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Date : 20190705


Dossier : A-387-18

Référence : 2019 CAF 198

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

DR. V.I. FABRIKANT

défendeur

Demande instruite par vidéoconférence à Ottawa (Ontario), Montréal (Québec) et

Sainte-Anne-des-Plaines (Québec) le 3 juillet 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20190705


Dossier : A-387-18

Référence : 2019 CAF 198

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

DR. V.I. FABRIKANT

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]  Le procureur général sollicite une déclaration de plaideur quérulent à l’endroit du défendeur, une ordonnance en désistement des instances intentées par ce dernier devant notre Cour et des mesures accessoires.

A.  La compétence de la cour

[2]  La déclaration est permise par l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 et les pouvoirs absolus dont notre Cour dispose pour encadrer les plaideurs et leurs litiges afin de contrer les abus de procédure.

[3]  Le consentement du procureur général est nécessaire à la demande présentée en application de l’article 40. En l’espèce, ce consentement est déjà au dossier.

B.  Demande de récusation présentée par le défendeur : partialité et incapacité invoquées

[4]  Pour la troisième fois au cours du dernier mois, le défendeur prétend que je suis dans l’incapacité intellectuelle de connaître de la présente demande et que, essentiellement, je suis partial. Il demande que je me récuse.

[5]  Outre ces trois occurrences récentes, le défendeur a demandé à d’autres moments ma récusation et celle d’autres juges de la Cour.

[6]  Seul le juge en chef a le pouvoir d’assigner un juge à une instance : Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires, L.C. 2002, ch. 8, aux paragraphes 8(1) et 8(2); Loi sur les Cours fédérales, article 15 et paragraphe 16(2). Le juge en chef m’a confié la présente demande. J’ai l’obligation de le faire à moins d’avoir un motif en droit de me récuser. Dans la présente instance, j’ai très minutieusement examiné la question, non pas parce que le cas laisse place à l’interprétation, mais bien en raison du caractère fondamental des droits en cause.

[7]  Tout justiciable a le droit effectif d’être entendu par un juge compétent et impartial. L’apparence de ces qualités du point de vue d’un observateur raisonnable, objectif et informé est tout aussi importante : voir l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie [1978] 1 R.C.S. 369. De plus, [traduction] « [il] est tout à fait primordial que non seulement justice soit rendue, mais que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue » : R. v. Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256, p. 259. Ces principes sont essentiels à la confiance que les Canadiens ont le droit d’avoir à l’égard du système de justice : Canada (Procureur général) c. Yodjeu, 2019 CAF 178, paragraphe 12.

[8]  J’en conclus que je n’ai, en droit, aucun motif de me récuser. C’est un cas évident.

[9]  Je répète, j’invoque et je confirme à nouveau les affirmations et les explications que j’ai déjà données dans les décisions Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 224, aux paragraphes 12 à 16 (Fabrikant no 1) et Canada (Procureur général) c. Fabrikant, 2019 CAF 174, aux paragraphes 5 à 10 (Fabrikant no 2). Rien n’a changé depuis.

[10]  Je conclus que j’aborde la présente affaire avec l’esprit ouvert et objectivité. Vu les motifs que j’ai rendus dans les instances du défendeur, toute personne raisonnable, objective et informée conclurait que j’ai statué, y compris en l’espèce, de façon impartiale et équitable.

[11]  Le défendeur indique que j’ai qualifié, dans les motifs rendus dans certaines affaires, son comportement de « quérulent ». C’est effectivement le cas. Cela dit, les comportements quérulents d’une partie lors de certains litiges n’emportent pas forcément une déclaration de plaideur quérulent, car il arrive parfois, dans le feu de l’action, qu’un plaideur s’emporte sous l’effet de la passion ou de l’émotion. En l’espèce, j’ai été en tout temps disposé à accepter des éléments de preuve et à écouter des explications, que j’ai évalués sur le fond.

[12]  Le défendeur se plaint que ce soit moi qui statue depuis quelque temps sur les instances qu’il intente. Il fait valoir que l’affaire devrait être décidée par un juge qui n’a entendu aucune de ses affaires. Par conséquent, il prétend grosso modo que je suis prédisposé à prononcer l’ordonnance de plaideur quérulent demandée à son égard.

[13]  Le défendeur exagère la situation. Il est vrai que j’ai récemment été saisi de ses affaires souvent, mais pas exclusivement. Il est impossible d’en déduire un préjugé de ma part à l’égard du défendeur. De plus, il m’est impossible de passer sous silence le fait que le défendeur a connu certains succès devant moi au cours des années : voir le paragraphe 2 et les directives de Fabrikant no 2; voir aussi le paragraphe 15 de Fabrikant no 1.

[14]  La décision du juge en chef de m’assigner bon nombre des dossiers du défendeur ne constitue pas une preuve de partialité ou d’iniquité. Cette décision a principalement pour effet d’éviter les décisions incompatibles, que le défendeur a souvent tenté d’exploiter.

[15]  Le fait d’assigner à un seul juge les instances intentées par une partie, lorsque ce nombre est important, est une pratique sensée et judicieuse. C’est une façon de gérer les instances qui renforce la cohérence, l’uniformité et l’efficacité. Dans la poursuite de ces objectifs, cette pratique favorise le virage culturel que la Cour suprême demande à tous les tribunaux et à tous les plaideurs d’adopter : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87.

[16]  Je suis convaincu que je peux entendre cette affaire, statuer avec équité et impartialité et paraître agir ainsi. Par conséquent, la requête en récusation est rejetée.

C.  La requête en production

[17]  Le défendeur sollicite la production par le procureur général de tous les documents relatifs au consentement donné par ce dernier à la présente requête visant la déclaration de plaideur quérulent. Il prétend qu’il y a fraude. Il n’a pas le moindre élément de preuve. Cette requête est rejetée.

D.  Une déclaration de plaideur quérulent est-elle justifiée en l’espèce?

[18]  L’objet de la législation en matière de poursuites vexatoires et les principes qui sous-tendent la déclaration de plaideur quérulent ont été exposés dans de nombreuses affaires récentes : voir par exemple l’arrêt Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, [2018] 2 R.C.F. 328, que complète l’arrêt Simon c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 28.

[19]  Nous devons aborder des questions d’ordre général : Olumide, paragraphes 17 à 24, 27 et 31; Simon, paragraphes 9, 10 et 26; Bernard c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 144, au paragraphe 16. L’encadrement supplémentaire qui découle de la déclaration de plaideur quérulent est-il nécessaire? Le prononcé de l’ordonnance respecte-t-il l’objet de la législation en matière de poursuites vexatoires? Le plaideur est-il incontrôlable ou nuisible au système judiciaire et à ses participants au point qu’il est justifié de lui imposer l’obligation d’obtenir une autorisation pour exercer tout nouveau recours?

[20]  Dans l’examen de ces questions générales, la Cour place le droit légitime du défendeur d’ester en justice au premier plan. De plus, la Cour veille à bien distinguer le plaideur non représenté tenace à qui il faut offrir de l’aide du plaideur quérulent : Simon, paragraphes 13 à 16. Comme le montre la jurisprudence, les deux sont très différents.

[21]  La Cour doit répondre à ces questions d’ordre général à la lumière de la preuve qui lui est présentée. Dans le cas d’une demande visant à faire déclarer quérulent un certain plaideur, le dossier de preuve déborde en général les seuls documents déposés par le demandeur parce que la Cour peut prendre connaissance d’office de ses propres jugements, ordonnances, motifs et directives concernant le défendeur : Olumide, paragraphe 11; Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 241, paragraphe 29; Craven v. Smith (1869), L.R. 4 Ex. 146. Le défendeur dispose de tous ces documents.

[22]  En l’espèce, la Cour doit répondre aux questions d’ordre général par l’affirmative : l’encadrement supplémentaire qui découle de la déclaration de plaideur quérulent est nécessaire, le prononcé de l’ordonnance respecte l’objet de la législation en matière de poursuites vexatoires et le plaideur est incontrôlable ou nuisible au système judiciaire et à ses participants au point qu’il est justifié de lui imposer l’obligation d’obtenir une autorisation pour exercer tout nouveau recours. Par conséquent, la Cour déclarera, par voie d’ordonnance, que le défendeur est un plaideur quérulent.

[23]  Tout d’abord, deux autres tribunaux ont déclaré que le défendeur est un plaideur quérulent; la Cour fédérale l’a fait le 1er novembre 1999 et la Cour supérieure du Québec, le 30 mai 2000. Ces conclusions sont recevables devant notre Cour. Le défendeur se voit ainsi imposer le fardeau tactique ou le fardeau de preuve (qui n’est pas un fardeau de persuasion) de démontrer que sa conduite devant notre Cour a été différente : Olumide, paragraphes 37 et 38. Le défendeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[24]  Dans l’ensemble, le défendeur gaspille indûment par sa conduite les ressources à la disposition des plaideurs et de la Cour : Olumide, paragraphe 22.

[25]  Les plaideurs qu’il s’avère nécessaire d’encadrer par une déclaration de plaideur quérulent montrent souvent certains signes associés à la quérulence : voir Olumide, aux paragraphes 30 à 36, et la jurisprudence citée dans cet arrêt. Yves-Marie Morissette nous propose une liste utile de ces signes dans Abus de droit, quérulence et parties non représentées (2003) 49 R.D. McGill 23. Voir l’analyse de ces signes et d’autres caractéristiques dans les décisions Antoun c. Montréal (Ville de), 2016 QCCA 1731, au paragraphe 39, et Mazhero c. CBC Radio-Canada, 2013 QCCS 4682, au paragraphe 46.

[26]  Le défendeur montre de manière marquée de nombreux signes de quérulence :

  • l’introduction d’instances dont le bien-fondé est douteux, voire inexistant;

  • les tentatives répétées d’interjeter appel du refus par la Cour fédérale d’entendre les affaires que cette Cour ne l’avait pas autorisé à intenter, en contravention au paragraphe 40(5) de la Loi sur les Cours fédérales : voir les dossiers 18-A-38, A-274-13, A-367-14;

  • les allégations dénuées de fondement et excessives de partialité, d’illégalité, d’incompétence et de fraude visant des membres de la Cour et la répétition de ces allégations pourtant rejetées : voir les dossiers A-338-13, A-387-18, A-229-17;

  • les tentatives de dépôt de documents non conformes aux Règles des Cours fédérales;

  • les appels, souvent non étayés de motifs valables, concernant les refus de la Cour fédérale à le dispenser des droits de dépôt : voir les dossiers A-229-17, 18-A-38, A-367-14 et A-458-16;

  • une abondance de requêtes et autres actes de procédure irrecevables, dont des remises en litige de questions déjà tranchées;

  • l’envoi sans intermédiaire de courriels indus aux officiers judiciaires et parfois même aux juges;

  • le défaut de paiement de tous les dépens adjugés;

  • une hostilité à l’idée d’avoir tort et le dénigrement de tous ceux qui ne partagent pas son avis; un tel narcissisme contribue à son caractère incontrôlable.

[27]  Le défendeur a tendance à tenter de diriger l’instruction en déposant de multiples requêtes remplies d’invectives, en semant la confusion et en tentant de manipuler et d’intimider les décideurs objectifs : voir Fabrikant no 2, au paragraphe 19.

[28]  Le défendeur a souvent recours à une autre tactique de manipulation; il sollicite d’abord une ordonnance le dispensant des droits de dépôt dans une nouvelle instance au bien-fondé douteux. Ensuite, lorsqu’un juge bienveillant la lui accorde à la lumière de cette seule requête, il affirme que le juge doit avoir jugé que l’instance avait un certain fondement. Enfin, lorsqu’un autre juge rejette l’instance pour absence de fondement, le défendeur accuse le juge d’illégalité, le plus souvent dans le cadre d’une requête en réexamen non fondée.

[29]  Récemment, notre Cour a essayé d’encadrer le comportement du défendeur au moyen d’une ordonnance devant limiter les instances intentées par ce dernier : Fabrikant no 1, voir aussi Fabrikant c. Canada (Attorney General), 2009 QCCA 1006, ayant imposé des restrictions semblables. Bien qu’il ne semble pas avoir manqué à l’ordonnance d’encadrement, le défendeur n’y a pas réagi de manière constructive, car le nombre de requêtes et de communications indues qu’il a adressées au greffe va en augmentant. Une déclaration de plaideur quérulent fournira un encadrement supplémentaire, à la fois nécessaire et justifié.

E.  Les erreurs dans les rapports entre la Cour et le défendeur

[30]  Le défendeur tente de justifier ses instances à l’encontre de l’interdiction prévue au paragraphe 40(5) de la Loi sur les Cours fédérales en signalant que certains juges de notre Cour ont tout de même autorisé erronément ces instances. Et il signale que de nombreux juges ont considéré ses requêtes en dispense des droits de dépôt. Il ajoute que certains juges ont accueilli ses requêtes, même dans des cas où le litige était irrecevable.

[31]  Si le défendeur est en train de suggérer que notre Cour aurait en quelque sorte cautionné son comportement, il se fourvoie complètement.

[32]  Le défendeur a raison lorsqu’il remarque que certains juges de notre Cour ont commis des erreurs à l’occasion. Ces erreurs, cependant, n’aident pas le défendeur; en fait, dans bien des cas, c’est la conduite vexatoire du défendeur qui est à l’origine de ces erreurs.

[33]  Certaines erreurs sont attribuables à la nature et à la fréquence des envois pour dépôt du défendeur. De même, il est compréhensible que, lors d’un premier contact avec un plaideur qui est quérulent, mais n’a pas encore été déclaré tel, certains juges prennent un certain temps avant de se mettre sur leurs gardes. Il est aussi compréhensible que des juges, devant la conduite non conventionnelle d’un plaideur, mettent un certain temps à concevoir, à établir et à adopter la bonne approche : voir, p. ex., l’arrêt Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 206, où notre Cour, après avoir statué sur une série de requêtes visant la dispense de droits de dépôt, s’est donnée pour règle de vérifier d’abord que l’instance sur le fond n’est pas vouée à l’échec.

[34]  Les erreurs peuvent aussi se produire pour d’autres raisons. Certaines sont attribuables au procureur général. En effet, parfois il n’a pas réagi aux actes de procédure déposés par le défendeur, ce qui a eu pour effet de priver la Cour d’une aide très utile. De plus, les erreurs sont inévitables lorsque le tribunal est engorgé et manque de ressources. En effet, depuis presque vingt ans, le nombre de juges au sein de notre Cour est demeuré le même, alors que la difficulté, la taille et la complexité de la charge de travail ont considérablement augmenté. La charge de travail pourrait diminuer si le procureur général demandait plus souvent et plus rapidement une déclaration de plaideur quérulent lorsque celle-ci est justifiée. Mais, trop souvent, il ne le fait pas et, pourrait-on soutenir, manque à son devoir légal de « [voir aux] intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige où ils sont parties » : Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, ch. J-2, alinéa 5d).

[35]  Ces observations n’enlèvent rien au fait que le défendeur est un plaideur quérulent. Le plaideur sera déclaré quérulent par voie d’ordonnance.

F.  Accès possible du défendeur à la Cour

[36]  Comme la Cour le dit dans l’arrêt Olumide et dans bien d’autres affaires, l’ordonnance ne bloque pas l’accès aux tribunaux au plaideur qui a été déclaré quérulent, elle ne fait qu’en contrôler l’accès. Un plaideur quérulent qui a un motif valable pour ester ou faire renaître une instance après désistement peut le faire après avoir obtenu l’autorisation du tribunal, lequel lui imposera peut-être des conditions pour veiller au bon déroulement de l’instruction.

[37]  Le critère applicable lorsqu’il s’agit d’autoriser une instance ou la reprise d’une instance est formulé dans les arrêts Olumide, au paragraphe 29, Simon, au paragraphe 12, Bernard, au paragraphe 26 et Canada (Procureur général) c. Klippenstein, 2017 CAF 115, au paragraphe 12. Pour obtenir l’autorisation de rétablir une instance après désistement, le plaideur quérulent pourrait également être tenu de respecter d’autres critères au sujet du désistement lui-même : voir, p. ex., Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, [2016] 4 R.C.F. 268; Holterman v. Fish, 2017 ONCA 769; Naboulsi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 916.

[38]  Le défendeur est détenu dans un pénitencier fédéral. Pour faciliter son accès à la Cour, uniquement dans les situations permises, la Cour l’autorise à signifier et à déposer des documents par télécopieur.

G.  Dossiers en attente

[39]  Le procureur général demande qu’il soit mis fin aux instances intentées par le défendeur devant notre Cour. Le paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales autorise la mesure.

[40]  Avant l’audience, j’ai explicitement demandé aux deux parties d’aborder la clôture des dossiers d’instances intentées par le défendeur. Les parties se sont exécutées.

[41]  À présent, le seul autre dossier devant notre Cour est l’appel interjeté dans le dossier A-229-17. En application des principes issus de l’arrêt Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143, notre Cour a suspendu l’appel dans le dossier A-229-17 en attendant que la présente demande soit tranchée : voir l’ordonnance du 1er avril 2019.

[42]  La Cour a examiné l’appel dans le dossier A-229-17 et a pris en considération les observations des parties. Elle en conclut qu’il faut mettre fin à l’appel et clore le dossier.

[43]  En tirant cette conclusion, la Cour a envisagé la situation hypothétique suivante : si le défendeur, à titre de plaideur quérulent, avait demandé l’autorisation d’interjeter appel dans le dossier A-229-17, la Cour la lui aurait-elle accordée? Vu la nature de la réparation demandée, son bien-fondé et l’objet de la législation en matière de poursuite vexatoire, la réponse est non. De plus, selon la Cour, il n’est pas dans l’intérêt de la justice que l’instance se poursuive.

H.  Libellé de la déclaration de plaideur quérulent

[44]  Il est possible de prononcer divers types d’ordonnances visant un plaideur quérulent. Il faut rédiger soigneusement l’ordonnance de façon à protéger le droit légitime du plaideur quérulent d’ester en justice tout en protégeant le plus possible la Cour et ses justiciables : voir les objectifs examinés dans l’arrêt Olumide, aux paragraphes 17 à 34.

[45]  Dans les cas semblables à l’espèce, une déclaration de plaideur quérulent doit viser les objectifs suivants :

  • Interdire au plaideur quérulent d’intenter une poursuite en personne ou par le ministère d’un représentant et d’aider un autre plaideur.

  • Décider s’il y a lieu de mettre fin aux autres instances du plaideur quérulent; si c’est le cas, exposer la façon par laquelle il sera possible de les faire revivre et instruire.

  • Éviter que le greffe perde son temps en communications inutiles et à traiter des actes de procédure irrecevables.

  • Permettre d’ester devant la Cour sur autorisation, uniquement dans les circonstances restreintes permises par loi lorsque c’est nécessaire et que le défendeur a respecté les règles de procédure et les ordonnances antérieures de la Cour, auquel cas, il faut veiller à ce que les intéressés aient la possibilité de présenter leurs observations.

  • Donner au greffe le pouvoir de prendre rapidement des mesures administrativement simples pour la protection du greffe, de la Cour et des autres justiciables contre les comportements vexatoires.

  • Protéger le pouvoir de la Cour d’apporter des modifications ultérieures à l’ordonnance s’il y a lieu, mais seulement en conformité avec les principes d’équité procédurale.

  • Veiller à ce que les autres jugements, ordonnances et directives demeurent applicables, dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec l’ordonnance.

[46]  Il peut être difficile et long d’atteindre tous ces objectifs par le truchement d’un seul jugement ou d’une seule ordonnance, surtout si on en rédige le texte pour la première fois. L’expérience démontre que certains plaideurs quérulents feront de leur mieux pour contourner l’ordonnance déclaratoire : voir notamment l’arrêt Virgo c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 167. La Cour qui rend une telle ordonnance doit anticiper et prévenir toutes les voies illégitimes. En outre, la faculté de la Cour de durcir son ordonnance au besoin et de punir les manquements tout en préservant les droits issus de l’équité procédurale doit être protégée.

[47]  Comme la présente est une demande, c’est un jugement plutôt qu’une ordonnance qui sera rendu. Le texte juridique du jugement est forcément compliqué. Cependant, pour la gouverne du défendeur, le jugement atteindra tous les objectifs fixés au paragraphe 45 des présents motifs. Pour l’essentiel, la faculté d’ester du défendeur à la Cour est restreinte, et les communications avec le greffe sont limitées aux seules instances définies au paragraphe 4(2) du jugement.

[48]  Il faut échanger avec d’autres juridictions sur les moyens utiles de traiter les plaideurs quérulents. À cet égard, la Cour aimerait reconnaître les travaux innovants réalisés dans ce domaine par les autres tribunaux, notamment ceux de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta : voir p. ex. Unrau v. National Dental Examining Board, 2019 ABQB 283 (décision du juge en chef adjoint Rooke).

I.  La demande supplémentaire du défendeur

[49]  Lors de l’audience sur la présente demande, le défendeur a demandé à recevoir l’enregistrement sonore de l’audience. Je vais émettre une directive pour permettre au greffe de communiquer avec le défendeur à cette seule fin. Pour obtenir cet enregistrement, le défendeur devra satisfaire aux exigences de la directive en matière de pratique de notre Cour.

J.  Dispositif

[50]  La demande du procureur général sera accueillie. Le texte du jugement qui sera rendu est mis en annexe des présents motifs. Le procureur général n’a pas sollicité les dépens, et aucune ordonnance en la matière n’est rendue.

« David Stratas »

j.c.a.


ANNEXE

JUGEMENT

ATTENDU QUE le demandeur sollicite une déclaration de plaideur quérulent à l’égard du défendeur et des mesures accessoires;

ATTENDU QUE le défendeur a présenté une requête en récusation et en production de documents par le demandeur et que les requêtes n’ont aucun bien-fondé, comme il est expliqué dans les motifs du jugement publiés en même temps que le présent jugement;

ATTENDU QUE la Cour a reçu et pris en considération le dossier de requête, le dossier de réponse et les plaidoiries des parties;

ATTENDU QUE les mesures sollicitées par le demandeur sont nécessaires, indiquées et justes vu les circonstances de l’affaire, comme il est expliqué dans les motifs du jugement;

ATTENDU QUE le présent jugement sert à réaliser les objectifs énoncés au paragraphe 45 des motifs du jugement et qu’il doit être interprété à l’avenant;

NOTRE COUR rejette les requêtes, accueille la demande et ordonne :

Déclaration de plaideur quérulent et interdictions

  1. Le défendeur est déclaré plaideur quérulent devant notre Cour et ne peut pas :

  • 1) ester devant notre Cour, que ses intérêts soient représentés par lui-même ou par un autre individu, sauf dans les circonstances que prévoient le présent jugement ;

  • 2) aider ou représenter autrui dans toute instance devant notre Cour.

Dossiers en attente

  1. Il est mis fin aux instances, quelles qu’elles soient, que le défendeur a introduites devant notre Cour et dont la Cour est saisie, notamment le dossier A-229-17 (les « dossiers touchés »), y compris les requêtes sur lesquelles il n’a pas été statué, et les dossiers touchés sont clos.

  • 2) Le greffe dépose une copie du présent jugement et des motifs du jugement dans tous les dossiers touchés et fait parvenir une copie de ceux-ci à toutes les parties concernées.

  • 3) Les instances auxquelles il est mis fin en application du présent paragraphe (« instances closes ») ne sont rétablies que si une requête satisfaisant à l’alinéa 4(2)c) du présent jugement est accueillie et que, pour ce qui est des instances closes :

  • a) il est satisfait à toute nouvelle exigence que le droit impose pour le rétablissement d’instances;

  • b) l’instance à laquelle il est mis fin est une « instance » au sens du paragraphe 4(1) du présent jugement.

  • 4) Un nouveau dossier est ouvert si une instance est rétablie.

Dépôt de documents et communications avec le greffe

  1. Sous réserve de l’article 4 du présent jugement :

  • 1) le greffe rejette les documents, quels qu’ils soient, y compris les actes introductifs d’instance, les actes de procédure, les avis, les avis de requête, les lettres, les télécopies et les bordereaux de télécopie, les courriels et autres documents semblables qui proviennent du défendeur ou sont présentés au greffe par le défendeur, en son nom ou sur ses instructions; le greffe tient un registre des documents rejetés avec la date de rejet et une brève description du document;

  • 2) le greffe peut détruire tout document ainsi rejeté;

  • 3) le greffe n’a pas besoin d’informer le défendeur qu’un document a été rejeté ni en accuser réception; le défendeur doit tenir pour acquis que tout document présenté au greffe a été rejeté conformément au présent article, sauf lorsque le greffe l’informe que le document a été accepté pour dépôt;

  • 4) il est interdit au défendeur ou à une personne agissant en son nom de communiquer de quelque manière que ce soit avec le greffe et notre Cour; à cette fin, le greffe et la Cour peuvent ajouter le défendeur à leur liste d’expéditeurs de courriels bloqués et raccrocher en cas de communication téléphonique.

Autorisation d’ester ou de faire renaître une instance

  1. Dans le présent article, « instance » s’entend :

  • a) d’un appel interjeté devant notre Cour en application de l’article 27 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, concernant une ordonnance ou un jugement rendu par l’une ou l’autre des cours suivantes :

  • (i) la Cour canadienne de l’impôt;

  • (ii) la Cour fédérale pour toute instance engagée avec l’autorisation de cette cour, sauf les instances suivantes :

  • (A) les ordonnances refusant l’autorisation d’intenter une nouvelle instance ou de reprendre une instance à laquelle il a été mis fin;

  • (B) l’ordonnance tranchant une requête préalable à une instance, notamment celle qui sollicite la dispense des exigences de dépôt (p. ex. : les droits de dépôt), porte sur une question de signification ou vise à prolonger un délai;

  • b) d’une demande présentée à notre Cour en application de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales;

  • c) d’une requête présentée à notre Cour :

  • (i) qui est préalable à l’appel visé à l’alinéa 4(1)a) ou à la demande visée à l’alinéa 4(1)b), entre autres les requêtes sollicitant la dispense des exigences de dépôt (p. ex. : les droits de dépôt), portant sur la signification ou visant à prolonger un délai, sauf la requête définie à l’alinéa 4(2)c);

  • (ii) visant à faire modifier ou révoquer le présent jugement, sauf la requête sollicitant un réexamen ou un sursis du présent jugement en application des articles 397 à 399 des Règles des Cours fédérales ou de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales.

  • 2) Le paragraphe 1(1) et l’article 3 du présent jugement ne s’appliquent pas aux actes de procédure suivants :

  • a) les instances dans lesquelles le défendeur a été désigné à titre de partie;

  • c) une requête par écrit dans laquelle le défendeur sollicite l’autorisation de la Cour aux termes de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales pour engager une instance ou faire renaître une instance à laquelle il a été mis fin, pourvu que le dossier à l’appui de la requête :

  b)  une instance engagée ou à laquelle il a été mis fin et reprise sur l’autorisation de notre Cour;

  • (i) respecte entièrement le présent jugement, les ordonnances ou directives émises par notre Cour, les textes législatifs (notamment la Loi sur les Cours fédérales et les Règles des Cours fédérales) et les exigences en matière de dépôt;

  • (ii) affiche un intitulé qui indique le nom du défendeur et non pas ses initiales, un autre ordre de noms ou un pseudonyme;

  • (iii) contient, dans le cas d’une requête en autorisation d’intenter une instance, un avis de requête conforme assorti d’une annexe A dans laquelle figure le document destiné à intenter l’instance; un « document destiné à intenter l’instance » signifie selon le cas :

  (A)  un avis d’appel;

  • (B) un avis de demande;

  • (C) un avis de requête et tout acte introductif d’instance que le défendeur voudrait déposer ou obtenir;

  • (iv) contient une déclaration sous serment conforme qui précise les éléments suivants :

  • (A) les faits et circonstances concernant l’instance proposée ou l’instance à laquelle il a été mis fin démontrant qu’il ne s’agit pas d’un abus de procédure et qu’il existe des motifs raisonnables justifiant l’instance;

  • (B) le solde des dépens non réglés auxquels le défendeur avait été condamné et, dans le cas d’un non-paiement ou d’un paiement partiel, les motifs du défaut;

  • (v) contient les observations écrites relatives à la plainte;

  • (vi) contient une copie du présent jugement et de tout autre jugement ou de toute ordonnance qui le modifie.

  • 3) Précisons que, malgré l’article 3 du présent jugement, le greffe :

  • a) informe le défendeur que l’acte introductif d’instance visé à l’alinéa 4(2)b) ou le dossier de requête visé à l’alinéa 4(2)c) a été accepté pour dépôt ou délivré, selon le cas, ou dans le cas contraire, en explique le rejet;

  • b) peut, lorsque les actes prévus aux alinéas 4(2)b) ou c) sont acceptés pour dépôt ou lorsque la situation prévue à l’alinéa 4(2)a) se produit, traiter avec le défendeur par la suite comme il le ferait avec tout autre justiciable devant la Cour.

  • 4) Lorsqu’elle autorise le défendeur à engager une instance ou à reprendre une instance à laquelle il a été mis fin, la Cour peut inclure les conditions indiquées, notamment le dépôt d’un cautionnement pour dépens et le paiement des dépens non encore réglés.

  • 5) Le défendeur ne peut demander par voie de requête ni solliciter un réexamen ou la modification d’une ordonnance, d’une directive ou d’une décision, quelles qu’elles soient, rendues aux termes des articles 3 et 4 du présent jugement; le seul recours du défendeur sera alors d’exercer les droits d’appel devant un autre tribunal; le greffe rejette alors toute requête ou demande, conformément à l’article 3 du présent jugement.

  • 6) Tant que le défendeur demeure détenu au pénitencier, il a le loisir de signifier et de déposer des documents par télécopieur pour l’instruction d’une instance autorisée par le présent article.

  • 7) Dans les cas où il aurait des doutes sur la recevabilité document, le greffe, à son entière discrétion, peut demander une décision de la Cour en application de l’article 72 des Règles.

Pouvoirs intacts et pouvoirs discrétionnaires

  1. Rien dans le présent jugement empêche, restreint ou modifie :

  • 1) la modification ou la révocation du présent jugement par la Cour de sa propre initiative ou sur requête d’une partie dans une instance à laquelle est partie le défendeur;

  • 2) l’introduction, l’instruction ou le règlement d’une requête pour outrage au tribunal;

  • 3) le prononcé de directives et d’ordonnances concernant l’application de jugements, d’ordonnances et de directives ou l’observation de ces jugements, ordonnances et directives par le défendeur;

  • 4) le prononcé de directives ou d’ordonnances par la Cour concernant le défendeur ou l’instruction de toute affaire à laquelle il est partie;

  • 5) le pouvoir de la Cour de rejeter sommairement des instances pour absence de bien-fondé ou en raison d’un vice fatal ou d’un abus de procédure;

  • 6) le respect et l’application de tout droit issu de l’équité procédurale qu’a le défendeur dans une affaire dans laquelle sa participation est autorisée ou dans une affaire visée par le présent article qui touche le défendeur.

Autres directives, ordonnances et jugements

  1. Toute directive, toute ordonnance et tout jugement concernant le défendeur et ses instances intentées demeure en vigueur dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le présent jugement.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-387-18

DEMANDE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES, L.R.C. 1985, ch. F-7

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DR. V.I. FABRIKANT

 

 

LIEUX DE LA VIDÉOCONFÉRENCE :

Ottawa (Ontario), Montréal (Québec) et Sainte-Anne-des-Plaines (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 juillet 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Ian Demers

 

Pour le demandeur

 

Dr. V.I. Fabrikant

 

POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Pour le demandeur

 

 

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