Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190521


Dossier : A-239-17

Référence : 2019 CAF 153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

WAEL MAGED BADAWY

appelant

et

WALDEMAR A. IGRAS

WALDEMAR A. IGRAS PROFESSIONAL

CORPORATION

intimés

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 7 mai 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20190521


Dossier : A-239-17

Référence : 2019 CAF 153

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

WAEL MAGED BADAWY

appelant

et

WALDEMAR A. IGRAS

WALDEMAR A. IGRAS PROFESSIONAL

CORPORATION

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1] Wael Maged Badawy interjette appel de la décision de la Cour fédérale (2017 CF 619, motifs du juge Manson) ayant accueilli la requête en jugement sommaire déposée par les intimés relativement à l’action intentée contre eux par M. Badawy et ayant rejeté la requête en jugement contre M. Badawy présentée par les intimés dans une demande reconventionnelle modifiée. Comme il n’y a pas d’appel incident interjeté en l’espèce, notre Cour est appelée à se prononcer uniquement sur la décision de la Cour fédérale portant sur l’action intentée par M. Badawy.

[2] La Cour fédérale a conclu que cette action soulevait une seule question, soit celle de savoir si les intimés devaient être tenus responsables de commercialisation trompeuse, en contravention avec l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi), pour avoir utilisé l’expression « Igras Family Law » en liaison avec le cabinet de droit familial de M. Igras (y compris les services de médiation et d’arbitrage) à Calgary, en Alberta. Je suis du même avis.

[3] Ainsi, concernant la requête en jugement sommaire, la Cour fédérale devait décider s’il existait une véritable question litigieuse à trancher. La Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait simplement aucun élément de preuve (au-delà de simples affirmations) montrant que M. Badawy était propriétaire d’une marque de commerce non déposée valide et opposable sur laquelle il pouvait fonder son allégation de commercialisation trompeuse.

[4] Le contexte et les origines très inhabituels des procédures sont résumés aux paragraphes 2 à 15 des motifs de la Cour fédérale. Cette action ne constituait qu’une des nombreuses procédures opposant ces deux parties devant la Cour fédérale et la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, lesquelles ont toutes été intentées après que M. Igras eut commencé à représenter l’ancienne épouse de M. Badawy dans sa requête en divorce et en partage des biens matrimoniaux.

[5] Dans son mémoire des faits et du droit déposé devant notre Cour, M. Badawy a soulevé plusieurs questions qui sont sans intérêt pour le présent appel; par exemple, son action ne portait pas sur le droit d’auteur (mémoire des faits et du droit de l’appelant, aux para. 58 à 66) et les questions qu’il a soulevées sur la possibilité de déposer la marque de commerce ne sont pas en cause, étant donné qu’il n’est pas contesté, à cette étape, qu’aucune des parties n’est propriétaire d’une marque de commerce déposée (mémoire des faits et du droit de l’appelant, aux para. 40 à 42 et 46 à 48). À l’audience, M. Badawy a formulé des observations sur ce qu’il considérait comme une question essentielle, même s’il ne l’avait pas soulevée en bonne et due forme dans son mémoire des faits et du droit. À son avis, la Cour fédérale ne pouvait pas rejeter à bon droit son action, parce que la juge Simpson de la Cour fédérale avait déjà rejeté une allégation semblable en novembre 2014, quand elle avait rejeté la requête des intimés visant à faire radier sa déclaration. Il a également expliqué brièvement pourquoi, à son avis, il existait une crainte de partialité et il y avait eu manquement à l’équité procédurale de la part de la Cour fédérale. Enfin, M. Badawy a ajouté que la Cour fédérale a commis une erreur en le condamnant aux dépens, parce qu’il a en réalité eu gain de cause en se défendant contre la demande reconventionnelle des intimés.

[6] Les normes de contrôle applicables sont les normes énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Généralement, s’il n’y a pas d’une erreur de droit isolable, la décision sur une requête en jugement sommaire portant sur la question de savoir s’il existe ou non une véritable question litigieuse nécessitant un procès constitue une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, au para. 81 (Hryniak). L’adjudication de dépens demeure une décision discrétionnaire constituant une question mixte de fait et de droit, laquelle commande également de la retenue et exige de M. Badawy qu’il établisse qu’il y a eu erreur manifeste et dominante : Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, au para. 6.

[7] Dans l’arrêt Hryniak, au paragraphe 49, la Cour suprême a conclu qu’il n’y avait pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de « statuer justement et équitablement au fond » sur une requête en jugement sommaire, et que ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire « (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste ». Je conclus que la Cour fédérale a appliqué le bon critère à la requête dont elle était saisie (motifs de la Cour fédérale, aux para. 36 et 37).

[8] La Cour fédérale a également bien tenu compte des éléments essentiels de l’allégation de commercialisation trompeuse présentée par M. Badawy en renvoyant au libellé du paragraphe 7b) de la Loi, à la définition du terme « marque de commerce » figurant à l’article 2 et à ce qui constitue l’emploi d’une marque de commerce selon l’article 4 (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 39 à 42).

[9] Je suis du même avis que la Cour fédérale : pour qu’il y ait cause d’action au titre de l’alinéa 7b) de la Loi, M. Badawy doit être en mesure de prouver qu’il était propriétaire d’une marque de commerce non déposée valide et opposable au moment où les intimés ont commencé à appeler l’attention du public sur leurs propres biens et services. La Cour fédérale a conclu, sur le fondement du dossier dont elle disposait, que M. Igras avait commencé à employer les supposées marques de commerce non déposées quelque part au début de l’année 2014. La Cour n’a pas été convaincue que M. Badawy avait employé l’expression « Igras Family Law » comme marque de commerce avant cette date.

[10] Comme le prévoit expressément l’article 214 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, M. Badawy devait, dans sa réponse à la requête en jugement sommaire, énoncer des faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse. Il ne pouvait se contenter de fonder sa réponse sur un élément pouvant être produit ultérieurement en preuve.

[11] En outre, notre Cour tranchera l’appel en se fondant uniquement sur le dossier de preuve dont disposait la Cour fédérale. M. Badawy a tenté de produire de « nouveaux » éléments de preuve en les joignant à son avis d’appel, mais il aurait fallu qu’il présente une requête conformément à l’article 351 des Règles et satisfasse au critère applicable à une telle requête. Aucune requête de ce type n’a été déposée, et notre Cour ne peut prendre en considération les documents joints aux annexes A et B de l’avis d’appel. Bien que M. Badawy ait admis que l’annexe A n’était, de toute évidence, pas disponible lors de l’audience devant la Cour fédérale, il a affirmé que le document de l’annexe B se trouvait ailleurs dans le dossier d’appel. J’ai soigneusement examiné le dossier d’appel, y compris la transcription de l’audience devant la Cour fédérale, et je suis convaincue que ce document ne se trouve pas dans le dossier d’appel et n’a pas été mis à la disposition de la Cour fédérale. Quoi qu’il en soit, après avoir examiné les documents des annexes A et B, je suis également convaincue qu’ils n’auraient pas satisfait au critère applicable aux requêtes déposées en application de l’article 351 des Règles.

[12] Pour prouver l’« emploi » d’une marque de commerce à une certaine date, on ne peut se fonder sur de simples affirmations; on doit produire des éléments de preuve réels établissant l’emploi de la marque de commerce alléguée en liaison avec ses biens ou ses services. Par exemple, on peut produire des factures attestant la vente de biens ou de services sous la marque de commerce, datées de la période pertinente, ou des annonces publicitaires réelles faites durant la période pertinente.

[13] La Cour fédérale a conclu qu’à part les simples affirmations faites par M. Badawy, aucun élément de preuve ne montrait qu’il avait déjà utilisé la marque de commerce non déposée pour laquelle il revendiquait des droits en liaison avec des activités d’édition électronique ou de négociation, de médiation et d’arbitrage menées au Canada avant 2014. Il ressort manifestement du propre affidavit de M. Badawy et des documents joints à cet affidavit que M. Badawy n’a constitué son entreprise « IFL Igras Family Law ltd. » en personne morale qu’en 2014, après qu’il a su que M. Igras exercerait le droit sous le nom d’« Igras Family Law ».

[14] Je note que la Cour fédérale a expressément affirmé que sa conclusion n’était pas fondée sur des questions de crédibilité, parce qu’en l’espèce, il n’était pas nécessaire d’apprécier la crédibilité de M. Badawy.

[15] Après examen de tous les documents du dossier d’appel, je ne discerne aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle il n’existait aucun fondement permettant à M. Badawy de revendiquer des droits sur une marque de commerce non déposée pouvant servir de cause d’action pour l’application du paragraphe 7b) de la Loi : voir Manitoba c. Canada, 2015 CAF 57, [2015] A.C.F. no 214 (QL), au paragraphe 15.

[16] J’examinerai maintenant brièvement l’argument fondé sur la décision antérieure de la juge Simpson. Cette décision ne saurait avoir un effet quelconque sur la compétence de la Cour fédérale de trancher la requête en jugement sommaire. Les deux requêtes ne portent pas sur les mêmes questions. Pour en arriver à sa décision, la juge Simpson devait supposer que toutes les allégations contenues dans la déclaration étaient vraies. C’est sur ce fondement qu’elle a analysé la question de savoir si la déclaration révélait ou non une cause d’action raisonnable. Cet exercice est complètement distinct de celui qu’il faut mener dans le cadre d’une requête en jugement sommaire. De plus, comme l’a indiqué la Cour fédérale, la juge Simpson ne pouvait rejeter l’action au motif qu’elle était frivole, car aucun élément de preuve n’étayait la requête (aucun affidavit). Ce n’est pas qu’une simple question de procédure, comme l’a affirmé M. Badawy.

[17] Avant de passer à la question des dépens, je dois mentionner que les allégations de M. Badawy selon lesquelles il existe une crainte raisonnable de partialité concernant le juge Manson et le responsable de la gestion de l’instance, le protonotaire Lafrenière (aujourd’hui le juge Lafrenière), sont sans fondement et non étayées par la preuve. Le fait que le juge Manson ait accueilli la requête des intimés relativement à l’action de l’appelant ne peut en soi être considéré comme un élément prouvant la partialité, réelle ou perçue, du juge de la Cour fédérale. La conduite du responsable de la gestion de l’instance n’est pas réellement pertinente en l’espèce, mais il est important de dire que l’argument de M. Badawy selon lequel le responsable de la gestion de l’instance a eu tort d’ordonner que sa requête en injonction interlocutoire, qui avait été déposée avant la requête en jugement sommaire, soit entendue après cette dernière ne constitue pas une preuve de partialité. En fait, compte tenu des questions en litige dans ces deux requêtes, cette directive était logique, si l’on voulait apporter au litige une solution qui soit juste et la plus économique possible (voir l’article 3 des Règles). Il n’existe pas non plus de fondement permettant de conclure que la Cour fédérale a manqué à l’équité procédurale. M. Badawy a soutenu que la Cour fédérale avait omis d’examiner des éléments de preuve dont elle avait été saisie. C’est là une affirmation sans fondement et il ressort clairement de la transcription que M. Badawy a amplement eu l’occasion d’attirer l’attention de la Cour fédérale sur les [traduction] « éléments de preuve au dossier » pertinents.

[18] En ce qui concerne l’adjudication des dépens, je n’ai pas été convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante. J’ai examiné les observations de M. Badawy présentées à la Cour fédérale, lesquelles sont incluses dans le dossier d’appel, et j’ai examiné la transcription : il était loisible à la Cour fédérale de conclure que les intimés avaient raison sur la principale question en litige. De plus, la demande reconventionnelle n’a pas été rejetée sur le fondement d’arguments invoqués par M. Badawy.

[19] En conséquence, je rejetterais l’appel, avec dépens établis à 1 500,00 $, taxes et débours compris.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE MANSON DATÉ DU 23 JUIN 2017, DOSSIER NOT-1289-14

DOSSIER :

A-239-17

 

INTITULÉ :

WAEL MAGED BADAWY c. WALDEMAR A. IGRAS, WALDEMAR A. IGRAS PROFESSIONAL CORPORATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Wael Maged Badawy

 

Pour l’appelant

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Bruce Comba

 

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emery Jamieson LLP

Edmonton (Alberta)

Pour les intimés

 

 

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