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Date : 20190530


Dossier : A-249-18

Référence : 2019 CAF 165

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DAN PELLETIER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 mai 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20190530


Dossier : A-249-18

Référence : 2019 CAF 165

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DAN PELLETIER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

[1]  Dan Pelletier interjette appel d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale (2018 CF 805), par laquelle le juge Ahmed a refusé de lui accorder l’autorisation de produire l’affidavit de M. J. Marvin Herndon à titre de preuve d’expert pour étayer son dossier de requête en réponse à une requête en radiation de sa déclaration modifiée et à une requête en jugement sommaire.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel sans dépens.

I.  Les procédures

[3]  L’appelant a obtenu l’autorisation de déposer une déclaration modifiée après que le juge Leblanc (le juge chargé de la gestion de l’instance) eut radié sa déclaration initiale (2016 CF 1356). L’intimée, Sa Majesté la reine, demande la radiation de la déclaration modifiée en vertu des alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles), parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable, qu’elle est vexatoire et qu’elle constitue un abus de procédure. L’intimée présente également une requête en jugement sommaire en vertu des Règles 213 et 215.

[4]  Le juge décrit avec justesse l’action proposée aux paragraphes 2 à 4 de son ordonnance et de ses motifs. Afin de mettre en contexte les présents motifs, il est utile de résumer certaines des procédures sous-jacentes à la déclaration modifiée. L’appelant invoque [traduction] « un délit civil touchant un grand nombre de personnes et le recours collectif environnemental envisagé » résultant de la pulvérisation, par l’intimée, de substances chimiques et de particules toxiques et destructrices dans l’atmosphère. Il accuse l’« armée canadienne » d’avoir participé à ces rejets aériens dans l’espace aérien canadien, dans le cadre d’un projet militaire commun entre le Canada et les États-Unis appelé Cloverleaf. L’appelant allègue que ces rejets aériens contreviennent à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, et il demande des dommages-intérêts punitifs ainsi que diverses mesures de redressement sous forme de déclarations et d’injonctions.

[5]  Le juge chargé de la gestion de l’instance a, avec le consentement des parties, établi le calendrier procédural pour la gestion de la requête en radiation de la déclaration modifiée et de la requête en jugement sommaire de l’intimée. L’appelant a obtenu une prorogation pour le dépôt de son dossier de requête. Quand l’appelant a tenté de faire déposer l’affidavit de M. Herndon dans son dossier de requête, plus de dix-huit mois s’étaient écoulés depuis qu’il avait été informé des requêtes de l’intimée, et plus de douze mois depuis la signification et le dépôt du dossier de requête de l’intimée.

[6]  Le juge a refusé que l’affidavit soit déposé dans le dossier de requête. Il a conclu que les exigences relatives à l’admission de l’affidavit d’un expert, prévues à la Règle 52.2, n’avaient pas été respectées, que M. Herndon n’était pas un expert suffisamment qualifié et que l’affidavit proposé n’était pas utile à l’examen des questions en litige dans la requête (ordonnance et motifs, aux paragraphes 17 à 19).

[7]  D’entrée de jeu dans le présent appel, l’appelant a présenté une requête verbale au titre de la Règle 351 afin d’obtenir l’autorisation de présenter un autre article écrit par M. Herndon en 2018. Cet article était cité dans les notes de bas de page 12 et 15 du mémoire des faits et du droit de l’appelant, mais ne figurait pas dans le dossier d’appel. De plus, aucun affidavit n’a été présenté pour étayer la requête. La requête a été rejetée à l’audience.

II.  La position des parties

[8]  Le principal argument de l’appelant est que le juge a commis une erreur de droit et que la preuve d’expert devrait être admise parce qu’elle prouve les allégations énoncées dans la déclaration modifiée. Il précise que l’absence du certificat de la formule 52.2 est due à un oubli qui a depuis été corrigé. Il invoque à l’appui l’arrêt de notre Cour Saint Honore Cake Shop Limited c. Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, 132 C.P.R. (4th) 258) [Saint Honore].

[9]  L’intimée soutient pour sa part que le juge n’a pas commis d’erreur en refusant d’autoriser l’appelant à inclure l’affidavit dans le dossier, pas plus qu’il n’a commis d’erreur en concluant que M. Herndon n’était pas un expert suffisamment qualifié et qu’il ne satisfaisait pas au critère énoncé dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182 [White Burgess].

III.  La norme de contrôle

[10]  En l’espèce, notre Cour doit appliquer les normes de contrôle énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les questions de droit sont examinées selon la norme de la décision correcte, alors que les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit qui ne comportent pas de question de droit isolable ne sont susceptibles de révision que s’il existe une erreur manifeste et dominante. La norme de contrôle applicable aux questions discrétionnaires liées à la procédure est énoncée dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, 402 D.L.R. (4th) 497, aux paragraphes 28, 71 et 72. La décision du juge ne peut être infirmée que s’il y a eu erreur manifeste et dominante, à moins qu’il n’y ait une erreur de droit isolable.

[11]  L’appelant n’a pas fait la preuve qu’il y a une telle erreur en l’espèce.

IV.  Analyse

[12]  Le paragraphe 52.2(1) des Règles énonce les exigences auxquelles doivent satisfaire les affidavits d’expert. En l’espèce, M. Herndon n’a pas signé le certificat de la formule 52.2, par lequel il reconnaît avoir a lu le Code de déontologie régissant les témoins experts et accepte de s’y conformer. L’appelant soutient que cette erreur a été corrigée et que le certificat est maintenant signé. Il soutient en outre que les observations du juge aux paragraphes 18 et 19 sont des remarques incidentes. Il invoque l’arrêt Saint Honore pour demander l’admission de l’affidavit d’expert dans le dossier. Je ne suis pas d’accord.

[13]  Manifestement, il faut établir une distinction avec l’arrêt de notre Cour Saint Honore. Dans cette affaire, l’affidavit de l’expert avait été déposé dans le délai prescrit et l’expert avait signé et signifié le certificat avant l’audience.

[14]  En l’espèce, contrairement à l’affaire Saint Honore, les réserves du juge ne se limitent pas à l’absence de certificat signé. Les observations du juge ne sont pas des remarques incidentes, mais s’inscrivent plutôt dans son analyse et ses conclusions globales. Après avoir examiné l’affidavit dans son ensemble et pris note des opinions catégoriques qui y étaient exprimées, le juge doutait que M. Herndon ait compris les obligations qui lui incombaient au titre du Code de déontologie régissant les témoins experts. Le juge n’était pas prêt à accepter les opinions scientifiques formulées par M. Herndon en des termes aussi généraux, ce dernier ayant tiré des conclusions sur la composition chimique des rejets aériens sur la base d’un simple examen de photographies (ordonnance et motifs, au paragraphe 18). Le juge a estimé que, dans l’ensemble, l’affidavit de M. Herndon ne satisfaisait pas au critère d’admissibilité énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt White Burgess.

[15]  Il a conclu que l’affidavit de M. Herndon ne satisfaisait pas au premier volet du critère à deux volets servant à déterminer l’admissibilité de la preuve d’expert, qui est énoncé aux paragraphes 23 et 24 de l’arrêt White Burgess. Il est utile d’en rappeler la première étape :

[23]  Dans un premier temps, celui qui veut présenter le témoignage doit démontrer qu’il satisfait aux critères d’admissibilité, soit les quatre critères énoncés dans l’arrêt Mohan, à savoir la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. De plus, dans le cas d’une opinion fondée sur une science nouvelle ou contestée ou sur une science utilisée à des fins nouvelles, la fiabilité des principes scientifiques étayant la preuve doit être démontrée (J.-L.J., par. 33, 35-36 et 47; Trochym, par. 27; Lederman, Bryant et Fuerst, p. 788-789 et 800-801). Le critère de la pertinence, à ce stade, s’entend de la pertinence logique (Abbey (ONCA), par. 82; J.-L.J., par. 47). Tout témoignage qui ne satisfait pas à ces critères devrait être exclu. Il est à noter qu’à mon avis, la nécessité demeure un critère (D.D., par. 57; voir D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (7e éd. 2015), p. 209-210; R. c. Boswell, 2011 ONCA 283, 85 C.R. (6th) 290, par. 13; R. c. C. (M.), 2014 ONCA 611, 13 C.R. (7th) 396, par. 72).

[16]  Après avoir conclu que M. Herndon n’était pas un expert suffisamment qualifié, le juge s’est penché sur le facteur de la pertinence. Il a jugé que l’expérience et les recherches de M. Herndon ne portaient pas sur les pulvérisations aériennes au Canada et qu’elles n’étaient donc pas utiles à l’examen des allégations formulées dans la déclaration modifiée. Le juge n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que l’affidavit de M. Herndon ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité.

V.  Les dépens

[17]  L’appelant soutient qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés, car le paragraphe 334.39(1) des Règles s’applique au recours collectif en l’espèce. L’adjudication de dépens dans les recours collectifs, y compris les requêtes préliminaires et les appels, doit être exceptionnelle. Aucuns dépens ne sont adjugés.

VI.  Conclusion

[18]  L’appel est rejeté sans dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-249-18

 

INTITULÉ :

DAN PELLETIER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Henry Juroviesky

Tony Vacca

 

Pour l’appelant

 

Jacob Pollice

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crane LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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