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Date : 20190524


Dossier : A-420-17

A-125-18

Référence : 2019 CAF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

YEGHIA KIBALIAN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er mai 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 


Date : 20190524


Dossier : A-420-17

A-125-18

Référence : 2019 CAF 160

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

YEGHIA KIBALIAN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  L’appelant a fait appel devant la Cour canadienne de l’impôt des nouvelles cotisations d’impôt sur le revenu établies pour les années d’imposition 2006 à 2010 inclusivement. Devant notre Cour, l’appelant interjette appel de deux ordonnances rendues par la Cour canadienne de l’impôt pendant les étapes préalables à l’audience.

[2]  La première ordonnance, prononcée le 13 décembre 2017 (l’ordonnance de décembre), enjoignait à l’appelant de régler des dépens en souffrance de 7 500 $. Notamment, le dernier paragraphe de l’ordonnance était rédigé ainsi :

[traduction]

Si l’appelant ne se conforme pas à la présente ordonnance, l’appel sera automatiquement rejeté, sans autre préavis ni formalité, avec dépens supplémentaires.

[3]  L’intimée n’avait pas demandé l’ordonnance de décembre et il semble que celle-ci ait été prononcée sans que les parties soient invitées à présenter leurs observations sur ses modalités.

[4]  Les faits sont les suivants. La Cour canadienne de l’impôt a été informée de la question des dépens impayés en prenant connaissance de la réponse de l’intimée à sa demande d’usage concernant la pertinence d’inscrire l’appel au rôle pour la tenue d’une audience. Dans le rapport sur l’état de l’instance présenté à la Cour, l’intimée a informé la Cour que les interrogatoires préalables n’étaient pas terminés et que l’appelant avait des dépens impayés. L’intimée y faisait valoir [traduction] « [qu’]il faudrait attendre au moins 15 jours après [la fin des interrogatoires préalables] avant d’inscrire les appels au rôle pour la tenue d’une audience » (dossier d’appel, p. 257).

[5]  La seconde ordonnance a été prononcée le 13 avril 2018 (l’ordonnance d’avril) à la suite d’une requête de l’appelant sollicitant la suspension des procédures devant la Cour canadienne de l’impôt en attendant l’issue de l’appel visant l’ordonnance de décembre. La Cour a rejeté la requête au motif qu’il n’y avait pas matière à suspension puisque les appels avaient été automatiquement rejetés parce que l’appelant n’avait pas réglé la somme due avant l’échéance du 8 janvier 2018.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’y a aucune raison de modifier l’ordonnance d’avril, mais je crois que le dernier paragraphe de l’ordonnance de décembre devrait être annulé.

[7]  En ce qui concerne l’ordonnance de décembre, la Cour expose ainsi son unique motif d’ordonner le rejet conditionnel de l’appel :

[traduction]

ATTENDU QUE les avocats de l’intimée ont informé la Cour que l’appelant ne s’était pas conformé à l’ordonnance modifiée du 1er mai 2017 par laquelle notre Cour adjugeait à l’intimée des dépens de 7 500 $ à payer sans délai;

[8]  À mon avis, cette ordonnance soulève les deux questions suivantes dans le présent appel :

  • La Cour avait-elle des motifs justifiant le rejet de l’appel si les dépens demeuraient impayés au 8 janvier 2018?

  • L’appelant a-t-il véritablement eu l’occasion de faire entendre son point de vue?

[9]  L’ordonnance de décembre était une mesure draconienne puisqu’elle a abouti au rejet de l’appel de l’appelant devant la Cour canadienne de l’impôt avant qu’il soit entendu sur le fond. Cela dit, la jurisprudence de notre Cour a établi que la Cour canadienne de l’impôt « jouit, comme les autres tribunaux judiciaires, de la compétence inhérente de veiller au respect de ses ordonnances et de prévenir les abus de procédure » et que « [l]e non‑respect de ses ordonnances peut, lorsque cela est indiqué, justifier la mesure sévère du rejet de l’appel » (Roper c. La Reine, 2013 CAF 245, [2013] A.C.F. no 1110, au paragraphe 7).

[10]  Même si la norme de contrôle applicable impose un degré élevé de retenue, je doute quelque peu que les circonstances aient commandé une mesure aussi extrême. En revanche, il n’y a pas lieu de statuer sur cette question puisqu’il existe un autre motif justifiant que soit annulée la partie de l’ordonnance concernant le rejet automatique.

[11]  Comme je l’ai mentionné plus haut, la Cour canadienne de l’impôt a prononcé l’ordonnance de décembre de son propre chef. L’intimée n’a pas sollicité cette mesure et on n’a pas donné aux parties l’occasion de présenter des observations sur ses modalités. Il s’agit d’un manquement au principe de la justice naturelle, lequel comprend le droit de se faire entendre. Ce manquement justifie l’intervention de notre Cour et par conséquent l’annulation du dernier paragraphe de l’ordonnance de décembre (La Reine c. Nunn, 2006 CAF 403, [2006] A.C.F. no 1852, au paragraphe 26).

[12]  En ce qui concerne l’ordonnance d’avril, notre Cour n’a aucune raison d’intervenir. La Cour canadienne de l’impôt a tiré la conclusion correcte en affirmant qu’il n’y avait aucune procédure à suspendre puisque les appels avaient été automatiquement rejetés avant le prononcé de l’ordonnance d’avril et qu’elle ne pouvait pas infirmer l’ordonnance de décembre.

[13]  En terminant, je ferai brièvement observer que, devant notre Cour, l’appelant a présenté de nombreuses observations portant non pas sur les deux ordonnances visées par le présent appel, mais sur l’adjudication initiale des dépens.

[14]  La Cour canadienne de l’impôt avait ordonné à l’appelant de payer des dépens parce qu’il avait demandé la tenue d’interrogatoires préalables tardifs et que, par conséquent, l’audience avait dû être reportée. L’intimée ne s’était pas opposée à cette demande. La Cour a accordé le report de l’audience et adjugé des dépens très élevés de 7 500 $ en dépit du fait que le report n’avait pas été contesté et qu’aucuns dépens n’avaient été demandés. Par surcroît, les parties n’avaient pas été invitées à présenter leurs observations sur les dépens.

[15]  Si j’en juge par les observations présentées par l’appelant dans les présents appels, sa principale préoccupation concerne l’adjudication des dépens de 7 500 $. Il n’a toutefois pas interjeté appel de l’ordonnance initiale relative aux dépens, et notre Cour n’a pas été appelée à se prononcer sur celle-ci.

[16]  Néanmoins, quelques brèves observations au sujet de l’adjudication de dépens s’imposent. Je citerai à ce propos un extrait de l’arrêt de notre Cour Exeter c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 134, [2013] A.C.F. no 581, sur la question de l’adjudication de dépens non sollicités :

[12]  En principe, une cour de justice ne peut pas adjuger les dépens s’ils n’ont pas été demandés : voir, par exemple, Balogun c. La Reine, 2005 CAF 350. Accorder des dépens dans de telles circonstances porterait atteinte au devoir d’équité, puisque la partie perdante se verrait imposer une responsabilité sans en avoir été avisée ni avoir pu répondre : voir, par exemple, Nova Scotia (Minister of Community Services) c. Elliott (Guardian ad litem of) (1995), 141 N.S.R. (2d) 346 (C.S. N.‑É.), au paragraphe 5.

[17]  J’ajouterai que le juge qui accorde des dépens de nature punitive – et, à première vue, les dépens en l’espèce le sont certainement – est tenu de fournir une explication raisonnable justifiant sa décision. L’absence d’une telle explication pourrait s’avérer fatale si jamais la décision était portée en appel.

[18]  Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel visant l’ordonnance de décembre et j’en annulerais le dernier paragraphe. Je rejetterais l’appel visant l’ordonnance d’avril.

[19]  Par ailleurs, bien que l’appelant ait pour l’essentiel obtenu gain de cause dans les présents appels, je ne lui adjugerais pas les dépens puisqu’il ne les a pas demandés.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

A-420-17 et A-125-18

 

 

INTITULÉ :

YEGHIA KIBALIAN c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Yeghia Kibalian

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Isida Ranxi

H. Annette Evans

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’intimée

 

 

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