Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190624


Dossier : A-307-16

Référence : 2019 CAF 189

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MANY MANSIONS SPIRITUAL CENTER, INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 24 juin 2019.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 24 juin 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20190624


Dossier : A-307-16

Référence : 2019 CAF 189

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MANY MANSIONS SPIRITUAL CENTER, INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 24 juin 2019.)

LE JUGE LASKIN

[1]  Many Mansions Spiritual Centre, Inc. interjette appel en application de l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), d’une décision rendue par le ministre du Revenu national confirmant son intention de révoquer l’enregistrement de Many Mansions à titre d’organisme de bienfaisance. La décision du ministre fait suite à une vérification des exercices financiers de 2011 et 2012 de Many Mansions, à l’avis d’intention de révocation délivré au titre des paragraphes 168(1) et 149.1(2), au dépôt d’une opposition par Many Mansions en vertu du paragraphe 168(4) et au nouvel examen de la révocation proposée par la Direction des appels en matière fiscale et de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada en application du paragraphe 165(3).

[2]  Dans sa décision, le ministre s’est fondé sur plusieurs des motifs de révocation énoncés au paragraphe 168(1). Le ministre a conclu que Many Mansions avait cessé de se conformer aux exigences de la Loi en omettant de consacrer la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance, en s’adonnant à des activités incompatibles avec ses fins déclarées et en fournissant des avantages privés à ses membres (al. 168(1)b)), que Many Mansions avait omis  de produire les déclarations de renseignements prévus et avait délivré un reçu pour don qui ne correspondait pas à la juste valeur marchande (al. 168(1)c) et d)) et qu’elle avait omis de tenir les registres et les livres de comptes nécessaires (al. 168(1)e)). Ces motifs figurent également dans l’avis d’intention de révocation, où il était écrit que [traduction] « [p]our tous ces motifs, et chacun est suffisant, l’Agence estime que [Many Mansions] ne satisfait plus aux exigences liées à l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et que son enregistrement devrait être révoqué » (dossier d’appel, p. 12).

[3]  Bien que la procédure en l’espèce soit appelée « appel », la décision du ministre est susceptible de contrôle selon les principes applicables en droit administratif. Les conclusions du ministre sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, donc sur la question de savoir si les motifs de révocation étaient étayés et si la révocation était la sanction qui convenait, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Opportunities for the Disabled Foundation c. Canada (Revenu national), 2016 CAF 94, par. 33). En conséquence, les conclusions seront confirmées à moins qu’elles ne soient pas justifiées, transparentes et intelligibles ou qu’elles n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47, [2008] 1 R.C.S. 190). Le seuil est élevé dans les affaires reposant sur des faits comme en l’espèce.

[4]  Il est bien établi que chacun des motifs énoncés au paragraphe 168(1) peut justifier la révocation du statut d’un organisme de bienfaisance (Opportunities for the Disabled Foundation, par. 33; Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement c. Canada (Revenu national), 2015 CAF 178, par. 64, demande d’autorisation d’interjeter appel devant la C.S.C. refusée, [2016] 1 R.C.S. xi). En l’espèce, le dossier montre que le ministre a estimé que chacun des motifs invoqués justifiait à lui seul la révocation (Lord’s Evangelical Church of Deliverance and Prayer of Toronto c. Canada, 2004 CAF 397, par. 18). Many Mansions reconnaît que, pour obtenir gain de cause, elle doit démontrer le caractère déraisonnable des conclusions pour chacun des motifs invoqués par le ministre.

[5]  Many Mansions conteste tous ces motifs. Bon nombre de ses observations portent sur la conclusion du ministre voulant qu’elle ait mené des activités incompatibles avec ses fins déclarées, soit [traduction] « promouvoir et enseigner les préceptes, les doctrines, les rites et la culture associés à la foi chrétienne » (dossier d’appel, p. 1019 et 53).

[6]  Many Mansions soutient que les jugements à l’égard de questions de doctrine religieuse ou de théologie n’ont aucune place au sein du gouvernement et cite à l’appui l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750. Or, bien que la Cour suprême ait affirmé dans l’arrêt Highwood (par. 39) que « les groupes religieux sont libres de décider qui peut être membre de leur organisation, et d’établir leurs propres règles de fonctionnement », elle a également reconnu que les tribunaux pouvaient intervenir s’il était « nécessaire de le faire pour trancher un différend de nature juridique sous-jacent ». Dans le cas d’un organisme de bienfaisance enregistré pour la promotion d’un but religieux, il pourrait être nécessaire de déterminer la portée de ce but ainsi que la mesure dans laquelle les activités de l’organisme de bienfaisance s’en approchent (Fuaran Foundation c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CAF 181). L’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance confère des privilèges exceptionnels. Il est pertinent de  savoir si l’organisme en question mène des activités conformément à ses fins déclarées pour que soient maintenus ces privilèges. À notre avis, le ministre n’a pas agi de façon déraisonnable ni fait preuve de partialité en examinant ces questions.

[7]  Toutefois, nous n’avons pas besoin de déterminer si les conclusions du ministre étaient raisonnables à l’égard de ce motif. En effet, ses conclusions quant à deux autres motifs, soit la tenue des registres et la prestation d’avantages à ses membres par Many Mansions, étaient raisonnables et par conséquent tranchent le présent appel.

[8]  Au sujet de la tenue de registres inadéquate, Many Mansions souligne que, lors de la vérification, elle en était à ses débuts et qu’elle était principalement gérée par des bénévoles. De plus, elle soutient que les lacunes étaient mineures et qu’elle a depuis retenu les services d’un professionnel pour la tenue de ses registres et de ses livres de compte.

[9]  Le ministre pouvait, sur le fondement du dossier dont il disposait, conclure que ces lacunes étaient sérieuses. Entre autres, la documentation des dépenses était insuffisante. Également, les registres et livres de compte de Many Mansions comportaient des irrégularités dans les sommes censément dues au pasteur, les reçus attestaient seulement une maigre portion des sommes inscrites comme lui ayant été versées et il n’y avait aucune pièce justificative pour le loyer censément à payer pour l’utilisation de bureaux par le pasteur et son fils ni pour le prêt accordé par feu l’épouse du pasteur. Le vérificateur reconnaît que l’intention de Many Mansions de tenir ses registres et ses livres comptables selon des normes professionnelles est un [traduction] « pas dans la bonne direction », mais il a également fait part de ses doutes quant à la capacité et à la détermination de Many Mansions de s’améliorer (dossier d’appel, p. 254). Le vérificateur a tenu compte du fait que, par le passé, Many Mansions s’était trouvée en défaut de conformité, que ses réponses étaient limitées et manquaient de détails et qu’elle soutenait que sa tenue de registres et de livres de compte était adéquate.

[10]  Dans l’arrêt Société de prévention (par. 80), notre Cour a conclu que l’obligation qui incombait à une œuvre de bienfaisance de tenir des registres et livres comptables adéquats était « fondamentale ». En effet, l’enregistrement comporte des privilèges non négligeables et le ministre « doit être en mesure de vérifier si l’œuvre de bienfaisance conserve ou non son droit à de tels privilèges ». Il était donc loisible au ministre de conclure en l’espèce que le défaut de conformité de Many Mansions était grave et justifiait la révocation, même en tenant compte de la nouveauté de son statut d’organisme de bienfaisance et de ses efforts d’amélioration subséquents (voir l’analyse dans Jaamiah Al Uloom Al Islamiyyah Ontario c. Canada (Revenu national), 2016 CAF 49, aux par. 6, 7 et 11, demande d’autorisation d’interjeter appel devant la C.S.C. refusée, [2016] 1 R.C.S. xii).

[11]  Les conclusions du ministre quant à l’offre d’avantages aux membres étaient également raisonnables. Selon la définition d’« œuvre de bienfaisance » au paragraphe 149.1(1), une telle organisation enregistrée doit consacrer la totalité de ses ressources aux « activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même » et aucune partie de son revenu ne peut servir au profit personnel de ses membres.

[12]  Le ministre a conclu en l’espèce que Many Mansions fournissait un bureau au pasteur et lui a permis à trois occasions durant la période visée par la vérification d’utiliser les salles de réunions appartenant à Many Mansions pour exploiter une entreprise privée. Many Mansions soutient en appel que cette utilisation par le pasteur du bureau et des salles de réunion était acceptable, car c’était à des fins accessoires ou connexes à la réalisation des objectifs de bienfaisance de l’organisation. Bien que l’alinéa 149.1(6)a) permette à l’œuvre de bienfaisance de mener elle-même une activité complémentaire sans contrevenir à l’exigence selon laquelle elle doit consacrer la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance, l’entreprise privée du pasteur ne relève pas de cette exception. De plus, l’Agence avait averti Many Mansions lorsque celle-ci avait demandé le statut d’organisme de bienfaisance que toute utilisation de fonds de bienfaisance à des fins personnelles entraîne la révocation du statut d’organisme de bienfaisance (dossier d’appel, p. 1069).

[13]  Many Mansions soutient que la décision du ministre de révoquer son statut d’organisme de bienfaisance est déraisonnable, car elle est trop sévère. À notre avis, les conclusions du ministre quant au défaut de conformité de Many Mansions fondées sur les motifs de la tenue inadéquate des registres et des livres de compte et la prestation d’avantages à ses membres, qui sont principalement des conclusions de fait, étaient suffisantes pour lui permettre de considérer le défaut de conformité comme étant grave ou aggravé selon les lignes directrices applicables de l’Agence et comme justifiant la révocation du statut.

[14]  En conséquence, rien ne justifie l’intervention de notre Cour dans les conclusions du ministre quant à la tenue inadéquate des registres et des livres de comptes de Many Mansions et à sa prestation d’avantages à ses membres, ni dans l’exercice de son pouvoir de révoquer l’enregistrement de l’organisme pour ces motifs. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les autres motifs invoqués par le ministre. Le présent appel sera par conséquent rejeté. Le ministre ne demande pas de dépens.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-307-16

INTITULÉ :

MANY MANSIONS SPIRITUAL CENTER, INC. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 juin 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE LASKIN

COMPARUTIONS :

Keith M. Trusser

Sean C. Flaherty

Pour l’appelantE

 

Joanna Hill

Alexander Nguyen

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McKenzie Lake Lawyers LLP

London (Ontario)

 

Pour l’appelantE

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.