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Date : 20190502

Dossier : A-148-18

Référence : 2019 CAF 107

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

ERIC VAN STEENIS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 mai 2019.

Jugement rendu à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20190502


Dossier : A-148-18

Référence : 2019 CAF 107

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

ERIC VAN STEENIS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Vanc ouver (Colombie-Britannique), le 2 mai 2019.)

LE JUGE LASKIN

[1]  En 2007, l’appelant, Eric Van Steenis, a emprunté 300 000 $ pour acheter des unités d’un fonds commun de placement. De 2007 à 2015, à la suite de distributions faites par le fonds commun de placement, il a reçu des sommes totalisant presque 200 000 $ qui, selon ce que le fonds a précisé dans les feuillets T3 – État des revenus de fiducie (Répartitions et attributions) établis à son égard, « représent[ent] [des] distribution[s] ou [des] remboursement[s] de capital ». M. Van Steenis a utilisé une partie de cette somme afin de réduire le capital du prêt, mais il en a utilisé la majorité à des fins personnelles.

[2]  Pendant les années d’imposition en cause dans le présent appel, soit 2013, 2014 et 2015, M. Van Steenis a déduit de son revenu imposable tous les intérêts sur le prêt. Il a agi ainsi en se fondant sur le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), aux termes duquel les contribuables peuvent déduire les intérêts payés sur de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[3]  Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015 de M. Van Steenis et a refusé la déduction d’une partie des intérêts. Il a conclu que l’argent distribué pendant ces années à titre de remboursements de capital et utilisé à des fins personnelles n’était plus utilisé en vue de tirer un revenu.

[4]  M. Van Steenis a interjeté appel des nouvelles cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt : Van Steenis c. La Reine, 2018 CCI 78 (le juge Graham). Dans son avis d’appel, il a déclaré avoir [traduction] « reçu au titre des distributions un remboursement de capital » du fonds commun de placement totalisant presque 200 000 $. Toutefois, devant le juge de la Cour canadienne de l’impôt, il a soutenu que les distributions n’avaient pas changé son utilisation de l’argent emprunté, puisqu’il était toujours propriétaire de toutes les unités acquises initialement. Il a également soutenu que le choix de qualifier ces distributions de remboursements de capital avait été fait par le fonds et qu’il n’y avait aucun lien entre ces distributions et l’argent qu’il avait investi.

[5]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas été du même avis que M. Van Steenis au sujet de cette caractérisation. Il a conclu (aux paragraphes 11 et 12) « [...] [qu’]une distribution de capital à un détenteur d’unités est, essentiellement, un remboursement du capital de ce détenteur d’unités », que M. Van Steenis a investi de l’argent dans le fonds commun de placement et que le fonds « lui a remboursé une certaine partie de cette somme » et que les distributions avaient [traduction] « changé » la nature de son investissement, puisqu’une partie de son argent « n’[était] plus investie » dans le fonds commun de placement. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a en outre conclu (au paragraphe 10) que le fait que M. Van Steenis fût toujours propriétaire des unités ne changeait pas l’analyse : l’argent emprunté a été utilisé pour acquérir des unités de fonds commun de placement, près des deux tiers de cette somme lui ont été remboursés et plus de la moitié de cette somme a été utilisée à des fins autres que tirer un revenu.

[6]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également examiné (au paragraphe 11) l’économie de la loi, qui, selon lui, étayait ses conclusions. Il a fait observer que, sous le régime de la loi, le détenteur d’unités n’a pas à payer d’impôt sur les sommes reçues à titre de distributions de capital, contrairement à celles reçues à titre de distributions de revenu, jusqu’à ce qu’elles dépassent le montant de l’investissement. Il a conclu que cela « indiqu[ait] clairement que le législateur voyait les distributions de capital comme des remboursements du propre investissement du détenteur d’unités ». Il a rejeté l’appel de M. Van Steenis.

[7]  M. Van Steenis interjette maintenant appel de cette décision devant notre Cour. Il reconnaît que, pour que les conditions du sous-alinéa 20(1)c)(i) soient remplies, l’argent emprunté doit pouvoir être rattaché à une utilisation admissible actuelle : Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au paragraphe 31, 1999 CanLII 647; Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, aux pages 46 et 53, 1987 CanLII 76. Il soutient toutefois que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis deux erreurs justifiant l’annulation de la décision.

[8]  Premièrement, M. Van Steenis fait valoir que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de droit en exigeant qu’il satisfasse au critère énoncé dans les arrêts Shell et Bronfman Trust alors qu’il n’avait pas disposé, que ce soit en tout ou en partie, des unités du fonds commun de placement achetées avec de l’argent emprunté. Deuxièmement, il ajoute qu’en appliquant le critère, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de fait manifeste et dominante en concluant que les distributions en cause représentaient le remboursement d’une partie de l’argent emprunté que M. Van Steenis avait investi. Nous ne retenons ni l’un ni l’autre de ces arguments.

[9]  Les avocats de M. Van Steenis ont reconnu en toute franchise qu’aucun précédent n’étayait directement le premier argument. Ils se sont fondés, entre autres, sur le fait que, dans la jurisprudence, il est question de l’exigence selon laquelle l’argent doit pouvoir être rattaché à une utilisation lorsqu’il y a eu disposition de l’investissement initial.

[10]  Nous ne sommes pas convaincus que l’exigence voulant que les fonds puissent être rattachés à une utilisation admissible actuelle ne s’applique que s’il y a eu disposition, en tout ou en partie, de l’investissement initial. Nous sommes d’avis que ni le libellé ni l’objet du sous-alinéa 20(1)c)(i) ne justifient l’imposition de cette condition préalable. L’élément principal de ce sous-alinéa porte sur l’utilisation actuelle de l’argent emprunté, et non sur la propriété actuelle du bien acheté initialement avec cet argent. Comme le fait valoir la Couronne, il existe de nombreux cas de figure où l’argent emprunté pourrait être utilisé pour acheter un bien admissible, mais où une partie de l’argent pourrait être remboursé au contribuable, puis utilisé à d’autres fins. M. Van Steenis n’a pas avancé de raison de principe justifiant qu’on ne puisse exiger que l’argent emprunté soit rattaché à une utilisation actuelle dans ces circonstances.

[11]  M. Van Steenis reconnaît que le critère de l’erreur manifeste et dominante auquel il doit satisfaire pour obtenir gain de cause relativement à son deuxième argument – que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que les sommes distribuées remboursaient M. Van Steenis d’une partie de l’argent qu’il avait investi – est rigoureux, qu’il commande un degré élevé de retenue et qu’il vise une erreur évidente qui touche directement à l’issue de l’affaire : Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 46, [2012] A.C.F. no 669 (QL), autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, 2012 CanLII 76981.

[12]  Nous sommes d’avis que M. Van Steenis n’a pas satisfait à cette norme. Il soutient que le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a été saisi d’aucun élément de preuve établissant que les distributions représentaient effectivement un « remboursement » de l’argent qu’il avait investi. Il insiste sur le fait que les feuillets T3 concernant le fonds commun de placement sont établis pour l’impôt, et que les distributions qualifiées en définitive de « remboursements de capital » auraient pu en fait inclure les revenus tirés du fonds commun de placement au moment de la distribution : voir à ce sujet l’article de Catherine Brown, « Allocating Distributions from Mutual Fund Investments to the Income and Capital Beneficiaries of a Personal Trust: The Perplexing World of Who Gets What and Who Gets Taxed », (2008) 27 E.T.P.J. 158, aux pages 176 et 177.

[13]  M. Van Steenis avait toutefois le fardeau d’établir que l’argent emprunté avait été utilisé à une fin identifiable ouvrant droit à la déduction : Bronfman Trust, à la page 45. Il lui incombait également de réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle il avait reçu [traduction« un remboursement de capital chaque année » (dossier d’appel, à la page 15), dans la mesure où cette hypothèse était contestée : Canada (National Revenue) v. Cameco Corporation, 2019 FCA 67, au paragraphe 28, citant Sarmadi c. Canada, 2017 CAF 131, au paragraphe 31, [2017] A.C.F. no 637 (QL).

[14]  Comme le souligne la Couronne, M. Van Steenis n’a présenté aucun élément de preuve montrant que les distributions étaient autre chose qu’un remboursement de capital. En fait, malgré qu’il ait affirmé que le dossier n’étayait pas les conclusions de fait du juge de la Cour canadienne de l’impôt, dans ses observations écrites formulées à notre Cour, M. Van Steenis reconnaît que, [traduction] « à la suite de l’effondrement du marché boursier en 2008, le [fonds commun de placement] a produit peu ou pas de revenu imposable, c’est-à-dire que les distributions étaient constituées exclusivement de ce que le [juge de la Cour canadienne de l’impôt], le ministre et les témoins ont qualifié généralement de “remboursements de capital” » : mémoire de l’appelant, au paragraphe 8. Cela correspond au témoignage que M. Van Steenis a livré devant le juge de la Cour canadienne de l’impôt selon lequel, une fois que le marché boursier s’est effondré, [traduction] « c’est devenu entièrement du remboursement de capital » : dossier d’appel, à la page 128.

[15]  Pour les motifs qui précèdent, l’appel sera rejeté avec dépens d’un montant global de 1 900 $.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-148-18

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR L’HONORABLE JUGE GRAHAM DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 20 AVRIL 2018, DOSSIER NO 2017-3305(IT)I)

INTITULÉ :

ERIC VAN STEENIS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mai 2019

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE LASKIN

COMPARUTIONS :

Michel Bourque

Daniel Morrison

Pour l’appelant

Matthew Turnell

Spencer Landsiedel

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Calgary (Alberta)

Pour l’appelant

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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