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Date : 20190514


Dossier : A-264-18

Référence : 2019 CAF 144

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

BONNIE GALE BAUN, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeurs

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 14 mai 2019.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20190513


Dossier : A-264-18

Référence : 2019 CAF 144

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

BONNIE GALE BAUN, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]  La défenderesse l’Alliance de la fonction publique du Canada sollicite une ordonnance déclarant la demanderesse plaideuse quérulente en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Elle présente également une requête en rejet de la demande de contrôle judiciaire, de façon sommaire au motif que la demanderesse n’a pas qualité pour présenter une telle demande.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rendrais les deux ordonnances.

La composition de la Cour pour l’instruction des requêtes

[3]  Les demandes ou les requêtes visant à faire déclarer un plaideur quérulent au titre de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales peuvent être entendues et tranchées par un juge seul (Loi sur les Cours fédérales, article 16; Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, [2018] 2 R.C.F. 328, au paragraphe 5 (Olumide no 2); Simon c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 28, au paragraphe 3; Keremelevski c. Église ukrainienne orthodoxe de Sainte-Marie, 2018 CAF 218, au paragraphe 6).

[4]  Dans le cadre d’une demande ou d’une requête visant à faire déclarer une personne plaideur quérulent, un juge seul peut également rendre une ordonnance interdisant à la personne « de continuer devant [la Cour] une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation » (Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 40(1)). Une ordonnance interdisant que l’instance engagée se continue n’équivaut pas à un rejet  : voir l’arrêt Philipos c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 117, pour la distinction avec le rejet.

[5]  Toutefois, un juge seul ne peut pas trancher une requête en rejet d’un appel (Loi sur les Cours fédérales, article 16; Rock-St Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192, 434 N.R. 144, au paragraphe 30; Keremelevski, au paragraphe 5).

[6]  En l’espèce, la Cour est saisie d’une requête visant à faire déclarer un plaideur quérulent, laquelle peut être entendue par un juge seul, et d’une requête en rejet d’une demande qui, elle, doit être entendue par trois juges. La Cour pourrait séparer les requêtes et faire entendre la requête visant à faire déclarer un plaideur quérulent par un juge seul, puis confier la requête en rejet de la demande de contrôle judiciaire à une formation de trois juges. C’est cette option qui a été choisie dans l’arrêt Keremelevski, précité. L’autre option consiste à présenter les deux requêtes à trois juges. C’est l’option qui est retenue en l’espèce.

Les questions préliminaires

[7]  La demanderesse soutient qu’une ordonnance visant à faire déclarer un plaideur quérulent peut seulement s’obtenir par suite d’une demande, et non d’une requête, comme c’est le cas en l’espèce. Elle souligne que le libellé de la version anglaise de l’article 40 est particulièrement explicite sur ce point : il y est écrit « application ».

[8]  Or, notre Cour a accordé à de nombreuses reprises la mesure visée à l’article 40 par suite d’une requête. Parmi d’autres exemples, nommons les arrêts Olumide no 2 et Simon, précités, et Nelson c. Canada, 2003 CAF 127, 301 N.R. 359. Notre Cour a récemment autorisé des parties à présenter une requête, plutôt qu’une demande (Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2014 CAF 98, au paragraphe 12). Les deux mécanismes ont été considérés comme étant identiques et interchangeables (Olumide c. Canada, 2016 CAF 287, aux paragraphes 34 et 42).

[9]  La demanderesse a soutenu plus particulièrement que la Cour avait rendu une décision erronée dans l’arrêt Nelson. Elle souligne ce qu’elle estime être les conséquences graves d’une ordonnance déclarant un plaideur quérulent.

[10]  Je ne suis pas convaincu que la jurisprudence invoquée soit manifestement erronée au sens de l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 220 D.L.R. (4th) 149. Sur le plan de la procédure, tant la requête que la demande visant à faire déclarer un plaideur quérulent permettent à la personne visée de présenter tout élément de preuve admissible ainsi que des observations complètes. Tant la requête et que la demande peuvent être tranchées par un juge seul. Tant dans la requête que dans la demande, la personne peut demander plus de temps pour présenter sa preuve et formuler des observations, au besoin. Par conséquent, pour ce qui est de chaque élément procédural important, les requêtes visant à faire déclarer un plaideur quérulent sont au moins aussi équitables que les demandes.

[11]  De plus, la décision de l’Alliance de la fonction publique du Canada de demander que la demanderesse  soit déclarée plaideuse quérulente en déposant une requête dans le cadre d’une procédure existante, plutôt qu’en présentant une demande distincte, n’a aucunement porté préjudice à la demanderesse. Elle a eu toutes les possibilités de connaître la preuve contre elle et de la réfuter. En effet, bien que l’Alliance de la fonction publique du Canada ait opté pour la requête, la demanderesse a finalement eu cinq mois pour répondre, soit un délai beaucoup plus long que celui habituellement accordé au défendeur pour répondre à une demande.

[12]  La demanderesse soutient également que la décision de l’Alliance de la fonction publique du Canada de présenter une requête plutôt qu’une demande l’a privée de son droit à une audience. Elle soutient que notre Cour est tenue d’entendre toutes les demandes verbalement. Je ne souscris pas à cette assertion.

[13]  L’article 16 de la Loi sur les Cours fédérales dispose, notamment, que les appels, les « demandes » (« applications ») de contrôle judiciaire et les renvois sont « entendus » (« heard »), ce qui signifie que ces recours ouvrent droit à une audience. L’instance engagée en application de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales n’est pas visée par l’article 16, de sorte que le droit à l’audience prévu à cet article ne s’y applique pas. En outre, la version française de l’article 40, qui a force de loi égale, n’emploie pas le terme « demande » (« application »), mais « requête » (« motion »), ce qui confirme également le point de vue exposé ci-dessus voulant que la Cour puisse être saisie des questions visées à l’article 40 au moyen d’une requête. Il est bien connu que les requêtes (« motions ») n’ouvrent pas droit à une audience (SNC-Lavalin Group Inc. c. Canada (Service des poursuites pénales), 2019 CAF 108, citant l’ordonnance rendue par notre Cour le 29 avril 2019 dans l’arrêt Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), dossier A-312-18; voir également Nelson, précité, au paragraphe 23, et Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 279, 272 D.L.R. (4th) 274, aux paragraphes 12 à 14). Par conséquent, la décision de l’Alliance de la fonction publique du Canada de présenter une requête plutôt qu’une demande n’a aucunement privé la demanderesse de son droit à une audience : ce droit n’a jamais existé et il n’aurait jamais existé même si c’est une demande qui avait été déposée.

[14]  À titre subsidiaire, la demanderesse demande la tenue d’une audience pour la présente requête. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la tenue d’une telle audience (Fotinov c. Banque Royale du Canada, 2014 CAF 70). En l’espèce, la demande d’audience de la demanderesse est rejetée. Celle-ci n’a présenté aucun motif particulier justifiant la tenue d’une audience, sauf affirmer que la requête est importante pour elle. L’examen par notre Cour des documents déposés avec la requête n’a suscité aucune interrogation. Les documents sont simples et clairs, et la requête, à l’instar de nombreuses autres qui nous sont présentées, peut être traitée efficacement et rapidement par écrit. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, notre Cour agit de manière à respecter le principe énoncé à l’article 3 des Règles des Cours fédérales selon lequel elle doit user de son pouvoir pour apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

La requête visant à faire déclarer un plaideur quérulent

[15]  Le droit régissant les requêtes visant à faire déclarer un plaideur quérulent est exposé dans la décision Olumide no 2, comme notre Cour l’a récemment expliqué en détail dans l’arrêt Simon.

[16]  Le critère consiste à déterminer si les limites supplémentaires qu’emporte une déclaration de plaideur quérulent sont nécessaires et conformes à l’objet de la disposition sur la conduite vexatoire, soit l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales (Olumide no 2, au paragraphe 31). Notre Cour a analysé ce critère dans l’arrêt Simon et, au paragraphe 26, l’a condensé en une question concrète : « est-ce que le plaideur est incontrôlable ou nuisible au système judiciaire et à ses participants au point qu’il soit justifié de lui imposer d’obtenir l’autorisation pour exercer tout nouveau recours? » Je suis d’avis qu’il faut répondre à cette question par l’affirmative compte tenu du dossier dont notre Cour dispose. Il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’expliquer cette décision par de longs motifs (Olumide no 2, aux paragraphes 39 et 40).

[17]  Depuis juillet 2015, la demanderesse a déposé neuf demandes de contrôle judiciaire à l’égard de dix parties défenderesses différentes, dont trois agents de négociation, trois particuliers et quatre organismes du gouvernement fédéral. Toutes les demandes qui ont été jugées ont été rejetées.

[18]  Il s’en dégage un scénario qui se répète : la demanderesse intente des procédures alors qu’elle n’a pas qualité pour le faire. Elle agit ainsi malgré les avis qu’elle a reçus de notre Cour et de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. Ce fut le cas à deux reprises dans les deux dernières années, soit dans les arrêts Bernard c. Close, 2017 CAF 52, et Bernard c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2017 CAF 142. La demande en l’espèce représente la troisième fois que notre Cour se trouve devant la même situation. Ce portrait fait abstraction des procédures dans lesquelles la demanderesse a demandé à intervenir alors qu’elle n’y avait aucun intérêt reconnu en droit (affidavit de Tyner, au paragraphe 10, et ordonnance rendue dans le dossier A-394-16).

[19]  De plus, on remarque que la demanderesse se conduit sensiblement de la même façon devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. Cette conduite tend à étayer l’opinion voulant que la demanderesse soit le type de plaideur auquel il faut imposer l’obligation d’obtenir une autorisation pour exercer tout nouveau recours.

[20]  La demanderesse a demandé à de multiples reprises à la Commission de réexaminer des décisions auxquelles elle n’était pas partie, et ce, bien qu’elle ait été informée qu’elle n’avait pas qualité pour agir (Bernard c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 47, aux paragraphes 18 à 21).

[21]  Dans un autre dossier, la Commission a imposé certaines restrictions à la demanderesse afin d’éviter une conduite, notamment les tentatives de remettre en litige des questions déjà tranchées, qu’elle a qualifiée de « vexatoire » : Bernard c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEPF 46.

[22]  Cette façon de réagir à des décisions administratives et judiciaires confirme que la demanderesse ne s’abstiendra pas, à l’avenir, de tenter d’engager des instances dans lesquelles elle n’a pas d’intérêt ou de prendre part à de telles instances. Il ne fait aucun doute, étant donné le dossier dont notre Cour est saisie, qu’elle répétera ces comportements si la requête visant à la faire déclarer plaideuse quérulente n’est pas accueillie. En l’espèce, elle tente justement de défier les mesures prises pour régir sa conduite. À cet égard, elle est incontrôlable.

[23]  La partie demandant la déclaration de plaideur quérulent n’est pas tenue de prouver qu’il n’existe aucun autre moyen de régir la conduite du plaideur. Les ordonnances déclarant un plaideur quérulent sont rendues lorsqu’elles sont nécessaires. Cela dit, je suis convaincu que le seul outil de contrôle dont dispose notre Cour pour se protéger ainsi que pour protéger les autres parties est une ordonnance déclarant la demanderesse plaideuse quérulente. L’affaire est sans équivoque.

[24]  Le comportement de la demanderesse est nuisible. En engageant des procédures dans lesquelles elle n’a pas d’intérêt ou en tentant d’y prendre part, elle entraîne de tierces parties dans des litiges qui n’auraient jamais eu lieu ou les oblige à prendre des mesures judiciaires qu’elles n’auraient jamais eu à prendre n’eût été sa conduite. Des parties innocentes sont forcées à payer inutilement des frais judiciaires ou à voir l’instruction de leurs recours retardée. Toutes les difficultés relevées par la Cour suprême occasionnées par les « trouble-fête » qui s’immiscent dans des instances sans avoir qualité pour agir sont présentes en l’espèce et sont de surcroît multipliées du fait que la demanderesse répète sa conduite (Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524 , aux paragraphes 26 et 27; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236).

[25]  La demanderesse soutient que notre Cour ne devrait pas la déclarer plaideuse quérulente, car il s’agit [traduction] « d’une mesure extraordinaire qui entrave le droit d’une personne à l’accès présumé aux tribunaux ». Je ne suis pas de cet avis. Notre Cour a expliqué au paragraphe 29 de l’arrêt Olumide no 2 que les ordonnances déclarant un plaideur quérulent ne sont pas des mesures aussi draconiennes que le soutient la demanderesse. Elles n’interdisent pas l’accès aux tribunaux : elles l’encadrent. Elles sont conçues pour protéger la Cour, ses maigres ressources, ainsi que les parties qui se présentent devant elle, tout en  conservant au plaideur le droit d’avoir accès au tribunal lorsque c’est légitime et nécessaire (Olumide no 2, aux paragraphes 17 à 22).

[26]  Il est entendu que la personne déclarée plaideur quérulent peut encore avoir accès aux tribunaux et y introduire une instance, à la condition que le tribunal auquel elle s’adresse lui en donne l’autorisation. La Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation, doit agir impartialement et rapidement, en tenant compte des normes juridiques applicables, de la preuve favorable à l’octroi de l’autorisation et de l’objet de la disposition sur la conduite vexatoire. La Cour peut très bien accorder cette autorisation au plaideur quérulent qui a une bonne raison d’intenter une action ni futile ni vexatoire au sens de la jurisprudence relative aux actes de procédures. Ainsi, les ordonnances déclarant un plaideur quérulent ne sont pas draconiennes, tant s’en faut.

[27]  La demanderesse soutient en outre que les requêtes visant à faire déclarer une personne plaideur quérulent ne devraient pas être utilisées à des fins tactiques pour obtenir gain de cause. En effet, il s’agit là d’un principe général. Toutefois, il n’y a pas lieu d’invoquer ce principe en l’espèce. La requête a été déposée de bonne foi, elle a été soutenue avec professionnalisme et elle est tout à fait fondée.

[28]  Finalement, la demanderesse se plaint que les ordonnances déclarant un plaideur quérulent sont rendues seulement à l’encontre de plaideurs qui ne sont pas représentés par un avocat, comme elle. Elle soutient que faire montre de persévérance et défendre avec vigueur des droits sont des qualités prisées chez les avocats, mais que ce même comportement est qualifié de « vexatoire » lorsqu’il est adopté par des plaideurs non représentés.

[29]  Notre Cour s’est penchée sur cette question dans l’arrêt Simon, précité, et s’est exprimé en des termes tout à fait pertinents en l’espèce (aux paragraphes 13 à 16) :

Nous devons veiller à ne pas confondre les plaideurs non représentés qui nécessitent davantage de services et d’aide avec ceux qui sont quérulents. Les plaideurs quérulents ne sont que quelques-uns des plaideurs non représentés qui se présentent devant nous. Aider les plaideurs non représentés fait partie de la mission fondamentale de la Cour, qui est de rendre la justice accessible à l’ensemble de la population, y compris à ceux qui ont des capacités moindres et se heurtent à davantage d’obstacles. La Cour s’acquitte de cette mission principalement au moyen d’un greffe au personnel professionnel et dévoué, ainsi que du prononcé expéditif d’ordonnances et de directives. Presque tous les plaideurs non représentés qui ont besoin de services et d’aide supplémentaires sont bien disposés à les recevoir, les reçoivent et font instruire leur affaire jusqu’à l’obtention d’une décision sur le fond. Ils n’ont pas besoin des limites supplémentaires qu’emporte une déclaration de plaideur quérulent. Néanmoins, c’est indéniablement le cas de certains.

Certains plaideurs sont tout simplement incontrôlables. Ils font fi de toutes les règles, ne répondent pas de façon constructive aux services et à l’aide considérables que les tribunaux leur accordent, ne respectent pas les ordonnances et s’obstinent dans des litiges voués à l’échec, parfois en les ressuscitant une fois qu’ils ont été radiés, encore et encore.

D’autres plaideurs sont tout simplement nuisibles. Ils forcent la partie adverse à se défendre dans des litiges sans fondement ou répétitives et drainent les ressources limitées de la Cour en raison du nombre de litiges inutiles, du genre de litiges ou de la manière dont ils les gèrent, de leurs motivations, de leurs intentions, de leurs attitudes et de leurs capacités pendant les litiges ou de toute combinaison de ces éléments.

À un certain point, trop c’est trop. Le pragmatisme doit l’emporter. Les limites supplémentaires qu’emporte la déclaration de plaideur quérulent sont nécessaires, justes et responsables (voir, de façon générale, Olumide [no 2], aux paragraphes 20 à 22 et 32 à 34).

[30]  Comme je l’ai mentionné, la conduite de la demanderesse justifie qu’elle soit déclarée plaideuse quérulente. Le fait qu’elle défende seule sa cause n’a aucune incidence sur cette conclusion. J’ajouterais que la demanderesse en l’espèce se distingue de certains autres plaideurs non représentés que nous avons rencontrés : elle connaît nos procédures et est capable de plaider. Il n’en demeure pas moins que le caractère incontrôlable et nuisible de la demanderesse, décrit ci-dessus, cause des problèmes sérieux. En outre, ses connaissances et ses capacités peuvent accroître la possibilité qu’elle porte préjudice à d’autres parties et à la Cour, ce qui peut rendre d’autant plus nécessaire que lui soit imposé le cadre qu’emporterait une ordonnance la déclarant plaideuse quérulente. Elle ne ressemble pas à d’autres plaideurs qui, par manque de connaissances ou d’habiletés, portent préjudice à d’autres parties accessoirement, au hasard,  pendant qu’ils se débattent pour faire cheminer leur instance.

[31]  Par ailleurs, l’article 40 assujettit à une condition préalable les ordonnances déclarant un plaideur quérulent. Selon le paragraphe 40(2) de la Loi, le procureur général doit consentir à la présentation d’une requête visant à faire déclarer une personne plaideur quérulent. La condition est remplie en l’espèce puisque le procureur général a donné son consentement.

[32]  Je conclus que la demanderesse est incontrôlable et nuisible au système judiciaire et à ses participants au point qu’il est justifié de lui imposer d’obtenir l’autorisation pour exercer tout nouveau recours. J’accueillerais la requête visant à faire déclarer la demanderesse plaideuse quérulente.

La requête en rejet de la demande

[33]  Notre Cour peut être saisie de requêtes interlocutoires en rejet d’une instance (Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Lee c. Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228; CanWest Mediaworks Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 207, au paragraphe 10; Forner c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2016 CAF 35; Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171). Dans de telles requêtes, la Cour doit chercher le vice fondamental qui infirmerait à la base sa capacité à instruire le recours – l’élément qui rend la requête d’une « efficacité assez radicale » – ou une autre circonstance qui l’amène à conclure que le recours est voué à l’échec.

[34]  Ce raisonnement traduit le point de vue de notre Cour selon lequel elle doit « mettre fin aux affaires inutiles et non fondées le plus tôt possible » (Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 224, au paragraphe 26). À cette fin, notre Cour, récemment, s’est dotée de nouveaux outils, en a réinventés ou en a remis en vigueur (ibid., au paragraphe 26).

[35]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soutient qu’une décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral a été rendue par une formation qui n’avait pas été constituée conformément à la loi. La demanderesse n’est nullement concernée par cette décision administrative. Elle n’était pas une partie devant la Commission. La décision rejetait des plaintes déposées par la défenderesse Mme Baun. Cette dernière a déposé sa propre demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision.

[36]  La demanderesse a produit un affidavit à l’appui de sa demande. Elle n’a présenté aucun élément de preuve laissant entrevoir que la décision rendue par la Commission a eu une incidence sur ses droits, lui a imposé en droit des obligations ou lui a porté préjudice d’une manière quelconque. La demanderesse est bien loin de satisfaire au critère relatif à l’intérêt direct pour agir dans une demande de contrôle judiciaire (Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Odynsky, 2010 CAF 307, [2012] 2 R.C.F. 312).

[37]  La demanderesse n’a pas non plus qualité pour agir dans l’intérêt public selon le critère énoncé dans l’arrêt Downtown Eastside, précité. La preuve ne permet pas d’établir que la demanderesse a un intérêt réel ou véritable dans l’issue de la procédure. Elle ne montre pas non plus que la demande constitue un moyen raisonnable et efficace pour la demanderesse de saisir la Cour de la validité de la décision administrative. En effet, c’est plutôt la demande déposée par la personne directement touchée, Mme Baun, qui soumet la question à la Cour et garantit que la décision administrative n’est pas à l’abri d’un contrôle.

[38]  À ce titre, l’arrêt Close, précité, est parfaitement pertinent et fait autorité. Dans cet arrêt, notre Cour a mis fin à la tentative de la demanderesse d’engager une instance à la place d’un tiers, au motif qu’elle n’avait pas qualité pour agir dans l’intérêt public ni quelque qualité pour agir que ce soit. En effet, notre Cour a affirmé dans l’arrêt Close (au paragraphe 9) que « [d]es dizaines de milliers de personnes se trouvant dans une situation analogue à celle de la demanderesse pourraient, elles aussi, avoir qualité pour agir si nous accordons en l’espèce cette qualité à la demanderesse ». Rien dans l’affidavit de la demanderesse n’indique qu’il n’en va pas de même en l’espèce.

[39]  Par conséquent, j’estime que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse comporte un vice fondamental : elle est vouée à l’échec. La demanderesse n’a pas la qualité requise pour que l’instance continue.

Dispositif proposé

[40]  Je déclarerais la demanderesse plaideuse quérulente, avec dépens à la défenderesse l’Alliance de la fonction publique du Canada. J’ordonnerais également qu’il soit interdit à la demanderesse d’engager de nouvelles instances et de tenter d’intervenir dans les instances de tiers, qu’elle agisse en son propre nom ou que ses intérêts soient représentés par quelqu’un d’autre devant notre Cour, sans autorisation de notre Cour. Je rejetterais également la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord. 

Marc Noël, juge en chef »

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-264-18

 

INTITULÉ :

ELIZABETH BERNARD c. BONNIE GALE BAUN, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE LOCKE

DATE DES MOTIFS :

Le 14 mai 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Elizabeth Bernard

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Caroline Engmann

 

Pour le défendeur le procureur général du Canada

 

Andrew Raven

Morgan Rowe

Pour la défenderesse l’Alliance de la fonction publique du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour le défendeur le procureur général du Canada

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse l’Alliance de la fonction publique du Canada

 

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