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Date : 20190610


Dossier : A-161-17

Référence : 2019 CAF 173

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MARK SMITH

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 11 juin 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 juin 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 


Date : 20190610


Dossier : A-161-17

Référence : 2019 CAF 173

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MARK SMITH

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I. Aperçu

[1] La question en litige dans le présent appel est de savoir si un permis de stationnement d’aéroport fourni à Mark Smith, un agent de bord, par son employeur, une compagnie aérienne commerciale, était un « avantage » au sens de l’alinéa 6(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.). Aux termes de cette disposition, M. Smith doit inclure dans le calcul de son revenu la valeur de « tout autre avantage » qu’il a reçu ou dont il a joui au titre, dans le cadre ou en raison de son emploi. Un juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la valeur du permis de stationnement était un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a) : Smith c. La Reine, 2017 CCI 62, [2017] A.C.I. no 43 (QL) (le juge Ouimet).

[2] M. Smith interjette maintenant appel de cette décision devant notre Cour. L’appelant et l’intimée, la Couronne, invoquent tous deux de la jurisprudence selon laquelle, lorsqu’une chose est fournie à un employé principalement au bénéfice de l’employeur, il ne s’agit pas d’un « avantage » reçu par l’employé au sens de l’alinéa 6(1)a). Les parties ont toutefois des avis divergents sur la question de savoir qui était le « principal bénéficiaire » du permis de stationnement et sur la manière dont il convient de le déterminer dans ce contexte.

[3] M. Smith soutient que deux facteurs établissent que le permis de stationnement a profité principalement à son employeur : d’une part l’éloignement du lieu de travail et les heures d’emploi inhabituelles de M. Smith, et d’autre part le fait que son employeur ait affirmé croire que de fournir un permis de stationnement aux agents de bord les rendait plus fiables et leur donnait plus de souplesse. M. Smith soutient que l’analyse de ces facteurs faite par le juge de la Cour canadienne de l’impôt montre que ce dernier a mal compris le sens du terme « avantage » à l’alinéa 6(1)a).

[4] La Couronne n’est pas d’accord. Elle soutient que les frais de déplacement de M. Smith, y compris ceux liés au stationnement, étaient personnels et que M. Smith a bénéficié du fait que son employeur le dispense des frais de stationnement. La Couronne conteste également l’importance des fins commerciales déclarées par l’employeur pour justifier le paiement du stationnement, soulignant la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle les agents de bord ayant obtenu un permis de stationnement en fait n’étaient pas plus fiables ou n’avaient pas plus de souplesse que les agents de bord se rendant au travail autrement qu’en voiture.

[5] La question de savoir si le stationnement fourni par l’employeur est un avantage imposable est une question difficile, qui occupe les fiscalistes et les tribunaux depuis de nombreuses années. Je propose que l’appel de M. Smith soit rejeté, mais pour des motifs qui diffèrent à plusieurs égards de ceux du juge de la Cour canadienne de l’impôt. Je souscris à l’observation de la Couronne selon laquelle le stationnement, comme tous les frais de déplacement vers le travail, est habituellement une dépense personnelle. À mon avis, elle demeure personnelle même si l’employé doit, en pratique, payer un stationnement en raison de l’emplacement de son lieu de travail ou de la difficulté d’utiliser le transport en commun. Par conséquent, sauf dans des circonstances exceptionnelles, dont des exemples sont présentés plus loin, le stationnement payé par un employeur représente un avantage économique pour l’employé. Je suis également d’accord avec la Couronne qu’en l’espèce, les frais de stationnement de M. Smith demeuraient une dépense personnelle, même si l’employeur agissait à des fins commerciales en les payant, et que M. Smith a donc reçu un « avantage » au sens de l’alinéa 6(1)a). Toutefois, le présent appel donne l’occasion à notre Cour de préciser l’importance, le cas échéant, des facteurs que le juge de la Cour canadienne de l’impôt doit examiner lorsque l’imposition de la valeur d’un permis de stationnement est contestée, et plus précisément de préciser la façon dont la notion de « bénéficiaire principal » devrait influencer l’analyse.

[6] À mon avis, la question fondamentale pour l’application de l’alinéa 6(1)a) est celle de savoir si un employeur a accordé quelque chose ayant une valeur économique à un employé. Mais il se peut, et c’est souvent le cas, que les parties en tirent mutuellement avantage. La notion de « principal bénéficiaire » est utile dans de tels cas parce qu’elle tient compte d’une variété de considérations qui peuvent, en fonction des faits, être pertinentes; par exemple, ce que vise l’employeur en fournissant quelque chose à un employé ou la relation entre ce qui a été fourni et les fonctions ou conditions d’emploi de l’employé. Ces facteurs ne donnent cependant pas lieu à un critère qui leur est propre. Ils aident simplement à établir si l’employé a reçu quelque chose d’une valeur économique ou s’il en a joui.

[7] Je suis d’accord avec M. Smith pour dire que son employeur agissait à des fins commerciales en payant le stationnement – inciter les agents de bord à utiliser un mode de transport fiable – et qu’il en a donc bénéficié. Toutefois, comme je l’explique ci-dessous, les fins commerciales de son employeur ne permettent pas de conclure que M. Smith, en recevant le permis de stationnement, ne recevait rien ayant une valeur économique, ni que la valeur ainsi reçue était accessoire. Une autre façon de formuler cette conclusion est de dire que les frais de stationnement de M. Smith demeuraient une dépense personnelle, quelle que soit la valeur que son employeur en a tirée en les subventionnant.

[8] Par conséquent, je conclurais que M. Smith a reçu un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a) et je proposerais donc que l’appel soit rejeté.

II. Les faits

[9] M. Smith est agent de bord chez Jazz Aviation LP, un transporteur aérien commercial canadien, depuis plus de 25 ans. Durant la période pertinente, M. Smith vivait dans un quartier résidentiel du nord-ouest de Calgary. Il lui fallait environ 25 minutes pour se rendre en voiture de son domicile à l’aéroport international de Calgary, qui est situé dans la partie nord-est de la ville. Pendant qu’il était à l’aéroport, il utilisait le permis de stationnement que Jazz Aviation lui avait fourni.

[10] Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Smith pour l’année d’imposition 2011, laquelle incluait la valeur du permis de stationnement dans son revenu. Pour ce faire, le ministre s’est fondé sur les hypothèses suivantes : (1) M. Smith était un employé de Jazz Aviation; (2) M. Smith était agent de bord et exerçait ses fonctions depuis l’aéroport; (3) Jazz Aviation lui a fourni un permis pour se garer à l’aéroport; (4) M. Smith se garait à l’aéroport pendant son travail; (5) M. Smith ne remboursait pas Jazz Aviation du coût du permis de stationnement; (6) la juste valeur marchande annuelle du permis était de 504 $.

III. La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[11] M. Smith a interjeté appel de cette nouvelle cotisation à la Cour canadienne de l’impôt. Dans son avis d’appel, il a soutenu qu’il n’avait tiré aucun avantage substantiel du permis, que Jazz Aviation bénéficiait des avantages pratiques et économiques découlant de son utilisation du permis et que le ministre avait donc tort d’en inclure la valeur dans son revenu.

[12] M. Smith a soutenu que, pour déterminer si la valeur du permis de stationnement était imposable au titre de l’alinéa 6(1)a), le juge de la Cour canadienne de l’impôt devait tenir compte de la nature et de l’emplacement de l’aéroport, des heures de travail de M. Smith, du manque de transport en commun et du fait que Jazz Aviation était le principal bénéficiaire de l’octroi du permis de stationnement. Il a fait valoir que Jazz Aviation l’obligeait à se présenter au travail en dehors des heures normales de travail, lesquelles pouvaient commencer dès 5 h et se terminer à 1 h du matin, et qu’à ces heures, il n’y a pas de transport en commun. Il a également fait valoir qu’il était tenu de faire des heures supplémentaires obligatoires sans préavis, de se présenter au travail sur court préavis et de respecter des horaires de travail modifiés. Enfin, il a fait valoir que ces exigences étaient propres au travail dans l’industrie du transport aérien, que Jazz Aviation fournissait des permis de stationnement à ses agents de bord parce qu’ils [traduction] « diminuaient le risque pour Jazz Aviation de subir des pertes en raison de retards ou d’absence de ses employés » et que cela se traduisait par un [traduction] « avantage important » pour Jazz Aviation : dossier d’appel, pages 20 et 21.

[13] En réponse, le ministre a soutenu que M. Smith était le bénéficiaire exclusif, ou principal, du permis de stationnement parce qu’il n’utilisait pas son véhicule dans l’exercice de ses fonctions et qu’il [traduction] « aurait signé un contrat pour avoir le stationnement et aurait payé la même somme » : dossier d’appel, page 29. Le ministre a ajouté que tout avantage que pouvait en tirer Jazz Aviation était mineur et accessoire et ne pas modifiait le résultat de l’analyse.

[14] L’appel interjeté par M. Smith devant la Cour canadienne de l’impôt s’est déroulé selon la procédure informelle prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a entendu le témoignage de M. Smith, qui a témoigné au sujet de son horaire et de l’absence de transport en commun desservant l’aéroport pendant les heures où il était tenu de se présenter au travail. M. Smith a également témoigné que lui et d’autres agents de bord étaient assujettis à une politique de [traduction] « trois prises », selon laquelle ils risquaient d’être congédiés s’ils étaient en retard au travail trois fois ou plus. En contre-interrogatoire, on lui a demandé si, à supposer que Jazz Aviation ne paie pas pour le stationnement, il le paierait lui-même, et il a répondu que, dans ce cas, il [traduction] « envisagerait toutes les options qui s’offrent à [lui] » : dossier d’appel, page 158.

[15] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également entendu le témoignage de Kirk Newhook, vice-président des relations avec les employés de Jazz Aviation. M. Newhook a témoigné que Jazz Aviation était un [traduction] « transporteur d’apport », qui transportait des passagers pour Air Canada entre les petits aéroports et les grands aéroports internationaux, et que Jazz Aviation était payée par Air Canada en fonction des vols partant à l’heure prévue. Il a également témoigné que la rentabilité de Jazz Aviation dépendait en fin de compte du coût salarial des membres de l’équipage, ce qui signifie que Jazz Aviation attribuait à chaque vol uniquement le nombre de membres d’équipage suffisant pour satisfaire aux exigences minimales. Par conséquent, si un membre de l’équipage arrivait en retard au travail, le vol était retardé. M. Newhook a témoigné que Jazz Aviation mettait donc l’accent sur le [traduction] « facteur de la fiabilité » lors de l’embauche d’agents de bord, puisqu’il s’agissait d’un [traduction] « aspect tellement important pour l’entreprise » : dossier d’appel, page 58. Il a également expliqué que Jazz Aviation s’assurait de la disponibilité d’un certain nombre d’agents de bord à titre de [traduction] « police d’assurance » pour assurer la ponctualité des vols : dossier d’appel, pages 68 et 69.

[16] En ce qui concerne les permis de stationnement octroyés, M. Newhook a déclaré dans son témoignage qu’ils étaient payés par Jazz Aviation conformément à sa convention collective avec le Syndicat des agents de bord du Canada et que Jazz Aviation les payait depuis 1993 au moins. Lorsqu’on lui a demandé (dossier d’appel, pages 71 et 72) s’il avait déjà pris part à des discussions sur la possibilité de cesser d’octroyer des permis de stationnement aux agents de bord, il a répondu par l’affirmative, mais que Jazz Aviation avait décidé de ne pas [traduction] « aller dans cette direction » :

[traduction]

Nous ne voulions pas risquer de subir les conséquences si les employés allaient – allaient chercher d’autres moyens de se rendre à l’aéroport qui n’étaient pas aussi fiables que ce que nous avions à ce moment. Donc nous ne voudrions pas que les gens ne soient pas à l’heure à cause de cela – c’est ma plus grande crainte [...] quand ces appels téléphoniques arrivent, nous avisant qu’il manque quelqu’un, cela commence – cela commence un processus où nous devons chercher des remplaçants. Et si cela se produisait plus souvent qu’en ce moment, cela mettrait beaucoup de pression sur l’organisation. Et puis cela met beaucoup de pression en ce qui concerne le respect des horaires. Nous avons donc rejeté l’idée assez rapidement, car nous avons décidé que nous allions continuer à payer [...]

[17] M. Newhook a également témoigné que Jazz Aviation n’obligeait pas ses agents de bord à posséder une voiture ni à se rendre au travail en voiture. Il a témoigné qu’il serait [traduction] « incroyablement difficile » d’en faire une condition d’emploi, étant donné la faible rémunération des agents de bord au premier échelon. En conséquence, il a expliqué que Jazz Aviation [traduction] « [laissait] aux agents de bord le soin de décider la manière dont ils [allaient] être ponctuels » : dossier d’appel, page 87.

[18] Enfin, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a entendu le témoignage de Shawnah Whittaker, directrice générale du transport terrestre et du stationnement de l’administration aéroportuaire de Calgary. Mme Whittaker a témoigné que Jazz Aviation payait pour que ses employés puissent se garer dans le [traduction] « stationnement vert » de l’aéroport, qui comptait plus de 2 500 places, n’était jamais complètement plein et était accessible 24 heures par jour, sept jours par semaine. Elle a également témoigné que, durant la période pertinente, quiconque travaillait à l’aéroport pouvait obtenir un permis de stationnement, que ce soit l’employeur qui le paie ou non.

[19] Dans les motifs de sa décision sur l’appel de M. Smith, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu (aux paragraphes 26 à 29), citant l’arrêt La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428, page 441, 1983 CanLII 32, que la valeur du permis de stationnement serait imposable en application de l’alinéa 6(1)a) si le permis de stationnement conférait à M. Smith un avantage économique lié à son emploi qui ne tombait pas sous le coup d’une exception prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite fait observer que, selon un des éléments du critère, pour être imposable, le permis de stationnement devait profiter principalement à M. Smith et non à son employeur. Il a affirmé que, si Jazz Aviation était le principal bénéficiaire du permis de stationnement et que tout avantage personnel qu’en tirait M. Smith n’était qu’accessoire à la fin commerciale, la valeur du permis ne serait pas imposée à titre de revenu d’emploi en application de l’alinéa 6(1)a).

[20] En appliquant ce critère, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a d’abord examiné si le paiement du permis de stationnement profitait à Jazz Aviation. Il a conclu (au paragraphe 32) que Jazz Aviation n’avait pas payé les permis de stationnement parce qu’elle croyait que cela rendrait ses agents de bord plus fiables et leur donnerait plus de souplesse. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a noté que Jazz Aviation avait payé le stationnement pour se conformer à la convention collective et que M. Newhook n’avait pas affirmé que ces conditions constituaient une [traduction] « police d’assurance », au même titre que la pratique de s’assurer de la disponibilité d’autres agents de bord. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également noté que Jazz Aviation n’obligeait pas ses agents de bord à se rendre au travail en voiture, mais permettait plutôt à ses employés de choisir le mode de transport qu’ils utiliseraient pour arriver à l’heure. Il a conclu (au paragraphe 35) que M. Newhook n’avait fourni aucune preuve que Jazz Aviation « payait […] les permis de stationnement des agents de bord en raison de réalités commerciales de l’industrie du transport aérien, ou de tout autre facteur lié à cette industrie ».

[21] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également conclu (au paragraphe 38) que la preuve ne démontrait pas que les agents de bord qui se rendaient au travail en voiture et se garaient à l’aéroport étaient plus fiables que ceux qui utilisaient d’autres moyens de transport. Il a affirmé (au paragraphe 39) que, selon la preuve, Jazz Aviation « a reçu la même qualité de service de la part de ses agents de bord indépendamment de la façon dont chacun se rendait au travail ».

[22] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite examiné la situation personnelle de M. Smith. Il a constaté (au paragraphe 40) que M. Smith devait se rendre à l’aéroport en voiture et que, par conséquent, « il avait besoin d’un permis de stationnement afin de pouvoir travailler pour Jazz à partir de l’aéroport de Calgary et, de toute évidence, pour pouvoir se présenter au travail à l’heure ». Il a également conclu que, « grâce au fait que M. Smith utilisait un permis de stationnement, Jazz a pu compter M. Smith parmi ses employés ». Toutefois, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a répété (au paragraphe 43) que « rien ne montre une corrélation entre l’utilisation du stationnement de l’aéroport de Calgary et tout avantage pour Jazz, qu’il soit question des agents de bord en général ou de M. Smith en particulier ». Il a déclaré qu’il n’y avait aucun élément de preuve montrant que M. Smith exerçait des fonctions ou des tâches différentes de celles d’autres agents de bord, aucun élément de preuve montrant qu’il serait difficile pour Jazz Aviation de le remplacer et aucun élément de preuve quant au coût de son remplacement. Par conséquent, il a conclu (aux paragraphes 45 et 48) que « rien n’indique que Jazz a tiré profit de l’utilisation du permis de stationnement par M. Smith », mais qu’elle avait plutôt payé le stationnement en raison des exigences de la convention collective.

[23] En ce qui concerne l’avantage conféré à M. Smith, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu (au paragraphe 46) que M. Smith avait reçu un avantage du fait que son permis de stationnement était payé par Jazz Aviation et qu’il s’agissait d’un avantage économique mesurable du point de vue pécuniaire. Par conséquent, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu (au paragraphe 47) que M. Smith était le « principal bénéficiaire » du permis de stationnement et que sa valeur était donc imposable au titre de l’alinéa 6(1)a).

IV. Les arguments des parties en appel

[24] Dans les documents écrits produits pour l’appel devant notre Cour, les parties se sont concentrées sur la question de savoir si le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait appliqué un critère incompatible avec la jurisprudence existante pour déterminer qui bénéficiait principalement de l’octroi du permis de stationnement.

[25] M. Smith a soutenu que le juge de la Cour canadienne de l’impôt l’a fait de deux façons –premièrement, en exigeant à tort que M. Smith démontre que Jazz Aviation n’aurait pas pu réduire ses frais d’exploitation en mettant fin à son emploi et en embauchant un autre agent de bord qui n’avait pas besoin de stationnement et, deuxièmement, en examinant à tort si les agents de bord qui se rendaient au travail en voiture étaient plus fiables et faisaient preuve de plus de souplesse que ceux qui utilisaient d’autres moyens de transport. M. Smith a soutenu que le juge de la Cour canadienne de l’impôt aurait dû limiter son analyse aux circonstances qui lui étaient propres. L’essentiel des arguments de M. Smith est résumé dans son avis d’appel, dans lequel il a déclaré que le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait commis une erreur [traduction] « en concluant qu’un stationnement dont avait besoin l’employé pour satisfaire aux conditions de son emploi [était] un avantage pour l’employé et non un avantage pour l’employeur », car [traduction] « permettre à un employé de faire le travail que l’employeur veut qu’il fasse est, par définition, un avantage pour l’employeur » : dossier d’appel, page 3. Pour sa part, la Couronne a soutenu dans son mémoire que le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait énoncé correctement les principes juridiques pertinents, qu’il avait dûment tenu compte de la situation personnelle de M. Smith et qu’il avait tiré des conclusions fondées sur la preuve dont il disposait.

[26] Toutefois, dans leurs observations orales, les parties ont discuté de façon plus générale l’objet de l’alinéa 6(1)a) et, en particulier, le rôle qu’il joue dans le calcul de la valeur des dépenses « personnelles » des employés qui sont payées par les employeurs.

[27] L’avocat de M. Smith a soutenu que le coût du stationnement dans le cas de M. Smith n’était pas une dépense « personnelle », parce qu’il découlait de son emploi, en raison de l’emplacement de l’aéroport et des heures de travail de M. Smith. Il a également soutenu que cette interprétation de l’alinéa 6(1)a) – selon laquelle il ne vise pas les paiements couvrant des coûts qui découlent de l’emploi – se reflétait dans les divers facteurs analytiques énoncés dans la jurisprudence. Il a également souligné qu’il était difficile de concilier la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle le fait de payer pour le stationnement ne procurait aucun avantage à Jazz Aviation avec le témoignage de M. Newhook selon lequel Jazz Aviation n’était pas disposée à simplement envisager de cesser de payer le stationnement, car elle craignait de compromettre les niveaux actuels de fiabilité et de souplesse des employés.

[28] En réponse, l’avocat de la Couronne a soutenu que les frais de déplacement, y compris les frais de stationnement, sont habituellement des dépenses « personnelles » et que se présenter au travail à l’heure est une exigence pour tous les employés et non une exigence propre au travail d’agent de bord de M. Smith. L’avocat de la Couronne a en outre soutenu que rien dans la situation de M. Smith ne permettait de conclure à juste titre que le stationnement était, pour M. Smith, un coût d’« emploi » et non un coût « personnel ». En ce qui concerne les éléments de preuve à l’égard des motifs qu’avait Jazz Aviation de continuer à payer pour le stationnement, l’avocat de la Couronne a soutenu qu’il appartenait aux tribunaux, et non aux employeurs, de déterminer si quelque chose constitue un avantage dans une affaire donnée.

V. La norme de contrôle

[29] La conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle le permis de stationnement était un « avantage » au sens de l’alinéa 6(1)a) l’a obligé à appliquer le droit aux faits de l’affaire de M. Smith. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : voir Canada c. Bartley, 2008 CAF 390, paragraphe 9, [2008] A.C.F. no 1691 (QL). Les conclusions de fait du juge de la Cour canadienne de l’impôt qui sous-tendent sa conclusion sont susceptibles de contrôle selon la même norme : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, paragraphe 10, [2002] 2 R.C.S. 235.

[30] M. Smith admet que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a correctement cité les principes juridiques applicables. Toutefois, il soutient que le juge de la Cour canadienne de l’impôt les a modifiés en les appliquant parce qu’il a tenu compte de facteurs non pertinents. Les décisions sur des questions de droit isolables de cette nature sont susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Housen, paragraphes 33 à 35; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, paragraphes 44 et 45, [2017] 1 R.C.S. 688; Schroter c. Canada, 2010 CAF 98, paragraphe 25, [2010] A.C.F. no 496 (QL).

VI. Analyse

[31] La section B de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu porte sur le calcul du revenu aux fins du calcul de l’impôt; la sous-section A de cette section est intitulée « Revenu ou perte provenant d’une charge ou d’un emploi ». Le paragraphe 5(1) de cette sous-section énonce la « règle fondamentale » selon laquelle « le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, tiré d’une charge ou d’un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année ».

[32] Le paragraphe 6(1) porte le titre « Éléments à inclure à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi ». Aux termes de l’alinéa 6(1)a), les avantages reçus « au titre, dans le cadre ou en raison » de l’emploi du contribuable font partie de son revenu d’emploi :

Éléments à inclure à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi

Amounts to be included as income from office or employment

6 (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

6 (1) There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from an office or employment such of the following amounts as are applicable

Valeur des avantages

Value of benefits

a) la valeur de la pension, du logement et de tout autre avantage que reçoit ou dont jouit le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, au cours de l’année au titre, dans le cadre ou en raison de la charge ou de l’emploi du contribuable, à l’exception des avantages suivants :

(a) the value of board, lodging and other benefits of any kind whatever received or enjoyed by the taxpayer, or by a person who does not deal at arm’s length with the taxpayer, in the year in respect of, in the course of, or by virtue of the taxpayer’s office or employment, except any benefit […]

[33] Comme il est indiqué plus haut, le paragraphe 5(1) inclut dans le revenu d’emploi toute « autre rémunération » reçue par le contribuable, et une définition aussi large du terme « revenu » figure dans la loi fiscale canadienne depuis son adoption en 1917 : voir Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, paragraphe 3(1); Brian J. Arnold et Jinyan Li, « The Appropriate Tax Treatmenet of the Reimbursement of Moving Expenses », (1996) 44:1 Can. Tax J. 1, p. 9. En 1927, la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, 1917 a été modifiée pour inclure expressément les « frais personnels et les frais de subsistance, lorsque ces frais font partie du profit, du gain ou de la rémunération du contribuable » : S.R.C. 1927, ch. 97, al. 3(1)e). Une disposition essentiellement semblable à ce qui est maintenant l’alinéa 6(1)a) est apparue pour la première fois à l’alinéa 5a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, à côté de la note marginale « Revenu provenant d’une charge ou d’un emploi » et inclut dans le revenu « la valeur de pension, logement et autres prestation [...] [que le contribuable] reçoit ou dont il jouit dans l’année à l’égard, dans le cours ou en vertu de sa charge ou de son emploi [...] ». Le libellé de la disposition a été modifié en 1956 pour qu’y soient incluses les prestations « de quelque nature que ce soit » : S.C. 1956, ch. 39, art. 1. Une autre modification en 1971 a changé les « autres prestations » en « autres avantages » : S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1.

[34] L’objet de l’alinéa 6(1)a) est d’inclure dans le revenu d’emploi toutes les formes de rémunération reçue par les employés, que ce soit de l’argent ou quelque chose ayant une valeur pécuniaire. Ainsi, il y a équité dans le traitement fiscal des employés qui sont payés en espèces et de ceux qui sont payés en nature : voir « The Appropriate Tax Treatmenet of the Reimbursement of Moving Expenses », page 4; M.R.N. c. Phillips, [1994] 2 C.F. aux pages 691 et 791, 1994 CanLII 3468 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [1994] 3 R.C.S. ix; Canada (Procureur général) c. Henley, 2007 CAF 370, paragraphe 14, [2007] A.C.F. no 1566 (QL); Lowe c. Ministre du Revenu national, [1996] A.C.F. no 319 (QL) (C.A.F.), paragraphe 8.

[35] La Cour suprême du Canada a examiné l’alinéa 6(1)a) dans l’arrêt La Reine c. Savage. Dans cette affaire, la contribuable avait reçu une récompense de 300 $ de son employeur pour avoir réussi les examens relatifs à son domaine d’emploi. La Cour suprême a conclu que les mots « avantages de quelque nature que ce soit » avaient « nettement un sens très large », englobant toute [traduction] « acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique » : pages 440 et 441, citant R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727 à 738, 72 D.T.C. 6329 (C.A.); voir aussi Blanchard c. Ministre du Revenu national, [1995] A.C.F. no 1045 (QL) (C.A.F.), paragraphe 3, autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée, [1996] 2 R.C.S. v. La Cour suprême a conclu que le paiement constituait un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a), car il conférait un avantage économique à l’employée. La Cour a également conclu (à la page 441) que les paiements qui avaient été reçus « se rapportaient […] ou […] étaient […] liés à » l’emploi, parce que les employés « suivaient les cours pour améliorer leurs connaissances et leur rendement et pour avoir plus de chances d’avancement ». Lorsqu’elle a tiré cette conclusion, la Cour suprême a décrit les raisons pour lesquelles l’entreprise avait créé ces récompenses, notant qu’elles avaient été conçues [traduction] « pour encourager les membres du personnel à se perfectionner » et les rendre plus [traduction] « précieux ».

[36] Il ressort clairement de l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt Savage que le fait qu’un employeur vise une fin commerciale en conférant quelque chose ayant une valeur économique à ses employés ne soustrait pas nécessairement cette chose de la portée de l’alinéa 6(1)a). En effet, comme l’a fait observer notre Cour, l’employeur « cherche à obtenir un avantage lorsqu’il en confère un à un employé » : Canada c. Spence, 2011 CAF 200, paragraphe 22, [2011] A.C.F. no 876 (QL). La fin commerciale n’est donc pas déterminante lorsqu’il s’agit d’établir si l’employeur a conféré quelque chose ayant une valeur économique à un employé.

[37] Ce principe se constate dans la jurisprudence. Par exemple, dans l’affaire Cutmore (R.H.) et al. c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 2230, 86 D.T.C. 1146 (C.C.I.), l’employeur avait payé des cadres supérieurs de son groupe de la direction pour que leurs déclarations de revenus soient préparées par des professionnels. L’appelant, qui appartenait à ce groupe, avait nié avoir reçu quelque chose ayant de la valeur, parce qu’il était capable de préparer ses déclarations de revenus sans aide. La Cour canadienne de l’impôt a jugé qu’elle n’avait « aucune peine » à conclure que « c’est de bonne foi » que l’employeur avait pris cette décision et que cette « décision commerciale était motivée par le désir de protéger la réputation d’intégrité » de l’entreprise. Toutefois, se fondant sur l’arrêt Savage, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les paiements étaient des « avantages » au sens de l’alinéa 6(1)a), malgré la fin commerciale que visait l’employeur en faisant les paiements ou « le fait que l’acceptation ait pu constituer une condition préalable à l’embauche ». L’analyse exposée dans la décision Cutmore a été accueillie favorablement par notre Cour dans l’arrêt Phillips (page 705), lorsque celle-ci a souligné que la question de savoir si quelque chose constitue un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a) ne dépend pas de sa valeur subjective pour l’employé.

[38] Plus récemment, dans la décision McGoldrick c. La Reine, 2003 CCI 427, paragraphe 22, 2003 CarswellNat 5304 (WL) (procédure informelle), la Cour canadienne de l’impôt a examiné si la valeur de repas de cafétéria fournis aux employés était imposable. Dans cette affaire, l’employeur, un casino, interdisait à ses employés d’apporter leur propre nourriture au travail pour des raisons d’hygiène et, en raison de l’emplacement du casino, il était difficile pour les employés de manger ailleurs. Les employés recevaient donc des repas à la cafétéria des employés. La Cour a reconnu que le casino agissait à des fins commerciales en fournissant les repas. Toutefois, elle a conclu que l’employeur avait néanmoins subventionné la dépense « quotidienne courante » des repas de l’employé et que la valeur de cette subvention était un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a). Notre Cour a confirmé cette décision en appel : McGoldrick c. Canada, 2004 CAF 189, [2004] A.C.F. no 189 (QL).

[39] Le principe qui sous-tend l’arrêt McGoldrick – à savoir qu’un paiement est un « avantage » s’il subventionne un coût personnel – provient de l’arrêt de notre Cour Canada (Procureur général) c. Hoefele, [1996] 1 C.F. 322, page 332, 1995 CanLII 3541 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée, [1996] 2 R.C.S. v. Dans cette affaire, notre Cour a confirmé que l’objet de l’alinéa 6(1)a) consistait à assujettir à l’impôt l’« enrichissement » des employés et a conclu que la situation économique des employés est améliorée lorsque l’employeur couvre les « dépenses quotidiennes ordinaires ». La Cour canadienne de l’impôt a également appliqué ce principe dans la décision Leduc (Succession de) c. R., [1995] A.C.I. no 1514 (QL), 1995 CarswellNat 2065 (WL) (C.C.I.), une affaire portant sur des paiements destinés à subventionner l’augmentation du coût de la vie. En concluant que les paiements étaient des avantages au sens de l’alinéa 6(1)a), la Cour canadienne de l’impôt a écrit (au paragraphe 52) que la disposition vise les « paiements de dépenses ordinaires ou courantes », qu’elle définit comme étant les « dépenses que doivent supporter tous les individus pour leur subsistance où qu’ils travaillent et où qu’ils habitent au pays ». Notre Cour a confirmé le raisonnement exposé dans la décision Leduc dans une décision ultérieure portant sur des faits semblables : Dionne c. Ministre du Revenu national, [1998] A.C.F. no 1612 (QL) (C.A.F.), paragraphe 2.

[40] Conformément à ces précédents, les parties au présent appel reconnaissent que l’alinéa 6(1)a) s’applique aux remboursements ou à la subvention des coûts personnels des employés. Je constate que cette interprétation de l’alinéa 6(1)a) se concilie avec l’alinéa 6(1)b), qui inclut dans le revenu d’emploi, entre autres choses, les allocations pour les frais « personnels ». De plus, comme notre Cour l’a reconnu dans Phillips (aux pages 699 à 701), cette interprétation de l’alinéa 6(1)a) donne effet à son objet de péréquation fiscale. Dans cet arrêt, notre Cour a écrit que les frais personnels sont « des questions de choix personnel n’ayant aucun rapport avec l’emploi » et, en ce qui concerne les frais de transport quotidien en particulier, que « tout employé engage des dépenses pour se rendre au travail. C’est un coût nécessaire lié à l’emploi. »

[41] Le caractère « personnel » des frais de déplacement est bien établi dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Daniels c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 125, paragraphe 7, [2004] A.C.F. no 573 (QL), notre Cour a expliqué le raisonnement justifiant cette caractérisation :

[L]es frais de déplacement encourus par un contribuable pour voyager aller-retour de sa résidence à son lieu d’affaires sont considérés comme des frais personnels. Ce ne sont pas des frais de déplacement assumés dans le cadre des fonctions du contribuable. Ils lui permettent plutôt d’accomplir ces fonctions (voir les arrêts Ricketts c. Colquhoun, [1926] A.C. 1, 95 L.J.K. 82; Hogg c. Canada, [2002] 4 C.F. 443, 2002 CAF 177, conf. [2001] 1 C.T.C. 2356; O’Neil c. Canada, 2000 CarswellNat 1788, 2000 D.T.C. 2409, [2001] 1 C.T.C. 2091; Luks c. Minister of National Revenue, 1958 CarswellNat 297, [1958] C.T.C. 345, [1959] R.C.É. 45, 58 D.T.C. 1194).

[42] Ce précédent apporte la réponse à l’argument de M. Smith selon lequel le fait qu’on lui paye son stationnement a profité principalement à son employeur parce que cela lui permettait de l’avoir pour employé. Notre Cour a conclu que le fait qu’une personne n’aurait pas accepté un poste sans l’existence d’un avantage particulier n’est pas pertinent : Desrosiers c. La Reine, 1999 CanLII 7427, paragraphe 10, [1999] A.C.F. no 98 (QL) (C.A.F.). De plus, je suis d’avis qu’il n’est pas pertinent que son employeur ait obligé M. Smith à travailler dans un endroit où il fallait payer pour le stationnement et à des heures où il était difficile de se déplacer autrement qu’en voiture. Les frais de déplacement de M. Smith proviennent de son choix personnel quant à l’endroit où il allait vivre : voir Kim Brooks, « Delimiting the Concept of Income : The Taxation of In-Kind Benefits » (2004), 49 McGill L.J. 255, pages 271 et 295. En fait, M. Smith a affirmé dans son témoignage qu’après l’année visée par la nouvelle cotisation, il a déménagé plus près de l’aéroport.

[43] Cela ne veut pas dire que les frais de déplacement quotidien, y compris les frais de stationnement, sont toujours des avantages visés par l’alinéa 6(1)a) s’ils sont remboursés ou payés par un employeur. Je prends note que le paragraphe 6(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu exclut expressément du champ d’application du paragraphe 6(1) tout « montant [que le contribuable] a reçu, ou dont il a joui » et qui se rapporte, entre autres, aux frais supportés pour le transport entre le lieu principal de résidence et un chantier particulier ou un lieu de travail éloigné.

[44] Il arrive aussi que des dépenses qui sont habituellement « personnelles » n’entrent pas dans cette catégorie. Dans ces circonstances, leur paiement ou leur remboursement ne constituera pas un « avantage » au sens de l’alinéa 6(1)a). Cela dépendra de facteurs tels que la relation entre la dépense et les fonctions de l’employé ou les conditions de travail de l’employé et la fin que vise l’employeur en payant cette dépense; bref, des facteurs sont implicites dans la notion de « principal bénéficiaire » telle qu’elle est énoncée dans divers arrêts de notre Cour : voir, plus précisément, Lowe, paragraphes 14 à 19.

[45] Par exemple, dans l’arrêt Huffman c. Canada, [1990] A.C.F. no 529 (QL) (C.A.F.), notre Cour a examiné si le remboursement des frais d’habillement d’un policier en civil était visé par l’alinéa 6(1)a). Dans cette affaire, la preuve a démontré que l’agent était tenu de porter un veston et un manteau pendant son service, que ces vêtements devaient être plus grands que ses vêtements ordinaires pour qu’il puisse dissimuler l’équipement de travail et que la nature de son travail causait une usure supplémentaire de ses vêtements. Notre Cour a souscrit au raisonnement du juge de première instance selon lequel « [l]e remboursement des dépenses que ce dernier était tenu d’engager aux fins d’accomplir les fonctions de sa tâche […] ne doit pas être considéré comme conférant un avantage au sens de [l’]alinéa [6(1)a)] » : citant Huffman c. La Reine (1988), 24 F.T.R. 206, paragraphe 13, 89 D.T.C. 5006 (1re inst.). De même, dans l’arrêt Guay c. Ministre du Revenu national, 1997 CanLII 5012, [1997] A.C.F. no 470 (QL) (C.A.F.), notre Cour a conclu que le remboursement de certains frais de scolarité ne constituait pas un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a) parce que ces frais étaient imposés par « la nature même » de l’emploi : paragraphe 12; voir aussi Guay c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 97, paragraphe 4, [2005] A.C.F. no 451 (QL).

[46] Le raisonnement de la Cour d’appel du Québec est également édifiant sur ce point dans l’arrêt Bernier c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2007 QCCA 1003, [2007] R.J.Q. 1519, autorisation de pourvoi refusée, 2008 CanLII 3194 (C.S.C.). Cette affaire concernait le remboursement par une société d’ingénierie de dons à des partis politiques qu’elle encourageait ses employés à faire afin de préserver des contrats avec le gouvernement. La Cour d’appel a conclu que ces remboursements ne constituaient pas des « avantages » au sens de l’article 37 de la Loi sur les impôts, L.R.Q., ch. I-3. En référence aux arrêts Huffman et Guay de notre Cour, le juge René Dussault a indiqué (aux paragraphes 69 à 72) qu’il était utile de poser la question suivante : « La dépense est-elle personnelle ou découle-t-elle, plutôt, de la nature même de l’emploi? »

[47] C’est pourquoi il est important, dans les affaires concernant le stationnement d’employés, de savoir si l’employé utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions. Par exemple, dans l’affaire Anthony c. La Reine, 2010 CCI 533, paragraphe 41, [2010] A.C.I. no 411 (QL) (procédure informelle), la Cour canadienne de l’impôt n’a pas hésité à conclure que le stationnement d’un employé d’un pensionnat privé était un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a), écrivant qu’aucun des employés appelants « n’était tenu d’utiliser sa voiture dans le cadre de son emploi » et qu’il était difficile de voir comment l’employeur « aurait par ailleurs pu être le principal bénéficiaire des dispositions prises au titre du stationnement » dans ces circonstances. Même si cette affaire a été tranchée sous le régime de la procédure informelle, les conclusions de la Cour canadienne de l’impôt ont été confirmées en appel : Anthony c. Canada, 2011 CAF 336, [2011] A.C.F. no 1720 (QL).

[48] En l’espèce, M. Smith n’était pas tenu d’utiliser un véhicule dans l’exercice de ses fonctions. Toutefois, il soutient qu’étant donné l’importance de se présenter au travail à l’heure dans son domaine d’emploi et du rôle que joue le stationnement à l’aéroport pour aider les employés à être ponctuels, le coût du stationnement a été effectivement imposé par ses fonctions professionnelles et est devenu partie intégrante de celles-ci. Sur ce point, il conteste vigoureusement la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle Jazz Aviation ne tirait aucun avantage à payer le stationnement.

[49] Cet argument est semblable à celui qu’a fait valoir un des appelants dans la décision Adler c. La Reine, 2007 CCI 272, [2007] A.C.I. no 166 (QL) (procédure générale), un cadre qui a soutenu qu’un permis de stationnement lui permettait de travailler plus longtemps et, par conséquent, lui permettait d’exécuter ses tâches professionnelles, ce dont son employeur tirait avantage. Toutefois, la Cour canadienne de l’impôt a conclu dans cette affaire que les frais de stationnement demeuraient inextricablement liés aux choix personnels de l’appelant : paragraphe 112; voir aussi la discussion dans Schroter, paragraphes 8 à 11.

[50] Je suis d’accord avec M. Smith pour dire que le dossier établit que Jazz Aviation agissait à des fins commerciales en payant le stationnement de ses employés et qu’elle en a tiré une valeur. Je conviens en outre qu’il n’était pas pertinent de savoir s’il aurait été plus économique pour Jazz Aviation de mettre fin à l’emploi de M. Smith et d’embaucher un agent de bord qui ne se rendait pas au travail en voiture. À mon avis, l’analyse du juge de la Cour canadienne de l’impôt sur ces points montre les dangers de trop insister sur la notion de « principal bénéficiaire » au lieu de se concentrer sur la question de savoir si l’employé a reçu quelque chose ayant une valeur pécuniaire. L’argument est bien présenté par le professeur Kim Brooks, qui écrit (page 271) dans « Delimiting the Concept of Income : The Taxation of In-Kind Benefits » ce qui suit :

[traduction]

[…] plus le bien ou le service est important dans l’exercice direct des fonctions des employés, moins il est susceptible de procurer un avantage personnel aux employés. La question essentielle à laquelle il faut répondre est, bien sûr, de savoir si les employés tirent ou non un avantage personnel de l’octroi du bien ou du service en cause, et non de savoir si le bien ou le service est fourni à des fins liées à l’emploi. Toutefois, le fait que le bien ou le service soit nécessaire à l’exercice d’activités liées à l’emploi doit être pris en considération pour déterminer si ce bien ou ce service procure également un avantage personnel aux employés. Si les employés étaient incapables de faire leur travail sans le bien ou le service en cause, il est moins probable qu’il serve à des fins personnelles. Cette conclusion est plus solide si le bien ou le service ne semble pas indispensable à l’exercice des fonctions de l’employé. Dans ce cas, la conclusion selon laquelle il s’agit d’un avantage personnel pour les employés est convaincante.

[51] En l’espèce, je suis d’avis qu’il est déterminant que Jazz Aviation n’ait pas exigé de ses agents de bord qu’ils se rendent au travail en voiture, mais qu’elle s’est contentée de préserver la nature personnelle du choix de ses employés quant à leur transport quotidien. Ce fait démontre que le coût du stationnement à l’aéroport était une conséquence des choix personnels de M. Smith et n’était pas lié à ses fonctions ni à la nature de son travail d’agent de bord. Dans l’arrêt Schroter, notre Cour a conclu (au paragraphe 35) que les frais de stationnement « comme ceux dont il est question » dans cette affaire étaient des « dépenses ordinaires quotidiennes ». Il en va de même en l’espèce, et ce fait suffit à trancher l’appel de M. Smith.

[52] Enfin, je note que M. Smith a également soutenu que le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait commis une erreur en lui attribuant le fardeau de la preuve plutôt qu’au ministre, bien que cette thèse n’ait pas été défendue avec vigueur dans les observations orales. Quoi qu’il en soit, la question du fardeau de la preuve ne se pose pas ici compte tenu de la clarté de la preuve présentée au juge de la Cour canadienne de l’impôt sur la question permettant de trancher l’affaire.

[53] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel, avec dépens. Après avoir examiné les observations des parties sur les dépens, je les fixerais à 2 000 $, tout compris.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-161-17

(APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE SYLVAIN OUIMET, DATÉ DU 21 AVRIL 2017, NUMÉRO DE DOSSIER 2015-3969(IT)I).

INTITULÉ :

MARK SMITH c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juin 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 juin 2019

 

COMPARUTIONS :

Gerald Grenon

Kaitlin Gray

 

Pour l’appelant

 

Gergely Hegedus

Pour L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour L’INTIMÉE

 

 

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