Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190624


Dossier : A-287-17

Référence : 2019 CAF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

LORETTA BEMISTER, RICHARD FERGUSSON, PETER KERR,

OREST TORSKY, NANCY WILSON ET L’ASSOCIATION NATIONALE DES RETRAITÉS FÉDÉRAUX

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 juin 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE DE MONTIGNY


Date : 20190624


Dossier : A-287-17

Référence : 2019 CAF 190

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

LORETTA BEMISTER, RICHARD FERGUSSON, PETER KERR, OREST TORSKY, NANCY WILSON ET L’ASSOCIATION NATIONALE DES RETRAITÉS FÉDÉRAUX

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  Le présent appel vise les modifications annoncées en 2014 au Régime de soins de santé de la fonction publique (le « Régime »). Les appelants, qui comprennent des personnes retraitées de la fonction publique fédérale et l’association qui représente les retraités de la fonction publique fédérale (l’« Association ») soutiennent que les modifications du Régime et leur processus de mise en application contreviennent aux droits contractuels et à la liberté d’association protégée par le paragraphe 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, soit la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, à l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte).

[2]  Les appelants ont sollicité devant la Cour fédérale une mesure de redressement par voie de demande de contrôle judiciaire. Les appelants interjettent appel devant la Cour d’un jugement daté du 1er août 2017 (2017 CF 749) du juge McDonald de la Cour fédérale rejetant leur demande.

[3]  En guise d’aperçu, le Régime visé par le présent appel a été établi par le Conseil du Trésor en 1991, en application du paragraphe 7.1(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11. Aux termes de cette disposition, le Conseil du Trésor, qui est un comité du Cabinet, est autorisé à établir ou à modifier des régimes d’avantages sociaux et d’en fixer les conditions et modalités.

7.1 (1) Le Conseil du Trésor peut établir ou modifier des programmes d’assurances collectives ou des programmes accordant d’autres avantages pour les employés de l’administration publique fédérale et les autres personnes qu’il désigne comme cotisants, individuellement ou au titre de leur appartenance à telle catégorie de personnes, prendre toute mesure nécessaire à cette fin, notamment conclure des contrats pour la prestation de services, fixer les conditions et modalités qui sont applicables aux programmes, notamment en ce qui concerne les primes et cotisations à verser, les prestations et les dépenses à effectuer ainsi que la gestion, le contrôle et la vérification des programmes, et faire des paiements, notamment à l’égard des primes, cotisations, prestations et autres dépenses y afférentes.

7.1 (1) The Treasury Board may establish or modify any group insurance or other benefit programs for employees of the federal public administration and any other persons or classes of persons it may designate to be members of those programs, may take any measure necessary for that purpose, including contracting for services, may set any terms and conditions in respect of those programs, including those relating to premiums, contributions, benefits, management, control and expenditures and may audit and make payments in respect of those programs, including payments relating to premiums, contributions, benefits and other expenditures.

[4]  Pendant la période en litige, le Régime offrait des prestations de soins de santé supplémentaires aux employés en service de la fonction publique fédérale et aux retraités qui choisissaient de participer au Régime. Le Régime est non contributif pour les employés en services et contributif pour les retraités. Le Régime est financé en mode courant et est décrit comme une entente de paiement à l’utilisation.

[5]  En 2014, des modifications au Régime augmentant la proportion de la contribution assumée par les retraités ont été annoncées. Pendant de nombreuses années, les retraités et le gouvernement partageaient les frais dans une proportion de 25 % pour les retraités et de 75 % pour le gouvernement. En 2014, cette proportion devait être modifiée pour devenir un partage de 50 – 50 . L’augmentation du taux de contribution des retraités devait s’échelonner sur une période de quatre ans et ne pas toucher les retraités à faible revenu. Cette modification et le processus qui y a mené font l’objet du présent appel.

I.  Questions en litige

[6]  Les appelants ont soulevé les deux questions suivantes :

  • a) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les modifications au Régime ne violent pas les droits contractuels acquis?

  • b) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que le Conseil du Trésor n’a pas violé la liberté d’association des appelants protégée par le paragraphe 2d) de la Charte?

II.  Le contexte factuel

A.  Le cadre

[7]  Comme il a été mentionné, la Loi sur la gestion des finances publiques octroie au Conseil du Trésor le pouvoir de modifier le Régime. En l’espèce, le Conseil du Trésor a consulté des représentants des employés en service et des retraités avant de modifier le Régime.

[8]  Le processus régissant la consultation des employés et des retraités à propos des modifications de 2014 est décrit dans deux accords datés du 13 janvier 2006. En général, le processus prévoit que les représentants des employés en services et des retraités collaborent avec le secrétariat du Conseil du Trésor, un organe administratif du Conseil du Trésor, pour présenter des recommandations conjointes au Conseil du Trésor concernant les modifications au Régime devant entrer en vigueur le 1er avril 2011, date à laquelle l’entente existante venait à échéance.

[9]  Le premier accord régissant ce processus est un protocole d’entente qui établit le cadre général (le « PE relatif au cadre général »). Les parties à l’accord sont le Conseil du Trésor, les agents négociateurs certifiés du Conseil national mixte, qui représentent les employés en service, et l’Association nationale des retraités fédéraux qui représente les retraités.

[10]  Dans le PE relatif au cadre général, les parties ont convenu de créer deux nouveaux organismes, soit une personne morale responsable de la gestion du Régime et un comité (le « Comité des partenaires ») dont le mandat est d’examiner les recommandations et de présenter des recommandations conjointes sur les modifications à apporter au Régime. Le Comité des partenaires doit être constitué de représentants des parties au PE relatif au cadre général et a le [traduction] « mandat d’établir des recommandations aux fins d’approbation par le Conseil du Trésor concernant les modifications aux modalités du [Régime] notamment en vue d’alléger la pression engendrée par les coûts » (dossier d’appel à la page 188).

[11]  Le second accord est également un protocole d’entente (le « PE de renouvellement »). Il prévoit le processus par lequel le Comité des partenaires peut recommander les modifications au Régime devant être mises en œuvre le 1er avril 2011. Les parties au PE de renouvellement sont les mêmes qu’au PE relatif au cadre général, sauf pour l’employeur, qui est représenté par le secrétariat du Conseil du Trésor plutôt que par le Conseil du Trésor lui-même.

[12]  Aux termes du PE de renouvellement, si les parties en viennent à une impasse et ne peuvent s’entendre sur des recommandations conjointes à présenter au Conseil du Trésor, un processus de règlement des différends devra être entrepris. Ce processus pourrait comprendre des audiences devant un conseil de règlement des différends, auquel cas la décision du conseil fera partie de la recommandation conjointe. Le processus de règlement des différends peut être déclenché par les représentants de toute partie à l’accord, y compris le représentant des retraités.

[13]  En plus de ces accords, le président du Conseil du Trésor a créé un Comité des partenaires et a établi son mandat (dossier d’appel, à la page 519). Advenant des divergences entre le mandat et le PE relatif au cadre général ou le PE de renouvellement, les protocoles d’entente ont préséance.

[14]  Aux termes du mandat :

  • a) Le Comité des partenaires compte sept représentants, soit trois représentants de l’employeur, trois représentants des employés en service et un représentant des retraités.

  • b) Les recommandations conjointes du Comité des partenaires doivent être présentées au Conseil du Trésor aux fins d’approbation.

  • c) Si une recommandation conjointe est renvoyée par le Conseil du Trésor au Comité des partenaires, le Comité doit examiner la recommandation et la reformuler. Toute partie peut entamer le processus de règlement des différends; le Comité peut également examiner les prochaines étapes possibles.

B.  Évènements menant aux modifications de 2014

[15]  Au cours du processus menant aux modifications de 2014, une impasse est survenue au sein du Comité des partenaires entre le président du Conseil du Trésor (le président) et les représentants des employés et des retraités relativement au ratio de partage des coûts de 75-25. À la suite d’importantes pressions, en 2014, les représentants des employés et des retraités ont accepté à contrecœur d’adopter le ratio de partage de 50-50 proposé au Comité des partenaires par le président. Les évènements pertinents au présent appel qui ont mené à cet accord sont décrits ci-dessous.

[16]  Le Comité des partenaires, qui devait présenter ses recommandations conjointes sur les modifications au Régime afin qu’il entre en vigueur comme prévu le 1er avril 2011, a avisé le président en février 2012 que cette échéance était impossible à respecter et a demandé une prolongation de deux ans afin de terminer les « négociations à grande échelle ». Le Comité des partenaires recommandait que le ratio de partage de 75-25 soit maintenu pendant la période de prolongation (dossier d’appel, aux pages 257 à 259).

[17]  Le président n’a pas répondu à cette demande avant le mois de juin 2013, soit environ 16 mois plus tard, et a rejeté la recommandation du Comité des partenaires de maintenir le ratio de partage de 75-25. À ce moment, le président a [traduction] « mis de l’avant » un ratio de partage de 50-50, sans en expliquer le motif (dossier d’appel, à la page 945).

[18]  Au cours d’une rencontre subséquente du Comité des partenaires, les représentants des employés en service et des retraités ont exprimé leur frustration à l’égard de la réponse du président et plus précisément de la tardiveté de sa réponse à leur demande de prolongation et de la proposition d’un nouveau ratio de partage des coûts. Ils ont affirmé qu’en règle générale, de telles modifications ne s’appliquaient qu’aux employés nouvellement embauchés.

[19]  Dans une lettre datée du 8 octobre 2013, le président répond en détail au Comité des partenaires. Il y exprime qu’il craint que le Régime soit décalé des autres régimes et décrit les modalités qu’il serait prêt à présenter au Conseil du Trésor aux fins d’approbation, notamment un ratio de partage des coûts de 50-50, dont les retraités à faible revenu pourraient être dispensés. Il y affirme également qu’il pourrait tenir compte [traduction] « [d’]autres sujets d’intérêts pour le Comité des partenaires ». Le président a demandé qu’une recommandation conjointe reformulée soit déposée au plus tard le 16 décembre 2013 (dossier d’appel, aux pages 988 à 990).

[20]  Lors d’une réunion subséquente du Comité des partenaires, le représentant des retraités a déclaré que le ratio de partage des coûts proposé aurait une incidence importante sur les retraités et a demandé qu’une rencontre avec le président ait lieu (dossier d’appel, à la page 269). Cette rencontre ne s’est jamais réalisée (dossier d’appel, à la page 98).

[21]  Plutôt que de reformuler la recommandation conjointe demandée par le président, les représentants des employés en service et des retraités ont envoyé un courriel de réponse au président le 11 décembre 2013. Ils y expliquent en détail leur réticence à accepter un ratio de partage des coûts de 50-50 et proposent de déposer une modification mineure au Régime d’ici la date butoir du 16 décembre 2013, puis d’engager une vaste discussion à propos des dispositions du Régime, notamment du partage des coûts (dossier d’appel, aux pages 1022 et 1023).

[22]  Le président a répondu dans un courriel daté du 24 décembre 2013. Il y encourage une fois de plus les représentants à inclure le partage des coûts dans leurs discussions actuelles et d’en arriver à une recommandation commune d’ici le 24 janvier 2014. Il ajoute qu’il [traduction] « est préférable qu’une solution soit trouvée par l’entremise du Comité des partenaires, qui est le forum offrant aux parties la meilleure chance d’en venir à une solution avantageuse pour tous. […] Considérant la situation économique actuelle, il est temps qu’une recommandation commune reformulée, équitable à la fois pour les membres du Régime et pour les contribuables canadiens, soit rédigée » (dossier d’appel, à la page 1024).

[23]  Lors d’une réunion du Comité des partenaires tenue le 23 janvier 2014, un représentant du Secrétariat du Conseil du Trésor a affirmé qu’il était possible que [traduction] « le président soit ouvert à de nouvelles discussions, mais qu’à un certain point, une résolution pourrait être imposée ». Le Comité a convenu que de nouvelles discussions auraient lieu (dossier d’appel, à la page 1028).

[24]  Dans le budget fédéral présenté le 12 février 2014, le gouvernement a proposé un plan de transition vers un ratio de partage des coûts de 50-50 pour les retraités.

[25]   Après de nouvelles discussions, le Comité des partenaires a présenté une recommandation conjointe le 21 mars 2014 qui a été acceptée par le Conseil du Trésor. Les deux parties ont fait des concessions. Plus important encore, le Comité des partenaires a accepté un ratio de partage de 50-50, devant être mis en place sur une période de quatre ans et dont les retraités à faible revenu sont dispensés.

III.  Décision de la Cour fédérale

[26]  La Cour fédérale a tranché les deux questions soulevées dans le présent appel en faveur de l’intimé. La décision de la Cour était fondée sur la norme de la décision raisonnable.

[27]  La Cour a d’abord examiné si le Conseil du Trésor avait violé les droits contractuels acquis en imposant unilatéralement un nouveau ratio de partage de coûts ou en obtenant le consentement des retraités par un recours à la coercition ou à la contrainte.

[28]  Sur la question de savoir si le Conseil du Trésor a unilatéralement imposé les modifications, la Cour fédérale mentionne qu’en substance, les appelants allèguent que les taux de contribution des retraités étaient bloqués. La Cour a rejeté cette allégation, au motif qu’il n’y a aucune preuve selon laquelle « les taux étaient bloqués perpétuellement et qu’ils ne pouvaient faire l’objet de rajustements à l’avenir » (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 64).

[29]  Pour ce qui est de la coercition ou de la contrainte, la Cour fédérale a rejeté l’argument des appelants selon lequel leur consentement avait été obtenu par la coercition ou la contrainte.

[30]  La seconde question en litige consiste à savoir si le Conseil du Trésor a violé la liberté d’association des appelants protégée par le paragraphe 2d) de la Charte. La Cour fédérale a examiné deux observations.

[31]  La Cour a d’abord examiné la question de savoit si la liberté d’association des appelants comprenait le droit aux « prestations reconnues dans le processus de négociation collective » (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 86). La Cour n’a pas été convaincue que les appelants ne s’inscrivaient pas « dans le contexte de la négociation collective à l’égard de leurs droits dans le cadre du Comité des partenaires » (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 87).

[32]  Subsidiairement, la Cour a conclu que, si les appelants s’inscrivaient dans la sphère de la négociation collective, il n’y avait aucune preuve que le Conseil du Trésor avait substantiellement entravé leur liberté d’association. La Cour a précisé que les retraités avaient eu l’occasion de présenter leurs arguments, que le Comité des partenaires avait tenu plusieurs réunions au cours desquelles de nombreuses options avaient été examinées et que les retraités exerçaient leurs activités indépendamment de celles du Conseil du Trésor et du gouvernement.

IV.  La norme de contrôle propre à l’appel

[33]  Généralement, lorsqu’elle examine une décision discrétionnaire d’un décideur administratif, la Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale, déterminer la norme de contrôle applicable et l’appliquer (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 RCS 559, 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 48). En d’autres mots, la Cour doit se concentrer sur la décision administrative même plutôt que sur les erreurs potentielles commises par la Cour fédérale (Chen v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2019 FCA 170, au paragraphe 23).

[34]  Il existe toutefois des exceptions à l’application de la norme de contrôle établie dans l’arrêt Agraira, comme il en est question dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2018 CAF 147, 154 C.P.R. (4th) 397, au paragraphe 57. L’arrêt Apotex portait sur un contrôle judiciaire d’une décision de Santé Canada pour lequel la Cour devait rendre une décision de fait portant sur la motivation du décideur. La Cour a déclaré que la question de la motivation ne devait pas être examinée en fonction de la norme de contrôle établie dans l’arrêt Agraira, mais plutôt en fonction de la norme de contrôle habituelle propre aux appels décrite dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, 2002 CSC 33, aux paragraphes 25, 36 et 37. Dans l’arrêt Apotex, a Cour a déclaré :

[58]  En l’espèce, le constat du juge de première instance quant à ce qui a motivé Santé Canada était un constat de fait original, et non un constat effectué au départ par le décideur. Quand il a tiré cette conclusion, le juge de première instance remplissait en substance les mêmes fonctions que les juges présidant un procès. Il était ainsi mieux placé pour tirer cette conclusion qu’une juridiction d’appel, et les facteurs justifiant l’application de la norme consacrée par la jurisprudence Housen jouent […].

[35]  En ce qui a trait à la Charte, les décisions administratives qui font entrer en jeu la Charte doivent être examinées en fonction du cadre du droit administratif énoncé dans les arrêts Doré c. Barreau du Québec, [2012] 1 RCS 395, 2012 CSC 12 et École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), [2015] 1 RCS 613, 2015 CSC 12 (Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, [2018] 2 RCS 293, 2018 CSC 32, au paragraphe 57).

V.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les modifications au Régime ne violent pas les droits contractuels acquis?

[36]  Les appelants font valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que les droits contractuels acquis n’avaient pas été violés. Ils allèguent que deux erreurs ont été commises. Premièrement, les appelants suggèrent que la Cour fédérale a commis une erreur en ne reconnaissant pas que les appelants avaient des droits contractuels acquis. Deuxièmement, les appelants prétendent que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que l’accord des retraités n’avait pas été obtenu par l’emploi de la coercition ou de la contrainte. Bien qu’il n’est pas tout à fait certain qu’une demande de contrôle judiciaire soit le véhicule approprié pour soulever ces questions, qui semblent renvoyer au droit privé des contrats plutôt qu’à l’exercice des pouvoirs publics (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9, aux paragraphes 96 à 97 et 105 à 106), il n’est pas nécessaire de rendre une décision à cet égard puisque je suis d’avis, pour les motifs qui suivent, que ce motif d’appel doit être rejeté.

[37]  Pour ce qui est des droits contractuels acquis, la Cour fédérale a compris que les appelants affirmaient qu’ils avaient un droit protégé au ratio de partage des coûts de 75-25. Devant notre Cour, les appelants ont ainsi clarifié leur position :

[traduction]

 […] Les appelants n’ont jamais soulevé l’argument relatif au [droit protégé]. Les appelants ont plutôt toujours fait valoir que les retraités avaient un droit acquis soit à un ratio de partage des coûts de 75-25 soit, advenant une mésentente relative aux modalités de renouvellement, à un accès à un mécanisme de résolution de conflit ayant force exécutoire.

  […] toute nouvelle modification à leurs prestations était assujettie à l’acceptation des retraités, ce qui est le cas lorsque le Comité des partenaires consent à une recommandation conjointe unanime ratifiée par le président […].

(Mémoire des appelants, aux paragraphes 63 et 78)

[38]  En l’espèce, les retraités ont consenti à une recommandation conjointe unanime qui a ensuite été ratifiée par le président. Par conséquent, il n’y a pas eu de violation de droits contractuels puisque le consentement des retraités était valide et les liait.

[39]  Je me pencherai à présent sur l’allégation des appelants selon laquelle la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le consentement des retraités n’avait pas été obtenu par l’emploi de la coercition ou de la contrainte. Sur cette question, la Cour fédérale en est venue à la conclusion suivante :

[78]  Malgré les circonstances dans lesquelles l’accord a été conclu, il demeure vrai que les demandeurs l’ont signé. En outre, les demandeurs ont obtenu des concessions sous forme de services accrus et la suppression des éléments déductibles aussi bien qu’une introduction progressive de l’augmentation des primes.

[79]  Enfin, les retraités avaient un processus de règlement de différends à disposition s’ils trouvaient que les négociations étaient dans une impasse. Ils ont choisi de ne pas entamer ce processus. Apparemment, c’était une décision calculée que les demandeurs doivent accepter.

[…]

[82]  Je conclus également qu’il n’y avait aucune preuve de contrainte en ce qui concerne le processus qui a mené aux modifications du [Régime] annoncées en 2014.

[40]  Après examen de cette conclusion, je suis d’avis qu’il est approprié d’appliquer la norme de contrôle établie dans l’arrêt Housen en fonction des principes énoncés dans l’arrêt Apotex, précité. La question de la contrainte est semblable à la question à laquelle la norme de contrôle de l’arrêt Housen a été appliquée dans l’arrêt Apotex. En l’espèce, rien ne suggère que le Conseil du Trésor a examiné la question de savoir si l’accord des appelants aux modifications du Régime découlait de la contrainte. Les conclusions de la Cour fédérale sur la question de la contrainte étaient des conclusions de première instance, plutôt qu’un examen de la décision du Conseil du Trésor. La norme de contrôle de l’arrêt Housen devrait par conséquent être appliquée pour les motifs énoncés au paragraphe 58 de l’arrêt Apotex, précité.

[41]  Puisque la question de la contrainte est une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante devrait être appliquée à la décision de la Cour fédérale.

[42]  Comme il a été mentionné dans la décision A. (S.) v. A. (A.), 2017 ONCA 243, 412 D.L.R. (4th) 470, aux paragraphes 27 à 29, la partie qui allègue la contrainte doit démontrer qu’une pression a été exercée au point de forcer sa volonté et qu’il n’existait pas d’autre [traduction] « option réaliste ».

[43]  À mon avis, il n’y a aucune erreur susceptible de révision à cet égard. La preuve présentée à la Cour fédérale est loin de démontrer qu’il y a eu contrainte. Le représentant des retraités au Comité des partenaires occupait un poste supérieur dans une association dont le mandat est de défendre les intérêts de ses membres. Les appelants n’ont indiqué aucun élément de preuve démontrant qu’on avait déjoué le représentant ou qu’il ne comprenait pas les conséquences d’acquiescer à la recommandation conjointe. Les retraités ont décidé de faire certaines concessions dans le cadre des négociations en contrepartie de leur accord au nouveau ratio de partage des coûts et ont décidé de ne pas entamer de processus de règlement des différends prévu par le PE de renouvellement.

[44]  Devant la Cour, les appelants ont également fait valoir que le président a menacé de recourir à la voie législative pour mettre en œuvre la modification s’ils n’y convenaient pas et a déclaré que cette loi ne comprendrait pas de mesures atténuées pour les retraités à faible revenu. Selon les appelants, leur seule option était [traduction] « de subir les conséquences des modifications législatives […] ou de capituler afin d’en atténuer les conséquences […]. [C]onsidérant ses préoccupations pour ses membres les plus vulnérables, l’Association appelante n’avait pour seule [option que de capituler], ce qu’elle a fait sous pression » (mémoire des appelants, aux paragraphes 84 à 87).

[45]  La difficulté avec cette observation est qu’il existait une autre option pour les retraités : faire appel au mécanisme de règlement des différends. Nous ne pouvons dire quel aurait été le résultat si les retraités avaient décidé d’entamer cette procédure.

[46]  Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que l’accord des retraités n’avait pas été obtenu par la coercition ou la contrainte.

VI.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que le Conseil du Trésor n’a pas violé la liberté d’association des appelants protégée par le paragraphe 2d) de la Charte?

[47]  Le paragraphe 2d) de la Charte dispose que « Chacun a (...) [la] liberté d’association ». Les appelants allèguent que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que cette liberté fondamentale n’avait pas été violée.

[48]  La liberté d’association a généralement été interprétée comme s’appliquant à une vaste gamme d’activités et comprend le « droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités ». Dans le contexte particulier de la négociation collective, le paragraphe 2d) a été reconnu pour également englober les « droits des employés de s’associer, de formuler des revendications collectives auprès de l’employeur et de les voir prises en considération de bonne foi » (Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 3, 2015 CSC 1, aux paragraphes 45, 60 et 66 [arrêt Association de la police montée]).

[49]  Les appelants font valoir que le paragraphe 2d) a été violé de deux façons. Ils soutiennent d’abord que la composition du Comité des partenaires viole leur liberté d’association. Ils prétendent également que le processus suivi pour mener à la modification du taux de contribution des retraités en 2014 violait la liberté d’association des appelants.

[50]  J’examinerai d’abord l’argument selon lequel le Conseil du Trésor n’a pas constitué le Comité des partenaires de façon à protéger adéquatement les droits des retraités (mémoire des appelants, au paragraphe 108). Les appelants soutiennent qu’ils ont été privés d’un droit réel d’être entendus, puisque 1) les retraités n’avaient qu’un représentant au Comité des partenaires sur les sept membres constituant le Comité et les employés en service avaient trois représentants, et 2) l’Association n’avait pas le droit de choisir son propre représentant. À l’égard de ce dernier point, je voudrais souligner que l’Association a eu l’occasion de recommander un représentant pour les retraités et que cette recommandation a été retenue.

[51]  Les appelants font également valoir que le président a négocié de mauvaise foi en présentant [traduction] « une proposition à prendre ou à laisser, sans examiner de bonne foi les arguments présentés par l’Association et les autres partenaires » (mémoire des appelants, au paragraphe 110).

[52]  Ces questions en litige doivent être examinées à la lumière du cadre énoncé dans les arrêts Doré, Loyola et Trinity Western. Aux termes de ce cadre, il est nécessaire d’examiner avant tout la question de savoir si la décision administrative fait entrer la Charte en jeu en limitant les protections qu’elle confère (arrêt Loyola, au paragraphe 39). Si tel est le cas, la décision sera raisonnable si elle met en balance les valeurs pertinentes de la Charte et les objectifs législatifs du décideur (arrêt Doré, aux paragraphes 6, 57 et 58). Cela exige qu’on « restreigne les protections conférées par la Charte aussi peu que cela est raisonnablement possible eu égard aux objectifs particuliers de l’État » (arrêt Loyola, au paragraphe 40). Il faut néanmoins faire preuve de déférence à l’endroit de l’approche du décideur dans sa mise en balance des valeurs de la Charte et de son mandat (arrêt Doré, au paragraphe 54).

[53]  Par conséquent, la Cour doit examiner si la liberté d’association était en jeu et, si oui, si le Conseil du Trésor a mis en balance de façon proportionnelle la liberté d’association des appelants et les objectifs législatifs du Conseil du Trésor.

[54]  L’intimé fait valoir que la liberté d’association des retraités n’était pas en jeu puisque le droit à la négociation collective vise uniquement les [traduction] « employés en service » (mémoire de l’intimé, au paragraphe 68). Il soutient également que les retraités étaient libres de former une association ayant pour but de poursuivre certains objectifs. Par conséquent, leur liberté d’association n’était pas mise en jeu.

[55]  Si la liberté d’association des retraités se limite à la possibilité de former une association unie par un objectif commun, alors leur liberté d’association ne serait pas mise en jeu. Toutefois, si la liberté d’association des retraités comprend également les droits reconnus dans un contexte de négociation collective, c’est-à-dire le droit de formuler des revendications collectives et que ces revendications soient examinées de bonne foi, ces droits pourraient avoir été touchés en l’espèce.

[56]  Aux fins du présent appel, il n’est pas nécessaire de déterminer si la liberté d’association des retraités comprend les droits reconnus dans un contexte de négociation collective. Par conséquent, pour les fins de l’analyse, j’assumerai sans cependant trancher que les droits protégés par la Charte reconnus dans un contexte de négociation collective s’appliquent et que la liberté d’association des retraités est mise en jeu.

[57]  Il reste à se demander si la conduite du Conseil du Trésor et sa décision de mettre en place un ratio de partage des coûts de 50-50 met en balance adéquatement le droit d’association des retraités et les objectifs du Conseil du Trésor. Je conclus que la balance était adéquate.

[58]  Les appelants soutiennent que leur liberté d’association a été violée car ils n’avaient qu’un seul représentant au Comité des partenaires, qui compte sept membres. Ils suggèrent en substance que la voix des retraités a été noyée. Les appelants allèguent également que la position du président était « à prendre ou à laisser » et que ce dernier n’a pas tenu compte de leurs arguments de bonne foi.

[59]  La représentation limitée des retraités au sein du Comité des partenaires pourrait potentiellement restreindre leur capacité à présenter leurs arguments directement au Conseil du Trésor. Il n’en demeure pas moins que le représentant de l’Association, à titre de membre du Comité des partenaires, a été en mesure de présenter ses arguments au Comité, dans l’objectif d’en arriver à une recommandation commune aux fins d’approbation par le Conseil du Trésor. Ils pouvaient également recourir au processus de règlement des différends prévu dans le PE de renouvellement. Par conséquent, les retraités, par l’intermédiaire de leur représentant, ont eu l’occasion de faire entendre leur voix et, s’ils avaient eu le sentiment que cette voix n’était pas entendue, ils bénéficiaient d’un recours pour y remédier.

[60]  Les appelants n’ont donc pas démontré que la composition du Comité des partenaires a limité de façon déraisonnable la capacité des retraités à présenter des arguments et à ce que ces derniers soient examinés de bonne foi.

[61]  En ce qui a trait à l’allégation des appelants selon laquelle le président n’a pas examiné de bonne foi les arguments des retraités, la preuve est loin de démontrer que tel était le cas. Bien que le président a clairement exprimé au Comité des partenaires que le Régime devait passer à un modèle de contribution de 50-50, le Comité des partenaires a eu l’occasion de répondre au président et de lui présenter ses arguments à de nombreuses occasions. Aucune preuve ne démontre que ces arguments n’ont pas été examinés sérieusement par le président.

[62]  Pour ce qui est de l’objectif du Conseil du Trésor, cet organisme tire son pouvoir de modifier le Régime de l’article 7.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Cette loi accorde au Conseil du Trésor un vaste pouvoir sur les questions d’administration publique, notamment au niveau des questions financières (article 7 de la Loi sur la gestion des finances publiques).

[63]  L’objectif du Conseil du Trésor en passant à un ratio de partage des coûts de 50-50 ressort clairement d’une lettre du président adressé au Comité des partenaires, datée du 8 octobre 2013. Essentiellement, le président a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 [L]a priorité du gouvernement du Canada est de veiller à ce que la rémunération du secteur public et les prestations des retraités, notamment le [Régime], demeure abordable et comparable à ce que reçoivent les employés tant des secteurs privés que publics. […]

  [I]l est important de noter que la majorité des Canadiens n’ont pas accès à des prestations de soins de santé supplémentaires postérieures à l’emploi. En outre, de nombreux employeurs publics et privés ont mis en place des modèles de partage de coûts payés entre 50 % et 100 % par les retraités. […]

(dossier d’appel, à la page 988)

[64]  Les parties ne contestent pas, ni ne pourraient contester, que les considérations fiscales prises en compte par le Conseil du Trésor dans la lettre précitée font partie du mandat du Conseil du Trésor prévu par la loi.

[65]  La question à trancher est de savoir si le Conseil du Trésor a adéquatement mis en balance la liberté d’association des retraités avec ses objectifs prévus par la loi. À cet égard, le fait que les retraités ont finalement accepté la recommandation conjointe visant à passer à un ratio de partage de coûts de 50-50 est un élément important. Dans ce contexte, je conclus que le Conseil du Trésor a adéquatement mis en balance la liberté d’association des retraités et les objectifs du Conseil du Trésor et que la conduite et la décision du Conseil du Trésor dans cette perspective est raisonnable.

VII.  Conclusion

[66]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. L’intimé a droit aux dépens.

« Judith M. Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-287-17

 

 

INTITULÉ :

LORETTA BEMISTER, RICHARD FERGUSSON, PETER KERR, OREST TORSKY, NANCY WILSON ET L’ASSOCIATION NATIONALE DES RETRAITÉS FÉDÉRAUX c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 septembre 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 juin 2019

 

COMPARUTIONS :

David Law

Guy Régimbald

John J. Wilson

 

Pour les appelants

 

Christopher Rupar

Sharon Johnston

Jennifer Lewis

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David K. Law Professional Corp.

Ottawa (Ontario)

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour les appelants

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.