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Date : 20190516


Dossier : A-396-17

Référence : 2019 CAF 151

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

 

 

BIRCHCLIFF ENERGY LTD.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 10 décembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20190516


Dossier : A-396-17

Référence : 2019 CAF 151

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

 

 

BIRCHCLIFF ENERGY LTD.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  La Cour est saisie de l’appel d’un jugement rendu par le juge Jorré de la Cour canadienne de l’impôt (2017 CCI 234). La Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de Birchcliff Energy Ltd. (Birchcliff) visant la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition 2006 sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi). Du fait de la nouvelle cotisation, la déduction demandée par Birchcliff pour les pertes autres que des pertes en capital d’environ 16 millions de dollars subies par Veracel Inc. (Veracel) a été refusée. À l’origine, la nouvelle cotisation n’a pas été établie sur le fondement de la règle générale anti‑évitement (la RGAÉ), énoncée à l’article 245 de la Loi. Cependant, lorsque la Cour canadienne de l’impôt a entendu l’affaire, la RGAÉ a été invoquée comme l’un des motifs justifiant la nouvelle cotisation et a entraîné le rejet de l’appel de Birchcliff. Dans le présent appel, la seule question à trancher est celle de savoir si la RGAÉ s’applique aux opérations dont il est question.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

I.  Les faits

[3]  Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits dans l’appel entendu par la Cour canadienne de l’impôt, qui comptait 96 paragraphes. Le texte de l’exposé conjoint partiel des faits se trouve au paragraphe 39 des motifs rendus par le juge de la Cour canadienne de l’impôt. Il n’est pas nécessaire de répéter tous les faits qui y sont énoncés. Cependant, pour les besoins du présent appel, il convient d’en reprendre quelques-uns.

[4]  Deux sociétés, Veracel et Birchcliff Energy Ltd., ont fusionné pour former la société Birchcliff.

[5]  Veracel a été constituée en société en 1994 sous le nom de s Son entreprise consistait en la conception, la fabrication et la commercialisation d’instruments de diagnostic automatisés servant à des applications médicales. Cependant, l’entreprise n’était pas florissante et, le 15 novembre 2002, Veracel a déposé une proposition sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3. Elle a cessé d’exploiter son entreprise liée aux instruments médicaux. À la fin de 2004, Veracel possédait les attributs fiscaux suivants :

[EN BLANC]

Montant

Pertes autres que des pertes en capital

16 226 489 $

Dépenses pour des activités de recherche scientifique et développement expérimental

15 558 003 $

Crédits d’impôt à l’investissement

1 874 979 $

[6]  116463 Alberta Ltd. a été constituée en société le 6 juillet 2004 et a peu après changé son nom pour Birchcliff Energy Ltd. Le 18 janvier 2005, Birchcliff Energy Ltd. a fusionné avec Scout Capital Corp., une société cotée en bourse. La nouvelle entreprise fusionnée a pris le nom de Birchcliff Energy Ltd. Étant donné que la société résultant de cette fusion portait le même nom que la société qui a résulté de la fusion subséquente avec Veracel le 31 mai 2005, je vais appeler « société remplacée Birchcliff » dans les présents motifs la société qui existait avant la fusion avec Veracel.

[7]  La société remplacée Birchcliff a signé deux lettres d’entente, datées du 14 février 2005 et du 9 mars 2005, visant l’achat de biens immobiliers dans la région de Peace River Arch en Alberta. La première lettre d’entente concernait l’achat de biens pour 2,75 millions de dollars, dont la clôture a eu lieu le 5 mai 2005. La deuxième entente concernait l’achat de biens renfermant du pétrole et du gaz naturel pour 255 millions de dollars (les biens de Devon). Le contrat d’achat des biens de Devon a été signé le 29 mars 2005 et fixait le prix d’achat à 243 millions de dollars. Pour les besoins du présent appel, les raisons pour lesquelles le prix semble avoir été réduit, ayant passé de 255 à 243 millions de dollars, ne sont pas pertinentes.

[8]  Veracel et la société remplacée Birchcliff ont conclu plusieurs ententes et ont complété diverses étapes en mars, avril et mai 2005 en vue d’utiliser les pertes autres que des pertes en capital et les autres attributs fiscaux de Veracel pour réduire les impôts que Birchcliff aurait à payer par application de la Loi relativement au revenu qui serait généré par les biens pétrolifères et gaziers dont la société remplacée Birchcliff s’apprêtait à faire l’acquisition.

[9]  Pour réunir l’argent nécessaire à l’acquisition des biens de Devon, Veracel a vendu des reçus de souscription à des investisseurs publics. Cette vente de reçus de souscription s’est terminée le 4 mai 2005 et la somme ainsi recueillie s’élevait à 136 millions de dollars. Étant donné que Veracel n’était pas la société détenant le droit d’achat sur les biens de Devon, certaines conditions ont été établies pour garantir aux investisseurs que les sommes provenant de la vente de reçus de souscription serviraient à l’acquisition des biens de Devon. Ces fonds ne seraient libérés que si Veracel et la société remplacée Birchcliff fusionnaient pour devenir Birchcliff. En outre, si Veracel ne fusionnait pas avec la société remplacée Birchcliff, les titulaires des reçus de souscription se verraient rembourser leur argent.

[10]  Les opérations ont été réalisées selon une certaine séquence le 31 mai 2005. En voici les principales :

  • les titulaires de reçus de souscription ont reçu des actions ordinaires de catégorie B de Veracel;
  • Veracel et la société remplacée Birchcliff ont fusionné;
  • Birchcliff a reçu une facilité de crédit pouvant s’élever à 70 millions de dollars;
  • Birchcliff a acheté les biens de Devon pour 243 millions de dollars.

[11]  Les actionnaires de Veracel (qui étaient actionnaires avant l’émission des reçus de souscription) ont eu l’option de recevoir soit des actions ordinaires de Birchcliff, soit des actions privilégiées sans droit de vote de Birchcliff. La somme qui a été attribuée à ces actionnaires de Veracel était de 1 500 000 $. Les actions privilégiées ont été rachetées moyennant paiement en espèces peu après la fusion. Les actionnaires de Veracel ayant choisi de recevoir des actions ordinaires de Birchcliff ont reçu environ 117 000 actions ordinaires de Birchcliff.

[12]  Les titulaires d’actions ordinaires de catégorie B de Veracel (ceux qui ont acheté des reçus de souscription) ont reçu environ 34 millions d’actions ordinaires de Birchcliff lors de la fusion de Veracel et de la société remplacée Birchcliff. Les actionnaires de la société remplacée Birchcliff ont reçu environ 20 millions d’actions ordinaires de Birchcliff.

II.  La décision rendue par la Cour de l’impôt

[13]  La Couronne a soulevé plusieurs questions devant la Cour de l’impôt, dont celles-ci : la question de savoir si la doctrine du trompe-l’œil s’applique et si par conséquent on peut ne pas tenir compte des actions ordinaires de catégorie B de Veracel, celle de savoir si les titulaires d’actions de catégorie B ont acquis le contrôle de Veracel immédiatement avant la fusion et celle de savoir si la RGAÉ s’applique aux opérations. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a estimé que les opérations n’étaient pas un trompe-l’œil et que les titulaires d’actions de catégorie B n’avaient pas acquis le contrôle de Veracel immédiatement avant la fusion.

[14]  Au sujet de l’application de la RGAÉ, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il y avait eu avantage fiscal et opération d’évitement. Dans une brève analyse sur la question de savoir si les opérations constituaient un abus des dispositions de la Loi, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’émission des actions de catégorie B par Veracel immédiatement avant la fusion avec la société remplacée Birchcliff était contraire à l’objet et à l’esprit des règles prévues au paragraphe 256(7) de la Loi et que, par conséquent, il y avait eu abus. Il a conclu que la conséquence appropriée consistait à ne pas tenir compte des actions de catégorie B que Veracel avait émises avant la fusion.

III.  La question en litige et la norme de contrôle

[15]  La seule question soulevée dans le présent appel est celle de savoir si les opérations effectuées constituent un abus des dispositions de la Loi pour l’application de la RGAÉ. Comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30 (Oxford Properties) :

[39]  La question de savoir s’il y a eu abus est une question mixte de fait et de droit, et elle est par conséquent assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante ([Canada Trustco Mortgage Co. c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Trustco)], par. 44; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (C.S.C.), par. 37 [Housen]). Cependant, l’analyse relative à l’abus se fait en deux étapes. La première étape consiste à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions invoquées au soutien de l’avantage fiscal, et la deuxième étape consiste à décider si l’avantage fiscal obtenu contrecarre les dispositions compte tenu de l’interprétation qui en a été donnée (Trustco, par. 44). L’objet et l’esprit des dispositions sont cernés grâce à l’interprétation législative ([Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 (Copthorne)], par. 70). Il s’agit d’une question de droit et d’une partie isolable de l’analyse, par conséquent, la norme de la décision correcte y est applicable (Trustco, par. 44; Housen, par. 8 et 37).

[16]  Dans le présent appel, Birchcliff ne conteste aucune des conclusions de fait tirées par le juge de la Cour canadienne de l’impôt, sauf la conclusion mixte de fait et de droit voulant qu’il y ait eu abus des dispositions de la Loi.

IV.  Les dispositions légales pertinentes

[17]  Les principales dispositions de la Loi que doit appliquer la Cour pour déterminer s’il y a eu abus de la Loi sont les paragraphes 111(5) et 256(7). Ces dispositions, dans leur version en vigueur lors de l’année d’imposition visée, sont reproduites à l’annexe jointe aux présents motifs.

[18]  Le paragraphe 111(5) de la Loi restreint de façon générale le report de pertes autres que des pertes en capital après l’acquisition du contrôle de la société par une personne ou un groupe de personnes. Il y a exception à cette restriction générale lorsque l’entreprise qui a fait naître les pertes autres que des pertes en capital est exploitée par cette société pendant l’année d’imposition pour laquelle les pertes sont déduites. Si l’entreprise continue d’être exploitée, il a d’autres restrictions applicables au montant des pertes pouvant être déduit. Il semble évident que l’entreprise qui a fait naître les pertes n’a pas été exploitée au cours de l’année d’imposition visée et que, par conséquent, s’il y a eu acquisition du contrôle de Veracel, les pertes autres que des pertes en capital subies par Veracel ne pourraient pas être déduites par Birchcliff pour l’année d’imposition 2006.

[19]  La restriction imposée sur le report des pertes autres que des pertes en capital s’applique lorsqu’une personne ou un groupe de personnes acquiert le contrôle d’une société. L’alinéa 256(7)b) de la Loi énonce certaines règles servant à déterminer si le contrôle d’une ou de plusieurs sociétés remplacées est réputé avoir été acquis lors de la fusion de plusieurs sociétés.

[20]  Dans le contexte du présent appel, la règle qui s’applique est celle du sous-alinéa 256(7)b)(iii) de la Loi. Selon la règle générale énoncée dans le passage introductif du sous-alinéa, dans le cas où plusieurs sociétés fusionnent, le contrôle de chaque société remplacée est réputé avoir été acquis par une personne ou un groupe de personnes immédiatement avant la fusion. Les exceptions à cette règle sont énoncées dans les divisions (A), (B) et (C).

[21]  La seule division qui soit pertinente en l’espèce est la division 256(7)b)(iii)(B). Cette division prévoit une exception à la règle générale, lorsqu’il est satisfait au critère qui y est énoncé, lequel pose une hypothèse quant aux actionnaires. Ce critère porte sur les actions émises à des actionnaires d’une société remplacée à la suite d’une fusion. À supposer que toutes les actions de la nouvelle société qui sont émises lors de la fusion aux actionnaires d’une société remplacée donnée soient acquises par une seule personne et que cette personne ait de ce fait acquis le contrôle de la nouvelle société, le contrôle de cette société remplacée n’est pas réputé avoir été acquis.

V.  Analyse

[22]  Les pertes autres que les pertes en capital subies par une société qui n’est pas en mesure de les utiliser sont attrayantes pour d’autres sociétés qui, elles, réalisent des profits. Les pertes de ce type ne sont pas des éléments d’actif qui peuvent être vendus ou transférés directement d’une société à une autre. Les sociétés utiliseront plutôt les dispositions des articles 87 et 88 de la Loi qui autorisent ce type de pertes à passer à la société fusionnée ou à une société mère lors de la liquidation de la société déficitaire pour que ces pertes puissent servir à la société fusionnée ou à une société rentable. Dans le cas où la société rentable acquerrait l’ensemble des actions de la société déficitaire pour la liquider ou fusionner avec elle, il y aurait acquisition du contrôle de la société déficitaire et les restrictions sur la disposition des pertes autres que des pertes en capital qui sont énoncées à l’alinéa 88(1.1)e) (qui fait pendant au paragraphe 111(5) de la Loi) et au paragraphe 111(5) de la Loi s’appliqueraient. Dans le cas où la société déficitaire fusionnerait avec la société rentable sans qu’il y ait acquisition d’actions avant la fusion, les règles énoncées à l’alinéa 256(7)b) de la Loi s’appliqueraient et serviraient à déterminer s’il y a eu acquisition du contrôle de la société déficitaire, lequel entraînerait l’application des restrictions énoncées au paragraphe 111(5) sur la déduction des pertes autres que des pertes en capital.

[23]  En l’espèce, Birchcliff soutient que l’exception énoncée à la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi s’appliquait et que le contrôle de Veracel n’a pas été acquis par une personne ou un groupe de personnes. Vu le grand nombre d’actions qui ont été émises aux actionnaires de Veracel lors de la fusion de Veracel et de la société remplacée Birchcliff, si toutes ces actions avaient été émises à une seule personne, cette personne aurait acquis le contrôle de Birchcliff. Il s’ensuit, selon la thèse de Birchcliff, que le contrôle de Veracel n’est pas réputé avoir été acquis par une personne ou un groupe de personnes et que, par conséquent, les restrictions énoncées au paragraphe 111(5) de la Loi sur le report des pertes ne s’appliquent pas.

[24]  Même si Birchcliff respecte la lettre de la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi, la question en litige en l’espèce consiste à savoir si les opérations constituent un abus de la Loi pour l’application de la RGAÉ. Comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Copthorne :

[66]  La RGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au‑delà du texte de la disposition invoquée par le contribuable pour en déterminer l’objet ou l’esprit. Il se peut qu’une opération du contribuable respecte à la lettre la disposition en cause sans nécessairement être conforme à l’objet ou à l’esprit de celle‑ci. […]

[25]  La RGAÉ limite les mesures de planification fiscale que les contribuables peuvent prendre. Même si les opérations du contribuable respectent la lettre des dispositions de la Loi en cause, lorsque ces opérations ne sont pas conformes à l’objet ou à l’esprit de ces dispositions, les mesures de planification fiscale ne donneront pas les résultats prévus par ce contribuable.

[26]  Les dispositions de la RGAÉ se trouvent à l’article 245 de la Loi. Pour que la RGAÉ s’applique, il faut qu’il y ait un avantage fiscal, une opération d’évitement et un abus des dispositions de la Loi (Copthorne, au paragraphe 33; Oxford Properties, au paragraphe 36). En l’espèce, Birchcliff ne conteste pas qu’il y ait eu un avantage fiscal ni qu’il y ait eu une opération d’évitement. La seule question à trancher dans le présent appel est de savoir s’il y a eu abus des dispositions de la Loi.

[27]  La première étape de l’analyse visant à déterminer s’il y a eu abus des dispositions de la Loi consiste à préciser l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes. Dans l’arrêt Copthorne, la Cour suprême, qui cherchait à déterminer l’objet et l’esprit d’une disposition en regard de la RGAÉ, a formulé les observations suivantes :

[70]  L’objet ou l’esprit peuvent être circonscrits grâce à la méthode qu’emploie notre Cour pour toute interprétation législative, à savoir une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée » (Trustco, par. 47; Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, [2009] 1 R.C.S. 3, par. 26). Bien que la méthode d’interprétation soit la même dans le cas de la RGAÉ, l’analyse vise en l’espèce à dégager un aspect différent de la loi. Dans un cas classique d’interprétation législative, la cour applique l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique pour établir le sens du texte de la loi. Dans le cas de la RGAÉ, l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique vise à établir l’objet ou l’esprit d’une disposition. Il est alors possible que le sens des mots employés par le législateur soit suffisamment clair. La raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux‑mêmes. Il ne faut cependant pas confondre la détermination de la raison d’être des dispositions applicables de la Loi avec le jugement de valeur quant à ce qui est bien ou mal non plus qu’avec les conjectures sur ce que devrait être une loi fiscale ou sur l’effet qu’elle devrait avoir.

[71]  La cour doit ensuite se demander si l’opération est conforme à l’objet ainsi défini ou si elle le contrecarre (Trustco, par. 44). Comme je le dis précédemment, une opération d’évitement peut en soi produire un avantage fiscal, mais elle peut également faire partie d’une série d’opérations qui en confère un. Bien que l’accent doive être mis sur elle, lorsque l’opération fait partie d’une série, il faut l’examiner dans le contexte de la série pour déterminer s’il y a évitement fiscal abusif. En effet, le caractère abusif d’une opération ne se révèle alors que dans le contexte de la série dans laquelle elle s’inscrit et de l’effet global obtenu (Lipson, par. 34, le juge LeBel).

[Non souligné dans l’original.]

[28]  En l’espèce, il s’est effectué une série d’opérations qui ont eu pour effet de transférer à Birchcliff les pertes autres que les pertes en capital subies par l’entreprise d’instruments médicaux exploitée par Veracel, lesquelles ont été utilisées contre les revenus des biens pétrolifères et gaziers nouvellement acquis. Avant la fusion, la société remplacée Birchcliff (et non Veracel) avait le droit d’acquérir ces biens pétrolifères et gaziers aux termes d’un contrat de vente. Dans l’analyse, il sera nécessaire d’établir si le résultat global qui a été atteint en l’espèce constitue un abus.

[29]  Comme il a été mentionné au paragraphe 17, pour la présente analyse, deux dispositions sont pertinentes. Le paragraphe 111(5) de la Loi est la disposition qui a une incidence directe sur la dette fiscale d’une société donnée. Cette disposition restreint la capacité d’une société de reporter des pertes autres que des pertes en capital quand il y a eu acquisition du contrôle de cette société. Le paragraphe 256(7) énonce certaines règles servant à déterminer s’il y a eu acquisition du contrôle d’une ou plusieurs sociétés remplacées lors de la fusion de plusieurs sociétés. En l’espèce, la question en litige est de savoir s’il y a eu abus du paragraphe 256(7), lequel permettait à Birchcliff d’éviter l’application des restrictions du paragraphe 111(5) de la Loi sur le report des pertes.

[30]  Pour l’essentiel, Birchcliff soutient qu’elle a respecté les dispositions de la Loi. Dans la première partie de son mémoire, portant sur le libellé de l’article 111 de la Loi, Birchcliff fait valoir que cet article autorise le contribuable à déduire les pertes autres que des pertes en capital subies au cours d’une année d’imposition donnée du revenu qu’il a touché dans une année d’imposition ultérieure (sous réserve du nombre d’années où les pertes peuvent être reportées). Birchcliff reconnaît que ce droit de reporter des pertes autres que des pertes en capital est restreint s’il y a eu acquisition du contrôle de la société contribuable. Aux fins de l’analyse, Birchcliff expose l’historique des dispositions de la Loi qui autorisent ou restreignent le report des pertes autres que des pertes en capital. Au paragraphe 40 de son mémoire, Birchcliff conclut que [traduction] « le législateur (i) accroît régulièrement la portée du report des pertes et de leur utilisation, (ii) confirme que les pertes subies par une entreprise peuvent être déduites du revenu d’une autre entreprise et (iii) restreint l’utilisation des pertes d’un contribuable lorsqu’il y a acquisition du contrôle ».

[31]  Je souscris à ces énoncés d’ordre général à l’égard de l’utilisation des pertes autorisée par la Loi pour un contribuable donné. Cela dit, la question à trancher en l’espèce est celle de savoir s’il y a eu abus à l’égard des dispositions du paragraphe 256(7) de la Loi et par conséquent de savoir si la présomption d’acquisition du contrôle a été évitée. Si la société remplacée Birchcliff avait acquis les actions de Veracel, il y aurait eu acquisition du contrôle et les restrictions sur le report des pertes prévues au paragraphe 111(5) de la Loi auraient été applicables. En effectuant les opérations de la manière dont elles ont été effectuées en l’espèce, à supposer que la RGAÉ ne s’applique pas, on visait à éviter ce résultat.

[32]  Birchcliff a fait valoir qu’il n’avait pas été question de la RGAÉ lorsqu’elle a fait l’objet d’une première nouvelle cotisation ni dans une décision antérieure de l’Agence du revenu du Canada visant Veracel à l’égard d’une opération proposée (qui n’a pas été effectuée). Toutefois, puisque la détermination de l’objet et de l’esprit des dispositions pertinentes est une question de droit, les décisions préalables et les conclusions pouvant être tirées de l’absence de renvoi à la RGAÉ lors de l’établissement d’une première nouvelle cotisation sont peu utiles.

[33]  À l’égard de ses observations sur la politique relative à l’article 111, Birchcliff a soutenu que toute société qui est insolvable doit mobiliser des capitaux pour exploiter une nouvelle entreprise. Elle a également soutenu au paragraphe 52 de son mémoire que, [traduction] « en 2005, les actionnaires de Veracel ont compris avec raison qu’une entreprise insolvable peut monnayer ses pertes si elle parvient à mobiliser de nouveaux capitaux, s’il n’y a pas acquisition du contrôle, et participer à l’exploitation d’une nouvelle entreprise ». Cependant, après avoir examiné plusieurs des documents pertinents sur l’émission des reçus de souscription, le juge de la Cour de l’impôt a conclu ce qui suit :

[50]  Il est tout à fait clair que quiconque achetait un reçu de souscription cherchait à acquérir des actions de la société fusionnée, laquelle, du fait d’ententes conclues par la société remplacée Birchcliff, avait déjà acquis des biens relatifs au pétrole et au gaz naturel et était sur le point d’acquérir des biens relatifs au pétrole et au gaz naturel beaucoup plus importants, les biens de Devon, acquisition qui devait être financée en grande partie par les fonds obtenus par l’émission des actions de catégorie B. Ces personnes ne cherchaient aucunement à acquérir une participation dans la société remplacée.

[34]  Il semblerait bien que cette société remplacée soit Veracel.

[35]  Birchcliff n’a pas contesté cette conclusion de fait. Par conséquent, rien ne fonde l’affirmation de Birchcliff voulant que Veracel ait de son propre chef mobilisé suffisamment de capitaux pour lui permettre de participer à l’exploitation de cette nouvelle entreprise pétrolifère et gazière.

[36]  Dans un autre volet de ses observations sur le principe permettant que des pertes autres que des pertes en capital d’une année d’imposition soient déduites des revenus touchés dans une autre année, Birchcliff invoque les observations du juge en chef Rossiter dans la décision 594710 British Columbia Ltd. c. La Reine, 2016 CCI 288, sur une affaire concernant un abus des dispositions de l’article 111. Dans cette affaire, certaines opérations avaient été effectuées, lesquelles avaient eu pour effet d’attribuer presque tous les profits d’une société de personnes à une société qui était devenue membre de la société de personnes peu avant la fin de l’année d’imposition de la société de personnes. Cette société possédait des pertes et des déductions fiscales pouvant servir à réduire l’impôt à payer sur le revenu. Le juge en chef avait conclu que la RGAÉ ne s’appliquait pas aux opérations dans cette affaire. Cependant, dans l’appel interjeté devant notre Cour (2018 CAF 166, ci-après « l’arrêt 594 »), il a été établi que la RGAÉ s’appliquait bel et bien à l’attribution de revenus à la nouvelle société partenaire et à certaines opérations réalisées par les anciens partenaires et leurs sociétés de portefeuille. Notre Cour a précisé au paragraphe 45 de ses motifs qu’elle n’exprimerait aucune opinion sur la question de savoir si la Cour de l’impôt avait commis des erreurs, relativement aux paragraphes 44(1) et (3), « qui traitent de la politique dans la Loi en ce qui concerne le partage des profits et des pertes ».

[37]  De plus, au paragraphe 71 de son mémoire, Birchcliff constate ceci : [traduction] « il existe de la jurisprudence sur la RGAÉ portant sur l’utilisation des pertes et il s’en dégage qu’il existe un principe contre le commerce des pertes. La notion selon laquelle le commerce des pertes est interdit n’a pas été codifiée, mais un examen de la jurisprudence montre que l’interdiction semble s’appliquer dans trois situations générales, dont aucune n’existe à l’espèce. » Les arrêts invoqués sont Mathew c. Canada, 2005 CSC 55, OSFC Holdings Ltd. c. Canada, 2001 CAF 260, Canada c. Mackay, 2008 CAF 105, et Canada c. Global Equity Fund Ltd., 2012 CAF 272.

[38]  La première situation générale relevée par Birchcliff est celle où il y a [traduction] « transfert d’attributs fiscaux à une autre entité ». Aux termes de la Loi, la règle générale (qui se trouve à l’alinéa 87(2)a) de la Loi) dispose que la société issue de la fusion de plusieurs sociétés est réputée être une nouvelle société. Par contre, le paragraphe 87(2.1) de la Loi dispose que, lorsqu’il y a eu fusion à certaines fins, dont celles de déterminer la perte autre qu’une perte en capital et de déterminer dans quelle mesure le paragraphe 111(5) de la Loi s’applique de manière à ce que soit restreint le montant que la nouvelle société peut déduire à titre de perte autre qu’une perte en capital, la nouvelle société est réputée être la même société que chaque société remplacée et en être la continuation. Il s’ensuivrait que les pertes autres que des pertes en capital d’une société remplacée sont les pertes autres que des pertes en capital de la société issue de la fusion et que, s’il y a eu acquisition du contrôle, les restrictions énoncées au paragraphe 111(5) de la Loi s’appliquent comme si la société remplacée et la nouvelle société étaient la même société. Cependant, cela n’aide en rien à déterminer s’il y a eu acquisition du contrôle.

[39]  Aucun des arrêts sur la RGAÉ que Birchcliff appelle [traduction] « la jurisprudence sur la RGAÉ portant sur l’utilisation des pertes » n’a été rendu pour trancher la question de savoir s’il y avait eu abus des dispositions de la Loi par un contribuable ayant effectué des opérations dans le but d’éviter qu’il y ait acquisition du contrôle. En l’espèce, la question est de savoir s’il y a eu abus à l’égard de la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi.

[40]  Au sujet de la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi, Birchcliff met en évidence les observations suivantes que le juge de la Cour de l’impôt a formulées au paragraphe 137 de ses motifs :

[...] il serait contraire au principe des dispositions de tenir compte des actions de catégorie B, alors que leur existence est éphémère au point de ne durer que le temps de la fusion [...]

[41]  Birchcliff soutient que les mots « éphémère » ou « artificiel » n’auraient pas dû être utilisés, puisque le juge de la Cour de l’impôt avait conclu que ces actions de catégorie B avaient été émises. Elle soutient que le principe cerné par le juge de la Cour de l’impôt n’existe pas et que le sens manifeste et ordinaire du libellé de cette division confirme qu’elle a le droit de déduire les pertes qu’elle a déduites.

[42]  Birchcliff invoque aussi le fait que l’article 256 ne fait aucune mention de séries d’opérations pour étayer sa thèse selon laquelle les dispositions temporelles de cet article ont un effet déterminant. Étant donné que, lors de la fusion de Veracel et de la société remplacée Birchcliff, les actionnaires de Veracel ont reçu environ 63 % des actions ordinaires de Birchcliff, il était satisfait aux dispositions de la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi. De plus, Birchcliff soutient que, la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi étant une règle précise créant une présomption, le seul objet devrait être celui que le texte de la disposition prévoit lui-même. Birchcliff invoque la décision Bioartificial Gel Technnologies (Bagtech) Inc. c. La Reine, 2012 CCI 120, conf. par 2013 CAF 164, à l’appui de cette observation. Cependant, comme il n’était pas question de l’application de la RGAÉ dans cette affaire, il n’était pas nécessaire d’aller au-delà des mots pour vérifier la portée et l’esprit de la disposition en question.

[43]  Le fil conducteur qui relie ces observations est que les actions de catégorie B de Veracel ont été émises aux titulaires de reçus de souscription et que, par conséquent, il n’y a pas eu d’abus des dispositions de la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi, car les opérations, telles qu’elles ont été effectuées, respectaient les exigences de cette division.

[44]  Dans l’arrêt 594, notre Cour a conclu que la RGAÉ s’appliquait à certaines opérations effectuées dans le but d’éviter l’application de l’article 160 de la Loi. De façon générale, l’article 160 dispose qu’une personne est solidairement responsable de l’impôt d’une autre personne à payer en vertu de la Loi lorsque les deux personnes ont un lieu de dépendance et que l’autre personne a transféré des biens à la première personne. L’impôt à payer en vertu de la Loi doit être à l’égard de l’année d’imposition lors de laquelle le transfert des biens a eu lieu ou à l’égard d’une année précédente. Le bénéficiaire du transfert doit payer un montant égal au moins élevé des montants suivants : a) le total des montants que doit payer l’auteur du transfert; b) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens transférés sur la contrepartie donnée pour ces biens.

[45]  Dans l’arrêt 594, les sociétés partenaires dans une société de personnes appartenaient chacune à une société de portefeuille. Chaque société partenaire avait déclaré des dividendes en actions qui étaient payés par l’émission d’actions privilégiées. Ces actions privilégiées étaient par la suite rachetées. La question en litige était de savoir si l’article 160 s’appliquait au montant payé pour le rachat des actions privilégiées, étant donné que les sociétés de portefeuille auraient remis ces actions au moment du rachat.

[46]  En étudiant cette question, notre Cour a fait, dans l’arrêt 594, les observations suivantes :

[112]  À mon avis, la Cour de l’impôt a commis une erreur en n’examinant pas cette combinaison. Ensemble, les dividendes sous forme d’actions et le rachat ont donné lieu à un transfert d’argent « indirectement [...] ou de toute autre façon » par la société partenaire à la société de portefeuille sans contrepartie. Le fait que la Cour n’ait pas tenu compte du libellé de cette partie de son analyse constitue une erreur de droit qu’il est possible d’isoler.

[113]  Les deux étapes ensemble ont donné lieu à l’équivalent d’un dividende en espèces. Dans la décision Algoa Trust c. Canada (4 février 1998, dossier A-201-93, inédite), notre Cour a confirmé la décision de la Cour de l’impôt (Algoa Trust c. Canada, 93 D.T.C. 405, [1993] 1 C.T.C. 2294) qui avait conclu qu’un dividende en espèces est un transfert de biens sans contrepartie pour l’application de l’article 160.

[…]

[115]  Bien que la décision Algoa Trust traite d’un dividende en espèces, la combinaison en l’espèce de dividendes en actions suivie d’un rachat a le même effet et se traduit tout autant par un transfert de biens sans contrepartie.

[Non souligné dans l’original.]

[47]  À l’article 160, l’expression « directement ou indirectement » se trouve dans le passage introductif du paragraphe 160(1) et est utile pour déterminer s’il y a eu transfert de biens d’une personne à une autre. Lorsqu’il a été établi qu’il y a eu transfert de biens (directement ou indirectement), les règles prévues aux alinéas d) et e) s’appliquent. La notion de contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert se trouve au sous-alinéa e)(i) et, par conséquent, ne doit être prise en compte que s’il est établi qu’un transfert de biens a eu lieu. L’expression « directement ou indirectement » ne figure pas à l’alinéa e), lequel établit l’obligation du bénéficiaire du transfert. La question en litige dans l’arrêt 594 relativement à l’application de la RGAÉ aux opérations était de savoir si les opérations pouvaient être considérées comme étant le paiement d’un dividende en espèces sans contrepartie plutôt que le paiement pour le rachat d’actions (auquel cas les actions rachetées seraient remises en échange du paiement). Notre Cour a conclu que les opérations qui avaient été effectuées avaient « le même effet et se tradui[saient] tout autant par un transfert de biens sans contrepartie » et que, par conséquent, il y avait eu un avantage fiscal.

[48]  En l’espèce, les titulaires de reçus de souscription devaient recevoir soit des actions de Birchcliff, soit un remboursement. La juxtaposition de l’émission des actions de catégorie B de Veracel aux titulaires de reçus de souscription et de la fusion de Veracel et de la société remplacée Birchcliff a le même effet que si les titulaires de reçus de souscription avaient reçu uniquement des actions de Birchcliff à la suite de la fusion de Veracel et de la société remplacée Birchcliff et est équivalente. Si les titulaires de reçus de souscription avaient reçu uniquement des actions de Birchcliff, il y aurait eu acquisition du contrôle de Veracel au moment de la fusion de Veracel et de la société remplacée Birchcliff.

[49]  Au paragraphe 50 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il « est tout à fait clair que quiconque achetait un reçu de souscription cherchait à acquérir des actions de la société fusionnée ». Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en tirant cette conclusion fondée sur les éléments de preuve dont il disposait, en particulier les ententes conclues avec les acheteurs de reçus de souscription, qui stipulent que ces acheteurs recevraient soit des actions de Birchcliff (la société fusionnée), soit un remboursement. En outre, la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle les opérations devaient être prises en considération comme si les actions ordinaires de catégorie B de Veracel n’avaient pas été émises est étayée par l’arrêt 594 de notre Cour, qui avait alors conclu que, pour déterminer si la RGAÉ s’appliquait, les opérations dans cette affaire devaient être considérées non pas comme le versement de dividendes en actions suivi d’un rachat d’actions, mais comme le versement de dividendes en espèces.

[50]  Il est important de vérifier si ce résultat est conforme à la raison d’être du sous-alinéa 256(7)b)(iii) de la Loi. Comme l’a observé la Cour suprême dans l’arrêt Copthorne, au paragraphe 70, « [l]a raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux-mêmes ». Comme Birchcliff l’a fait observer, la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi dispose que le contrôle d’une société remplacée n’est pas réputé avoir été acquis lorsque les actionnaires de cette société reçoivent ensemble suffisamment d’actions de la société fusionnée pour permettre à une personne (si cette personne avait acheté toutes ces actions) de contrôler la société fusionnée.

[51]  Pour l’examen du contexte et de l’objet de cette disposition, il convient de rappeler que le contrôle d’une société s’exerce par la possession d’actions (voir l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, [1998] CanLII 827, au paragraphe 36). Le plus souvent, les actions d’une société fusionnée sont émises aux actionnaires des sociétés remplacées en proportion de la juste valeur marchande relative de chaque société remplacée. Par conséquent, le nombre d’actions émises par la société fusionnée aux actionnaires de chaque société remplacée représente normalement la juste valeur marchande relative de chaque société remplacée.

[52]  La raison justifiant l’exception prévue à la division 256(7)b)(iii)(B) est qu’elle s’appliquerait de manière à exclure de la présomption d’acquisition du contrôle prévue dans le passage introductif du sous-alinéa 256(7)b)(iii) la société la plus grande lorsque deux sociétés fusionnent. Autrement dit, le contrôle de la plus petite société, pour sa part, serait réputé acquis. Si les deux sociétés sont de même taille (ce qui voudrait dire que les actionnaires de chaque société remplacée recevraient ensemble le même nombre d’actions des mêmes classes de la société fusionnée), l’exception de la division 256(7)b)(iii)(C) s’appliquerait et le contrôle de ni l’une ni l’autre des sociétés remplacées ne serait réputé acquis.

[53]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu au paragraphe 57 de ses motifs que, « [d]ans le cadre de l’entente relative à l’arrangement, Veracel a déclaré qu’au moment de la fusion elle n’aurait ni éléments d’actif ni employés ». Bien que ce soit Veracel qui ait organisé la vente de reçus de souscription, les titulaires de ces reçus devaient recevoir soit des actions de Birchcliff, soit un remboursement. Il n’existait pas de scénario qui aurait permis à Veracel de conserver l’argent qui provenait de la vente des reçus de souscription.

[54]  À mon avis, les opérations effectuées en l’espèce étaient contraires à l’objet et à l’esprit de la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi. Le résultat de l’application de la règle générale, énoncée au sous-alinéa 256(7)b)(iii) de la Loi, et des exceptions prévues aux divisions (B) et (C) est le suivant : soit il y a acquisition du contrôle de Veracel ou de la société remplacée Birchcliff, soit il n’y a acquisition de ni l’une ni l’autre. Veracel n’avait aucun élément d’actif, aucun employé. Les personnes qui ont acheté les reçus de souscription devaient recevoir soit des actions de Birchcliff, soit un remboursement. La société remplacée Birchcliff avait acquis certains biens pétrolifères et gaziers avant la fusion (motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt, au paragraphe 66) et avait le droit d’acquérir les biens de Devon. À mon avis, selon le principe sous-tendant la division 256(7)b)(iii)(B) de la Loi, il y a eu acquisition du contrôle de Veracel en l’espèce. Par conséquent, les opérations constituent un abus de cette disposition.

[55]  Il s’ensuit que je suis d’accord avec le juge de la Cour de l’impôt pour dire que la RGAÉ s’applique. Lorsque la RGAÉ s’applique, le paragraphe 245(2) de la Loi dispose que les attributs fiscaux sont déterminés de manière raisonnable de façon à supprimer l’avantage fiscal. L’avantage fiscal en l’espèce est le droit non restreint de Birchcliff à déduire les pertes autres que des pertes en capital de Veracel dans le calcul de son revenu imposable par application de l’article 111. L’application de la RGAÉ en l’espèce signifie que, aux termes du paragraphe 111(5) de la Loi, le contrôle de Veracel est réputé avoir été acquis immédiatement avant la fusion de Veracel et de la société remplacée Birchcliff. Par conséquent, les restrictions du paragraphe 111(5) de la Loi s’appliquent pour le calcul des pertes autres que des pertes en capital de Veracel que Birchcliff peut déduire. Étant donné que l’entreprise qui a donné lieu aux pertes autres que des pertes en capital de Veracel n’était plus exploitée en 2005 ou en 2006, Birchcliff n’a pas le droit de déduire ces pertes autres que des pertes en capital.

[56]  Je rejetterais le présent appel. Sur le fondement de l’entente conclue par les parties en ce qui a trait aux dépens, j’accorderais à l’intimée une somme forfaitaire de 40 000 $, débours compris, à titre de dépens pour les instances devant la Cour canadienne de l’impôt et notre Cour.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


ANNEXE

Dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) dans leur version en vigueur lors de l’année d’imposition en visée

Début du paragraphe 111(5)

111(5) En cas d’acquisition, à un moment donné, du contrôle d’une société par une personne ou un groupe de personnes, aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant avant ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant après ce moment et aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant après ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant avant ce moment.

111(5) Where, at any time, control of a corporation has been acquired by a person or group of persons, no amount in respect of its non-capital loss or farm loss for a taxation year ending before that time is deductible by the corporation for a taxation year ending after that time and no amount in respect of its non-capital loss or farm loss for a taxation year ending after that time is deductible by the corporation for a taxation year ending before that time […]

Paragraphes 245(1), (2) et (5)

245(1) attribut fiscal S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

245(1) tax consequences to a person means the amount of income, taxable income, or taxable income earned in Canada of, tax or other amount payable by or refundable to the person under this Act, or any other amount that is relevant for the purposes of computing that amount;

245(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

245(2) Where a transaction is an avoidance transaction, the tax consequences to a person shall be determined as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that, but for this section, would result, directly or indirectly, from that transaction or from a series of transactions that includes that transaction.

[…]

[…]

(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

(5) Without restricting the generality of subsection (2), and notwithstanding any other enactment,

a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

(a) any deduction, exemption or exclusion in computing income, taxable income, taxable income earned in Canada or tax payable or any part thereof may be allowed or disallowed in whole or in part,

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

(b) any such deduction, exemption or exclusion, any income, loss or other amount or part thereof may be allocated to any person,

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

(c) the nature of any payment or other amount may be recharacterized, and

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

(d) the tax effects that would otherwise result from the application of other provisions of this Act may be ignored,

in determining the tax consequences to a person as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that would, but for this section, result, directly or indirectly, from an avoidance transaction.

Paragraphe 256(7)

256(7) Pour l’application des paragraphes 10(10), 13(21.2) et (24), 14(12) et 18(15), des articles 18.1 et 37, du paragraphe 40(3.4), de la définition de perte apparente à l’article 54, de l’article 55, des paragraphes 66(11), (11.4) et (11.5), 66.5(3) et 66.7(10) et (11), de l’article 80, de l’alinéa 80.04(4)h), des paragraphes 85(1.2), 88(1.1) et (1.2) et 110.1(1.2), des articles 111 et 127, du paragraphe 249(4) et du présent paragraphe :

256(7) For the purposes of subsections 10(10), 13(21.2) and (24), 14(12) and 18(15), sections 18.1 and 37, subsection 40(3.4), the definition superficial loss in section 54, section 55, subsections 66(11), (11.4) and (11.5), 66.5(3) and 66.7(10) and (11), section 80, paragraph 80.04(4)(h), subsections 85(1.2), 88(1.1) and (1.2) and 110.1(1.2), sections 111 and 127, subsection 249(4) and this subsection,

[…]

[…]

b) dans le cas où plusieurs sociétés (chacune étant appelée « société remplacée » au présent alinéa) ont fusionné pour former une seule société (appelée « nouvelle société » au présent alinéa), les présomptions suivantes s’appliquent :

(b) where at any time 2 or more corporations (each of which is referred to in this paragraph as a “predecessor corporation”) have amalgamated to form one corporate entity (in this paragraph referred to as the “new corporation”),

(i) le contrôle d’une société n’est réputé avoir été acquis par une personne ou un groupe de personnes du seul fait de la fusion que s’il est réputé par les sous-alinéas (ii) ou (iii) avoir été ainsi acquis,

(i) control of a corporation is deemed not to have been acquired by any person or group of persons solely because of the amalgamation unless it is deemed by subparagraph 256(7)(b)(ii) or 256(7)(b)(iii) to have been so acquired,

(ii) la personne ou le groupe de personnes qui contrôle la nouvelle société immédiatement après la fusion, mais qui ne contrôlait pas une société remplacée immédiatement avant la fusion est réputé avoir acquis, immédiatement avant la fusion, le contrôle de la société remplacée et de chaque société que celle-ci contrôlait immédiatement avant la fusion, sauf dans le cas où la personne ou le groupe de personnes n’aurait pas acquis le contrôle de la société remplacée s’il avait acquis l’ensemble des actions de celle-ci immédiatement avant la fusion,

(ii) a person or group of persons that controls the new corporation immediately after the amalgamation and did not control a predecessor corporation immediately before the amalgamation is deemed to have acquired immediately before the amalgamation control of the predecessor corporation and of each corporation it controlled immediately before the amalgamation (unless the person or group of persons would not have acquired control of the predecessor corporation if the person or group of persons had acquired all the shares of the predecessor corporation immediately before the amalgamation), and

(iii) le contrôle d’une société remplacée et de chaque société qu’elle contrôle immédiatement avant la fusion est réputé avoir été acquis immédiatement avant la fusion par une personne ou un groupe de personnes, sauf si l’un des faits suivants se vérifie:

(iii) control of a predecessor corporation and of each corporation it controlled immediately before the amalgamation is deemed to have been acquired immediately before the amalgamation by a person or group of persons

(A) immédiatement avant la fusion, la société remplacée était liée à chaque autre société remplacée, autrement qu’à cause d’un droit visé à l’alinéa 251(5)b),

(A) unless the predecessor corporation was related (otherwise than because of a right referred to in paragraph 251(5)(b)) immediately before the amalgamation to each other predecessor corporation,

(B) si une seule personne avait acquis, immédiatement après la fusion, l’ensemble des actions du capital — actions de la nouvelle société que les actionnaires de la société remplacée ou d’une autre société remplacée qui contrôlait celle-ci ont acquis lors de la fusion en contrepartie de leurs actions de la société remplacée ou de l’autre société remplacée, selon le cas, cette personne aurait acquis le contrôle de la nouvelle société par suite de l’acquisition de ces actions,

(B) unless, if one person had immediately after the amalgamation acquired all the shares of the new corporation’s capital stock that the shareholders of the predecessor corporation, or of another predecessor corporation that controlled the predecessor corporation, acquired on the amalgamation in consideration for their shares of the predecessor corporation or of the other predecessor corporation, as the case may be, the person would have acquired control of the new corporation as a result of the acquisition of those shares, or

(C) le contrôle de chaque société remplacée serait, en l’absence de la présente division, réputé par le présent sous-alinéa avoir été acquis lors de la fusion, dans le cas où il s’agit de la fusion :

(C) unless this subparagraph would, but for this clause, deem control of each predecessor corporation to have been acquired on the amalgamation where the amalgamation is an amalgamation of

(I) de deux sociétés,

(I) two corporations, or

(II) de deux sociétés (appelées « sociétés mère » à la présente subdivision) et d’une ou de plusieurs autres sociétés (chacune étant appelée « filiale » à la présente subdivision) qui, si les actions du capital-actions de chaque filiale détenues par les sociétés mères immédiatement avant la fusion avaient été détenues par une seule personne, auraient été contrôlées par cette personne;

(II) two corporations (in this subclause referred to as the “parents”) and one or more other corporations (each of which is in this subclause referred to as a “subsidiary”) that would, if all the shares of each subsidiary’s capital stock that were held immediately before the amalgamation by the parents had been held by one person, have been controlled by that person;

[…]

[...]

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 24 NOVEMBRE 2017, NO DE RÉFÉRENCE 2017 CCI 234

(DOSSIER NO 2012-1087(IT)G)

DOSSIER :

A-396-17

 

INTITULÉ :

BIRCHCLIFF ENERGY LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 décembre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2019

COMPARUTIONS :

Patrick Lindsay

Colin Bartlett

Pour l’appelante

Michael Taylor

Neva Beckie

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PwC Cabinet d’avocats S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Calgary (Alberta)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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