, selon elles, une étape essentielle de l'analyse de l'évidence prévue dans Sanofi, comme l'a rappelé récemment notre Cour dans AFD Petroleum Ltd. c. Frac Shack Inc., 2018 CAF 140 (Frac Shack), au paragraphe 43. Les appelantes soulignent le paragraphe 139 des motifs de la Cour fédérale, dans lequel elle relève l'écart entre les témoignages des experts des parties quant à la portée des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art à qui s'adresse le brevet 072, tout en concluant que l'importance de cet écart « diminue quand l'état actuel de la technique à l'époque pertinente est considéré ». Les appelantes estiment que la Cour fédérale a commis une erreur de droit dans ces commentaires et affirment que la Cour était tenue d'établir les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art à qui s'adresse le brevet, conformément à la première étape de l'analyse énoncée dans Sanofi, au début de l'analyse de l'évidence.

[22]  Deuxièmement, elles soutiennent qu'en l'espèce, les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art comprenaient les puits de forage tubés et les puis en ciment, mais excluaient les antériorités dont la Cour fédérale a tenu compte, laissant ainsi comprendre que ces antériorités n'étaient pas pertinentes, pour une raison quelconque, pour l'analyse de l'évidence.

[23]  Troisièmement, les appelantes affirment que la Cour fédérale a utilisé le mauvais critère pour l'évidence en exigeant que l'invention soit « réellement nouvelle, utile et non évidente », selon les commentaires aux paragraphes 61, 124 et 202 des motifs. Les paragraphes 61 et 124 figurent dans la section introductive des motifs, tandis que le paragraphe 202 figure dans la section des motifs portant sur l'utilité. Les appelantes avancent qu'en faisant ces commentaires, la Cour fédérale a commis une erreur en exigeant davantage d'inventivité que ce qu'indique la jurisprudence pertinente, y compris R. c. Uhlemann Optical Co., [1952] 1 R.C.S. 143 (Uhlemann), Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (1986), 64 N.R. 287, 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 (C.A.F.) (Beloit), Sanofi, au paragraphe 65, et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 8, [2009] 4 R.C.F. 223, au paragraphe 29.

[24]  Quatrièmement, les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte des antériorités et des faits objectifs qui, selon elles, indiquent qu'il n'y a pas évidence. Elles avancent que lorsqu'on tient correctement compte de ces éléments de preuve, ils indiquent que l'invention revendiquée n'était pas évidente. Elles renvoient à plusieurs éléments de preuve qui, selon elles, étayent leurs prétentions. En somme, elles invitent notre Cour à examiner à nouveau les éléments de preuve et à parvenir à une conclusion contraire à celle de la Cour fédérale.

[25]  Cinquièmement, les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant de bien répondre à la question soulevée dans l'arrêt Beloit à la page 295, c'est‑à‑dire celle de savoir pourquoi personne n'avait inventé la méthode visée par les revendications 96 à 111 du brevet 072 si l'invention était si évidente. Elles ajoutent que la Cour fédérale a commis une erreur en examinant le brevet du point de vue d'une personne qui connaît déjà l'invention et en ne tenant pas compte du fait que les personnes versées dans l'art qui faisaient face au même problème que les inventeurs n'ont pas conçu la méthode revendiquée.

[26]  Sixièmement, les appelantes estiment que la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que le brevet 072 expose une combinaison, c'est‑à‑dire l'utilisation de la méthode par chute de billes dans un puits en découvert et que c'est cette combinaison qui rend l'invention revendiquée non évidente. Elles se fondent sur les décisions Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., 2003 CFPI 244 (Canamould), conf. pour d'autres motifs, 2004 CAF 63 et Uhlemann, décisions qui, selon les appelantes, devraient convaincre notre Cour d'infirmer la conclusion de la Cour fédérale quant à l'évidence.

[27]  Enfin, les appelantes ont fait valoir dans leur mémoire, mais non lors de leurs plaidoiries, que la Cour fédérale avait commis une erreur en utilisant le critère de « l'essai allant de soi », puisque l'expérimentation est rare dans l'industrie pétrolière et gazière. Elles ajoutent que même si elle pouvait avoir recours à ce critère, la Cour fédérale a utilisé le mauvais critère juridique en abaissant le seuil à un essai qui pourrait être fructueux plutôt qu'un essai qui serait fructueux. La Cour a également omis de tenir compte de l'incidence de l'expérience et des connaissances des inventeurs qui leur auraient permis de prendre les mesures nécessaires plus facilement que ne l'aurait pu une personne versée dans l'art.

IV.  Analyse

[28]  Il est important de souligner quelques points essentiels avant d'examiner les observations.

[29]  Premièrement, il est bien établi que, sauf s'il y a une erreur de droit isolable, les conclusions relatives à l'évidence sont des conclusions mixtes de fait et de droit. Ces conclusions ne peuvent être infirmées que s'il y a une erreur manifeste et dominante. Comme notre Cour l'a récemment indiqué dans Teva Canada Limitée c. Pfizer Canada Inc., 2019 CAF 15 (Teva c. Pfizer), au paragraphe 23, l'évidence est un critère factuel qui soulève des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, chaque affaire repose sur les faits qui lui sont propres, et il revient en fin de compte au juge d'appliquer le droit aux faits. À défaut d'une erreur de droit isolable, l'application par la Cour fédérale du droit aux faits doit être assujettie à la norme déférente de l'erreur manifeste et dominante. Voir également Teva Canada Limitée c. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc., 2013 CAF 244, aux paragraphes 10 à 12, et Alcon Canada Inc. c. Actavis Pharma Company, 2015 CAF 191, au paragraphe 11.

[30]  Deuxièmement, notre Cour a conclu de même que l'état de la technique ainsi que la nature et la portée des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art sont également des conclusions mixtes de fait et de droit qui ne peuvent être infirmées que s'il y a une erreur manifeste et dominante : Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2015 CAF 137, au paragraphe 7, Frac Shack, au paragraphe 38.

[31]  Troisièmement, la norme de l'erreur manifeste et dominante commande la retenue. Comme l'a expliqué notre Cour dans un passage de la décision R. c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 (South Yukon Forest), au paragraphe 46, que la Cour suprême a cité et approuvé dans Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352 (Benhaim), au paragraphe 38, l'« erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [...] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l'issue de l'affaire. » Comme l'a indiqué récemment la Cour suprême dans Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729 (Salomon), au paragraphe 33, en renvoyant à Benhaim et à South Yukon Forest : « Lorsque la norme déférentielle de l'erreur manifeste et déterminante s'applique, les tribunaux d'appel ne peuvent intervenir que dans les cas où la décision de première instance est entachée d'une erreur évidente qui a déterminé l'issue de l'affaire. »

[32]  Quatrièmement, la comparaison qu'il faut faire lors de l'analyse de l'évidence selon Sanofi s'effectue entre l'idée originale des revendications et l'état de la technique. Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art peuvent servir à comprendre les antériorités pertinentes ou à y ajouter lors de l'évaluation de l'écart entre les antériorités et l'invention revendiquée lorsque ces connaissances comprennent des renseignements que les antériorités ne mentionnent pas expressément, mais qui auraient été connus de la personne versée dans l'art à la date pertinente. Comme l'a expliqué notre Cour dans Bristol‑Myers Squibb Canada c. Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76, [2018] 3 R.C.F. 380, au paragraphe 65, il y a évidence si « la personne versée dans l'art peut rapprocher deux points [les antériorités et l'idée originale] dans le perfectionnement de la technique en se fondant uniquement sur ses connaissances générales courantes ». Voir également Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c. SNF Inc., 2017 CAF 225 (Ciba), au paragraphe 62.

[33]  Enfin, il ne revient pas à notre Cour lors d'un appel d'examiner les éléments de preuve portant sur la conclusion d'évidence et de les évaluer à nouveau. Comme l'indique le paragraphe 31 de Teva c. Pfizer, le rôle de notre Cour n'est pas d'examiner à nouveau les éléments de preuve; cela relève plutôt de la Cour fédérale. Voir également Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2010 CAF 240, au paragraphe 8, E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163, au paragraphe 25. Comme le souligne la Cour suprême dans Salomon, au paragraphe 33, en citant Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, au paragraphe 38, le « fait qu'une conclusion de fait différente aurait pu être tirée sur la base du poids attribué à différents éléments de preuve ne signifie pas qu'une erreur manifeste et déterminante a été commise ».

[34]  La plupart des prétentions des appelantes vont à l'encontre de ces principes bien établis.

[35]  Pour ce qui est des observations des appelantes à l'égard de la première et de la deuxième erreurs alléguées, contrairement à ce qu'elles affirment, la Cour fédérale est effectivement parvenue à la conclusion nécessaire quant aux connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art et a correctement comparé l'idée originale des revendications en cause à l'état de la technique.

[36]  Comme nous l'avons vu précédemment, la Cour fédérale a conclu que les antériorités elles‑mêmes exposaient la majeure partie de ce que les appelantes affirmaient être inventif, c'est‑à‑dire la méthode par chute de billes, les types de garnitures qui pouvaient résister à la pression de la fracturation dans un puits en découvert et les avantages de la fracturation en puits en découvert plutôt qu'en puits tubé. Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art permettaient d'ajouter un élément, c'est‑à‑dire les garnitures d'étanchéité adaptées à la méthode par chute de billes dans un puits en découvert, sujet sur lequel le brevet 072 ne dit rien. La Cour fédérale a conclu qu'il n'y avait rien d'original dans les revendications en cause étant donné les antériorités qu'aurait trouvées la personne versée dans l'art à la suite d'une recherche raisonnablement diligente et les connaissances générales courantes de celle‑ci (aux paragraphes 187 et 191). La Cour fédérale est donc effectivement arrivée aux conclusions nécessaires au sujet des connaissances générales courantes et n'a pas commis la première erreur avancée par les appelantes.

[37]  Quant à la deuxième erreur avancée par les appelantes, celles-ci confondent les connaissances générales courantes et l'état de la technique. Comme je l'ai déjà mentionné, l'évidence exige qu'on compare l'idée originale de la revendication en cause et les antériorités pertinentes, du point de vue de la personne versée dans l'art et de ses connaissances générales courantes. C'est exactement ce qu'a fait la Cour fédérale, et la deuxième erreur alléguée est donc mal fondée.

[38]  Quant à la troisième erreur, je suis d'accord avec les appelantes que les mots « réellement nouvelle » ne conviennent peut-être pas. Néanmoins, en lisant les motifs de la Cour fédérale dans leur ensemble, j'estime qu'elle a appliqué le bon critère pour l'inventivité, énoncé aux décisions Sanofi et Ciba. Plus précisément, la Cour fédérale s'est posé la bonne question, à savoir s'il y avait une différence entre l'état de la technique et l'idée originale des revendications en cause, puis elle a conclu qu'il n'y en avait pas.

[39]  Les quatrième et cinquième erreurs alléguées ne sont que des désaccords avec les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit de la Cour fédérale quant aux antériorités et aux faits objectifs sur lesquels les appelantes se sont appuyées. Il n'y a aucune raison pour que nous intervenions. Les appelantes n'ont pas avancé que la Cour fédérale avait commis une erreur de fait manifeste et dominante dans ses conclusions. Par ailleurs, on ne pourrait le prétendre, car les éléments de preuve, y compris les témoignages des experts des intimées, sont plus que suffisants pour étayer la conclusion voulant que les revendications en cause étaient non valides pour cause d'évidence.

[40]  De plus, bien qu'il ne soit pas nécessaire qu'un tribunal se pose explicitement la question soulevée par Beloit, à savoir pourquoi l'invention n'avait pas été créée auparavant, la Cour fédérale a en fait soulevé cette question. Elle a conclu que l'invention n'était pas nécessaire auparavant, car elle ne fonctionne qu'avec des formations de schiste qui n'avaient pas été exploitées dans une mesure semblable par le passé (au paragraphe 194).

[41]  En ce qui a trait à la sixième erreur alléguée, contrairement aux prétentions des appelantes, le simple fait qu'une invention soit une combinaison ne signifie pas qu'elle sera nécessairement inventive. La question dans chaque cas dépend des faits et exige qu'on compare ce qui serait inventif à ce qui était connu auparavant. Les décisions Canamould et Uhlemann, sur lesquelles les appelantes s'appuient, sont simplement des exemples de situations où le juge a estimé qu'une combinaison donnée était inventive. Pour les motifs susmentionnés, la Cour fédérale n'a pas commis une erreur susceptible de révision en parvenant à la conclusion opposée.

[42]  Enfin, en ce qui a trait aux commentaires de la Cour fédérale sur le critère de l'essai allant de soi, il s'agit de remarques incidentes non contraignantes. Il n'y a donc aucune raison que nous intervenions. Le bien‑fondé de la décision de la Cour fédérale repose plutôt sur les motifs principaux sur lesquels repose sa conclusion sur l'évidence. Pour les motifs susmentionnés, il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle. Par ailleurs, d'un point de vue plus fondamental, les appels sont interjetés à l'égard des jugements, et non des motifs (et encore moins à l'égard des remarques incidentes qu'ils comprennent) : Ratiopharm Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2007 CAF 261, au paragraphe 6, Konecny c. Ontario Power Generation, 2010 CAF 340, au paragraphe 7.

[43]  Par conséquent, aucune des observations des appelantes sur l'évidence n'est fondée, ce qui signifie qu'il n'y a aucune raison d'annuler la conclusion de la Cour fédérale sur l'évidence. Ainsi, l'appel doit être rejeté.

V.  Décision proposée

[44]  Par conséquent, je rejetterais l'appel avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-31-18

 

 

INTITULÉ :

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC. ET AL. c. ESSENTIAL ENERGY SERVICES LTD. ET AL.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 6 février 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 avril 2019

 

COMPARUTIONS :

Robert MacFarlane

Joshua Spicer

Michael Burgess

Laura MacDonald

Anthony Creber

William Boyer

Alexander Camenzind

 

Pour les appelantes

 

Anthony Prenol

Antonio Turco

Timothy Lowman

Kenneth Clark

David Madsen

Evan Nuttall

Brandon Willms

Andrew Bernstein

Yael Bienenstock

Leora Jackson

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Blake, Cassels & Graydon,
S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

Torys LLP

Toronto (Ontario)

Pour les intimées

 

 

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