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Date : 20190515


Dossier : 19-A-14

Référence : 2019 CAF 145

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

requérant

et

SWOOP INC.

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 mai 2019.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20190515


Dossier : 19-A-14

Référence : 2019 CAF 145

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

requérant

et

SWOOP INC.

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]  M. Lukács a présenté une requête en autorisation d’interjeter appel de deux décisions de l’Office des transports du Canada, en vertu de l’article 352 des Règles. Il soutient notamment que l’Office n’a pas fait preuve de bonne foi en rendant ses décisions.

[2]  Dans son avis de requête en autorisation d’interjeter appel présenté en vertu de l’article 352 des Règles, M. Lukács a demandé la transmission de certains documents qui étaient en la possession de l’Office, ce qu’il a fait en se fondant sur l’article 317 des Règles. Il est à la recherche d’éléments de preuve pour étayer ses allégations de mauvaise foi dans la prise des décisions.

[3]  Dans sa réponse, l’Office n’a transmis que la demande reconventionnelle (sans l’annexe) dont il avait été saisi et il s’est opposé à la transmission des autres documents demandés.

[4]  M. Lukács présente maintenant une requête par laquelle il demande qu’il soit donné suite à sa demande de transmission de documents présentée au titre de l’article 317 des Règles. Il demande en outre la tenue d’une audience pour sa requête. La décision de tenir une audience ou de se fonder sur des documents écrits pour statuer sur une requête est discrétionnaire : Groupe SNC-Lavalin Inc. c. Canada (Service des poursuites pénales), 2019 CAF 108.

[5]  En l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’une audience soit nécessaire. La documentation présentée à l’appui est plus que suffisante pour que je statue sur la requête. Dans mon examen des documents, je n’ai eu aucune question des parties, et certainement aucune qui aurait nécessité la tenue d’une audience. Je rejetterai la requête.

[6]  L’article 317 des Règles dispose que toute « partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas, mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande ». La question centrale en l’espèce est de savoir si une requête en autorisation d’interjeter appel présentée en vertu de l’article 352 des Règles constitue une « demande » au sens de l’article 317.

[7]  Il s’agit d’une question d’interprétation des lois. Comme dans toute affaire d’interprétation des lois, il faut examiner le texte, le contexte et l’objet des dispositions : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re)., [1998] 1 R.C.S. 27, [1998] CanLII 387, et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559.

[8]  Je commencerai mon analyse par un examen du texte des dispositions pertinentes.

[9]  Une « demande » au sens des Règles est une « [i]nstance visée à la règle 300 » : voir l’article 2 des Règles. L’article 300 des Règles s’applique aux demandes de contrôle judiciaire et « aux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête, d’avis de requête introductif d’instance, d’assignation introductive d’instance ou de pétition, ou le règlement par procédure sommaire, à l’exception des demandes faites en vertu du paragraphe 33(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime ».

[10]  L’article 300 des Règles soulève une nouvelle question liée au texte des dispositions pertinentes : une requête en autorisation d’interjeter appel présentée au titre de l’article 352 des Règles constitue-t-elle une instance « engagé[e] sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande [ou] de requête »?

[11]  Si l’on examine uniquement le texte des dispositions pertinentes, la requête en autorisation d’interjeter appel en l’espèce est une instance dont l’introduction est prévue ou autorisée par une loi fédérale, en l’occurrence la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, et plus particulièrement l’article 41 de cette Loi.

[12]  Je reconnais qu’à première vue, il sembler y avoir divergence entre le libellé de l’article 41 de la Loi et celui de l’article 352 des Règles : l’article 41 de la Loi parle d’une « demande » d’autorisation d’interjeter appel, alors que l’article 352 des Règles parle d’une requête en autorisation d’interjeter appel. Mais il n’y a pas divergence : j’interprète l’article 352 des Règles comme signifiant qu’une personne doit présenter une demande (au sens courant) pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel et doit le faire au moyen d’une requête.

[13]  J’ai limité jusqu’à maintenant mon analyse à l’examen du texte. Mais on ne peut faire porter l’analyse simplement sur le texte. On doit également examiner le contexte et l’objet. Il arrive qu’une interprétation littérale du texte ne permette pas de saisir le véritable sens d’une disposition légale : voir Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, au paragraphe 24, ainsi que les arrêts de la Cour suprême qui y sont cités .

[14]  À mon sens, il existe quatre importants courants jurisprudentiels qui fournissent des précisions sur le contexte et l’objet et qui permettent de déterminer si une partie peut avoir recours aux demandes de transmission de documents prévues à l’article 317 des Règles dans le cadre d’une requête en autorisation d’interjeter appel.

[15]  Premièrement, il faut examiner la nature des requêtes en autorisation d’interjeter appel. Ce type de requête ne prévoit pas d’examen exhaustif du bien-fondé d’une question. Ces requêtes sont censées être des procédures sommaires et ne consister qu’en une évaluation rapide visant à déterminer s’il est justifié de procéder à un contrôle complet de la décision administrative. De plus, les parties qui présentent une requête en autorisation d’interjeter appel n’ont qu’à démontrer l’existence d’une question raisonnablement défendable : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573, aux paragraphes 13 et 56; Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des transports), 2003 CAF 271, [2003] 4 R.C.F. 558, au paragraphe 17; CKLN Radio Incorporated c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 135, [2011] A.C.F. no 581 (QL); Rogers Cable Communications Inc. c. Nouveau-Brunswick (Transports), 2007 CAF 168, [2007] A.C.F. no 583 (QL). Dans ce contexte, l’expression « raisonnablement défendable » devrait être interprétée d’une manière fonctionnelle et téléologique et l’examen peut se résumer à une seule question : les motifs invoqués dans la requête en autorisation d’interjeter appel justifient-ils un contrôle complet de la décision administrative, contrôle qui permettrait aux parties d’invoquer tous les droits procéduraux et de recourir à toutes les techniques d’enquête applicables en appel?

[16]  Deuxièmement, l’article 317 des Règles est un outil à objet restreint. Cet article « ne sert pas la même fonction que la communication de la preuve dans une action » et ne peut être invoqué pour mener une recherche à l’aveuglette : Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, [2007] A.C.F. no 814 (QL), au paragraphe 17; Atlantic Prudence Fund Corp. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1156 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11. Comme il en ressort de l’arrêt Tsleil-Waututh, il existe d’autres pouvoirs permettant de découvrir et de recueillir potentiellement des éléments de preuve et des renseignements lors du contrôle d’une décision administrative.

[17]  Troisièmement, l’article 317 des Règles fait partie des procédures dont est doté le système des Cours fédérales pour assujettir quiconque exerce des pouvoirs publics au titre d’une loi fédérale à un contrôle équitable et adéquat. Quiconque est assujetti à la compétence des Cours fédérales ne peut être à l’abri d’un contrôle sur des questions dont les tribunaux peuvent être saisis : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, aux paragraphes 23 et 24; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, aux paragraphes 50, 51 et 73 à 78.

[18]  Quatrièmement, on ne peut formuler d’allégations sans avoir tout au moins quelques éléments de preuve à l’appui. Formuler des allégations en l’air ou dénuées de fondement, qui ne reposent sur aucun élément de preuve, dans un acte de procédure tel une requête en autorisation d’interjeter appel constitue un abus de procédure : AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 112, au paragraphe 5; Merchant Law Group c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184, [2010] A.C.F. no 898 (QL), au paragraphe 34; Administration portuaire de St. John’s c. Adventure Tours Inc., 2011 CAF 198, [2014] A.C.F. no 875 (QL); Paradis Honey Ltd. c. Canada, 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446, au paragraphe 153. Une action en justice, comme une requête en autorisation d’interjeter appel, « n’est pas une enquête à l’aveuglette et une partie demanderesse qui intente des poursuites en se fondant sur le simple espoir qu’elles lui fourniront des preuves justifiant ses prétentions utilise les procédures de la Cour de façon abusive » : Kastner c. Painblanc, [1994] A.C.F. no 1671 (QL), au paragraphe 4 (C.A.F.).

[19]  En regroupant ces quatre courants jurisprudentiels, je constate ce qui suit :

  • Dans son avis de requête en autorisation, la partie doit formuler des allégations relatives à la décision administrative en litige. Lorsque l’avis de requête en autorisation contient des allégations de fait, comme une allégation selon laquelle le décideur administratif a agi de mauvaise foi, la partie qui les formule doit les étayer par des éléments de preuve; ces éléments de preuve peuvent être tirés des conclusions de fait formulées par le décideur administratif ou d’un affidavit recevable présenté à l’appui.

  • L’article 317 des Règles ne peut être invoqué pour mener une enquête à l’aveuglette ou demander la communication de documents afin de découvrir des éléments de preuve lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que les allégations soient formulées.

  • L’article 317 des Règles, en soi, vise à faciliter le contrôle complet de la décision administrative, à éviter que le processus décisionnel puisse échapper à tout contrôle et à s’assurer que la cour qui procède au contrôle se fonde sur l’ensemble des éléments de preuve recevables. Cet article n’a pas pour but d’aider une partie à formuler des allégations qui n’auraient jamais dû être formulées.

  • Le fait d’invoquer l’article 317 des Règles dans des requêtes en autorisation d’interjeter appel risque également de transformer ces requêtes en une procédure comparable à une enquête factuelle exhaustive, alors qu’elles doivent constituer une procédure sommaire rapide.

  • Une requête en autorisation d’interjeter appel vise à déterminer si les éléments invoqués sont suffisants pour justifier que l’on procède au contrôle complet de la décision administrative, dans le cadre duquel une partie pourra invoquer tous les droits procéduraux et utiliser toutes les techniques d’enquête et, s’il y a lieu, les techniques de collecte d’éléments de preuve qui s’offrent aux parties demandant le contrôle, y compris l’article 317 des Règles. L’exigence selon laquelle il doit exister une question « raisonnablement défendable » dans une requête en autorisation d’interjeter appel devrait être interprétée ainsi. Les éléments de preuve présentés à la Cour à l’appui d’une requête en autorisation peuvent ne pas être suffisants ou d’une importance suffisante pour garantir le succès sur le fond, mais ils doivent être suffisants et de qualité suffisante pour convaincre la Cour que l’enquête, l’évaluation et l’examen minutieux auxquels donne lieu le contrôle judiciaire sont justifiés.

[20]  J’ajouterai une observation concernant l’économie de la Loi sur les Cours fédérales. L’article 317 fait partie des dispositions des Règles qui portent sur les demandes de contrôle judiciaire, ce qui donne à penser qu’il ne s’applique qu’à ces procédures. Quant à l’article 352, il fait partie des dispositions des Règles qui portent sur les appels. En appel, la question des éléments dont sera saisie la cour est déterminée par la composition du cahier d’appel, laquelle est régie par les articles 343 à 345 des Règles, et non l’article 317.

[21]  Eu égard à ce qui précède ainsi qu’à l’observation additionnelle relative au contexte, je conclus que l’article 317 des Règles ne s’applique qu’aux demandes de contrôle judiciaire.

[22]  Par conséquent, malgré les observations habiles de M. Lukács, je rejetterai sa requête visant la production de documents présentée en application de l’article 317 des Règles. M. Lukács ne peut invoquer l’article 317 des Règles à l’appui de sa requête en autorisation d’interjeter appel.

[23]  La prochaine étape procédurale dans la requête en autorisation d’interjeter appel consistera pour M. Lukács à déposer sa réponse. Je préciserai le délai prévu à cette fin dans mon ordonnance.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

19-A-14

 

INTITULÉ :

GÁBOR LUKÁCS c. SWOOP INC.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mai 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

M. Gábor Lukács

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Allan Matte

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Direction des services juridiques

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour l’intimée

 

 

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