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Date : 20190516


Dossier : A-245-18

Référence : 2019 CAF 150

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

WAEL MAGED BADAWY

appelant

et

1038482 ALBERTA LTD, également dénommée INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC., FIDELITER INC., BILL HEWS, MISSING LINK BUSINESS OPERATIONS ADVISORS LTD., GORDON EDWARDS, CHRISTOPHER BEADLE, SHANE ROGERS, FLIR SYSTEMS INC., FLIR SYSTEMS, LTD., SPARTAN CONTROLS LTD., CANADA150IN150, SCHNEIDER ELECTRIC SE, SCHNEIDER ELECTRIC CANADA INC., WEST AT PELCO BY SCHNEIDER ELECTRIC et ENBRIDGE PIPELINE INC.

intimés

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 6 mai 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

 


Date : 20190516


Dossier : A-245-18

Référence : 2019 CAF 150

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

WAEL MAGED BADAWY

appelant

et

1038482 ALBERTA LTD, également dénommée INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC., FIDELITER INC., BILL HEWS, MISSING LINK BUSINESS OPERATIONS ADVISORS LTD., GORDON EDWARDS, CHRISTOPHER BEADLE, SHANE ROGERS, FLIR SYSTEMS INC., FLIR SYSTEMS, LTD., SPARTAN CONTROLS LTD., CANADA150IN150, SCHNEIDER ELECTRIC SE, SCHNEIDER ELECTRIC CANADA INC., WEST AT PELCO BY SCHNEIDER ELECTRIC et ENBRIDGE PIPELINE INC.

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

[1]  Wael Maged Badawy interjette appel d'un jugement de la Cour fédérale (2018 CF 807) rendu par la juge McVeigh (la juge) annulant sa déclaration modifiée « sans autorisation de modifier ou de déposer à nouveau » (au paragraphe 2 du jugement). La juge a également rejeté les requêtes de M. Badawy, y compris sa requête visant à faire déclarer inhabiles les avocats de certains intimés, car M. Badawy ne l'avait pas convaincue de l'existence d'un conflit d'intérêts et la question était en outre devenue théorique.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l'appel avec dépens.

I.  Bref historique des procédures

[3]  Dans sa déclaration, M. Badawy a fait valoir des allégations de violation de droit d'auteur et de contrefaçon de marques de commerce et de brevets dont il serait propriétaire au Canada et à l'étranger, ainsi que d'autres causes d'action prétendues. Les intimés ont demandé la radiation de la demande en application des alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98‑106 pour défaut de révéler une cause d'action valable et parce qu'elle était vexatoire et constituait un abus de procédure.

[4]  Les requêtes des intimés en vue de faire radier la déclaration devaient être entendues le 8 février 2018. Le 29 janvier 2018, M. Badawy a déposé une requête visant à faire déclarer inhabiles les avocats du cabinet Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., s.r.l. (BLG), et à les empêcher de comparaître.

[5]  Le 9 février 2018, la juge Heneghan a ajourné l'audience des requêtes en radiation au 8 mars 2018 et a donné à M. Badawy un délai pour modifier sa déclaration. Elle a rendu l'ordonnance suivante :

[TRADUCTION]

1.  L'audience des requêtes en radiation déposées par les défenderesses Intelliview et Enbridge, les défenderesses FLIR et les défenderesses Schneider est ajournée aux séances générales à Calgary prévues le jeudi 8 mars 2018, sous réserve de toute autre ordonnance de la Cour.

2.  L'instance est renvoyée au cabinet du juge en chef afin qu'il nomme un juge chargé de la gestion de l'instance.

3.  Le juge chargé de la gestion de l'instance fixera la date d'audience de la requête du demandeur.

4.  L'adjudication des dépens pour l'audience du jeudi 8 février 2018 est renvoyée au juge chargé de la gestion de l'instance.

5.  Le demandeur peut signifier et déposer une déclaration modifiée au plus tard le 24 février 2018.

6.  Les défenderesses Intelliview et Enbridge, les défenderesses FLIR et les défenderesses Schneider indiqueront au demandeur et au greffe de la Cour au plus tard le jeudi 1er mars 2018 s'il sera nécessaire d'entendre leurs requêtes en radiation le 8 mars 2018.

[6]  Aucun appel n'a été interjeté de cette ordonnance.

[7]  M. Badawy a déposé sa déclaration modifiée le 20 février 2018. Le juge a entendu les requêtes le 8 mars 2018. Le 31 juillet 2018, elle a rendu le jugement qui fait l'objet du présent appel.

II.  Les arguments des parties

[8]  M. Badawy soutient que la juge a commis les erreurs suivantes :

A.  elle n'a pas entendu sa requête visant à faire déclarer inhabile le cabinet BLG et elle a entendu les requêtes en radiation de la demande modifiée avant qu'un juge chargé de la gestion de l'instance soit nommé;

B.  elle n'a pas exigé des avocats des intimés qu'ils déposent de « nouveaux » avis de requête visant à faire radier la demande modifiée;

C.  elle l'a soumis à des traitements cruels et inusités et a violé les droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte);

D.  elle s'est conduite d'une manière qui n'était pas impartiale et qui démontrait un parti pris à son encontre, ce qui l'a privé d'une audience équitable.

[9]  M. Badawy demande que nous annulions les « ordonnances » de la juge, qu'il y ait un examen de novo, que nous accordions ce qui serait en fait une injonction et un jugement sommaire et que nous lui adjugions les dépens.

[10]  Les avocats des intimés ont soutenu que la juge n'avait commis aucune erreur et que l'appel devait être rejeté avec dépens.

III.  La norme de contrôle applicable

[11]  Les arguments de M. Badawy portent sur le processus suivi par la juge. Il affirme que la juge aurait dû entendre sa requête en vue de faire déclarer inhabile le cabinet BLG et attendre la nomination d'un juge chargé de la gestion de l'instance pour entendre les requêtes en radiation.

[12]  La norme de contrôle applicable aux questions soulevées dans le présent appel est la norme énoncée dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

[13]  Pour les motifs qui suivent, M. Badawy n'a démontré aucune erreur qui justifie une intervention.

IV.  Analyse

[14]  J'aborde maintenant chacun des arguments soulevés par M. Badawy.

A.  La gestion de l'instance

[15]  Au cours des plaidoiries, M. Badawy s'est attardé sur l'argument selon lequel la juge n'aurait pas dû entendre les requêtes en radiation. L'argument ne peut être retenu. L'ordonnance de la juge Heneghan disposait que les requêtes en radiation seraient entendues aux séances générales à Calgary prévues le 8 mars 2018, qu'un juge chargé de la gestion de l'instance soit nommé ou non.

[16]  De plus, la Règle 385 des Règles des Cours fédérales, qui énonce la compétence d'un juge chargé de la gestion de l'instance, n'empêche pas un autre juge d'entendre une requête portant sur la même instance (Trevor Nicholas Construction Co. Ltd. c. La Reine, 2004 CF 238, conf. par 2004 CAF 356). Dans cette décision, la Cour fédérale a affirmé ce qui suit au paragraphe 13 : « [l]e principe de gestion des instances vise à faciliter le travail de la Cour et non à le faire entrer dans une camisole de force », et « [i]l importe donc que tous les juges et protonotaires de la Cour aient la compétence et la flexibilité requises pour faire en sorte que le travail de la Cour soit exécuté de la manière la plus économique et la plus efficace possible ». L'argument de M. Badawy selon lequel la juge aurait dû attendre la nomination d'un juge chargé de la gestion de l'instance n'est pas fondé.

[17]  Enfin, l'observation de M. Badawy selon laquelle la juge aurait dû entendre sa requête visant à faire déclarer inhabile le cabinet BLG doit également être rejetée. La juge a pris sa requête en considération puisqu’au début de l'audience, il a été convenu que les avocats représentant les intimées Schneider Electric SE, Schneider Electric Canada Inc. et West at Pelco by Schneider Electric allaient plaider au nom de tous les intimés. Il relevait du pouvoir discrétionnaire de la juge de déterminer dans quel ordre les requêtes devaient être entendues. Ce faisant, elle n'a commis aucune erreur.

B.  Aucune nouvelle requête n'a été déposée

[18]  M. Badawy soutient que les requêtes en radiation n'auraient pas dû être entendues, puisqu'il fallait déposer de nouvelles requêtes en radiation pour la déclaration modifiée. Je ne suis pas de cet avis.

[19]  Au paragraphe 1 de son ordonnance, la juge Heneghan a ordonné que les requêtes en radiation soient entendues aux séances générales à Calgary prévues le 8 mars 2018. Elle a également ordonné aux intimés d'indiquer à M. Badawy et au greffe, au plus tard le jeudi 1er mars 2018, s'il sera nécessaire d'entendre les requêtes en radiation le 8 mars 2018. Au cours de l'audience du 8 mars 2018, les intimés ont confirmé avoir donné cet avis (transcription de l'audience, dossier d'appel, vol. 1, page 18, lignes 9 à 14 et 20 à 28, et page 19, lignes 1 à 11). Je suis convaincue que les intimés ont bien informé M. Badawy et le greffe de leur intention d'aller de l'avant. Par conséquent, la juge n'a pas commis d'erreur en entendant les requêtes en radiation sur le fond le 8 mars 2018.

C.  Les violations de la Charte

[20]  L'allégation de M. Badawy selon laquelle ses droits garantis par la Charte ont été violés doit également être rejetée. La Charte ne s'applique pas en l'espèce. Si la juge a commis une erreur susceptible de révision, il faut interjeter appel à notre Cour, et non invoquer la Charte.

D.  La crainte raisonnable de partialité

[21]  Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282, aux paragraphes 20, 21 et 26). M. Badawy n'a pas satisfait à ce critère.

[22]  L'allégation de partialité, réelle ou appréhendée, soulevée par M. Badawy n'est pas fondée. La juge, lorsqu'elle a entendu les requêtes en radiation des intimés et lorsqu'elle a refusé d'entendre la requête de l'appelant en vue de faire déclarer inhabiles les avocats, n'a pas fait preuve de partialité ou de parti pris. Elle a plutôt exercé son pouvoir discrétionnaire pour décider quelle requête elle entendrait en premier. À la lumière de sa conclusion concernant les requêtes en radiation des intimés, la juge a conclu qu'il n'était pas nécessaire d'aborder la requête de M. Badawy en déclaration d'inhabilité. Cela ne peut être considéré comme une preuve de partialité.

[23]  De plus, un examen approfondi de la transcription de l'audience ne révèle aucun exemple de conduite de la part de la juge pour établir une telle prétention. La juge a été polie et a traité M. Badawy avec équité et respect. Elle lui a patiemment expliqué le processus à de nombreuses occasions (transcription de l'audience, dossier d'appel, vol. 1, page 6, lignes 15 à 28; page 7, lignes 1 à 16 et 23 à 27; page 8, lignes 1 à 4; page 15, lignes 19 à 23 et 26 à 28; page 16, lignes 1 à 4; et page 21, lignes 10 à 12). Elle lui a également expliqué en détail son droit d'en appeler de sa décision (transcription de l'audience, dossier d'appel, vol. 1, page 24, lignes 23 à 28; page 25, lignes 1 à 28).

E.  Le bien-fondé des requêtes en radiation

[24]  Enfin, bien que dans ses documents écrits et ses observations orales devant la Cour, M. Badawy n'allègue aucune erreur commise par la juge quant au bien‑fondé des requêtes en radiation, je conclus que la déclaration modifiée est sans contredit un acte de procédure vexatoire et qu'elle a été correctement radiée pour cette raison. Notre Cour, dans Murray c. La Reine, [1978] A.C.F. no 406 (QL), a confirmé, au paragraphe 10, qu'un acte de procédure qui n'expose pas « les faits sur lesquels le demandeur a fondé son action assez pour qu'il soit possible à un défendeur d'y répondre ou à un tribunal de diriger l'instance » est « fondamentalement « vexatoire » au sens juridique de ce terme ».

[25]  Il n'est pas nécessaire pour moi d'examiner les conclusions subsidiaires de la juge selon lesquelles il n'y a pas de cause d'action valable et il y a abus de procédure.

V.  Conclusion

[26]  Ainsi, les conclusions auxquelles la juge est parvenue sont amplement étayées par le dossier, et elle n'a commis aucune erreur qui nécessite notre intervention. Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel, avec dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-245-18

 

INTITULÉ :

WAEL MAGED BADAWY c. 1038482 ALBERTA LTD. ET AL.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 6 mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Wael Maged Badawy

EN PERSONNE

Frank Tosto

Evan Nuttall

 

POUR LES INTIMÉS INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC., FIDELITER INC., BILL HEWS, MISSING LINK BUSINESS OPERATIONS ADVISORS LTD., GORDON EDWARDS, CHRISTOPHER BEADLE et SHANE ROGERS

Elizabeth Fashler

 

POUR LES INTIMÉES FLIR SYSTEMS INC. ET FLIR SYSTEMS, LTD.

Cassidy Thomson

POUR L'INTIMÉE ENBRIDGE PIPELINES INC.

Laura Easton

Daniel Davies

 

POUR LES INTIMÉES SCHNEIDER ELECTRIC SE, SCHNEIDER ELECTRIC CANADA INC. et PELCO, INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

POUR LES INTIMÉS INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC., FIDELITER INC., BILL HEWS, MISSING LINK BUSINESS OPERATIONS ADVISORS LTD., GORDON EDWARDS, CHRISTOPHER BEADLE et SHANE ROGERS

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

POUR LES INTIMÉES FLIR SYSTEMS INC. ET FLIR SYSTEMS, LTD.

 

Brownlee LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR L'INTIMÉE CANADA 150IN150

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

POUR L'INTIMÉE ENBRIDGE PIPELINES INC.

 

Dentons Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR L'INTIMÉE SPARTAN CONTROLS LTD.

Smart and Biggar/Fetherstonhaugh

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉES SCHNEIDER ELECTRIC SE, SCHNEIDER ELECTRIC CANADA INC. ET WEST AT PELCO BY SCHNEIDER ELECTRIC

 

 

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