Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190709


Dossier : A-69-18

Référence : 2019 CAF 203

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

TETRA TECH EBA INC.

appelante

et

GEORGETOWN RAIL EQUIPMENT COMPANY

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 janvier 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20190709


Dossier : A-69-18

Référence : 2019 CAF 203

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

TETRA TECH EBA INC.

appelante

et

GEORGETOWN RAIL EQUIPMENT COMPANY

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

En blanc/Blank

Paragraphe

1.  Le contexte

2

2.  Les parties et le litige

7

3.  La décision de la Cour fédérale

10

4.  Les questions en litige

12

5.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le brevet 082 n'était pas invalide pour cause d'évidence?

15

A.  Le brevet 082

15

B.  L'erreur alléguée

21

C.  Les principes juridiques applicables

24

D.  Les motifs de la Cour fédérale

32

i.  Le travailleur versé dans l'art

32

ii.  Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art

42

iii.  La conclusion de validité

52

E.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur?

62

F.  Conclusion sur le brevet 082

73

6.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur lorsqu'elle a interprété le brevet 249 et a conclu qu'il n'était pas invalide?

74

A.  Le brevet 249

74

B.  Les erreurs alléguées

82

C.  Les principes juridiques applicables

85

D.  Les motifs de la Cour fédérale

90

E.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur?

100

  1. L'interprétation du brevet 249

100

  1. Si on les interprète correctement, les revendications du brevet 249 sont‑elles invalides?

125

F.  Conclusion sur le brevet 249

131

7.  Conclusion et dépens

134

[1]  Le présent appel porte sur la validité et la contrefaçon possible de deux brevets : un brevet décrivant un système et procédé d'examen de voie ferrée (brevet canadien 2 572 082, ou brevet 082) et un brevet décrivant un système et procédé pour déterminer l'abrasion d'appui de rail d'une voie ferrée (brevet canadien 2 766 249, ou brevet 249). Afin de mettre en contexte les questions soulevées par le présent appel, il faut avoir une connaissance générale de la façon dont les voies ferrées sont construites et entretenues.

1.  Le contexte

[2]  Les voies ferrées sont généralement construites sur une couche de base faite de pierre concassée et compactée. Un ballast en gravier est ensuite étendu sur la couche de pierre. Les traverses sont ensuite installées dans le ballast et deux rails d'acier parallèles sont fixés aux traverses à l'aide de crampons. Plus précisément, le patin de chaque rail repose sur une pièce d'acier rectangulaire appelée selle de rail. La selle de rail repose sur la traverse et y est boulonnée. La selle de rail est généralement fixée à la traverse à l'aide de crampons, de vis ou d'attaches. Le rail est fixé à la selle de rail au moyen du crampon. La selle de rail peut alors distribuer la charge du patin du rail à la traverse sous la selle de rail.

[3]  La majorité des traverses utilisées aujourd'hui sont faites de bois. Les traverses ont pour but de maintenir l'espacement entre les rails. Les traverses distribuent également la charge des essieux des trains qui se déplacent sur les rails au ballast sous les traverses et contribuent à amortir l'ensemble de la voie ferrée.

[4]  Au fil du temps, l'environnement entraîne une détérioration des traverses, qui doivent alors être remplacées.

[5]  Pour coordonner le remplacement des traverses et pour établir le nombre de nouvelles traverses à installer, les inspecteurs des voies ferrées tentent d'évaluer régulièrement l'état des traverses et des crampons. Cette évaluation est le plus souvent réalisée au moyen d'une inspection visuelle pour identifier les traverses et les crampons pourris, brisés, fendus ou usés, de sorte qu'ils ne peuvent plus être utilisés.

[6]  Autrefois, un inspecteur marchait le long de la voie pour l'examiner. L'inspecteur prenait des mesures pour évaluer et consigner l'état des rails et des crampons. Le processus demandait beaucoup de temps.

2.  Les parties et le litige

[7]  L'intimée, Georgetown Rail Equipment Company, est titulaire des deux brevets canadiens susmentionnés.

[8]  L'appelante, Tetra Tech EBA Inc., est une concurrente de Georgetown dans le domaine de systèmes automatiques d'inspection des voies ferrées au Canada. Tetra a mis au point un système d'inspection des voies ferrées appelé « Three Dimensional Track Assessment System » (système d'évaluation des voies ferrées à trois dimensions, ou 3‑D TAS).

[9]  Georgetown a intenté une action à l'encontre de Tetra, alléguant que le système 3‑D TAS contrefaisait les deux brevets de Georgetown. Tetra a contesté l'action, soutenant que le système 3‑D TAS ne contrefaisait aucun brevet. Elle a également déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle soutenait que les deux brevets de Georgetown étaient invalides au motif qu'à leurs dates de priorité respectives, les inventions étaient évidentes pour une personne versée dans l'art ou la science dont relèvent les brevets.

3.  La décision de la Cour fédérale

[10]  Pour les motifs dont la référence est 2018 CF 70, la Cour fédérale a conclu que les brevets n'étaient pas invalides pour cause d'évidence. La Cour fédérale a ensuite conclu que les éléments essentiels de chaque brevet étaient présents dans le système 3‑D TAS, ce qui signifie que la vente du système par Tetra au Canadien National et l'entretien de ce système contrefaisaient les deux brevets. La Cour fédérale n'a formulé aucune conclusion concernant la réparation puisque, conformément à une ordonnance de scission, la Cour fédérale n'était saisie que de la question de la responsabilité.

[11]  Tetra interjette appel de la décision de la Cour fédérale.

4.  Les questions en litige

[12]  Bien que les parties soulèvent un certain nombre de questions, je dirais que les questions déterminantes soumises à notre Cour sont les suivantes :

  1. La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le brevet 082 n'était pas invalide pour cause d'évidence?

  2. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a interprété le brevet 249 et a conclu qu'il n'était pas invalide?

[13]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur de droit puisqu'elle n'a pas analysé et examiné la façon dont la personne versée dans l'art aurait appliqué les connaissances générales courantes aux antériorités. Si la Cour fédérale l'avait fait, elle aurait conclu qu'une personne versée dans l'art aurait pu passer des antériorités aux revendications du brevet 082 en ayant uniquement recours aux connaissances générales courantes établies par la Cour.

[14]  Je conclus également que la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu que l'application d'un facteur de correction d'inclinaison n'était pas un élément essentiel des revendications du brevet 249 en cause. Toutefois, la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les revendications en cause à l'égard de la contrefaçon, soit les revendications 7, 11 et 18 du brevet 249, n'étaient pas invalides pour cause d'évidence.

5.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le brevet 082 n'était pas invalide pour cause d'évidence?

A.  Le brevet 082

[15]  Le brevet 082 est intitulé « Système et procédé d'examen de voie ferrée ».

[16]  Le paragraphe 0003 de la section [TRADUCTION] « Contexte de l'invention » précise ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] les inspecteurs de voies ferrées tentent d'évaluer régulièrement l'état des traverses et des crampons. Cette évaluation est habituellement réalisée au moyen d'une inspection visuelle pour détecter les traverses et les crampons qui sont pourris, brisés, fendus ou usés, de sorte qu'ils ne peuvent plus être utilisés. L'inspection visuelle demande du temps. En pratique, l'inspection de la voie est exécutée par un inspecteur qui marche le long de la voie pour inspecter et constater la condition des crampons et des traverses, qui sont espacées d'approximativement 20 pouces le long de la voie. Selon une société de chemins de fer nord‑américaine, une équipe de trois ou de quatre inspecteurs est en mesure d'examiner seulement de cinq à sept milles de la voie par jour.

[17]  La section [TRADUCTION] « Résumé de la divulgation » du brevet 082 décrit un système et procédé d'examen de voie ferrée :

[TRADUCTION]

[...] Le système divulgué comprend des lasers, des lentilles et un processeur. Les lasers sont placés à côté de la voie. Le laser émet un faisceau lumineux à travers la voie ferrée, et la lentille saisit des images de la voie ferrée exposée au faisceau lumineux. Le processeur transforme les images en un format qui fait qu'elles peuvent être analysées afin d'établir diverses mesures de la voie ferrée. Le système divulgué peut comprendre un récepteur GPS ou un dispositif à distance permettant d'établir l'endroit précis. Les mesures qui peuvent être établies à l'aide du système divulgué comprennent notamment la distance entre les traverses, l'angle des traverses par rapport au rail, les fissures et les défauts sur la surface des traverses, les selles de rail manquantes, les selles de rail mal alignées, les selles de rail enfoncées, les crampons manquants, les crampons endommagés, les crampons mal alignés, les isolateurs usés ou endommagés, l'usure du rail, l'écartement, la hauteur du ballast par rapport aux traverses, la taille des pierres du ballast et une rupture ou une séparation du rail. Le système comprend au moins un algorithme permettant d'établir ces mesures de la voie ferrée.

(Non souligné dans l'original)

[18]  Le vice de rail décrit comme des [TRADUCTION] « selles de rail enfoncées » est pertinent en l'espèce puisqu'il se rapporte au brevet 082. Le brevet ne fournit aucune définition ou explication des expressions « selles de rail » et « selles de rail enfoncées ». L'expert de Georgetown, M. Harley Myler, a expliqué qu'une selle de rail est enfoncée quand la traverse au‑dessous d'elle a été usée de sorte que la surface inférieure de la selle de rail se trouve sous la surface adjacente de la traverse (pièce P004, dossier d'appel, page 449). L'explication de M. Myler concernant le sens du terme « selle de rail enfoncée » n'est pas en litige.

[19]  Le brevet 082 résume un certain nombre de modes de réalisation de l'invention divulguée. Le brevet donne ensuite une description détaillée de modes de réalisation précis, qu'il faut interpréter en tenant compte des illustrations qui y sont jointes. Les 80 revendications du brevet suivent.

[20]  Le brevet 082 reconnaît ce qui suit :

  • l'inspection des voies ferrées n'est pas une activité nouvelle, et la plupart des inspections étaient effectuées visuellement (au paragraphe 0003);

  • des dispositifs utilisés pour inspecter les rails faisaient partie de l'état de la technique, ainsi que des logiciels utilisés pour analyser et organiser les données obtenues au moyen de ces dispositifs (au paragraphe 0004);

  • des systèmes d'inspection des rails faisaient partie de l'état de la technique; on renvoie à un système qui examine les installations des voies ferrées et à un autre qui mesure l'écartement des rails à l'aide de lasers (au paragraphe 0005);

  • une fois qu'un système avait saisi des images et produit une représentation tridimensionnelle du lit de la voie, on peut avoir recours à des techniques connues pour déterminer la présence ou l'absence d'une traverse dans l'image (au paragraphe 0046), les angles de la traverse par rapport au rail (au paragraphe 0047) et l'existence d'une rupture de rail (au paragraphe 0049);

  • des techniques permettant d'établir un endroit assez précis et un moment faisaient partie de l'état de la technique (au paragraphe 0037).

B.  L'erreur alléguée

[21]  Tetra allègue que le brevet 082 est invalide parce que l'objet de la revendication aurait été évident pour une personne versée dans l'art à la date de priorité du brevet.

[22]  Georgetown répond ce qui suit :

  • la Cour fédérale a conclu que la personne versée dans l'art n'était pas une personne ayant une connaissance pratique des voies ferrées et des techniques d'inspection des voies;

  • bien que les vices comme une selle de rail rompue ou une abrasion de l'appui de rail soient des vices connus des « personnes du milieu ferroviaire », la Cour n'a pas conclu que ces vices faisaient partie des connaissances générales courantes d'une personne versée dans l'art.

[23]  Comme l'a démontré la réponse de Georgetown aux allégations d'invalidité, les éléments au cœur du litige sont les conclusions de la Cour fédérale concernant les compétences de la personne versée dans l'art et les connaissances générales courantes que possède cette personne.

C.  Les principes juridiques applicables

[24]  Avant d'examiner les motifs de la Cour fédérale, il est utile de se rappeler que les brevets ne s'adressent pas aux membres ordinaires du public. Ils s'adressent plutôt à une personne versée dans l'art en cause (Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 44). Cela reflète l'alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, qui dispose que le mémoire descriptif doit notamment :

[...] exposer clairement les diverses phases d'un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d'utilisation d'une machine, [...] dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention [...] de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention;

(Non souligné dans l'original)

[25]  Dans l'arrêt Free World Trust, la Cour suprême a adopté, au paragraphe 44, la description suivante d'un travailleur qualifié versé dans l'art :

[TRADUCTION]

[...] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l'art dont relève l'invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée.

[26]  L'identification de la personne ordinaire versée dans l'art devrait être conforme au mémoire descriptif du brevet (Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, au paragraphe 90, conf. (mais non sur ce point) par 2007 CAF 217).

[27]  Ce sont les « connaissances usuelles » que partagent les « travailleurs moyens » compétents qui sont déterminantes aux fins de l'interprétation (Free World Trust, paragraphe 44).

[28]  La somme des connaissances courantes que possède la personne hypothétique normalement versée dans l'art comprend ce qu'on peut légitimement s'attendre à ce qu'elle sache et soit capable de trouver (Novopharm Ltd c. Janssen‑Ortho Inc. (C.A.F.), précité, au paragraphe 25).

[29]  La pertinence des connaissances générales courantes est la suivante : si l'écart entre l'idée originale et l'état de la technique peut être franchi par une personne versée dans l'art à l'aide de ses seules connaissances générales courantes, « l'invention » est évidente (Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c. SNF Inc., 2017 CAF 225, [2018] 3 R.C.F. F‑1, au paragraphe 62, qui renvoie à Société Bristol‑Myers Squibb Canada c. Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76, au paragraphe 65).

[30]  Dans Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 71, le juge Rothstein, s'exprimant au nom de la Cour, a expliqué que si les faits démontraient que l'inventeur est parvenu « à l'invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l'art antérieur et des connaissances générales courantes », cela pourrait étayer une conclusion d'évidence. Il en est ainsi parce que cette démarche laisserait penser qu'une personne versée dans l'art n'utilisant que les connaissances générales courantes et les antériorités aurait agi de même et aurait obtenu le même résultat.

[31]  Après ce bref examen des principes juridiques pertinents, je vais maintenant me pencher sur les motifs de la Cour fédérale, en particulier les conclusions de la Cour fédérale sur les compétences du travailleur versé dans l'art et les connaissances générales courantes que possède le travailleur versé dans l'art.

D.  Les motifs de la Cour fédérale

i.  Le travailleur versé dans l'art

[32]  La Cour fédérale a reçu le témoignage d'experts concernant les qualités que possède le travailleur hypothétique versé dans l'art.

[33]  M. Myler, l'expert de Georgetown, a fait valoir ce qui suit :

[TRADUCTION]

28.  À mon avis, ces brevets s'adressent à un ingénieur électricien ou un ingénieur informaticien possédant au moins trois ans d'expérience de travail avec des systèmes de traitement des images ou ayant une maîtrise, et ayant une connaissance suffisante des voies ferrées et des techniques d'inspection des voies ferrées.

[34]  L'expert présenté par Tetra, Sébastien Parent, a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

21.  À mon avis, le destinataire du brevet 082 est une personne titulaire d'un diplôme en génie ou en physique et possédant une expérience de 5 à 7 ans dans le domaine des systèmes de visionique.

22.  Je dirais que la personne versée dans l'art visée par le brevet 249 serait également une personne titulaire d'un diplôme en génie ou en physique, mais ayant moins d'expérience pratique, compte tenu de l'application plus restreinte de ce brevet et du fait que de plus en plus de renseignements sont devenus connus dans le domaine de la visionique entre les dates de publication du brevet 082 et du brevet 249.

[35]  Ni l'un ni l'autre des experts n'a lié son opinion sur les qualités que possède le travailleur versé dans l'art au libellé des mémoires descriptifs des brevets.

[36]  Après avoir fait remarquer que la « différence essentielle » entre les thèses des parties était la mesure dans laquelle la personne versée dans l'art « doit avoir une connaissance pratique des techniques d'inspection des voies ferrées » (au paragraphe 66 des motifs), la Cour fédérale a conclu qu'elle préférait la formulation de l'expert de Tetra des qualités de la personne versée dans l'art. Au paragraphe 67, la Cour fédérale a souligné ce qui suit :

[...] Toutes les revendications des brevets 082 et 249 sont fondées sur la vision industrielle [la visionique]. Il s'ensuit que la personne versée dans l'art doit comprendre l'utilisation de la vision industrielle pour inspecter les surfaces. Le brevet parle de [TRADUCTION] « boîtes à outils » et de « logiciels connus », tous deux pouvant potentiellement englober la vision industrielle et le traitement d'images au‑delà du contexte des chemins de fer. En fait, le brevet 082 reconnaît que les techniques peuvent s'appliquer à d'autres contextes. Une connaissance des chemins de fer est ainsi accessoire à une connaissance de la façon dont les techniques de vision industrielle peuvent s'appliquer dans différents contextes.

(Non souligné dans l'original)

[37]  Lorsque l'on compare la preuve contradictoire des experts, on constate que la Cour fédérale rejetait l'argument selon lequel la personne hypothétique versée dans l'art ne comprendrait la visionique que dans le cas des voies ferrées.

[38]  Contrairement à l'argument de Georgetown dans le présent appel, la Cour fédérale n'a pas conclu que la personne versée dans l'art n'est pas une personne ayant une connaissance suffisante des voies ferrées et des techniques d'inspection des rails. La personne versée dans l'art possède plutôt une connaissance des voies ferrées qui est « accessoire » (en anglais, « ancillary ») aux connaissances de l'application de la visionique.

[39]  Le mot anglais « ancillary » signifie :

  • [TRADUCTION] « Supplémentaire; subordonné » (Black's Law Dictionary, 9e éd.).

  • [TRADUCTION] « Assurant un soutien essentiel à un service ou une industrie central; associé, secondaire » (Canadian Oxford Dictionary, 2e éd.).

  • [TRADUCTION] « Subalterne, subordonné; auxiliaire, assurant un soutien; maintenant, PARTICULT assurant un soutien ou des services essentiels à une fonction ou une industrie centrale » (Shorter Oxford English Dictionary, 6e éd.).

[40]  Ainsi, à mon avis, la Cour fédérale affirme dans ses motifs que la personne versée dans l'art possède des connaissances suffisantes sur les voies ferrées et les techniques d'inspection des rails pour être en mesure d'appliquer les techniques de la visionique à l'inspection des rails. Cette interprétation est conforme à la conclusion de la Cour fédérale au paragraphe 86, soit que l'« objet principal des brevets 082 et 249 est l'utilisation d'une vision industrielle pour répondre aux défis bien connus associés à l'inspection des voies ferrées » (non souligné dans l'original). La personne versée dans l'art doit comprendre ces difficultés.

[41]  La conclusion de la Cour fédérale est également conforme au libellé du mémoire descriptif du brevet 082. Comme nous l'avons indiqué au paragraphe 17, le brevet 082 comporte une description détaillée des éléments qui peuvent être mesurés à l'aide du système divulgué par le brevet, notamment une liste des vices de rails qui peuvent être détectés. Ces vices comprennent [TRADUCTION] « les selles de rail manquantes, les selles de rail mal alignées, les selles de rail enfoncées ». Puisque ces termes ne sont pas définis ou expliqués dans le brevet 082, il s'ensuit que la personne versée dans l'art doit comprendre le sens des termes utilisés dans le brevet. En l'espèce, il faut que le lecteur versé dans l'art comprenne le sens des vices décrits dans le brevet, notamment les selles de rail enfoncées.

ii.  Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art

[42]  Au procès, l'expert de Tetra a fait valoir que la personne versée dans l'art n'avait pas à être un expert dans le domaine précis auquel les techniques de visionique s'appliquent. La personne versée dans l'art collaborerait plutôt avec le client ou l'utilisateur final afin de déterminer l'objectif du système. La personne versée dans l'art déterminerait ainsi les éléments visuels à analyser.

[43]  En bref, la personne versée dans l'art déterminerait ce que le client désire inspecter et les vices à détecter. La personne examinerait ensuite les techniques d'acquisition d'images existantes qui pourraient atteindre l'objectif du client.

[44]  Au procès, Georgetown a concédé que la personne versée dans l'art connaîtrait les techniques de visionique et les techniques générales utilisées pour balayer les surfaces au moyen de lentilles et d'une source lumineuse. Toutefois, Georgetown n'a pas souscrit à l'affirmation selon laquelle la personne versée dans l'art connaîtrait l'application précise de ces techniques à l'examen de la chaussée, des rues et des chemins de fer (au paragraphe 83 des motifs).

[45]  La Cour fédérale n'a eu « aucune hésitation à adopter l'approche préconisée par Tetra » (au paragraphe 86 des motifs). La Cour fédérale a fait les déclarations suivantes au paragraphe 86 :

[...] Je ne vois aucune raison de restreindre l'appréciation des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art au cadre limité des voies ferrées. L'objet principal des brevets 082 et 249 est l'utilisation d'une vision industrielle pour répondre aux défis bien connus associés à l'inspection des voies ferrées. La personne versée dans l'art regarderait par conséquent l'application de la vision industrielle à l'inspection des voies ferrées, ainsi que d'autres surfaces comparables telles que les rues et la chaussée.

[46]  Cette conclusion est conforme au libellé du brevet 082. Le paragraphe 0024 du brevet 082 indique notamment que : [TRADUCTION] « le système et procédé divulgués peuvent être utilisés dans d'autres domaines et d'autres industries où il faut examiner des surfaces ou des composants. Par exemple, le système et procédé d'examen divulgués peuvent servir à l'examen de routes, de câbles électriques, de tuyaux ou d'autres réseaux ou systèmes. »

[47]  La Cour fédérale a conclu que l'application possible de la visionique à l'examen des voies ferrées « ferait manifestement partie des connaissances générales courantes » (au paragraphe 89 des motifs). La Cour fédérale a également souligné qu'il est « admis entre les parties que les techniques de vision industrielle et de triangulation en 3D, appuyées sur des logiciels, étaient disponibles et couramment utilisées pour examiner les différences de hauteur et d'autres éléments de surfaces variées » (au paragraphe 137 des motifs).

[48]  Au paragraphe 90, la Cour fédérale a conclu ce qui suit :

Je conclus donc que ce qui suit doit au moins faire partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art aux dates pertinentes de l'interprétation des revendications :

a)  Les détecteurs optiques en 3D et la triangulation laser optique en 3D peuvent être employés pour établir l'apparence d'un objet en circonstances normales, et par la suite pour détecter les mesures, les anomalies ou tout autre élément d'intérêt;

b)  Les surfaces pourraient être inspectées et les défauts pourraient être décelés au moyen des caractéristiques suivantes

i.  Un système de triangulation avec lasers et appareils photo infrarouges;

ii.  Un faisceau lumineux avec une position angulaire;

iii.  Le tout fixé à un véhicule;

iv.  Ajustant la configuration d'acquisition (géométrie) et le nombre de dispositifs au besoin;

v.  Incluant un codeur optique et un GPS pour les coordonnées géographiques;

vi.  Incluant un iconomètre pour la déclivité et le bombement;

vii.  Corrigeant le profil pour le tangage et le roulis du véhicule;

viii.  Incluant un traitement en temps réel pour la détection des caractéristiques;

ix.  Incluant un dispositif de rangement;

x.  Incluant un dispositif de post-traitement pour extraire et classer les caractéristiques;

c)  Un système de vision industrielle avec ces caractéristiques peut être utilisé pour inspecter les voies ferrées et leurs composantes afin d'identifier les défauts.

(Non souligné dans l'original)

[49]  L'observation de Georgetown selon laquelle la personne versée dans l'art ne possédait pas de connaissance des vices de rails, comme une selle de rail rompue ou une abrasion d'appui de rail, est contraire à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art comprenaient la connaissance du fait que les systèmes de visionique pouvaient être utilisés pour inspecter et détecter les vices de rails.

[50]  Comme je l'ai expliqué précédemment, la personne versée dans l'art possède des connaissances des voies ferrées et des techniques d'inspection des rails suffisantes pour être en mesure d'assurer l'application de techniques de visionique à l'inspection des rails. Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art comprennent la connaissance du fait que les systèmes de visionique peuvent servir à détecter les vices de rails. Cette conclusion sous‑entend que la personne versée dans l'art possède des connaissances suffisantes des vices de rails énumérés pour être en mesure de comprendre comment un système de visionique s'appliquerait à ces vices et permettrait de les détecter.

[51]  Après avoir examiné les motifs de la Cour fédérale concernant la personne versée dans l'art et les connaissances générales courantes, je vais maintenant examiner l'analyse de la validité du brevet 082 par la Cour fédérale.

iii.  La conclusion de validité

[52]  Comme la Cour fédérale l'a correctement noté au paragraphe 52 de ses motifs, au procès, Tetra a allégué que les brevets 082 et 249 étaient invalides puisque, selon les connaissances générales courantes, les revendications auraient été évidentes pour une personne versée dans l'art.

[53]  Dans le présent appel, Tetra soutient que, bien que la Cour ait reconnu au paragraphe 52 de ses motifs que Tetra s'appuyait sur les connaissances générales courantes, lorsque la Cour fédérale a procédé à l'analyse de la validité, elle s'est concentrée sur seulement six renvois aux antériorités. Ces six renvois portaient sur six brevets et articles que l'expert de Tetra avait mentionnés dans son rapport principal comme étant des antériorités. Les six brevets et articles étaient joints au rapport de M. Parent (SP‑09 à SP‑14).

[54]  Cette observation nous oblige à examiner l'analyse de la Cour fédérale afin de déterminer si son analyse était si limitée, en gardant à l'esprit que les motifs de la Cour doivent être lus dans leur ensemble, et non de façon isolée.

[55]  La Cour fédérale a reconnu que les revendications du brevet 082 peuvent être réparties en trois groupes, chaque groupe comportant trois revendications distinctes :

  • Groupe 1 – revendications 1, 22 et 43 : ces revendications concernent un système et procédé pour établir la distance entre les traverses;

  • Groupe 2 – revendications 16, 37 et 58 : ces revendications concernent un système et procédé pour détecter les selles de rail mal alignées ou enfoncées;

  • Groupe 3 – revendications 64, 65 et 66 : ces revendications concernent un système et procédé pour identifier une rupture du rail (motifs, paragraphe 121).

[56]  Au procès, Georgetown a allégué la contrefaçon des revendications du groupe 2 seulement. Toutefois, toutes les revendications étaient pertinentes à la demande reconventionnelle de Tetra, qui cherchait à faire invalider l'ensemble des revendications du brevet 082.

[57]  La Cour a amorcé son analyse de la validité en faisant référence aux principes juridiques pertinents (motifs, aux paragraphes 109 à 115). Après avoir renvoyé à ses conclusions concernant les attributs de la personne versée dans l'art et l'état des connaissances générales courantes, la Cour s'est penchée sur l'idée originale du brevet 082.

[58]  La Cour a défini l'idée originale du brevet 082, au paragraphe 129 de ses motifs, comme suit :

  • Groupe 1 (distance entre les traverses) : un système de visionique qui mesure la distance entre les traverses en comptant le nombre d'images et en se servant de la vitesse du véhicule pour calculer la distance.

  • Groupe 2 (selles de rail mal alignées ou enfoncées) : un système de visionique qui : a) analyse une image parmi une série d'images de la section à vérifier; b) établit la présence d'une selle de rail dans la section à vérifier; c) établit le contour de la traverse et le contour de la selle de rail; d) compare l'orientation du contour de la traverse et l'orientation du contour de la selle de rail; e) établit si la selle de rail est mal alignée ou enfoncée selon la comparaison.

  • Groupe 3 (rupture du rail) : un système de visionique qui mesure l'écart entre les rails contigus en comptant de nombre d'images entre les extrémités des rails et en se servant de la vitesse du véhicule pour calculer l'écartement.

[59]  Dans la section « Différences entre [les antériorités] et les inventions », la Cour fédérale a souligné le fait que Georgetown eût reconnu que les antériorités invoquées par Tetra démontraient que des systèmes de visionique existaient au moment pertinent et pouvaient capter des images des composantes du lit de la voie ferrée et mesurer leur position relative. Toutefois, Georgetown a affirmé qu'aucune des antériorités n'aurait entraîné une personne versée dans l'art à construire un système de vision laser pour détecter les selles de rail enfoncées ou l'abrasion d'appui de rail ou à se servir de la série d'étapes ou de calculs précis revendiqués dans les brevets 082 et 249.

[60]  La Cour a ensuite examiné les tableaux préparés par l'expert de Georgetown, qui devaient résumer les éléments du brevet 082 et du brevet 249 manquants dans les antériorités invoquées par Tetra. Ces tableaux se limitaient exclusivement aux éléments des revendications qui, de l'avis de Georgetown, manquaient ou n'étaient pas mentionnés dans les six brevets et articles joints au rapport de l'expert de Tetra comme antériorités. Au paragraphe 136 de ses motifs, la Cour fédérale a accepté « la qualification de Georgetown des différences entre [les antériorités] et les inventions contestées ». La Cour fédérale n'a jamais examiné si les éléments revendiqués du brevet 082 relevaient des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art. La Cour a ensuite cherché à déterminer si les différences entre les inventions revendiquées et les six brevets et articles invoqués par l'expert de Tetra étaient évidentes ou reposaient sur une idée originale.

[61]  La conclusion finale de la Cour fédérale figure aux paragraphes 146 et 147 des motifs :

146.  Il est vrai qu'avant l'année 2004, les techniques de vision industrielle et de triangulation en 3D, à l'aide d'un logiciel, étaient disponibles et couramment utilisées pour examiner les différences de hauteur et d'autres éléments de diverses surfaces. L'art antérieur [les antériorités] invoqué par Tetra comporte plusieurs documents qui ont appliqué cette technologie dans le contexte ferroviaire. Toutefois, aucun des documents de l'art antérieur n'identifie les selles de rail enfoncées ou l'abrasion de l'appui de rail comme problèmes à résoudre, et ne suggère pas non plus de solutions similaires à celles divulguées dans les brevets 082 et 249.

147.  Comme l'a souligné Georgetown, les selles de rail enfoncées et l'abrasion de l'appui de rail sont des phénomènes qui ne sont pas visibles quand ils sont vus du dessus, parce qu'ils se produisent sous des composantes qui sont visibles du dessus. Les deux brevets résolvent ce problème en comparant la hauteur de la traverse avec la hauteur d'une autre composante de la voie : la selle de rail et [le patin] de rail, respectivement. Le brevet 249 comprend également un algorithme pour augmenter l'exactitude du calcul de l'abrasion de l'appui de rail en tenant compte de l'inclinaison. Ni l'existence de ces problèmes ni les solutions proposées dans les brevets ne sont évidentes dans l'art antérieur. Elles n'auraient pas non plus pu y arriver sans aperçu inventif.

(Non souligné dans l'original)

E.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur?

[62]  Comme nous l'avons expliqué ci‑dessus, l'analyse par la Cour fédérale des différences entre les antériorités et l'invention divulguée au brevet 082 était limitée à son analyse des tableaux préparés par l'expert de Georgetown. Ces tableaux étaient, à leur tour, limités à l'examen des enseignements des six brevets et articles joints au rapport de l'expert de Tetra comme preuve des antériorités. La Cour fédérale s'est ensuite penchée sur la question de savoir si les différences entre les antériorités et l'invention mentionnées par l'expert de Georgetown étaient évidentes.

[63]  La Cour n'a pas analysé comment la personne versée dans l'art aurait, sur la base des connaissances générales courantes, réagi aux antériorités. Il s'agit d'une erreur de droit. La Cour fédérale n'a jamais examiné les antériorités et déterminé comment la personne versée dans l'art en aurait tenu compte pour répondre aux problèmes bien connus liés à l'inspection des voies ferrées et comment elle aurait tiré profit des connaissances générales courantes. Si la Cour fédérale l'avait fait, elle aurait déterminé que la personne versée dans l'art aurait pu franchir l'écart entre les antériorités et les revendications du brevet 082 en appliquant uniquement les connaissances générales courantes établies par la Cour.

[64]  Au procès, Tetra a fait valoir qu'il aurait été évident pour la personne versée dans l'art d'utiliser la technique de triangulation en trois dimensions pour examiner diverses parties du lit d'une voie ferrée. Georgetown a répondu que les antériorités ne mentionnent pas les selles de rail rompues comme problème à résoudre et ne suggèrent pas non plus de façon de détecter les selles de rail rompues à l'aide d'un système de visionique.

[65]  La Cour fédérale a rejeté l'observation de Tetra au motif qu'aucune des antériorités ne mentionne les selles de rail rompues comme un problème à résoudre ou ne propose de solution semblable à celle divulguée dans le brevet 082 (au paragraphe 146 des motifs).

[66]  Toutefois, la Cour fédérale avait déjà conclu que la personne versée dans l'art posséderait une connaissance accessoire des voies ferrées, conclusion étayée par le fait que le brevet 082 ne définit pas les vices identifiés, ce qui oblige la personne versée dans l'art à comprendre leur sens technique. La Cour fédérale avait également conclu que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art comprenaient, au minimum, la connaissance du fait qu'un système de visionique pouvait être utilisé pour examiner les voies ferrées et leurs composants afin de détecter les vices. Cette conclusion sous‑entend nécessairement que la personne versée dans l'art possède des connaissances suffisantes des vices, comme les selles de rail rompues, pour être en mesure de comprendre qu'un système de visionique pourrait détecter une selle de rail rompue. Puisque la personne versée dans l'art avait ces connaissances, il n'était pas nécessaire que les antériorités mentionnent les selles de rail rompues comme un problème à résoudre. De même, il n'était pas nécessaire que les antériorités suggèrent une solution semblable à celle enseignée dans le brevet 082.

[67]  Comme la Cour fédérale l'a indiqué au paragraphe 147 de ses motifs, les selles de rail rompues sont des vices qui ne sont pas visibles quand ils sont vus de haut, parce qu'ils se produisent sous les selles de rail. Le brevet 082 a résolu ce problème en comparant la hauteur de la traverse avec la hauteur de la selle de rail.

[68]  C'est justement cette mesure que les inspecteurs humains prenaient lorsqu'ils tentaient de recenser les selles de rail rompues. Comme le chef de l'exploitation de Georgetown l'a expliqué au cours de son témoignage :

[TRADUCTION]

Il s'agissait purement d'une évaluation manuelle par un inspecteur à pied. [...] Si une selle de rail, par exemple, était enfoncée dans la traverse à un point tel qu'elle était à égalité avec la surface de la traverse, un inspecteur à pied dirait « J'ai environ trois huitièmes de pouce de selle de rail rompue », puisqu'il connaissait l'épaisseur de cette selle de rail.

(Dossier d'appel, page 2547, lignes 2 à 10)

[69]  Cet exercice était semblable à la détermination de la hauteur relative que le brevet 082 enseigne comme solution au problème que les selles de rail rompues ne sont pas visibles de haut, selon les constatations de la Cour fédérale.

[70]  Dans le même sens, le témoin expert de Georgetown a fait valoir l'argument suivant dans son interprétation du brevet 082 :

[TRADUCTION]

On peut reconnaître les dégradations préoccupantes des rails en évaluant la géométrie de la voie, ce qui est la méthode décrite dans les brevets en cause, et en créant un modèle tridimensionnel à l'aide de dispositifs optiques afin de détecter les anomalies de la voie. Ce processus reproduit celui exécuté par les inspecteurs humains lorsqu'ils examinent visuellement la voie à la recherche de crampons endommagés ou manquants, de dégradations des traverses causées par des selles de rail rompues et d'abrasions des selles de rail et lorsqu'ils vérifient l'état du ballast ainsi que d'autres problèmes liés à la géométrie des rails [...]

(Rapport d'expert, pièce P004, dossier d'appel, page 418, paragraphe 27)

(Non souligné dans l'original)

[71]  Par conséquent, il n'y avait rien de nouveau ou d'original dans l'utilisation d'une technique bien connue pour reproduire l'inspecteur humain qui comparait la hauteur de la traverse avec la hauteur de la selle de rail pour détecter les ruptures.

[72]  En d'autres termes, puisque la Cour fédérale a conclu qu'avant la date de priorité du brevet 082, des techniques informatiques de visionique et de triangulation en trois dimensions étaient disponibles et couramment utilisées pour examiner les différences de hauteur de surfaces variées, il n'était pas inventif d'utiliser un système de visionique pour détecter et mesurer les vices des selles de rail.

F.  Conclusion sur le brevet 082

[73]  La Cour fédérale a commis une erreur en ne déclarant pas le brevet 082 invalide pour cause d'évidence. Il s'ensuit que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le brevet 082 avait été contrefait par Tetra.

6.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur lorsqu'elle a interprété le brevet 249 et a conclu qu'il n'était pas invalide?

A.  Le brevet 249

[74]  Le brevet 249 est intitulé « Système et procédé de correction d'inclinaison pour abrasion d'appui de rail ».

[75]  La circulation ferroviaire cause un frottement des traverses et des rails. Le frottement à l'endroit où le rail repose sur la traverse cause l'abrasion d'appui de rail. L'abrasion d'appui de rail touche directement la durée de vie de la traverse et fait qu'elle se désajuste du rail. Ce problème est plus marqué lorsqu'on utilise des traverses de béton (rapport d'expert de M. Myler au sujet de l'interprétation des revendications, pièce P004, dossier d'appel, page 471, paragraphe 137).

[76]  Lorsqu'on utilise des traverses de béton, les patins de rail s'appuient sur une semelle de rail, qui elle‑même repose sur la surface de la traverse de béton. Ces semelles de rail, qui sont généralement faites de polymère, assurent une couche de protection entre les patins de rail et la surface de la traverse en béton. Dans le cas de traverses en béton, l'abrasion d'appui de rail se produit quand la vibration des rails causée par les trains use la semelle de rail et, une fois celle‑ci usée, la partie supérieure de la traverse.

[77]  La section [TRADUCTION] « Domaine de l'invention » du brevet indique que l'invention [TRADUCTION] « se rapporte de façon générale aux systèmes et procédés d'inspection des surfaces de voies ferrées et, plus précisément, aux systèmes et procédés permettant d'établir l'abrasion d'appui de rail au moyen d'algorithmes de correction d'inclinaison » (au paragraphe 0002) (non souligné dans l'original).

[78]  La section [TRADUCTION] « Résumé de la divulgation » du brevet 249 décrit les systèmes et procédés utilisés pour établir l'abrasion d'appui de rail divulgués dans le brevet :

[TRADUCTION]

[...] Les modes de réalisation du système divulgué comprennent un système d'inspection comprenant des lasers, des lentilles et des processeurs adaptés pour déterminer s'il y a abrasion d'appui de rail le long de la voie. Le processeur emploie un algorithme mathématique qui corrige l'inclinaison rencontrée à mesure que le système d'inspection se déplace le long de la voie. (au paragraphe 0009)

[...]

En fixant les dispositifs de mesure au véhicule d'inspection qui suit la voie, en prenant des mesures précises de la hauteur des rails et des traverses et en ajustant ces mesures selon l'inclinaison, on peut prévoir l'abrasion d'appuis de rail sans devoir soulever les rails, ce qui peut être dangereux, ou prendre des mesures manuelles, qui sont peu fiables et prennent du temps [...] (au paragraphe 0011)

(Non souligné dans l'original)

[79]  Toutefois, cela dit, le paragraphe 0012 rappelle que le résumé [TRADUCTION] « n'a pas pour objectif de résumer chaque mode de réalisation possible ou chaque aspect de l'objet de la divulgation ».

[80]  Le brevet 249 fournit ensuite une brève description des dessins représentatifs qui figurent dans le brevet ainsi qu'une description détaillée des modes de réalisation proposés. Aux paragraphes 0072 à 0080, le brevet explique que pour mesurer l'abrasion d'appui de rail avec plus de précision, il faut tenir compte de l'inclinaison et des dévers de la voie ferrée. Ainsi, le brevet indique ce qui suit :

[TRADUCTION]

Selon un autre mode de réalisation proposé de la présente invention, on peut prévoir l'abrasion d'appui de rail avec une grande précision. Ce mode de réalisation utilise les données d'image décrites précédemment et applique des algorithmes pour compenser l'inclinaison du véhicule. Alors que le système d'inspection (30) se déplace le long de la voie, il peut y avoir des courbes et des virages qui entraînent une inclinaison de la suspension du système (30) lorsque celui‑ci suit la courbe. Cette inclinaison fait en sorte que la voie ferrée elle‑même s'incline vers la gauche ou la droite dans le champ de vision de la lentille (50). Les mesures qui en résultent servent à déterminer les traverses qui devraient être inspectées physiquement afin de détecter l'abrasion des rails. Toutefois, les dévers et l'inclinaison doivent être pris en compte pour déterminer les traverses à inspecter, comme nous le décrirons plus loin. (au paragraphe 0072).

[...] Pour déterminer s'il y a abrasion d'appuis de rail, il faut mesurer la hauteur de chaque rail conformément aux méthodes décrites précédemment. Toutefois, dans cet exemple, la hauteur du rail droit (12) semble être supérieure à la hauteur du rail gauche (12), ce qui fausse les mesures. Par conséquent, au cours des recherches empiriques et mathématiques considérables menées relativement à la présente invention, un facteur de correction standard de 0,12 a été établi. Ce facteur de correction de l'inclinaison est intégré dans les algorithmes de la présente invention afin de compenser l'inclinaison causée par des variations dans la suspension du véhicule, les normes sur la hauteur des rails et d'autres facteurs sans lien avec l'abrasion d'appui de rail. (au paragraphe 0073).

[...]

Par la suite, à l'étape 102, le système d'inspection (30) enregistre les hauteurs non corrigées HGrail, HDrail, HGtraverse et HDtraverse des rails (12) et des traverses (10) selon la valeur en pixels de chaque élément. Ensuite, à l'étape 104, le processeur du système d'inspection (30) calcule le facteur de correction de l'inclinaison (CI) à l'aide de l'équation suivante :

CI = (HGrail – HDrail) (0,12)

(Au paragraphe 0075)

Ensuite, à l'étape 106, le Δ réel (c.‑à‑d. la distance ou la différence entre deux points) est déterminé pour les patins de rail droit et gauche à l'aide de l'équation suivante :

ΔGrail = (HGrail – HGtraverse) – IC

ΔDrail = (HDrail – HDtraverse) + IC

Le résultat est le Δ réel entre la hauteur du patin de rail et l'élévation de la traverse pour les rails droit et gauche. [...]

(au paragraphe 0076)

Ensuite, à l'étape 108, le facteur d'abrasion d'appui de rail (AAR) pour les patins de rail droit et gauche est déterminé à l'aide de la formule suivante :

AARGrail = (32 ÷ 54) – (ΔGrail ÷ 50)

AARDrail = (32 ÷ 54) – (ΔDrail ÷ 50)

[...]

(au paragraphe 0077) (Non souligné dans l'original)

[81]  Georgetown a allégué la contrefaçon des revendications 7, 11 et 18 du brevet 249. La revendication 7 est une revendication indépendante concernant un procédé pour déterminer l'abrasion d'appui de rail d'une voie ferrée. La revendication 11 est une revendication dépendante de la revendication 7. La revendication 18 est une revendication indépendante concernant un procédé pour déterminer l'abrasion d'appui de rail d'une voie ferrée.

B.  Les erreurs alléguées

[82]  La Cour fédérale a interprété le terme « delta réel » de la revendication comme étant la différence entre deux points.

[83]  Tetra affirme que cette interprétation est contraire aux enseignements explicites du brevet 249, qui indiquent que le « delta réel » comprend la correction de l'inclinaison. Subsidiairement, Tetra soutient que, si les revendications du brevet 249 ne nécessitent pas de correction de l'inclinaison, ces revendications sont évidentes. Sans correction de l'inclinaison, les revendications du brevet 249 portent principalement sur un algorithme utilisé pour mesurer les différences de hauteur entre une traverse et un patin de rail. Tetra affirme que cela était déjà évident au moment du brevet 082. Tetra soutient également que le brevet 249 est évident à la lumière du brevet 082.

[84]  Georgetown répond que de nombreux éléments de preuve présentés au procès étayent la conclusion que le brevet 249 n'était pas évident.

C.  Les principes juridiques applicables

[85]  Comme l'a fait remarquer à juste titre la Cour fédérale, le brevet 249 doit être interprété de façon éclairée et en fonction de l'objet.

[86]  La Cour peut examiner l'ensemble du mémoire descriptif pour comprendre ce que signifie un mot ou un terme utilisé dans une revendication ou pour confirmer une interprétation établie en tenant compte du libellé des revendications. Toutefois, on ne peut utiliser des parties du mémoire descriptif pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle est écrite (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 52).

[87]  L'interprétation d'un brevet est une question de droit qui doit être établie par la Cour avec l'aide d'un lecteur versé dans l'art. La Cour doit recenser les « mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention » (Whirlpool, paragraphe 45).

[88]  Puisque les brevets s'adressent à une personne versée dans l'art, le rôle du témoin expert est d'aider la Cour en fournissant un témoignage d'expert sur le sens technique des termes et des concepts utilisés dans le brevet afin de placer la Cour dans la position d'une personne versée dans l'art au moment pertinent (Free World Trust, au paragraphe 51).

[89]  Puisque l'interprétation des revendications est une question de droit, la Cour n'est pas liée par la preuve des experts (Whirlpool, au paragraphe 61). Il s'ensuit que la Cour doit « s'en tenir au libellé même des revendications sans laisser les experts lui dicter la conclusion » (Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc., 2005 CAF 11, [2005] 3 R.C.F. 261, au paragraphe 53).

D.  Les motifs de la Cour fédérale

[90]  L'interprétation des revendications par la Cour fédérale se trouve, pour les deux brevets, aux paragraphes 61 à 108 des motifs de la Cour. Après avoir établi les principes juridiques applicables et les dates pertinentes, la Cour a tiré ses conclusions au sujet de la personne versée dans l'art et les connaissances générales courantes de cette personne. La Cour s'est ensuite penchée sur l'analyse de quatre « termes contestés » figurant dans le brevet 082 et d'un terme contesté figurant uniquement dans le brevet 249. Le terme contesté dans le brevet 249 était le terme « delta réel ».

[91]  Après avoir établi les interprétations contradictoires des parties pour le terme « delta réel », la Cour a conclu comme suit :

107.  Selon le [TRADUCTION] « Résumé de l'invention » figurant dans le brevet 249, l'invention comporte [TRADUCTION] « un système d'inspection comprenant des lasers, des appareils photo, et des [processeurs] adaptés pour déterminer s'il y a abrasion de l'appui de rail le long de la voie. Le [processeur] emploie un algorithme fondé sur les mathématiques qui remplace l'inclinaison rencontrée à mesure que le système d'inspection se déplace le long de la voie. » Je conviens avec Georgetown qu'une simple lecture du brevet 249 ne prévoit pas qu'une [correction] pour l'inclinaison sera toujours nécessaire à mesure que le système se déplace le long de la voie. Au contraire, le système [corrige] l'inclinaison seulement lorsque le phénomène « se produit ».

108.  Il s'ensuit que l'algorithme pour établir le delta réel n'exige pas nécessairement l'examen de la CI [correction de l'inclinaison] dans tous les cas où le système est utilisé. Je préfère donc [l'interprétation] du « delta réel » préconisée par Georgetown.

(Non souligné dans l'original)

[92]  Au paragraphe 158 de ses motifs, la Cour a souligné que les parties étaient d'accord que tous les éléments des revendications en litige étaient essentiels.

[93]  La Cour fédérale a ensuite examiné les questions de la validité et de la contrefaçon.

[94]  En ce qui concerne le brevet 249 et la question de la validité, la Cour a souligné, à juste titre, que Tetra avait allégué que le brevet 249 était invalide puisque, selon les connaissances générales courantes, il aurait été évident pour la personne versée dans l'art (au paragraphe 52 des motifs). Plus loin dans ses motifs, la Cour fédérale a souligné que Tetra alléguait également que le brevet 249 était évident puisqu'il ne comprenait aucun élément ou étape original qui n'était pas déjà divulgué au brevet 082 (au paragraphe 140 des motifs).

[95]  La Cour a amorcé son analyse de l'invalidité en définissant l'idée originale du brevet 249 comme suit :

un système de vision industrielle qui a) analyse les images; b) établit la hauteur des patins du rail gauche et droit, et des traverses gauches et droites, en appliquant la [correction de l'inclinaison] au besoin; et c) établit s'il y a abrasion de l'appui de rail en se servant de ces mesures.

(au paragraphe 129 des motifs)

[96]  La Cour a ensuite procédé à l'analyse décrite ci-dessus aux paragraphes 59 et 60.

[97]  Sa conclusion définitive sur la validité se trouve aux paragraphes 146 et 147 de ses motifs, précités au paragraphe 61.

[98]  En ce qui concerne le brevet 249 et la question de la contrefaçon, la Cour s'est ensuite penchée sur la question de savoir si le système 3‑D TAS « établit un delta réel entre le patin des rails et la traverse ». La Cour a souligné l'affirmation de Tetra que son système ne tient pas compte des différences de hauteur entre les champignons gauche et droit. Tetra a fait valoir qu'il n'était pas nécessaire que son système fasse ce rajustement, étant donné que la différence minime dans la hauteur du rail causée par l'inclinaison transversale de la lentille n'avait pas d'incidence sur le degré de précision qu'exige son client.

[99]  La Cour fédérale a rejeté l'observation de Tetra. La conclusion de la Cour fédérale figure aux paragraphes 185 et 186 des motifs :

185.  Dans l'analyse de l'interprétation des revendications, ci-dessus, j'ai conclu que le brevet 249 ne prévoit pas la nécessité d'une [compensation] pour l'inclinaison à mesure que le système se déplace le long de la voie. Au contraire, le système [compense] l'inclinaison seulement lorsque le phénomène « se produit ».

186.  Par conséquent, je conclus que le 3DTAS établit la différence, ou le « delta réel », entre le patin des rails et la traverse de la manière décrite dans le brevet 249. L'algorithme utilisé pour établir le delta réel divulgué dans le brevet n'exige pas un examen de la CI [correction de l'inclinaison] dans toutes les circonstances. Les revendications du brevet 249 englobent la détection de l'abrasion de l'appui de rail, alors même que la voie est droite.

(Non souligné dans l'original)

E.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur?

i.  L'interprétation du brevet 249

[100]  Comme nous l'avons expliqué dans l'analyse des motifs de la Cour fédérale, la conclusion de la Cour selon laquelle le système 3‑D TAS contrefaisait le brevet 249 était fondée sur son interprétation du terme « delta réel ». L'interprétation de ce terme par la Cour fédérale figure aux paragraphes 107 et 108 de ses motifs, précités au paragraphe 91.

[101]  La Cour s'est fiée à l'opinion de l'expert de Georgetown sur le sens ordinaire du terme [TRADUCTION] « delta réel » et au paragraphe 0009 de la divulgation du brevet pour tirer sa conclusion. Le paragraphe 0009 est reproduit en grande partie au paragraphe 78 ci‑dessus. Le paragraphe 0009 décrit un système [TRADUCTION] « pour déterminer s'il y a abrasion d'appui de rail ». Pour ce faire, le processeur du système emploie un [TRADUCTION] « algorithme mathématique qui corrige l'inclinaison rencontrée à mesure que le système d'inspection se déplace le long de la voie ».

[102]  En raison de cette affirmation, la Cour a conclu que le brevet 249 « ne prévoit pas qu'une [correction] pour l'inclinaison sera toujours nécessaire à mesure que le système se déplace le long de la voie ». Le système compense plutôt l'inclinaison seulement lorsque le phénomène « se produit » (au paragraphe 107).

[103]  Ce n'était pas là une interprétation des revendications pertinentes du brevet en fonction de son objet. En cas d'ambiguïté dans le libellé d'une revendication, on peut recourir à la divulgation du mémoire descriptif. Toutefois, on ne peut faire abstraction du libellé des revendications. La Cour ne peut non plus, comme nous l'avons mentionné précédemment, se fier au témoignage d'un expert tout en négligeant de tenir compte du libellé des revendications pertinentes.

[104]  Je commence l'exercice d'interprétation avec la divulgation du brevet, en gardant à l'esprit que même si les revendications peuvent être interprétées en tenant compte de l'ensemble du mémoire descriptif, la divulgation ne peut être utilisée de manière à élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle était écrite.

[105]  La description détaillée des modes de réalisation proposés commence au paragraphe 0031 du brevet et se poursuit jusqu'au paragraphe 0086. La première référence à un mode de réalisation ayant recours à un algorithme qui corrige l'inclinaison du véhicule figure au paragraphe 0072.

[106]  Le paragraphe 0072 commence comme suit : [TRADUCTION] « Dans un autre mode de réalisation proposé de la présente invention, l'abrasion d'appui de rail peut être prévue avec une grande précision ». Ainsi, bien que d'autres modes de réalisation permettent de prédire l'abrasion d'appui de rail sans compenser l'inclinaison, l'enseignement du brevet est qu'un mode de réalisation qui compense l'inclinaison permet de prévoir l'abrasion d'appui de rail avec plus d'exactitude, particulièrement lorsqu'il y a une inclinaison.

[107]  Puisque l'interprétation de la Cour fédérale s'est faite sans renvoyer expressément aux revendications du brevet qu'on prétend contrefaites, je vais maintenant me pencher sur ces revendications.

[108]  La revendication 7 est la revendication indépendante d'une méthode utilisée pour déterminer l'abrasion d'appui de rail. La revendication 7 est l'une des trois revendications contrefaites par Tetra, selon les allégations de Georgetown. La revendication 7 énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]

7.  Une méthode pour établir l'abrasion d'appui de rail d'une voie ferrée comportant les étapes suivantes :

a)  établir la hauteur du patin du rail gauche, du patin du rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, établir les hauteurs en pixels verticaux du patin du rail gauche, du patin du rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, et normaliser les hauteurs en pixels verticaux en utilisant un indice de mesure;

b)  enregistrer les hauteurs du patin du rail gauche, du patin du rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite;

c)  établir le delta réel entre la hauteur du patin du rail gauche et la hauteur de la traverse gauche et le delta réel entre la hauteur du patin du rail droit et la hauteur de la traverse droite;

d)  établir une valeur d'abrasion d'appui de rail pour les patins des rails droit et gauche.

[109]  Au procès, l'expert de Georgetown a convenu, en contre‑interrogatoire, que la personne versée dans l'art ne comprendrait pas le terme « delta réel » (contre‑interrogatoire de M. Myler, dossier d'appel, page 2475, ligne 17, à page 2476, ligne 2). Puisque le terme n'était pas un terme technique, il s'ensuit qu'il faut l'interpréter à la lumière de la divulgation. Seul le paragraphe 0076 du brevet explique ce qu'est le « delta réel ».

[110]  Le paragraphe 0076 indique que le delta réel est [TRADUCTION] « la distance ou la différence entre deux points » (comme l'a déterminé la Cour fédérale).

[111]  Georgetown soutient que la revendication 8 facilite l'interprétation de la revendication 7 du brevet.

[112]  La revendication 8 énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]

La méthode décrite dans la revendication 7, comprenant également un facteur de correction de l'inclinaison.

[113]  Georgetown soutient que le principe de la distinction des revendications suppose que les revendications des brevets sont rédigées de façon à ne pas être redondantes. Ainsi, les différentes revendications ont différentes portées. Les revendications indépendantes ont une portée plus large que les revendications dépendantes; il n'y a pas lieu de réduire la portée d'une revendication indépendante en raison d'une revendication dépendante.

[114]  La revendication dépendante 8 ajoute une limitation à la revendication indépendante 7 : il faut établir un facteur de correction de l'inclinaison. Il s'ensuit que le facteur de correction de l'inclinaison n'est pas un élément nécessaire de la revendication 7.

[115]  Par conséquent, j'accepte l'argument de Georgetown selon lequel la méthode enseignée et revendiquée dans la revendication 7 n'exige pas qu'on établisse le facteur de correction de l'inclinaison. Le « delta réel » mentionné dans la revendication 7 est simplement la distance ou la différence entre deux points.

[116]  La revendication 11, la deuxième revendication dont on allègue la contrefaçon, prévoit ce qui suit :

Une méthode décrite dans la revendication 7 dans laquelle l'étape (d) est exécutée en se fondant sur le delta réel pour les patins de rail droit et gauche.

[117]  Encore une fois, la revendication dépendante exige qu'on calcule le delta réel, qui est simplement la distance ou la différence entre deux points. Elle n'exige pas qu'on applique un facteur de correction de l'inclinaison pour déterminer le delta réel ou l'abrasion d'appui de rail.

[118]  La dernière revendication qu'on prétend contrefaite est la revendication 18 :

[TRADUCTION]

Un système pour établir l'abrasion d'appui de rail d'une voie ferrée comprenant les éléments suivants :

au moins un générateur de lumière placé à côté de la voie ferrée de sorte que le générateur de lumière projette un faisceau lumineux à travers la voie ferrée;

au moins une lentille placée à côté de la voie ferrée pour recevoir au moins une partie de la lumière réfléchie de la voie ferrée et pour produire au moins une image du profil d'au moins une partie de la voie ferrée;

au moins un processeur apte à effectuer les étapes suivantes :

analyser au moins une image;

établir la hauteur du patin du rail gauche, du patin du rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, établir les hauteurs en pixels verticaux du patin du rail gauche, du patin du rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, et normaliser les hauteurs en pixels verticaux en utilisant un indice de mesure;

vérifier la présence d'abrasion d'appui de rail le long de la voie ferrée.

[119]  Il s'agit d'une revendication indépendante d'un système qui vérifie l'abrasion d'appui de rail. Le système revendiqué comprend un processeur qui peut déterminer la hauteur du patin du rail gauche, du patin du rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, établir la hauteur en pixels verticaux du patin du rail gauche, du patin du rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, et normaliser les hauteurs en pixels verticaux en utilisant un indice de mesure. Le processeur doit également vérifier la présence d'abrasion d'appui de rail.

[120]  Il faut établir une distinction entre la revendication 18 et la revendication 1 du brevet :

[TRADUCTION]

Un système pour établir l'abrasion d'appui de rail d'une voie ferrée comprenant les éléments suivants :

au moins un générateur de lumière placé à côté de la voie ferrée de sorte que le générateur de lumière projette un faisceau lumineux à travers la voie ferrée;

au moins une lentille placée à côté de la voie ferrée pour recevoir au moins une partie de la lumière réfléchie de la voie ferrée et pour produire au moins une image du profil d'au moins une partie de la voie ferrée;

au moins un processeur apte à effectuer les étapes suivantes :

analyser au moins une image;

vérifier la présence d'abrasion d'appui de rail le long de la voie ferrée de sorte qu'au moins un processeur corrige l'inclinaison de la voie ferrée.

[121]  La revendication 1 est une autre revendication indépendante d'un système qui vérifie l'abrasion d'appui de rail d'une voie ferrée. Elle diffère de la revendication 18 d'une façon importante : la revendication 18 ne corrige pas l'inclinaison de la voie ferrée.

[122]  Ainsi, le brevet 249 enseigne et revendique deux systèmes et procédés distincts pour déterminer la présence et l'ampleur d'abrasion des appuis de rail. Le premier utilise les données sur l'emplacement du rail par rapport à la traverse et enseigne et revendique l'utilisation d'au moins un processeur qui corrige l'inclinaison de la voie ferrée (revendications 1 et 12). Le deuxième ne corrige pas l'inclinaison (revendications 7 et 18). Il s'agit d'un système et procédé qui utilise les données tridimensionnelles décrivant la forme de la voie ferrée et de ses composants pour déterminer la différence de hauteur entre le patin de rail et la traverse. Puisque l'abrasion de l'appui de rail entraîne une réduction de la hauteur du rail à mesure que la traverse s'abrase, la différence de hauteur correspond à l'abrasion de l'appui de rail. Plus précisément, lorsqu'il n'y a pas d'abrasion d'appui de rail, la différence entre la hauteur du patin de rail et la hauteur de la traverse aura une valeur précise. Une fois que l'abrasion s'est produite, la hauteur du rail diminue et la différence entre la hauteur du patin de rail et la hauteur de la traverse est inférieure à la valeur précise.

[123]  Il s'ensuit que, lorsque les revendications sont correctement interprétées, la détermination du delta réel fondée sur l'application d'un facteur de correction de l'inclinaison n'est pas un élément essentiel des revendications qu'on dit contrefaites (revendications 7, 11 et 18).

[124]  Puisque j'ai conclu que les revendications qu'on dit contrefaites, soit les revendications 7, 11 et 18, n'exigeaient pas l'utilisation d'un facteur de correction de l'inclinaison, je dois maintenant déterminer si les revendications 7, 11 et 18 du brevet 249 sont invalides pour cause d'évidence.

ii.  Si on les interprète correctement, les revendications du brevet 249 sont‑elles invalides?

[125]  Bien que Tetra allègue que le brevet 249 dans son ensemble est invalide, mon analyse se concentre sur les revendications qu'elle dit contrefaites, soit les revendications 7, 11 et 18.

[126]  La Cour fédérale a déterminé, au paragraphe 86 de ses motifs, que l'objet principal des brevets 082 et 249 est l'utilisation de visionique pour répondre aux « défis bien connus » liés à l'examen des voies ferrées. La conclusion de la Cour fédérale au paragraphe 90 concernant les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art s'applique également au brevet 249 : cette personne savait au moins qu'on pouvait utiliser un système de visionique pour inspecter les voies ferrées et leurs composants afin de détecter les vices.

[127]  Au paragraphe 147 de ses motifs, la Cour fédérale a déterminé que le brevet 249 résout le problème de l'abrasion d'appuis de rail en comparant la hauteur de la traverse à la hauteur d'un autre composant de la voie ferrée, le patin de rail, et qu'il comprend également un algorithme pour augmenter l'exactitude du calcul de l'abrasion d'appui de rail en tenant compte de l'inclinaison. La Cour a déterminé que ces solutions proposées n'étaient pas évidentes dans les antériorités et qu'on n'aurait pas pu y arriver sans idée originale.

[128]  J'ai conclu que les revendications 7, 11 et 18 n'exigent pas qu'on détermine le delta réel en utilisant un facteur de correction de l'inclinaison. Le système et procédé indiqués dans ces revendications déterminent plutôt la différence entre la hauteur du patin de rail et de la traverse. La différence de hauteur correspond à l'abrasion d'appui de rail.

[129]  En outre, j'ai conclu antérieurement qu'il était évident, au moment du brevet 082, d'utiliser un système de visionique pour mesurer les différences de hauteur entre la traverse et la selle de rail.

[130]  La différence entre les revendications du brevet 082 et les revendications 7, 11 et 18 du brevet 249 est le point de référence : dans le cas du brevet 082, le point de référence est la hauteur de la selle de rail, alors que dans le cas du brevet 249, le point de référence est la hauteur du patin de rail. Il n'y avait rien d'inventif, au moment du brevet 249, dans l'établissement du patin de rail comme point de référence pour calculer la différence de hauteur et déterminer l'abrasion d'appui de rail. Il s'ensuit que les revendications 7, 11 et 18 du brevet 249 sont évidentes et que la Cour fédérale a commis une erreur en ne déclarant pas que ces revendications étaient invalides.

F.  Conclusion sur le brevet 249

[131]  La Cour fédérale a commis une erreur en ne déclarant pas les revendications 7, 11 et 18 du brevet 249 invalides pour cause d'évidence. Il s'ensuit que la Cour a commis une erreur en concluant que ces revendications avaient été contrefaites par Tetra.

[132]  Au procès, Tetra a fait valoir que l'ensemble des revendications du brevet 249 étaient invalides pour cause d'évidence. Pour trancher cette question, il faut déterminer si les revendications du brevet qui portent sur la correction de l'inclinaison de la voie ferrée sont évidentes.

[133]  Il s'agit essentiellement d'une question de fait que la Cour fédérale devrait examiner à nouveau, puisqu'elle est mieux placée pour examiner la question de fait de savoir si les différences entre les antériorités et l'idée originale des revendications du brevet 249 auraient été évidentes pour la personne versée dans l'art qui applique les connaissances générales courantes. Outre qu'il s'agit d'une question de fait, la question n'a pas fait l'objet d'un examen suffisant à notre Cour.

7.  Conclusion et dépens

[134]  Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et j'annulerais la décision de la Cour fédérale. Prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais l'action en contrefaçon de Georgetown et j'accueillerais la demande reconventionnelle de Tetra en partie. Je déclarerais le brevet canadien no 2 572 082 et les revendications 7, 11 et 18 du brevet canadien no 2 766 249 non valides. Je renverrais la question de la validité des autres revendications du brevet canadien no 2 766 249 à la Cour fédérale pour nouvel examen conformément aux présents motifs. Puisque Tetra a eu gain de cause dans une grande mesure en appel, je lui adjugerais les dépens à la Cour fédérale.

[135]  Quant aux dépens à notre Cour, bien que chaque partie demandait des dépens majorés si elle devait obtenir gain de cause, chaque partie a accepté un paiement forfaitaire raisonnable de 10 000 $ à notre Cour. Cette somme équivaut approximativement aux dépens calculés selon la colonne IV du tarif, y compris des débours d'environ 2 000 $.

[136]  Je ne trouve aucune raison de ne pas adjuger les dépens à notre Cour en se fondant sur la colonne IV. Il s'ensuit que j'adjugerais à Tetra des dépens forfaitaires de 10 000 $ au titre des frais, des débours et des taxes.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-69-18

 

 

INTITULÉ :

TETRA TECH EBA INC. c. GEORGETOWN RAIL EQUIPMENT COMPANY

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 14 janvier 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Bruce Stratton

Bob H. Sotiriadis

Bentley Gaikis

 

Pour l'appelante

 

Donald M. Cameron

Anastassia Trifonova

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

 

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée

 

 

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