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Date : 20180719


Dossier : A-316-17

Référence : 2018 CAF 138

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présente :  LA JUGE GLEASON

ENTRE :

DAVID ROGER REVELL

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2018.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20180719


Dossier : A-316-17

Référence : 2018 CAF 138

Présente :  LA JUGE GLEASON

ENTRE :

DAVID ROGER REVELL

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE GLEASON

[1]  La Chinese and Southeast Asian Legal Clinic (CSALC) et la South Asian Legal Clinic of Ontario (SALCO) demandent l’autorisation d’intervenir dans le présent appel de la décision de la Cour fédérale (la juge Kane) dans l’affaire Revell c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 905. Par cette décision, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SI) datée du 28 juillet 2016, établissant que M. Revell était interdit de territoire en application des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]  Jusqu’à ce qu’il soit déclaré interdit de territoire, M. Revell était résident permanent du Canada, y étant arrivé en provenance d’Angleterre en 1974, avec sa famille, alors qu’il était enfant. Dans le présent appel, M. Revell affirme que le régime législatif établi par la LIPR et la décision d’interdiction de territoire rendue par la SI violent les droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, aux articles 7 et 12. Il sollicite un jugement déclaratoire portant que le régime d’interdiction de territoire de la LIPR est nul dans la mesure où il permet l’expulsion de résidents permanents établis depuis longtemps, sans leur donner l’opportunité d’invoquer adéquatement leur situation personnelle.

[3]  Le 5 avril 2018, la Cour a ordonné que l’appel de M. Revell soit entendu immédiatement avant un autre appel dans lequel des questions similaires sont soulevées. Dans l’autre appel, l’appelant, Massimo Thomas Moretto, un citoyen italien et un ancien résident permanent du Canada établi de longue date, a également été déclaré interdit de territoire à la suite de déclarations de culpabilité.

[4]  Les intervenantes proposées sont deux cliniques d’aide juridique. La CSALC propose des services et des actes juridiques gratuits en tant que groupe de défense des membres des communautés chinoise, vietnamienne, cambodgienne et laotienne de l’Ontario. La SALCO offre des services juridiques gratuits aux membres de la communauté sud-asiatique de l’Ontario dont les revenus sont peu élevés et participe également à la réforme du droit, au développement de la collectivité et à des activités de vulgarisation. Les deux cliniques ont représenté de nombreuses personnes issues des collectivités qu’elles desservent (y compris un grand nombre d’immigrants à faible revenu), et sont souvent intervenues dans des affaires d’interdiction de territoire. Plusieurs tribunaux leur ont également accordé la qualité d’intervenantes dans des affaires traitant de questions touchant des non-citoyens, y compris des questions d’immigration (voir, par exemple, les arrêts R. c. Wong, 2018 CSC 25; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54; Inde c. Badesha, 2017 CSC 44; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39; R. c. N.S., 2012 CSC 72; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30; les décisions Begum c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 409; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 710; Conseil canadien de développement social c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1530; Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396; Metcalf v. Scott, 2011 ONSC 1292 (Cour supérieure de justice de l’Ontario); R. v. Peart, 2017 ONSC 782 (CanLII); Frank v. Canada (Attorney General), 2015 ONCA 536; Tanudjaja v. Canada (Attorney General), 2014 ONCA 852; Ontario (Community Safety and Correctional Services) v. De Lottinville, 2015 ONSC 3085; Francis (Litigation Guardian of) v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1998), 40 O.R. (3d) 74 (ON SC) et R. v. Koh (1998), 42 O.R. (3d) 668 (C.A. Ont.)).

[5]  Dans les documents déposés à l’appui de leur requête en intervention, la CSALC et la SALCO soutiennent que leur expérience, surtout dans des cas d’interdiction de territoire où elles ont agi pour le compte de membres des communautés visibles et immigrantes qu’elles desservent, leur permet d’avoir un point de vue sur les questions en litige dans le présent appel, qui est pertinent pour la Cour et qui diffère quelque peu de celui de l’appelant. Dans les documents déposés à l’appui de leur requête en intervention, elles décrivent en détail le genre d’observations qu’elles formuleraient si elles étaient autorisées à intervenir, lesquelles observations sont également quelque peu différentes des arguments invoqués par l’appelant.

[6]  Plus précisément, au sujet de l’article 7 de la Charte, l’appelant affirme que cet article entre en jeu au stade de la détermination de l’admissibilité du processus d’expulsion. Il affirme également que le processus de la LIPR produit des effets disproportionnés sur les résidents établis depuis longtemps, comme lui, et qui selon lui présentent très peu de risques pour la sécurité publique. L’appelant soutient donc que le processus contesté a une portée trop étendue.

[7]  Les intervenantes proposées sont d’accord, mais invoquent des arguments supplémentaires à l’appui de la contestation fondée sur l’article 7. Elles soutiennent que les droits à l’égalité devraient être envisagés comme un principe de justice fondamentale pour l’application de l’article 7 de la Charte et que ces droits devraient guider la Cour dans les cas appropriés, lorsqu’il est question d’apprécier la constitutionnalité d’une conclusion d’interdiction de territoire pour criminalité et de l’expulsion qui s’ensuit. Bien que des questions relatives à l’égalité ne semblent pas être soulevées dans le cadre de l’appel de M. Revell ni dans celui de M. Moretto, les intervenantes proposées soutiennent que la possibilité qu’un tel argument soit soulevé dans un cas approprié doit être prise en considération par la Cour lorsqu’il s’agit de déterminer si l’article 7 de la Charte entre en jeu au stade de la détermination de l’admissibilité du processus d’expulsion. Les intervenantes proposées soulignent également le fait que les décisions concernant les interdictions de territoires ont des répercussions négatives sur la sécurité personnelle des personnes vulnérables, y compris les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, les apatrides et les personnes à faible revenu.

[8]  De même, en ce qui concerne l’article 12 de la Charte, les intervenantes proposées soulèvent des arguments qui diffèrent quelque peu de ceux invoqués par l’appelant. L’appelant fonde ses arguments sur la prétention voulant que l’expulsion soit un traitement cruel et inusité, au sens de l’article 12 de la Charte. Les intervenantes proposées sont d’accord, mais elles affirment également que la décision relative à l’interdiction de territoire et l’expulsion qui s’ensuit constituent une peine cruelle et inusitée, au sens où l’entend cet article.

[9]  Le critère établi pour accorder le statut d’intervenant en vertu de l’article 109 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, a récemment été réaffirmé dans la décision Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44 (Sport Maska); il comporte l’examen des facteurs suivants :

1.  La personne qui se propose d’intervenir est-elle directement touchée par l’issue du litige?

2.  Y a-t-il une question qui relève de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public?

3.  S’agit‑il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

4.  La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?

5.  L’intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée?

6.  La Cour peut-elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention?

[10]  Comme il a été souligné dans l’affaire Sport Maska, ces facteurs doivent s’appliquer avec souplesse, et l’intérêt de la justice doit être le facteur prédominant.

[11]  En l’espèce, l’appelant ne prend pas position sur l’intervention proposée, et l’intimé la conteste, tout en reconnaissant que les deux premiers facteurs de la liste précitée sont présents.

[12]  Je suis d’avis que la prépondérance des autres facteurs milite en faveur de l’autorisation de l’intervention. Bien que la Cour puisse sans aucun doute trancher l’affaire sans les observations des intervenantes proposées, elle laisserait passer une occasion d’apprécier leur point de vue qui est différent de celui de l’appelant. Puisqu’il s’agit d’une affaire constitutionnelle visant à faire déclarer une disposition nulle, il sera avantageux pour la Cour d’avoir ce point de vue. En outre, les intervenantes proposées ne tentent pas de répéter les arguments de l’appelant, mais souhaitent en invoquer d’autres, et exprimer leur point de vue unique sur les questions en litige soulevées dans le présent appel. Par conséquent, j’estime que l’intérêt de la justice est mieux servi si l’intervention est autorisée.

[13]  Cela dit, l’intervention ne doit pas entraver le présent processus d’appel. J’ordonnerais par conséquent que les intervenantes se limitent à déposer un seul mémoire des faits et du droit d’au plus 20 pages, dans les 30 jours suivant la date de l’ordonnance leur accordant l’autorisation d’intervenir. S’il le souhaite, l’intimé peut déposer un mémoire des faits et du droit en réponse, d’au plus 20 pages, dans les 30 jours suivant la signification du mémoire des faits et du droit des intervenantes. Comme la CSALC et la SALCO ne demandent que 20 minutes pour présenter leurs observations orales, j’ordonnerais que leurs observations se limitent à cette durée. Les intervenantes sollicitent également une ordonnance portant qu’elles ne puissent être condamnées aux dépens. j’estime qu’il s’agit là d’une question qu’il vaut mieux laisser à la formation qui entendra l’appel, mais je souligne qu’elles ont mentionné qu’elles ne solliciteront pas l’adjudication des dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-316-17

 

INTITULÉ :

DAVID ROGER REVELL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2018

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Avvy Yao-Yao Go

Vincent Wan Shun Wong

 

POUR LES INTERVENANTES

 

Shalini Konanur

Sukhpreet Sangha

 

POUR LES INTERVENANTES

Banafsheh Sokhansanj

Marjan Double

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chinese and Southeast Asian Legal Clinic

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTERVENANTES

 

South Asian Legal Clinic of Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTERVENANTES

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

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