Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190501


Dossier : A-126-18

Référence : 2019 CAF 104

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

RON GOHEEN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er mai 2019.

Jugement rendu à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20190501


Dossier : A-126-18

Référence : 2019 CAF 104

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

RON GOHEEN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er mai 2019.)

LE JUGE RENNIE

[1]  La Cour est saisie de l’appel d’un jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt (2018 CCI 62, motifs de la juge Lyons). Dans cette décision, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de l’appelant visant les nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national dans lesquelles il refusait certaines déductions demandées par l’appelant pour les années d’imposition 2000, 2001, 2002 et 2003. Les nouvelles cotisations découlaient d’une série de paiements, totalisant 30 000 $ US, versés au Global Institute (« Global »), une organisation cofondée par le frère de l’appelant. L’appelant a soutenu que les paiements constituaient un don à un organisme de bienfaisance, et qu’ils étaient déductibles d’impôt en application de l’article 118.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Le ministre n’était pas du même avis et a conclu que les paiements ne constituaient pas un don. Il a subséquemment imposé une pénalité pour faute lourde.

[2]  Compte tenu des éléments de preuve dont elle était saisie et après application du critère établi par notre Cour dans l’arrêt Friedberg c. La Reine, [1991] A.C.F. no 1255 (QL), la juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas été convaincue que, lorsque l’appelant a versé les paiements à Global, il avait l’intention libérale nécessaire pour que les paiements soient considérés comme des dons. La juge, après avoir entendu les témoignages et examiné les éléments de preuves produits par l’appelant et son épouse, a conclu que le témoignage de l’appelant sur son intention libérale n’était pas crédible.

[3]  À ce chapitre, la juge a conclu (au paragraphe 59) que ni l’appelant ni son épouse n’avaient d’antécédents de dons de bienfaisance; qu’ils n’avaient aucun lien avec la mission de Global et ne la connaissaient pas; qu’ils n’avaient fait aucune enquête ou recherche quant au travail de cet organisme; que leurs revenus annuels étaient inférieurs au montant des prétendus dons; et que la somme avait été versée malgré le fait que leurs deux enfants fréquentaient des universités aux États-Unis. La juge a déterminé que de nombreux aspects du témoignage de l’appelant posaient problème sur ce point et, pour rejeter ce témoignage, elle ne s’est pas fondée sur une conclusion qu’elle avait tirée précédemment (au paragraphe 36) quant à la crédibilité de l’appelant. Ces conclusions factuelles à elles seules justifient amplement le rejet de l’appel par la juge.

[4]  La juge s’est également fondée sur un élément indépendant des témoignages pour rejeter l’appel : un dépôt de 30 000 $ US effectué dans le même compte de banque que celui duquel provenaient les paiements versés à Gobal (le dépôt). La juge a conclu que, bien que le ministre n’ait rien su de ce dépôt avant qu’il en soit question lors des interrogatoires préalables, le ministre, en s’appuyant sur cet élément de preuve, ne s’est pas écarté du fondement principal de la nouvelle cotisation, soit que l’appelant n’avait pas d’intention libérale.

[5]  La juge a également été convaincue que la preuve suffisait à justifier l’imposition de pénalités pour faute lourde à l’appelant en application du paragraphe 163(2) de la Loi.

[6]  Dans le présent appel, l’appelant invoque un manquement à l’équité lors du procès au motif que le ministre n’a pas soutenu dans ses actes de procédure que le dépôt constituait un remboursement. Ce point de vue repose sur la prétention voulant que le ministre, en s’appuyant sur le dépôt et en soutenant que celui-ci représentait un remboursement de Global sans l’avoir mentionné dans sa réponse, avançât un nouveau fondement pour les nouvelles cotisations. L’appelant soutient que le ministre était alors tenu de demander l’autorisation de la Cour pour modifier sa réponse et d’en aviser l’appelant en bonne et due forme, puis de satisfaire aux conditions préalables énoncées au paragraphe 152(9) de la Loi qui s’appliquent lorsque le ministre veut invoquer un nouveau fondement à l’appui d’une cotisation après la période normale de nouvelle cotisation. L’appelant fait valoir que laisser le ministre avancer cette nouvelle thèse constituait une erreur de droit.

[7]  À titre subsidiaire, l’appelant soutient que la juge a commis une erreur en omettant d’imposer au ministre le fardeau de prouver les faits relatifs au dépôt. L’appelant renvoie à l’arrêt de notre Cour Canada c. Loewen, 2004 CAF 146, [2004] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 11, à l’appui de sa thèse voulant qu’il incombe au ministre de prouver les faits qui ne font pas partie des hypothèses de fait ayant servi à l’établissement de la cotisation à l’égard du contribuable.

[8]  À notre avis, la Cour ne peut souscrire à ces observations.

[9]  La principale question en l’espèce est celle de  savoir si le fondement de la nouvelle cotisation établie par le ministre a changé du fait qu’il s’est appuyé sur le dépôt. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). Comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Yu c. Canada, 2018 CAF 68, la norme de l’erreur manifeste et dominante est rigoureuse et demande qu’on décèle une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. La question de savoir si la juge a commis une erreur en n’exigeant pas du ministre qu’il prouve les faits relatifs au dépôt, c’est-à-dire que le dépôt représentait une contrepartie au paiement initial versé à Global par l’appelant, est une question de droit, laquelle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[10]  Le fondement des nouvelles cotisations, à l’origine du refus par le ministre d’accorder les déductions, était, dès le départ, l’absence d’intention libérale de la part de l’appelant lorsqu’il a versé les paiements à Global. C’est ce que le ministre a soutenu dans sa réponse. Pour obtenir gain de cause devant la Cour canadienne de l’impôt, l’appelant devait établir qu’il avait fait les paiements sans qu’il en attende, directement ou indirectement, de bénéfice ou de contrepartie. La question de savoir comment et pourquoi le dépôt est arrivé dans le compte est très pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si la déduction a été demandée à juste titre.

[11]  L’appelant a été avisé que le dépôt ferait partie du dossier que présenterait le ministre à l’audience. La question a été soulevée durant l’interrogatoire préalable de l’appelant, puis a été confirmée dans les réponses données à la suite des engagements. L’appelant a témoigné au procès qu’il avait l’intention de faire un don de 30 000 $ US à Global et il a été interrogé sur ce sujet. L’appelant s’est opposé à ce qu’on le contre-interroge sur la question de savoir comment les 30 000 $ US ont été ensuite déposés dans le compte aux États-Unis de son épouse au motif que ce n’était pas pertinent. La juge a conclu que c’était un élément pertinent pour établir l’intention. Il n’y a aucune erreur de droit dans cette décision.

[12]  Nous nous pencherons maintenant sur la question de savoir si ce dépôt constituait une nouvelle thèse fondant la nouvelle cotisation.

[13]  À notre avis, l’appelant confond la notion de  nouvelle thèse ou nouvel ensemble d’hypothèses avec les éléments de preuve recueillis pour étayer la thèse ou les hypothèses du ministre. Le dépôt n’était ni une nouvelle thèse ni un nouveau fondement à l’appui de la nouvelle cotisation. Il s’agit plutôt d’un autre élément de preuve, portant sur un point précis, étayant la thèse générale du ministre. Le ministre n’a pas à modifier ses actes de procédures chaque fois qu’un appelant produit un nouvel élément de preuve qui contredit sa propre thèse. Nous ne pouvons pas non plus retenir la distinction que l’appelant dresse entre un retour sur investissement et le retour de son investissement. L’un et l’autre sont compatibles avec l’opinion voulant qu’il n’y ait eu aucune intention libérale.

[14]  Dans son mémoire, l’appelant a invoqué une série de décisions portant sur le paragraphe 152(9) de la Loi. Ces décisions ne lui sont d’aucun secours en l’espèce, car, selon le cas, on y avait avancé de nouveaux arguments juridiques; le juge du procès avait tranché une question en se fondant sur des moyens que les parties n’avaient invoqués ni dans leurs observations écrites ni dans leurs observations orales (Grand Financial Management Inc. v. Solemio Transportation Inc., 2016 ONCA 175, 395 D.L.R. (4th) 529); il incombait à l’une des parties d’établir certains faits ou points de droit (Loewen). Ces décisions sont sans rapport avec la situation en l’espèce, où les nouveaux faits viennent simplement corroborer ou renforcer le fondement avancé par le ministre pour établir la nouvelle cotisation.

[15]  Nous rejetterions également l’observation selon laquelle il incomberait au ministre de démontrer que le dépôt constituait bel et bien une contrepartie versée par Global à l’appelant. Le contribuable qui conteste une cotisation doit faire la preuve des faits sur lesquels il s’appuie et démolir les hypothèses du ministre en lien avec ces faits, sauf si le ministre a une connaissance particulière, ou exclusive, des faits invoqués. En l’espèce, le ministre n’était pas informé de cette opération et ce serait une erreur de lui faire porter le fardeau de la preuve, car l’appelant connaissait les faits sous-jacents à la transaction : voir Transocean Offshore Ltd. c. Canada, 2005 CAF 104, [2005] A.C.F. no 486 (QL), au paragraphe 35; Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2008] 1 R.C.F. 839, aux paragraphes 35 et 36.

[16]  Finalement, nous ne souscrivons pas à l’observation de l’appelant voulant que le fardeau de la preuve  passe au ministre simplement parce que l’appelant affirme avoir eu l’intention requise. L’appelant n’a avancé aucun élément de preuve ou explication qui justifie, prima facie, le transfert du fardeau de la preuve au ministre. Au contraire, le juge a conclu que le témoignage de l’appelant était incohérent, peu fiable et non crédible.

[17]  Malgré les observations habiles de Me Campbell, nous rejetterions l’appel, avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-126-18

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 26 MARS 2018 PAR L’HONORABLE JUGE LYONS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, NO DE DOSSIER 2008-851(IT)G)

INTITULÉ :

RON GOHEEN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mai 2019

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE RENNIE

COMPARUTIONS :

Alistair G. Campbell

Michelle Moriartey

Pour l’appelant

Ron D.F. Wilhelm

Geraldine Chen

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Legacy Tax & Trust Lawyers

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’appelant

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.