Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190628


Dossier : A-385-17

Référence : 2019 CAF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

GALDERMA CANADA INC.

intimée

et

MÉDICAMENTS NOVATEURS CANADA

intervenante

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 janvier 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB


Date : 20190628


Dossier : A-385-17

Référence : 2019 CAF 196

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

GALDERMA CANADA INC.

intimée

et

MÉDICAMENTS NOVATEURS CANADA

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I.  Introduction

[1]  Le 19 décembre 2016, le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) a ordonné à l'intimée Galderma Canada Inc. (Galderma) de déposer certains renseignements financiers et certains renseignements concernant les ventes relativement à son produit Differin pour la période du 1er janvier 2010 au 14 mars 2016. L'aspect inhabituel de cette ordonnance est que les brevets pour l'ingrédient médicinal contenu dans le Differin avaient expiré au moins sept ans avant que le personnel du Conseil ne demande les renseignements. Étant donné que le paragraphe 80(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4 (la Loi), prévoit que l'obligation de fournir des renseignements ne s'applique pas à une personne qui, « pendant une période d'au moins trois ans, a cessé d'avoir droit à l'avantage du brevet ou d'exercer les droits du titulaire », l'ordonnance du Conseil a mené à une demande de contrôle judiciaire accueillie, laquelle a mené au présent appel interjeté par le procureur général au nom du personnel du Conseil.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que le Conseil a agi de façon déraisonnable en limitant son examen à certaines parties du brevet en cause dans le présent litige et, par conséquent, qu'il a également commis une erreur dans la détermination de l'invention décrite dans le brevet. D'après mon examen du brevet, je conclus qu'il n'y a qu'une seule interprétation raisonnable du brevet. Je renverrais donc la question au Conseil pour qu'il détermine à nouveau si l'invention est liée au Differin, en tenant compte de cette interprétation raisonnable.

II.  Les faits

[3]  Galderma fabrique et commercialise des médicaments pour des troubles dermatologiques. L'affaire concerne deux de ses produits dermatologiques, Differin et Differin XP, qui contiennent tous deux un seul ingrédient médicinal, un composé appelé adapalène. La différence entre les deux produits est la concentration d'adapalène; elle est de 0,1 % en poids pour le Differin et de 0,3 % en poids pour le Differin XP. L'adapalène est ou était visé par cinq brevets obtenus par Galderma. Seul le brevet no 2 478 237 (le brevet 237), décrit ci‑dessous, est pertinent au présent appel. Bien que les procédures devant le Conseil aient également porté sur d'autres brevets et d'autres médicaments, les conclusions du Conseil à leur égard ne sont pas contestées.

[4]  Lorsque Galderma a commencé à vendre le Differin, elle a informé le Conseil que les deux brevets suivants étaient liés à ce médicament :

a) Le brevet n° 1 266 646 (le brevet 646), intitulé « Dérivés benzonaphtaléniques, leur procédé de préparation et leur application dans les domaines pharmaceutique et cosmétique ». Ce brevet décrit et revendique un groupe de composés qui comprend l'adapalène, un procédé de préparation de ces composés et leur utilisation. Ce brevet a été délivré le 13 mars 1990 et a expiré le 13 mars 2007.

b) Le brevet no 1 312 075 (le brevet 075), intitulé « Procédé de préparation de dérivés de l'adamantane‑1 ». Ce brevet décrit et revendique un meilleur procédé de préparation des composés du brevet précédent, notamment l'adapalène. Ce brevet a été délivré le 29 décembre 1992 et a expiré le 29 décembre 2009.

[5]  Plus tard, lorsque Galderma a commencé à vendre le Differin XP, elle n'a identifié que le brevet 237, intitulé « Emploi d'adapalène pour le traitement de troubles dermatologiques », comme étant lié à ce produit. Le brevet 237, délivré le 12 mai 2009 et périmé le 14 mars 2016, décrit et revendique l'utilisation d'une concentration de 0,3 % d'adapalène dans le traitement de troubles dermatologiques. Galderma n'a pas identifié le brevet 237 comme étant lié au Differin.

[6]  Conformément à ses obligations en application de la Loi, Galderma a fourni au Conseil les renseignements prescrits au sujet du Differin jusqu'à l'expiration des brevets 646 et 075.

[7]  En janvier 2016, longtemps après l'expiration des brevets 646 et 075, le personnel du Conseil a déposé une requête en vue d'obtenir une ordonnance obligeant Galderma à fournir des renseignements sur les prix et la commercialisation du Differin au motif que le brevet 237 était lié à ce produit. Lorsque le Conseil a convenu avec le personnel du Conseil que le brevet 237 était lié au Differin, Galderma a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du Conseil.

[8]  La Cour fédérale, dans des motifs dont la référence est 2017 CF 1023 (les motifs de la Cour fédérale), a accueilli la demande et annulé la décision du Conseil. La Cour fédérale a jugé que la conclusion du Conseil selon laquelle le brevet 237 était lié au Differin était déraisonnable parce que le Conseil n'avait pas expliqué « la manière dont le brevet 237 pour l'adapalène à 0,3 % peut être utilisé pour un médicament d'adapalène à 0,1 % » : motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 50.

[9]  Le procureur général interjette appel de la décision de la Cour fédérale, alléguant que celle‑ci a commis une erreur en [TRADUCTION] « ne concluant pas que le brevet 237 décrit une invention qui est liée au “médicament” (l'adapalène) » : mémoire des faits et du droit de l'appelant, au paragraphe 21.

III.  Le régime légal

[10]  Avant d'examiner la décision du Conseil, il peut être utile d'examiner brièvement le contexte légal dans lequel s'inscrit le présent différend. Le Conseil est établi en application de l'article 91 de la Loi et ses membres, ses pouvoirs, ses procédures et ses attributs sont énoncés aux articles 92 à 100 de la Loi. Le Conseil a pour mandat de veiller à ce que le monopole conféré par la Loi aux titulaires de brevets de médicaments ne fasse pas l'objet d'abus en raison des prix excessifs de ces médicaments.

[11]  Pour exercer son mandat, le Conseil dispose de deux types de pouvoirs : le pouvoir de demander aux titulaires de brevets de divulguer certains types de renseignements et, au besoin, de les y obliger, et le pouvoir de rendre des ordonnances correctives s'il conclut qu'un médicament breveté se vend ou a été vendu à un prix excessif. Les questions en litige dans le présent appel découlent d'une instance visant à obliger Galderma à fournir certains renseignements.

[12]  Les pouvoirs conférés au Conseil ne peuvent être exercés qu'à l'encontre des titulaires de brevets, des anciens titulaires de brevets ou des personnes ayant droit à l'avantage du brevet « pour une invention liée à un médicament ». Cette expression est définie comme suit au paragraphe 79(2) de la Loi :

(2) Pour l'application du paragraphe (1) et des articles 80 à 101, une invention est liée à un médicament si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins.

(2) For the purposes of subsection (1) and sections 80 to 101, an invention pertains to a medicine if the invention is intended or capable of being used for medicine or for the preparation or production of medicine.

[13]  Les articles 80 et 81 de la Loi portent sur la communication de renseignements au Conseil par les titulaires de brevets et les anciens titulaires de brevets, comme l'exige le règlement pris en vertu de la Loi ou comme l'exige une ordonnance. Dans l'affaire qui nous intéresse, le Conseil a rendu une ordonnance en vertu de l'article 81 qui obligeait Galderma à fournir certains renseignements au sujet du Differin à titre de titulaire ou d'ancienne titulaire du brevet 237.

IV.  La décision du Conseil

[14]  Après avoir traité de certaines questions préliminaires, le Conseil a commencé son analyse en se rapportant à la définition de l'expression « est liée à un médicament » figurant au paragraphe 79(2) de la Loi, précité. Le Conseil a établi une distinction entre une invention qui doit servir ou pouvoir servir au médicament et une invention qui doit servir ou pouvoir servir à la préparation ou à la production du médicament.

[15]  Le Conseil a ensuite passé en revue la jurisprudence sur le sens de l'expression « est liée à ». Les conclusions pertinentes qu'il en a tirées sont les suivantes : (1) il doit exister un « lien rationnel » entre l'invention et le médicament; (2) le lien entre l'invention et le médicament peut être « le plus ténu »; (3) le lien rationnel entre le brevet et le médicament peut être le médicament lui‑même. Le Conseil a également noté qu'en examinant le lien rationnel, il ne devrait pas interpréter le brevet, « notamment en se livrant à des interprétations des revendications ou à une analyse des contrefaçons » : motifs du Conseil, au paragraphe 45.

[16]  Le Conseil a estimé que le brevet 237 n'indique pas à première vue que l'invention était destinée à la préparation ou à la production de la molécule d'adapalène ou qu'elle est susceptible d'être utilisée à cette fin. Il a noté que le titre du brevet 237 était « Emploi d'adapalène pour le traitement de troubles dermatologiques ». Le Conseil a conclu que le brevet 237 était un « brevet d'utilisation » en ce qu'il était « lié » à l'utilisation de l'adapalène pour le traitement de troubles dermatologiques. La question se posait donc de savoir si l'invention visée par le brevet 237 est utilisée ou peut être utilisée pour le Differin, qui contient une concentration de 0,1 % d'adapalène servant également au traitement de troubles dermatologiques : motifs du Conseil, aux paragraphes 51 à 53.

[17]  Le Conseil a rejeté l'argument de Galderma selon lequel le brevet 237 était lié uniquement au Differin XP, dont la concentration d'adapalène est de 0,3 %, et non au Differin, dont la concentration d'adapalène est de 0,1 %. Le Conseil a reconnu que l'abrégé du brevet fait mention d'une concentration de 0,3 % d'adapalène, mais a noté qu'« à première vue, le brevet 237 n'indique pas qu'il vise uniquement la concentration de 0,3 % d'adapalène » : motifs du Conseil, au paragraphe 54. Au paragraphe suivant, le Conseil a affirmé que, bien que la concentration de 0,3 % soit mentionnée dans l'abrégé du brevet 237, cette concentration n'est pas mentionnée dans le paragraphe introductif ou dans le titre, de telle sorte que « ce brevet, à première vue, ne concerne qu'une concentration de 0,3 % d'adapalène ».

[18]  En fin de compte, le Conseil a décidé qu'il y avait un lien rationnel, « aussi ténu soit‑il », entre le brevet 237 et Differin. En d'autres termes, le Conseil a conclu qu'à première vue, le brevet 237 « est lié à Differin parce que l'invention visée par le brevet est susceptible d'être utilisée pour Differin » : motifs du Conseil, au paragraphe 58.

[19]  Par conséquent, le Conseil a ordonné à Galderma de déposer les renseignements prescrits relativement à Differin pour la période du 1er janvier 2010 au 14 mars 2016.

V.  La décision de la Cour fédérale

[20]  Après avoir traité d'un certain nombre de questions préliminaires, la Cour a commencé son analyse en soulignant que le Conseil n'avait pas établi quelle était l'invention du brevet 237. La Cour a noté que le paragraphe 79(2) de la Loi exigeait que le Conseil se concentre sur l'invention avant de déterminer si l'invention était destinée au Differin ou était susceptible d'être utilisée à une telle fin.

[21]  La Cour a également conclu que le Conseil avait concentré son attention sur le caractère commun de l'adapalène en tant qu'ingrédient actif de Differin et de Differin XP et ne s'est jamais demandé si « le Differin XP à 0,3 % pouvait être destiné à l'[utilisation] du Differin à 0,1 % ou était susceptible de l'être » : motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 41. De l'avis de la Cour, il n'y avait aucune preuve que le Differin XP pouvait être utilisé de cette façon.

[22]  La Cour a ensuite conclu que le Conseil avait limité de façon déraisonnable son examen du brevet en soi. Tout en notant que le Conseil avait fait référence à l'abrégé et au paragraphe introductif du brevet, la Cour a conclu que le fait que le Conseil n'avait pas examiné l'ensemble du brevet était contraire à ses obligations en application du paragraphe 79(2) de la Loi. Selon la Cour, l'approche du Conseil était également incompatible avec la position adoptée dans ses propres publications, qui soulignent la nécessité de lire en totalité le brevet, en portant une attention particulière aux revendications, pour déterminer l'invention décrite dans le brevet.

[23]  La Cour a indiqué qu'elle ne comprenait pas comment le Conseil, s'il avait examiné l'ensemble du brevet, notamment les revendications, aurait pu conclure que le brevet visait davantage que l'adapalène à 0,3 % : motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 46. Selon la Cour, cette conclusion allait à l'encontre des principes énoncés par la Cour suprême au paragraphe 42 de Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, voulant que « ce qui n'est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation ». La Cour a reconnu que le terme « revendiqué » n'a pas le même sens que le terme « lié », mais a conclu qu'il était néanmoins déraisonnable pour le Conseil de ne pas tenir compte de parties essentielles du brevet.

[24]  Par conséquent, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision du Conseil.

VI.  Les questions en litige

[25]  Le procureur général affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le « médicament » en l'espèce est l'adapalène. Le procureur général soutient également que, par conséquent, la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 237 décrit une invention qui est liée au médicament adapalène. Galderma, d'autre part, soutient que la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a identifié le médicament comme étant le Differin, une préparation qui contient 0,1 % d'adapalène. De plus, Galderma affirme que la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu que l'invention décrite dans le brevet 237 était liée au Differin XP, qui contient une concentration de 0,3 % d'adapalène, et non au Differin.

[26]  Étant donné qu'il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision rendue par la Cour fédérale lors d'un contrôle judiciaire, notre Cour examine davantage la décision du Conseil que celle de la Cour fédérale. Notre rôle est de veiller à ce que la Cour fédérale détermine la norme de contrôle appropriée et l'applique correctement : Canada (Procureur général) c. Sandoz Canada Inc., 2015 CAF 249, [2016] 2 R.C.F. F-6, au paragraphe 56, Bayer Cropscience LP c. Procureur général, 2018 CAF 77. En fait, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et examiner la décision du Conseil : voir l'arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 46.

[27]  Une lecture attentive de la décision du Conseil laisse croire que les questions suivantes déterminent l'issue du présent appel :

A.  Le Conseil a‑t‑il agi de façon déraisonnable en limitant son examen du brevet 237 à certaines parties du brevet?

B.  Quelle est l'invention décrite dans le brevet 237?

C.  L'invention décrite dans le brevet 237 est‑elle liée au Differin?

VII.  Analyse

[28]  Avant d'aborder les questions de fond, il faut examiner la norme de contrôle de la décision du Conseil. La Cour fédérale a conclu que la décision du Conseil commandait la déférence lorsqu'elle portait sur des questions mixtes de fait et de droit, comme celle de savoir si une invention est liée à un médicament. D'autre part, elle a conclu que lorsque le Conseil interprétait les dispositions générales de la Loi, ou lorsqu'il appliquait les principes du droit des brevets, notamment lorsque ceux‑ci visent des questions constitutionnelles, la norme de contrôle était celle de la décision correcte : motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 28 et 29.

[29]  En l'espèce, le Conseil agissait dans le cadre des articles 79 à 103 de la Loi, qui définissent son mandat et ses pouvoirs. En d'autres termes, il appliquait sa loi constitutive. On suppose donc que son interprétation des articles 79 à 103 de la Loi fait l'objet d'un examen selon la norme de la décision raisonnable, à moins que cette présomption ne soit réfutée : McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 21 et 22 (McLean). En l'espèce, la présomption voulant qu'il faut utiliser la norme de la décision raisonnable n'a pas été réfutée. Les questions mixtes de fait et de droit doivent également être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, Thibeault c. Procureur général, 2016 CAF 101, au paragraphe 18.

[30]  La conclusion du Conseil selon laquelle il ne peut examiner que le brevet en soi n'est pas une question d'interprétation légale, puisque la Loi ne traite pas de cette question. En fait, la conclusion du Conseil porte sur les méthodes et les techniques d'analyse : voir le paragraphe 33 ci‑dessous. Étant donné que les choix d'un tribunal à cet égard découlent de son expertise en la matière, il a droit à la déférence : Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, au paragraphe 17. Par conséquent, j'examinerai cette partie des motifs du Conseil selon la norme de la décision raisonnable.

A.  Le Conseil a‑t‑il agi de façon déraisonnable en limitant son examen du brevet 237 à certaines parties du brevet?

[31]  Dans son analyse du brevet 237, le Conseil s'est limité au « brevet en soi », expression utilisée dans la décision de notre Cour ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32 (C.A.F.) (ICN).

[32]  La société ICN avait soutenu devant la Cour fédérale (section de première instance) que les « revendications d'usage » du brevet en cause devraient être interprétées de manière à exclure certains des usages pour lesquels le médicament breveté avait été approuvé pour la vente au Canada, puisque ceux‑ci faisaient partie de l'état de la technique relativement à ce brevet : [1996] A.C.F. no 206 (QL) (C.F. 1re inst.). La société ICN avait fait valoir que les revendications du brevet devaient être interprétées de manière à exclure ces usages. Le personnel du Conseil a répondu en déposant des affidavits à l'appui de son interprétation du brevet.

[33]  Le Conseil a conclu qu'il ne pouvait interpréter les revendications du brevet. Il a conclu qu'il n'avait ni la mission ni l'expérience et l'expertise nécessaires pour entreprendre l'analyse qu'ICN lui demandait de faire. La Cour fédérale (section de première instance) a donné raison au Conseil.

[34]  En appel à notre Cour, la société ICN a continué à faire valoir son argument fondé sur l'interprétation des revendications, argument que notre Cour a rejeté dans les termes suivants :

Je concède à l'avocat d'ICN qu'il doit y avoir un lien logique entre un brevet et le médicament en cause pour que le Conseil ait compétence. La véritable question en litige est de savoir quel critère doit être appliqué à cet égard. Je ne suis pas d'accord avec celui prôné par ICN, qui implique une définition restrictive de « médicament » et l'obligation de se livrer à une interprétation du brevet ou des revendications. Selon moi, ce critère n'est pas conforme à celui énoncé aux paragraphes 83(1) et 79(2) de la Loi, à partir desquels je tire deux conclusions principales. Premièrement, il n'est ni nécessaire ni souhaitable d'interpréter un brevet pour établir le lien requis. Deuxièmement, en raison de la grande portée des mots « est liée » et « liée » (dans la définition du terme « breveté » au paragraphe 79(1)) qui sont employés dans ces dispositions, le lien peut être le plus ténu qui soit. [...]

ICN, au paragraphe 46.

[35]  Notre Cour est revenue sur cette question en discutant de l'objet du législateur en instaurant le régime d'examen des prix. La Cour était d'avis que le fait d'exiger un lien plus étroit entre une invention et un médicament qu'un lien « le plus ténu qui soit » offrirait aux sociétés pharmaceutiques une ouverture à se soustraire à la compétence du Conseil et compromettrait le pouvoir de celui‑ci de protéger les consommateurs canadiens contre l'établissement de prix excessifs. La Cour a conclu que les termes généraux employés aux paragraphes 83(1) et 79(2) de la Loi traduisent clairement l'intention du législateur de faire en sorte que l'existence du lien requis puisse être prouvée sans qu'il soit nécessaire d'interpréter le brevet, notamment parce que l'interprétation du brevet est une question de droit qui relève des tribunaux.

[36]  Je suis d'accord avec l'intervenante, Médicaments novateurs Canada, pour dire que le Conseil doit lire le brevet dans son ensemble, y compris les revendications, afin d'identifier l'invention qui y est décrite. Par contre, je ne suis pas d'accord avec la position de l'intervenante selon laquelle le Conseil doit interpréter le brevet et les revendications comme le ferait un tribunal.

[37]  Il est important de rappeler que le Conseil est un tribunal administratif dont le mandat est de réglementer le prix des médicaments brevetés. Ce mandat ne l'oblige pas à déterminer les droits des titulaires de brevets et des autres personnes, ni à déterminer la validité des brevets qu'il examine. Pour s'acquitter de son mandat, il doit comprendre suffisamment l'invention décrite dans le brevet pour être en mesure de déterminer de façon raisonnable si l'invention est liée à un médicament. Ce qui constitue une compréhension suffisante dépendra des circonstances propres à chaque affaire, mais, quoi qu'il en soit, elle ne comprendra pas une interprétation de l'invention que le texte du brevet ne peut raisonnablement étayer.

[38]  Pour que le Conseil parvienne à une compréhension raisonnable de l'invention décrite dans le brevet, il doit lire l'ensemble du brevet, et non seulement certains passages introductifs. Mais le Conseil a le droit de prendre le libellé du brevet au pied de la lettre. Il n'est ni en mesure d'interpréter ce libellé pour arriver à l'interprétation « correcte » du brevet, ni censé le faire. Ainsi, le Conseil n'est pas tenu d'interpréter le brevet pour trouver des limitations ou des ajouts implicites aux termes utilisés par le titulaire du brevet.

[39]  En l'espèce, je suis d'accord avec la Cour fédérale pour dire que le Conseil n'a fait référence qu'à l'abrégé et à un paragraphe introductif pour en arriver à ses conclusions et qu'il a mis de côté des parties essentielles du brevet, y compris les revendications. Par conséquent, je conclus que le Conseil a agi de façon déraisonnable en limitant son examen à certaines parties du brevet.

B.  Quelle est l'invention décrite dans le brevet 237?

[40]  La Cour fédérale a eu raison de dire que le Conseil « n'a pas établi quelle était l'invention dans le brevet 237 » : motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 40. Le moment où le Conseil s'en est rapproché le plus fut lorsqu'il a dit, au paragraphe 58 de ses motifs, qu'« à sa face même, le brevet donne à penser que l'invention consiste en l'utilisation de l'adapalène pour le traitement de troubles dermatologiques ».

[41]  La lecture du brevet par le Conseil s'est limitée à un examen superficiel visant à déterminer si le brevet portait exclusivement sur l'adapalène à 0,3 %. Au paragraphe 51 de ses motifs, le Conseil renvoie au titre du brevet et à son abrégé et conclut que le brevet 237 n'est pas destiné à la production de l'adapalène à 0,1 % et n'est pas susceptible d'être utilisé à une telle fin, et ne peut donc en ce sens être lié au Differin.

[42]  Au paragraphe 54 de ses motifs, le Conseil renvoie au paragraphe introductif du brevet 237 et note qu'il fait référence à l'adapalène dans des [TRADUCTION] « compositions pharmaceutiques précises pour son utilisation dans le traitement d'affections dermatologiques [...] ». Le Conseil cite ensuite la page 3 du brevet, qui indique [TRADUCTION] qu'« un objet de la présente invention » est l'utilisation de l'adapalène pour la fabrication d'une composition pharmaceutique destinée au traitement d'affections dermatologiques comprenant 0,3 % en poids d'adapalène.

[43]  Le Conseil souligne ensuite ce qui suit au paragraphe 55 de ses motifs :

Ainsi, même si la concentration de 0,3 % est mentionnée dans l'abrégé, elle ne l'est pas dans le paragraphe introductif ou dans le titre du brevet 237, et ce brevet, à première vue, ne concerne qu'une concentration de 0,3 % d'adapalène.

[44]  Plus loin, au paragraphe 56, le Conseil affirme qu'à « première vue du moins, il semble que l'utilisation d'une concentration de 0,3 % d'adapalène puisse être l'un des objectifs (et non le seul) du brevet 237 », de sorte qu'il « ne peut conclure que le brevet 237 est lié exclusivement à une concentration de 0,3 % d'adapalène ».

[45]  Voilà l'étendue de l'enquête du Conseil sur l'invention décrite dans le brevet 237. Étant donné que le Conseil a restreint son enquête par son choix de méthode, la question devrait être renvoyée au Conseil afin qu'il puisse remplir son mandat. Toutefois, comme on le verra, il n'y a qu'une seule interprétation raisonnable des termes du brevet 237 quant à la nature de l'invention qu'il protège. Dans de telles circonstances, un tribunal de révision a le droit de fournir cette interprétation sans renvoyer l'affaire au Conseil : Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, [2012] 1 R.C.F. F‑3, aux paragraphes 43 à 46, Maple Lodge Farms Ltd. c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2017 CAF 45, [2017] 3 R.C.F. F‑11.

[46]  Avec cette explication, je vais maintenant considérer la nature de l'invention décrite et revendiquée dans le brevet 237.

[47]  Après une très brève discussion de l'état de la technique, le brevet note que la demanderesse a développé une nouvelle composition pharmaceutique contenant de l'adapalène à une concentration de 0,3 % en poids qui, étonnamment, présente une meilleure efficacité thérapeutique et une bonne tolérance comparable à celles des compositions connues ayant une concentration inférieure de l'ingrédient actif (brevet 237, à la page 2). Le brevet poursuit en disant que l'un de ses objets est l'utilisation de l'adapalène pour la production d'une composition pharmaceutique destinée au traitement des affections dermatologiques comprenant 0,3 % en poids d'adapalène et qui se présente sous forme de gel ou de crème (page 3).

[48]  Aux pages 6 et 7, le brevet indique qu'on donnera comme exemples diverses formulations de la composition contenant 0,3 % d'adapalène. On donne divers exemples comparant l'efficacité du gel d'adapalène à 0,3 % à celle du gel d'adapalène à 0,1 % (pages 8 et 9), ainsi que la tolérance du gel d'adapalène à 0,3 % (pages 9 et 10), et les effets secondaires causés par l'administration topique du gel d'adapalène à 0,3 % (pages 10 à 12). La partie descriptive du brevet conclut en notant qu'une composition pharmaceutique contenant 0,3 % d'adapalène présente un rapport avantages/risques qui la rend particulièrement adaptée au traitement de troubles dermatologiques à composante inflammatoire ou proliférative, en particulier l'acné vulgaire (page 13).

[49]  Suivent sept revendications, chacune renvoyant (soit directement, dans le cas des revendications indépendantes, soit indirectement, dans le cas des revendications dépendantes) à une composition pharmaceutique comprenant 0,3 % en poids d'adapalène. Aucune revendication n'est faite pour une composition pharmaceutique ayant une concentration d'adapalène inférieure à 0,3 %.

[50]  Par conséquent, je conclus que l'invention décrite dans le brevet 237 est une composition pharmaceutique ayant une concentration de 0,3 % d'adapalène en vue d'une utilisation dans le traitement de troubles dermatologiques à composante inflammatoire ou proliférative, comme l'acné vulgaire.

[51]  La conclusion du Conseil selon laquelle il ne pouvait conclure que le brevet 237 se rapportait exclusivement à l'adapalène à 0,3 % découlait d'un examen insuffisant du brevet 237 et, par conséquent, était erronée et déraisonnable.

C.  L'invention décrite dans le brevet 237 est‑elle liée au Differin?

[52]  L'étape suivante de l'analyse porte sur le lien entre l'invention décrite dans le brevet et le Differin. Pour résoudre cette question, il est nécessaire d'aborder un certain nombre de sous‑questions.

[53]  La première est la question soulevée par le procureur général, à savoir si le médicament auquel l'invention décrite dans le brevet 237 pourrait être liée est l'adapalène ou le Differin. La deuxième question porte sur le sens de l'expression « liée à un médicament ». La dernière question est au cœur de l'appel : l'invention décrite dans le brevet 237 est‑elle liée au médicament en question?

[54]  J'examinerai ces questions à tour de rôle.

1)  Quel est le médicament auquel le brevet 237 peut être lié?

[55]  Dans son mémoire des faits et du droit, le procureur général soutient que le médicament en cause dans le présent appel est l'adapalène et non le Differin. Le procureur général soutient en outre que c'est la position adoptée par le Conseil dans sa décision. Avec égards, les motifs du Conseil ne soutiennent pas cette conclusion.

[56]  L'analyse du Conseil commence à la page 15 de sa décision. Le premier paragraphe est ainsi rédigé :

Comme il a été mentionné précédemment, la seule question en litige entre les parties est celle de savoir si les brevets sont liés aux deux médicaments visés. Pour les motifs exposés ci‑après, le panel a) conclut que le brevet 237 est lié à Differin, et ordonne à Galderma, pour ce motif, de produire les renseignements prescrits relativement à Differin pour la période du 1er janvier 2010 au 14 mars 2016; et b) conclut que les brevets 321 et 451 ne sont pas liés à Differin ou à Differin XP.

[57]  Par la suite, le Conseil énonce la question de la façon suivante : « La question en litige devant être tranchée par le panel est donc celle de savoir si l'invention visée par le brevet 237 est utilisée ou peut être utilisée pour le médicament Differin, un médicament contenant une concentration de 0,1 % d'adapalène servant au traitement de troubles dermatologiques » (motifs du Conseil, au paragraphe 53).

[58]  Lorsqu'il énonce sa conclusion au paragraphe 58 de ses motifs, le Conseil dit ceci :

[...] le panel conclut qu'il existe un lien rationnel, aussi ténu soit‑il, entre le brevet 237 et Differin. En d'autres termes, le panel conclut qu'à première vue, le brevet 237 est lié à Differin parce que l'invention visée par le brevet est susceptible d'être utilisée pour Differin.

[59]  Enfin, le Conseil conclut cette partie de ses motifs comme suit : « Pour ces motifs, le panel conclut que le brevet 237 “est lié” à Differin aux termes du paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets, et ordonne à Galderma, pour ce motif, de produire les renseignements prescrits [...] ».

[60]  Il n'est pas facile de concilier ces renvois avec l'affirmation voulant que le Conseil croyait que le médicament était l'adapalène plutôt que le Differin. Le Conseil était clairement conscient que le Differin était une concentration de 0,1 % d'adapalène et faisait invariablement référence au médicament en question comme étant le Differin, la préparation commerciale, et non l'adapalène, l'ingrédient actif.

[61]  Le Conseil avait été saisi d'une requête afin que Galderma fournisse certains renseignements prescrits afin que le Conseil puisse déterminer si le Differin avait été vendu à un prix excessif. Pour que cette requête soit accueillie, le personnel du Conseil devait démontrer que Galderma était la titulaire d'un brevet d'une invention liée à un médicament. Le médicament en question devait nécessairement être le médicament qui était vendu au Canada à l'époque pertinente, sinon la question du prix excessif ne se serait pas posée. Étant donné que le Differin était sur le marché et que l'adapalène en soi ne l'était pas, il n'était pas déraisonnable pour le Conseil de conclure que le médicament pertinent était le Differin.

2)  Le sens de l'expression « liée à un médicament »

[62]  Comme nous l'avons mentionné précédemment, le Conseil a résumé les principes clés relatifs au mot « liée » tirés de sa jurisprudence antérieure (motifs du Conseil, au paragraphe 45). Parmi ces principes clés, on trouve les suivants :

i. Il doit exister un « lien rationnel » entre l'invention et le médicament;

ii. Il n'est pas nécessaire que l'invention ait servi ou serve effectivement (notamment à l'égard du médicament) pour qu'il y ait un lien entre l'invention et le médicament;

iii. Le lien entre l'invention et le médicament peut être « le plus ténu »;

iv. Le lien rationnel entre un brevet et un médicament peut être le médicament lui-même;

v. Lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a un lien entre l'invention et le médicament, nul besoin pour le panel d'interpréter le brevet (notamment en se livrant à des interprétations des revendications ou à une analyse des contrefaçons);

[...]

[63]  Les expressions « lien rationnel » et « le plus ténu » utilisées par le Conseil renvoient aux expressions utilisées dans l'arrêt ICN dans lequel notre Cour a convenu avec l'avocat qu'il devait y avoir « un lien logique » entre l'invention et le médicament (motifs du Conseil, au paragraphe 46). De plus, la Cour a conclu qu'en raison de la grande portée des termes « est liée » et « liée » aux paragraphes 79(2) et 83(1), le lien peut être « le plus ténu qui soit ».

[64]  Le fait de dire qu'il doit y avoir un lien logique entre une invention et un médicament n'ajoute pas grand‑chose à notre compréhension de la relation entre les deux. On pourrait difficilement soutenir le contraire. La question est la nature de ce lien. L'expression « le lien le plus ténu » est une figure de style qui exprime l'idée que le lien peut être ténu. S'il est vrai que les expressions « est liée » et « liée » expriment un lien moins fort que ne le feraient d'autres expressions plus restrictives (comme une invention « comportant » un médicament), ces expressions doivent être comprises dans leur contexte.

[65]  Un facteur contextuel important est le fait que le législateur a choisi de définir la relation par les termes « est liée » ou « liée » au paragraphe 79(2) de la Loi. Rappelons que cette disposition prévoit qu'une invention est liée à un médicament « si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins ». Étant donné que le Conseil a conclu que le brevet 237 ne pouvait être utilisé pour préparer ou produire de l'adapalène (motifs du Conseil, au paragraphe 51), la question que le Conseil devait trancher, comme il l'a reconnu au paragraphe 53 de ses motifs, était de savoir si le brevet 237 était utilisé ou pouvait être utilisé pour le médicament Differin.

[66]  Il va sans dire que la figure de style qui explique la relation exprimée par l'expression « est liée » ne peut remplacer la définition de cette expression prévue par la Loi. Cela ne veut pas dire que la figure de style n'est pas une façon utile d'expliquer que la relation entre l'invention et un médicament peut être ténue, mais, en fin de compte, la question est de savoir si l'invention est destinée à des médicaments, ou est susceptible d'être utilisée à une telle fin, et non de savoir s'il existe le lien le plus ténu.

[67]  Tout cela pour dire que le Conseil doit être guidé par la définition légale de l'expression « est liée » et ne doit pas remplacer par l'expression « le lien le plus ténu » les mots que le législateur a choisis. Le Conseil a clairement indiqué à plusieurs reprises dans ses motifs qu'il comprenait le sens de l'expression « est liée », par exemple lorsqu'il faisait la distinction entre une invention destinée à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins, et une invention destinée à des médicaments, ou susceptible d'être utilisée à une telle fin : motifs du Conseil, aux paragraphes 52 et 53. Toutefois, à d'autres endroits, le Conseil semble substituer un autre critère, celui du « lien logique » et du « lien le plus ténu » : motifs du Conseil, au paragraphe 58. Il n'y a qu'un seul critère, soit le critère énoncé au paragraphe 79(2) de la Loi.

3)  L'invention décrite dans le brevet 237 est‑elle liée au Differin?

[68]  Les références répétées du Conseil au fait que le brevet 237 ne portait pas exclusivement sur une concentration de 0,3 % d'adapalène donnent à penser que sa conclusion selon laquelle le brevet 237 est lié au Differin est fondée sur la possibilité que l'invention décrite dans le brevet 237 comprenne une formulation d'adapalène à une concentration autre que 0,3 %. En d'autres termes, le Conseil peut avoir conclu que, puisque le brevet 237 ne portait pas exclusivement sur l'adapalène à 0,3 %, il était possible qu'il porte également sur l'adapalène à 0,1 %, de sorte que, dans ces circonstances, l'invention décrite dans le brevet 237 pouvait être « destinée » au Differin ainsi qu'au Differin XP.

[69]  Si la possibilité que l'invention du brevet 237 soit liée au Differin repose uniquement sur cette hypothèse, alors la Cour fédérale avait raison d'annuler la décision du Conseil. Comme nous l'avons déjà mentionné, la seule interprétation raisonnable du brevet 237, lu dans son ensemble, est que l'invention décrite dans ce brevet est l'utilisation d'une concentration de 0,3 % d'adapalène pour traiter des troubles dermatologiques.

[70]  Toutefois, à un autre moment, le Conseil a fait référence à d'autres facteurs qui, s'ils avaient été pris en compte, auraient pu influencer sa décision. Plus précisément, le Conseil a observé que (i) la même molécule est utilisée à la même fin dans le Differin et dans le Differin XP; (ii) l'invention décrite dans le brevet 237 est l'utilisation de l'adapalène pour le traitement de troubles dermatologiques : motifs du Conseil, au paragraphe 58.

[71]  La preuve présentée au Conseil comprenait une monographie de produit qui s'applique à la fois au Differin et au Differin XP et qui ne semble indiquer aucune différence clinique entre les deux. La preuve comprenait également le brevet lui‑même qui, aux pages 8 et 9, compare l'efficacité d'une concentration de 0,3 % d'adapalène à une concentration de 0,1 % dans le traitement de l'acné. Cette comparaison a montré que la concentration de 0,3 % agissait plus rapidement et plus efficacement que la concentration de 0,1 %. Aux pages 12 et 13, le brevet fait également état d'une étude qui révèle que le taux d'effets secondaires indésirables est le même pour les deux concentrations d'adapalène et que l'intensité de ces effets secondaires est moyenne, ce qui permet de conclure que les deux concentrations sont bien tolérées par les patients.

[72]  D'autre part, le Conseil disposait de témoignages de cliniciens qui avaient déclaré qu'ils ne remplaceraient pas le Differin XP par le Differin.

[73]  Dans des causes comme celle‑ci, où la question est de savoir si une invention est liée à un médicament en particulier, quelles similitudes cliniques permettraient de conclure que l'invention décrite dans un brevet était destinée à ce médicament ou susceptible d'être utilisée pour ce médicament? Le Conseil n'a pas répondu à ces questions, peut‑être parce qu'il était d'avis que le brevet 237 ne portait pas exclusivement sur l'adapalène à 0,3 %. Il devrait pouvoir y répondre.

[74]  Ces questions portent sur des considérations de politique générale « dont on présume que le législateur a voulu confier la prise en compte au décideur administratif » : McLean, aux paragraphes 32 et 33 (souligné dans l'original). Étant donné que c'est le Conseil qui doit décider si le brevet 237 est lié au Differin, l'affaire doit lui être renvoyée afin qu'il puisse compléter son enquête à la lumière d'une compréhension convenable de l'invention décrite dans le brevet 237.

VIII.  Conclusion

[75]  Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens à notre Cour et à la Cour fédérale. J'annulerais le jugement de la Cour fédérale et la décision du Conseil et je renverrais l'affaire au Conseil pour qu'il se prononce à nouveau en tenant compte du fait que l'invention décrite dans le brevet 237 est l'utilisation d'une concentration de 0,3 % d'adapalène pour le traitement de troubles dermatologiques.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-385-17

 

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. GALDERMA CANADA INC. ET MÉDICAMENTS NOVATEURS CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 17 janvier 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2019

 

COMPARUTIONS :

Victor J. Paolone

Sadian Campbell

 

Pour l'appelant

 

Malcolm Ruby

R. Scott Jolliffe

Charlotte McDonald

 

Pour l'intimée

 

Jason Markwell

Bohdana Tkachuk

 

Pour l'intervenante

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'appelant

 

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l'intimée

 

Belmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'intervenante

 

 

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