Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190620


Dossier : A-336-18

Référence : 2019 CAF 188

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

JANSSEN INC., JANSSEN BIOTECH, INC., CILAG GmbH INTERNATIONAL, CILAG AG et THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

appelantes

et

PFIZER CANADA INC., CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO. LTD., CELLTRION, INC. et INNOMAR STRATEGIES, INC.

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 20 juin 2019.

Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario), le 20 juin 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20190620


Dossier : A-336-18

Référence : 2019 CAF 188

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

JANSSEN INC., JANSSEN BIOTECH, INC., CILAG GmbH INTERNATIONAL, CILAG AG et THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

appelantes

et

PFIZER CANADA INC., CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO. LTD., CELLTRION, INC. et INNOMAR STRATEGIES, INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario), le 20 juin 2019.)

LA JUGE GLEASON

[1]  Les appelantes interjettent appel de certaines parties de l'ordonnance rendue par le juge Southcott de la Cour fédérale dans Corporation de soins de la santé Hospira c. The Kennedy Institute of Rheumatology, 2018 CF 992, par laquelle il a rejeté leur requête déposée au titre de l'article 233 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), afin que la Cour ordonne la production de documents en la possession d'un tiers.

[2]  La Cour fédérale a conclu que l'article 233 des Règles lui conférait le pouvoir discrétionnaire d'ordonner ou non la production de ces documents. En exerçant ce pouvoir discrétionnaire, la Cour fédérale a rejeté la requête des appelantes pour plusieurs motifs, dont les suivants : 1) la demande de production était prématurée parce qu'elle avait été présentée avant que les parties adverses aient terminé la production initiale de leurs documents et avant que tout interrogatoire préalable puisse avoir lieu; 2) il semblait que bon nombre des documents demandés par les appelantes pouvaient être obtenus d'une partie opposée, qui pourrait les obtenir en raison d'un droit contractuel, de façon que les renseignements personnels non pertinents soient déjà supprimés; 3) les documents en la possession d'un tiers contenaient des renseignements personnels non pertinents sur des personnes qui n'étaient pas partie au litige et qui devraient donc être supprimés.

[3]  Les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur; elles prétendent que l'article 233 des Règles est obligatoire et que l'article exige que la Cour ordonne la production de documents d'un tiers lorsque les critères énoncés dans l'article sont respectés. Elles affirment également que la Cour fédérale a commis une erreur en refusant de radier l'affidavit du représentant du tiers parce qu'il avait omis de produire les documents demandés dans l'assignation à comparaître que lui avaient signifiée les appelantes. Les appelantes prétendent qu'en l'absence de ces éléments de preuve, les conclusions de fait de la Cour fédérale ne reposent sur aucun fondement et que la décision doit être annulée également pour ce motif.

[4]  Pour ce qui est de ce dernier point, nous ne voyons aucune erreur susceptible de révision commise par la Cour fédérale en refusant de radier l'affidavit contesté dans les circonstances de l'espèce. Pour conclure le contraire, il faudrait qu'une personne qui conteste une ordonnance de production produise les documents mêmes faisant l'objet du litige avant l'audition de la requête.

[5]  Quant aux observations des appelantes concernant le bien-fondé de la décision de la Cour fédérale, nous ne pouvons accepter leur thèse. Tant le libellé de l'article que la jurisprudence pertinente reconnaissent que l'article 233 des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d'accorder ce que l'on pourrait qualifier de mesure de réparation exceptionnelle qui ordonne à une personne qui n'est pas partie au litige de remettre des documents à une partie dans une instance devant la Cour.

[6]  Le paragraphe 233(1) des Règles est rédigé en des termes permissifs, comme suit :

La Cour peut, sur requête, ordonner qu'un document en la possession d'une personne qui n'est pas une partie à l'action soit produit s'il est pertinent et si sa production pourrait être exigée lors de l'instruction.

[mon soulignement]

On motion, the Court may order the production of any document that is in the possession of a person who is not a party to the action, if the document is relevant and its production could be compelled at trial.

[emphasis added]

[7]  On a conclu que des libellés semblables ailleurs dans les Règles ou dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, confèrent un pouvoir discrétionnaire si les conditions préalables à son exercice sont réunies : voir, par exemple, Horizon Pharma PLC c. Ministre de la Santé, 2015 CF 744, au paragraphe 30; Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Abbott Laboratories Ltd., [2000] A.C.F. no 941 (QL) (C.A.F.), aux paragraphes 12 à 15. Les tribunaux de l'Ontario en sont arrivés à des conclusions semblables en interprétant la disposition des Règles de procédure civile de l'Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, qui régit la production de documents de tiers et ils ont conclu que, même si les conditions énoncées dans les Règles pour autoriser la production sont réunies, le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire d'ordonner ou non la production : voir, par exemple, Philip Services Corp. c. Deloitte & Touche, 2015 ONCA 60, aux paragraphes 8 et 10.

[8]  La Cour fédérale n'a donc pas commis d'erreur en concluant qu'elle dispose d'un pouvoir discrétionnaire aux termes de l'article 233 des Règles.

[9]  La Cour fédérale n'a également pas commis d'erreur manifeste et dominante dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[10]  Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la Cour fédérale pouvait tenir compte du fait qu'on pouvait obtenir les renseignements demandés des autres parties à l'action; l'article 238 des Règles (qui porte sur l'interrogatoire d'un tiers) n'interdit pas que l'on tienne compte de ce facteur lors d'une requête en production de documents en la possession d'un tiers. En bref, le fait que l'article 238 des Règles indique que la Cour peut tenir compte du fait que le requérant n'a pu obtenir les documents, alors que l'article 233 ne mentionne pas ce facteur, n'empêche pas la Cour de considérer le fait qu'on peut obtenir les documents lors de la communication préalable habituelle comme pertinent pour refuser d'ordonner la production de documents en la possession d'un tiers. Compte tenu du caractère exceptionnel de cette mesure, le bon sens veut que la production de documents en la possession d'un tiers ne soit ordonnée que si cela est nécessaire.

[11]  Nous sommes également d'avis que la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur en examinant la question de la protection de la vie privée eu égard aux documents demandés par les appelantes. De fait, la jurisprudence reconnaît que ces préoccupations peuvent être prises en compte lorsqu'il y a lieu, comme l'ont souligné notre Cour dans l'arrêt BMG Canada Inc. c. Doe, 2005 CAF 193, [2005] 4 R.C.F. 81, au paragraphe 42, et la Cour suprême du Canada dans M.(A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, aux paragraphes 36 et 37. Là encore, la Cour fédérale en est arrivée à ce qui nous semble une conclusion fondée sur le bon sens, à savoir que l'on ne doit pas porter atteinte à la vie privée de tiers, ni exiger qu'un tiers assume des frais pour supprimer des passages de documents lorsqu'il n'est pas sûr que les appelantes ne pourront pas recevoir d'une partie à l'instance les documents demandés de sorte que les renseignements personnels auront déjà été supprimés.

[12]  En terminant, la petite portion du litige à laquelle nous avons été exposés semble démontrer un manque déplorable de coopération qui n'a plus sa place dans un litige, si tant est que cela ait déjà été approprié. Nous exhortons les avocats et les parties à relire la décision de la Cour suprême du Canada dans Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 R.C.S. 87, 2014 CSC 7. Nous tenons également à souligner que, si le tiers est en possession de documents que les appelantes n'ont pas obtenus et qui sont pertinents au litige devant la Cour fédérale, et si le tiers ne coopère pas à leur production, les appelantes peuvent alors évidemment chercher à en obliger la production et la Cour fédérale peut adjuger les dépens qu'elle juge appropriés.

[13]  En conséquence, nous rejetterons le présent appel. Dans les circonstances, nous n'adjugerons pas de dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-336-18

 

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC. et al. c. PFIZER CANADA INC. et al.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 20 juin 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :

LA JUGE GLEASON

COMPARUTIONS :

Andrew Skodyn

Melanie K. Baird

 

Pour les appelantEs

 

Warren Sprigings

 

Pour les intimées

(Pfizer Canada Inc., Corporation de soins de la santé Hospira, Celltrion Healthcare Co. Ltd. et Celltrion, Inc.)

 

Christiaan Jordaan

Victoria Yang

POUR L'INTIMÉE

(Innomar Strategies, Inc.)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantEs

 

Sprigings IP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimées

(Pfizer Canada Inc., Corporation de soins de la santé Hospira, Celltrion Healthcare Co. Ltd. et Celltrion, Inc.)

 

Theall Group LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

(Innomar Strategies, Inc.)

 

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